TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITION DE M. MICHEL
BERNARD, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE NATIONALE POUR L'EMPLOI
(ANPE)
LE 8 MARS 2000
Réunie le mercredi 8 mars 2000, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président, puis de M. Jacques Bimbenet, vice-président, la commission a procédé à l'audition de M. Michel Bernard, Directeur général de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), sur l'accès à l'emploi et l'insertion professionnelle, accompagné de M. Jean-François Ruth, responsable de la mission " programmes d'intervention ".
M. Jean Delaneau, président, a rappelé que la commission avait souhaité organiser une série d'auditions sur l'accès à l'emploi et l'insertion professionnelle dans le cadre de l'application de la loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. Il a indiqué que les intervenants répondraient notamment aux questions de M. Bernard Seillier, qui avait rapporté cette loi au nom de la commission, et de Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis des crédits de la formation professionnelle. Il a précisé que M. Louis Souvet, rapporteur pour avis des crédits du travail et de l'emploi, avait été retenu dans son département.
M. Michel Bernard a tout d'abord considéré que l'année 1999, avec une croissance d'environ 2,8 % du produit intérieur brut (PIB), avait tenu ses promesses en matière de création d'emplois. Il a observé que 430.000 emplois avaient été créés en 1999, contre 390.000 en 1998, dont 350.000 dans le secteur marchand. Il a souligné que l'ANPE avait proposé, au cours de cette année, environ 3 millions d'offres d'emploi. Il s'est félicité de la forte diminution du chômage, en observant que le taux de chômage avait baissé de 11,4 %, ce qui représentait 333.600 demandeurs d'emploi en moins sur un an.
M. Michel Bernard a insisté sur le fait que la diminution du chômage avait profité en particulier aux demandeurs d'emploi de longue durée, le nombre de demandeurs d'emploi ayant un à deux ans d'ancienneté dans le chômage ayant baissé de 17,5 % et celui des demandeurs d'emploi ayant plus de deux ans de chômage, de 12 %. Il a souligné que les jeunes bénéficiaient également de cette embellie, puisque le nombre de demandeurs d'emploi de moins de 25 ans a été réduit de 15,9 % en un an.
M. Michel Bernard a exposé le contenu du programme " service personnalisé pour un nouveau départ vers l'emploi ". Il a expliqué que ce dispositif reposait sur un volet préventif à l'attention des jeunes et des adultes entrant dans leur sixième mois de chômage et d'un volet curatif à destination des jeunes demandeurs d'emploi de plus d'un an, des adultes demandeurs d'emploi de plus de deux ans et des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI). Il a précisé que ce programme reposait sur quatre types d'actions : un appui à l'emploi, une orientation vers la formation, un accompagnement personnalisé et un accompagnement personnalisé avec appui social, chacune de ces actions étant destinée à un public particulier.
M. Michel Bernard a souligné que 841.000 personnes avaient bénéficié du programme " nouveau départ " en 1999. Il a observé que 52 % de bénéficiaires pouvaient être considérés comme étant des publics menacés d'exclusion, que 17 % étaient des adultes ayant douze mois de chômage et que 7 % étaient des jeunes ayant déjà six mois de chômage, le solde, soit 24 %, étant constitué par les demandeurs d'emploi ayant moins de six mois d'ancienneté. Evoquant la répartition par type d'actions, M. Michel Bernard a précisé que 56,5 % des bénéficiaires s'étaient vu proposer un appui à l'emploi, 14 % une formation, 21 % un accompagnement personnalisé et 8,5 % un accompagnement personnalisé avec appui social.
Evaluant les résultats de ce programme " nouveau départ ", M. Michel Bernard a estimé qu'au bout de quatre mois, 35 % des bénéficiaires avaient retrouvé un emploi alors que 5,2 % suivaient une formation et 14,5 % étaient sortis du dispositif pour un autre motif (radiation, préretraite, maladie...), 45 % des bénéficiaires demeurant à la recherche d'un emploi. Il a considéré que le programme " nouveau départ " permettait de doubler la probabilité de sortir du chômage pour les jeunes demandeurs d'emploi de longue durée.
M. Michel Bernard a souhaité rappeler que l'action de l'ANPE s'inscrivait dorénavant dans le cadre d'un réseau qui associait plusieurs partenaires à une action commune. Il a souligné que près de 40 % des jeunes bénéficiaires du programme " nouveau départ " avaient été reçus par les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO), que 96.500 demandeurs d'emploi avaient été orientés vers l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et que 154.000 personnes avaient pu bénéficier d'un accompagnement personnalisé. Il a précisé que l'ANPE travaillait aujourd'hui en étroite collaboration avec 500.000 entreprises clientes. Il a observé que 2.638.000 offres proposées par l'Agence avaient donné lieu à une embauche, ce qui représente un taux de satisfaction de l'ordre de 88 %. Il a remarqué que la qualité des offres d'emploi proposées restait élevée puisque près de 900.000 d'entre elles, soit un tiers du total, étaient constituées de contrats à durée indéterminée et environ 17 % de contrats à durée déterminée de plus de six mois.
M. Michel Bernard a observé que le secteur marchand, c'est-à-dire, notamment les services aux entreprises, la restauration et la santé, avait recruté, en 1999, près de 1,5 million de personnes, alors que le secteur non marchand avait embauché 442.000 personnes, le commerce 342.000 personnes, le bâtiment et les travaux publics 163.300 personnes et les transports et télécommunications 110.200 personnes.
Il a estimé que les métiers pour lesquels les entreprises avaient le plus de difficulté à recruter concernaient les informaticiens, les cuisiniers, les employés et agents de maîtrise de l'hôtellerie, certains ouvriers qualifiés de la métallurgie, les ouvriers qualifiés du gros oeuvre du bâtiment, les bouchers, les charcutiers, les boulangers, les ouvriers qualifiés des industries dites " de process ", les conducteurs de véhicules, les ouvriers qualifiés de la mécanique, les représentants, les infirmiers et les sages-femmes.
M. Jean Delaneau, président, a souhaité savoir dans quelle mesure la reprise d'un emploi concernait également les personnes en situation d'exclusion. Il a également demandé des précisions sur les expériences mises en oeuvre par l'ANPE concernant les procédures de recrutement privilégiant " l'habilité " des candidats par rapport au niveau de diplôme.
M. Michel Bernard a estimé que la hausse actuelle du nombre de bénéficiaires du RMI répondait pour une part à un changement dans les règles d'attribution. Il a observé par ailleurs que les tensions rencontrées actuellement dans le fonctionnement du marché du travail constitueraient une chance pour les publics les plus éloignés de l'emploi si ces derniers possédaient une motivation suffisante et pouvaient bénéficier de dispositifs de formation adaptés.
M. Jean-François Ruth, responsable de la mission " programmes d'intervention ", a précisé que la possibilité ouverte aux titulaires du RMI de cumuler cette allocation avec la reprise d'un emploi contribuait à la hausse du nombre de bénéficiaires de ce minimum social.
M. Michel Bernard a ensuite présenté la technique dite du " recrutement par habilité ". Il a précisé que celle-ci s'inspirait d'une méthode canadienne consistant à s'interroger en premier lieu sur les compétences nécessaires pour effectuer une tâche et, en second lieu, à élaborer des tests permettant d'organiser la procédure de recrutement. Il a considéré que cette méthode était particulièrement bien adaptée pour pourvoir à des demandes d'emploi dans des régions ou des secteurs d'activité caractérisés par un déficit de demandeurs d'emploi répondant parfaitement au profil des postes proposés. C'est ainsi que des entreprises du secteur industriel qui recherchaient des ouvriers très qualifiés d'un âge intermédiaire ont pu accepter de recruter des femmes, des jeunes ou encore des travailleurs âgés qui, tous, avaient satisfait aux tests réalisés à partir des compétences considérées comme nécessaires pour exercer le métier proposé.
M. Michel Bernard a observé que certaines entreprises s'étaient montré réticentes face à cette technique de recrutement qui ne privilégiait pas les diplômes. Il a considéré que le recours à cette méthode resterait limité en raison de son coût élevé.
M. Bernard Seillier, rapporteur, s'est interrogé sur les modalités de financement du programme " nouveau départ ". Il a souhaité savoir dans quelle mesure les entreprises étaient réceptives à la nécessité d'embaucher les personnes les plus éloignées du monde du travail. Il a demandé des précisions sur les relations entre les agences locales de l'ANPE et les associations intermédiaires depuis la mise en place des procédures d'agrément et de conventionnement prévues par la loi du 29 juillet 1998.
En réponse à M. Bernard Seillier, M. Michel Bernard a observé que le troisième contrat de progrès courant sur la période 1999-2003, signé entre l'Etat et l'ANPE, avait été négocié concomitamment avec le programme " nouveau départ ", ce qui avait permis d'assurer une grande cohérence de l'ensemble. Il a rappelé que l'ANPE avait obtenu une augmentation de ses effectifs de 2.500 personnes. Il a souligné que ces nouveaux moyens avaient permis de fixer un objectif de 1,5 million de personnes traitées dans le cadre du programme " nouveau départ " à l'horizon de 2001. Il a souhaité, à cet égard, que les engagements souscrits soient tenus par l'ensemble des parties.
M. Michel Bernard a considéré que la méthode du " recrutement par habilité " n'avait pas vocation à remplacer l'organisation globale de la formation et de l'accès au marché du travail. Il a souligné néanmoins que cette méthode pouvait permettre d'économiser le coût de certaines formations en les réservant uniquement aux personnes considérées aptes à occuper les postes à pourvoir. Il a estimé également que cette technique pouvait être d'une grande utilité dans la lutte contre les discriminations à l'encontre des femmes, des habitants de certains quartiers ou des personnes d'origine étrangère.
Il a précisé par ailleurs que l'ANPE avait signé des conventions avec plusieurs centaines d'entreprises d'insertion en application de la loi du 29 juillet 1998.
Mme Annick Bocandé, rapporteur, s'est interrogée sur l'état des relations entre l'ANPE et l'AFPA et sur le bilan du fonctionnement des missions locales et des espaces jeunes. Après avoir rappelé que de nombreuses communes avaient mis en place des " points emploi " permettant aux jeunes de rechercher un emploi en ayant recours à Internet, elle a souhaité savoir quels étaient les projets de l'ANPE en la matière.
M. Michel Bernard a précisé que l'AFPA et l'ANPE avaient mis en place un service intégré d'accès à l'emploi qui permettait de faire bénéficier les demandeurs d'emploi d'un parcours de formation adapté dès qu'un besoin était détecté. Il a souligné que 80.000 personnes avaient bénéficié de ce dispositif en 1999. Il a estimé qu'à terme 80 % des actions de formation de l'AFPA devraient être réalisées avec des demandeurs d'emploi de l'ANPE.
Il a considéré que le nombre d'espaces jeunes devrait continuer à augmenter dans les années à venir et a constaté que la coopération avec les différents partenaires donnait satisfaction dans la majorité des cas. Il a observé par ailleurs que l'ANPE proposait un accès à ses services dans plus de 1.000 points emploi situés dans des mairies, ce qui constituait un véritable service de proximité.
M. Michel Bernard a estimé que le site Internet de l'ANPE, qui propose 90.000 offres d'emploi chaque jour et reçoit 600.000 visites par mois, devrait évoluer dès cette année. Alors qu'aujourd'hui seules les offres peuvent être consultées, il a précisé que les entreprises devraient bientôt pouvoir alimenter directement le système en offres d'emploi et qu'à partir de 2001 les demandeurs d'emploi pourraient faire parvenir des curriculum vitae et recevoir des offres d'emploi personnalisées par e-mail. Il a remarqué toutefois que le développement de ces nouveaux services nécessiterait une dépense de plusieurs dizaines de millions de francs.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'est réjouie que l'ANPE ait retrouvé une place déterminante au sein du service public de l'emploi. Elle a observé les bons résultats du plan national d'accès à l'emploi. Elle s'est interrogée sur les politiques à mettre en oeuvre pour résoudre les tensions apparues sur le marché du travail. Elle a souhaité connaître les dispositifs mis en oeuvre au service des personnes rencontrant des difficultés d'ordre psychologique. Elle a demandé, enfin, si l'on observait toujours un phénomène de surqualification dans les recrutements.
En réponse à Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M. Michel Bernard a estimé qu'il n'était pas nécessaire d'adopter des dispositions législatives particulières pour résoudre les tensions sur le marché du travail, mais qu'il convenait de renforcer la coopération entre les différents acteurs et notamment l'ANPE, les services du ministère, les entreprises et l'éducation nationale. Il a proposé de renforcer les diagnostics au niveau des bassins d'emploi pour déterminer les besoins en termes de qualifications et d'effectifs. Il a estimé que, ce faisant, il était possible de mettre en oeuvre rapidement des formations adaptées afin de répondre aux besoins. Il a insisté sur la nécessité de favoriser l'emploi des travailleurs de plus de cinquante ans qui pouvaient constituer une main d'oeuvre qualifiée immédiatement disponible. Il a rappelé que l'accompagnement personnalisé avec appui social était destiné, en particulier, à des personnes rencontrant des problèmes psychologiques. Il a estimé, enfin, qu'aujourd'hui le problème de la surqualification était moins actuel et que les entreprises étaient amenées à s'adapter au nouveau contexte du marché du travail.
M. Jean Chérioux a félicité M. Michel Bernard pour son exposé de la politique poursuivie par l'ANPE et le caractère pragmatique des actions mises en oeuvre. Il a souhaité que l'Agence poursuive son effort en faveur des bénéficiaires du RMI dans les années à venir.
M. Guy Fischer a remarqué que la création d'emplois s'accompagnait dans le même temps d'un développement de la précarité.
M. Michel Bernard a observé, en réponse à M. Guy Fischer, que le nombre de contrats à durée indéterminée avait augmenté de 50.000 en 1999, ce qui démontrait que la croissance était riche en emplois durables, même si la proportion de contrats à durée déterminée restait effectivement importante.
MM. Philippe Nogrix et Marcel Lesbros ont insisté sur la nécessité d'inciter les chômeurs à reprendre un emploi, après avoir rappelé que les dispositifs d'insertion mis en oeuvre à l'attention des bénéficiaires du RMI n'avaient toujours pas démontré leur efficacité.