6. La régulation des dépenses de santé et les mécanismes conventionnels (articles 10 A, 15 ter, 18 ter, 18 quater) : des mesures improvisées
Votre rapporteur pour avis tient d'abord à dénoncer la méthode utilisée systématiquement par le gouvernement au cours de la discussion du présent projet de loi de financement à l'Assemblée nationale et qui a consisté à déposer des amendements de dernière minute sur des sujets d'une importance capitale, telle notamment la réforme des relations conventionnelles entre l'Etat et les professionnels de santé, qui auraient mérité une concertation approfondie.
a) La rénovation du cadre conventionnel : une réforme « mort-née » (article 10 A)
L'article 10 A vise à la « rénovation du cadre conventionnel et du dispositif de régulation » d'après les termes mêmes du ministre délégué à la santé. C'est faire injure à un objectif aussi ambitieux que de présenter, lors de la discussion du projet de loi en séance, un amendement de dernière minute, n'ayant donc pas fait l'objet d'un examen préalable par le Conseil d'Etat et surtout n'ayant fait l'objet d'aucune concertation avec les professionnels de santé.
L'article 10 A du présent projet de loi de financement, qui insère un nouvel article L. 162-14-1 au code de la sécurité sociale, dispose que les conventions définissent les engagements, collectifs et individuels, des signataires, le cas échéant pluriannuels, portant notamment sur l'organisation des soins, sur l'évolution des pratiques et de l'activité des professions concernées. Les conventions définissent à cet effet les mesures de toute nature propres à assurer le respect de ces engagements et en particulier les modalités du suivi pluriannuel de l'évolution des dépenses de la profession concernée. Elles précisent également les actions d'information, de promotion des références professionnelles opposables et des recommandations de bonne pratique ou d'évaluation des pratiques ainsi que les dispositions applicables en cas de non-respect des engagements.
En outre, l'article L. 162-15-2 du même code est modifié. Il dispose qu'en l'absence de convention, la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés et au moins une autre caisse nationale assurent le suivi des dépenses lors de la fixation de l'objectif des dépenses et au moins deux fois dans l'année ; une première fois au vu des résultats des quatre premiers mois de l'année et une seconde fois au vu de ceux des huit premiers mois de l'année.
Sur la forme, votre rapporteur a déjà exprimé sa désapprobation quant à la présentation tardive d'une mesure d'une telle importance. Il souhaite également souligné que les méthodes du gouvernement employées à l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale à l'Assemblée nationale sont de nature à remettre en cause les négociations engagées, lors des « Grenelle de la Santé » du 25 janvier et du 12 juillet 2001, entre les professionnels de santé, les partenaires sociaux et les caisses d'assurance maladie, auxquelles les parlementaires avaient été conviés.
Sur le fond, votre rapporteur pour avis estime que ce qui se voulait une réforme d'envergure du cadre conventionnel et des mécanismes de régulation n'est qu'une mesure improvisée et qui risque d'être unanimement refusée par les professionnels de santé. Même le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour l'assurance maladie et les accidents du travail de l'Assemblée nationale, notre collègue député Claude Evin, a précisé à cet égard que « la commission a le sentiment que le dispositif proposé est loin d'être achevé ».
D'abord, il est précisé que les engagements définis par les conventions peuvent être collectifs et individuels, ce que récusent l'ensemble des professionnels de santé qui ne conçoivent le cadre conventionnel que dans sa dimension collective.
Ensuite, le nouvel article dispose que les conventions définissent les mesures de « toute nature » propres à assurer le respect des engagements ainsi que les dispositions applicables en cas de non-respect des engagements. Votre rapporteur pour avis aurait souhaité connaître précisément la nature des mesures ainsi visées et la possible dimension coercitive de ces mesures.
Enfin, il est précisé qu'en l'absence de convention, ce sont les caisses d'assurance maladie qui assurent le suivi des dépenses. Votre rapporteur pour avis constate qu'il n'est pas fait référence à la consultation traditionnelle des syndicats représentatifs des professions concernées en cas d'absence de convention.
Au total, votre rapporteur pour avis ne peut donc que se montrer défavorable à cette mesure qui, tant sur le plan des méthodes que sur celui des pratiques, est de nature à remettre en cause les fondements même du système conventionnel, et semble plutôt dictée par des objectifs médiatiques en vue des échéances de 2002 que par leur vraie volonté de réforme. Il est vrai que le gouvernement a déjà connu un lourd échec en la matière avec les objectifs de dépenses délégués, comme le prouve la dérive constante des dépenses d'assurance maladie.
b) La réforme de l'entente préalable (article 15 ter)
L'article 15 ter introduit à l'Assemblée nationale vise à définir le champ de l'entente préalable qui relevait jusqu'à présent du pouvoir réglementaire.
Ainsi, l'article L. 315-2 du code de la sécurité sociale, qui prévoit de subordonner le bénéfice de certaines prestations à l'accord préalable de l'organisme de prise en charge, est modifié afin de préciser les prestations pour lesquelles un accord d'entente préalable peut être exigé.
Il s'agit des prestations :
- dont la nécessité doit être appréciée au regard d'indications déterminées ou de conditions particulières d'ordre médical ;
- dont la justification, du fait de leur caractère innovant ou des risques encourus par le bénéficiaire, doit être préalablement vérifiée eu égard notamment à l'état du bénéficiaire et aux alternatives thérapeutiques possibles ;
- dont le caractère particulièrement coûteux doit faire l'objet d'un suivi particulier afin d'en évaluer l'impact sur les dépenses de l'assurance maladie.
Un décret devrait préciser les modalités de mise en oeuvre de cet article dont les dispositions restent en effet assez floues, mais dont les implications sont extrêmement importantes, par exemple pour des secteurs d'activité comme le thermalisme. Votre rapporteur pour avis suivra avec la plus grande attention cette question de l'entente préalable, mécanisme qui se trouve au coeur des missions des caisses et de tout mécanisme de bonne utilisation de l'argent des contribuables et cotisants.
c) L'organisation de la permanence des soins de ville (article 18 ter)
L'article 18 ter adopté à l'Assemblée nationale vise à permettre l'expérimentation de nouvelles modalités d'association des professionnels libéraux à la permanence des soins.
L'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale précise désormais que, dans le respect des dispositifs départementaux de l'aide médicale d'urgence, des services de garde et des transports sanitaires dont les modalités sont définies par voie réglementaire, l'association de professionnels de santé libéraux à des actions permettant d'améliorer la permanence des soins peut faire l'objet de financements dans le cadre d'actions expérimentales jusqu'au 31 décembre 2004. Les établissements de santé peuvent participer à ces actions expérimentales.
Cette mesure a donc pour objectif d'accompagner financièrement les initiatives qui se développent en matière d'organisation de la permanence des soins en s'assurant qu'elles sont cohérentes avec l'ensemble des dispositifs, gardes, organisation des transports sanitaires, coordination entre les différents professionnels. En outre, il est prévu de recourir à des formes innovantes de rémunération des professionnels exerçant en ville et prenant part à ces expérimentations.
Cette mesure ne paraît pas sans intérêt à votre rapporteur pour avis mais il tient à souligner qu'elle ne doit pas exonérer le gouvernement de réfléchir aussi à la modernisation des urgences hospitalières. Il est indispensable de les doter de moyens humains et financiers pour leur permettre d'adapter leurs locaux et d'accueillir des malades de plus en plus nombreux.
d) La création au sein de l'ONDAM d'une dotation nationale de développement des réseaux de soins (article 18 quater)
L'article 18 ter adopté à l'Assemblée nationale vise à créer au sein de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie une dotation nationale de développement des réseaux, dont le montant global ainsi que, pour chaque région, le montant limitatif de la dotation régionale de développement, sont fixés par un arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé. Cet arrêté précise également la constitution de la dotation nationale en parts qui s'imputent respectivement sur le montant total annuel des dépenses hospitalières, sur l'objectif quantifié national, sur l'objectif de dépenses des établissements de santé privés et sur l'objectif prévisionnel des dépenses de soins de ville.
Une procédure unique d'octroi de financements dérogatoires est mise en place. Dans le cadre des priorités pluriannuelles de santé, le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation et le directeur de l'union régionale des caisses d'assurance maladie décident conjointement, dans la limite de la dotation régionale de développement des réseaux, des financements supportés par les régimes d'assurance maladie et qui sont accordés aux actions réalisées dans le cadre des réseaux de santé. Cette décision peut notamment prévoir la prise en charge par l'assurance maladie sous la forme d'un règlement forfaitaire de tout ou partie des dépenses du réseau.
Ces dispositions doivent permettre de rationaliser le dispositif de financement des réseaux de santé qui repose sur des dispositions à la fois du code de la santé publique et du code de la sécurité sociale. Cette dualité de bases juridiques a généré pour les professionnels de terrain, un manque de lisibilité entre les différents dispositifs et les différents financeurs.
S'agissant des réseaux relevant du code de la santé publique, leur mise en place a été accompagné par les ARH au travers des dotations globales des établissements, en finançant la coordination des réseaux. Environ 120 réseaux, à ce jour, ont été agréés ou sont en cours d'agrément.
S'agissant des réseaux relevant du code de la sécurité sociale, leur financement repose majoritairement sur un financement « assurance maladie » au travers du financement de la dotation globale des établissements pour les réseaux associant l'hôpital et la ville et qui ont fait l'objet d'agrément par les ARH, par des dérogations tarifaires dans le cadre des expérimentations validées par la commission « Soubie » (une douzaine d'actions expérimentales visant à promouvoir des formes nouvelles de prises en charge des patients), par des financements ponctuels dans le cadre du fonds d'aide à la qualité des soins de ville.
S'agissant des réseaux organisés en dehors des cadres juridiques, l'Etat accompagne par des crédits d'intervention au titre de la santé publique ces initiatives et continue à assurer le financement des réseaux spécifiques ville-hôpital.
Les obstacles rencontrés au développement des réseaux sont essentiellement dus à la diversité des financeurs, aux cadres juridiques variés et au manque de pérennité des financements.
Si votre rapporteur pour avis reconnaît l'utilité d'une rationalisation du financement des réseaux de santé, il regrette, une fois de plus, que cette rationalisation intervienne de cette façon, par un amendement de dernière minute -alors que le problème dure depuis longtemps- déposé par le gouvernement sans véritable consultation préalable des professionnels de santé. En outre, il estime que la fixation par arrêté ministériel du montant des dotations nationales, au sein de l'ONDAM et régionale de développement des réseaux revient à priver le Parlement d'un véritable contrôle sur le niveau des dépenses consacrées à ce développement. Il lui semble au contraire qu'une amélioration possible de l'outil des lois de financement de la sécurité sociale réside justement dans le vote de davantage d'agrégats plutôt que dans une délégation excessive au pouvoir réglementaire. Enfin, votre rapporteur pour avis constate que, par cette mesure, le gouvernement fait peser l'intégralité du poids du financement des réseaux de soins sur l'assurance maladie, ce qui n'était pas tout à fait le cas jusqu'à présent, certains réseaux étant financés par l'Etat au travers de crédits d'intervention au titre de la santé publique. Votre rapporteur pour avis s'interroge, à cet égard, sur la prise en compte par le gouvernement de cet alourdissement des charges pesant sur l'assurance maladie.