C. POURSUIVRE LA DÉCENTRALISATION CULTURELLE

L'objectif d'approfondissement de la décentralisation culturelle se traduit essentiellement par la poursuite de la déconcentration, les lois de décentralisation ayant largement ignoré le domaine culturel, et le développement considérable des politiques culturelles locales étant uniquement dû à l'initiative et au dynamisme des collectivités territoriales.

Or, force est de constater que ce processus se heurte aujourd'hui à des obstacles qui ne pourront être levés que par une amélioration des modalités de gestion de la politique culturelle, amélioration qui tarde à se concrétiser.

1. La déconcentration, succédané de la décentralisation culturelle

a) L'absence de décentralisation culturelle

L'usage du terme de décentralisation en matière culturelle est largement impropre dans la mesure où les lois de 1983 n'ont transféré aux collectivités territoriales que les compétences correspondants aux bibliothèques centrales de prêt et aux services d'archives, transfert qui s'est accompagné de la mise en place d'un mécanisme de compensation financière.

Ce transfert n'a été effectif qu'à compter du décret n° 86-102 du 20 janvier 1986 relatif à l'entrée en vigueur du transfert de compétences dans le domaine de la culture.

Les bibliothèques centrales de prêt qui relevaient de l'Etat ont été transférées aux départements ; depuis lors, la loi n° 92-651 du 13 juillet 1992 a prévu que ces bibliothèques prennent la dénomination de bibliothèques départementales de prêt.

Les communes, les départements et les régions sont désormais propriétaires de toutes les archives qui relèvent de leur ressort territorial. Ce nouveau partage de compétences constituait une novation moins pour les archives municipales que pour les archives départementales ou régionales. En effet, jusque là, les départements n'étaient propriétaires que des archives qu'ils produisaient et non de celles émanant des services de l'Etat. Par ailleurs, aucune disposition ne régissait les archives régionales, les régions n'ayant acquis le statut de collectivités territoriales qu'à partir de 1982.

A l'exception de ces dispositions, les collectivités territoriales n'ont pas de compétences obligatoires en matière culturelle.

Dans ce domaine, les compétences de l'Etat et des collectivités territoriales sont donc concurrentes et non pas exclusives, ce qui explique le nombre important de structures et d'opérations faisant l'objet de financements croisés.

Les collectivités locales ont pleine compétence pour créer et administrer librement les musées, les bibliothèques, les établissements d'enseignement ou les lieux de diffusion culturelle, sous réserve du contrôle exercé par l'Etat dans certains domaines.

On rappellera que l'Etat exerce un contrôle scientifique et technique sur les archives, les musées et les bibliothèques, ainsi qu'un contrôle pédagogique sur les établissements d'enseignement. Les modalités d'exercice de ce contrôle nécessiteraient sans doute un toilettage sérieux : ainsi, le projet de loi sur les musées, annoncé par la ministre, devrait être l'occasion de réviser les dispositions largement obsolètes relatives aux contrôles sur les musées qui aujourd'hui demeure régi par les dispositions de l'ordonnance de 1945 portant organisation provisoire des musées des beaux-arts.

Depuis 1983, ce " partage " des compétences n'a pas évolué, seule la loi dite " Sueur " du 13 juillet 1992 ayant octroyé de nouvelles compétences aux collectivités locales en matière d'aide aux salles de cinéma.

b) L'implication croissante des collectivités territoriales en matière culturelle a permis de développer la décentralisation culturelle

Bien qu'elles soient facultatives, les collectivités locales ont largement utilisé les compétences très larges qu'elles détiennent en matière culturelle.

Cette évolution s'est traduite par une augmentation très significative de leurs dépenses culturelles qui a contribué de manière déterminante à l'accroissement de l'offre culturelle sur l'ensemble du territoire.

Faute d'avoir connaissance des résultats de l'enquête du ministère de la culture sur les dépenses des collectivités territoriales pour l'année 1996, qui ne sont pas encore publiées, on rappellera les données disponibles.

Les dépenses culturelles des collectivités territoriales représentaient en 1993 environ 34,73 milliards de francs, soit plus du double des crédits inscrits au budget du ministère de la culture. Ces dépenses avaient été multipliées par 2,5 depuis 1978.

Après avoir connu une forte croissance de leurs dépenses culturelles, les communes ont ralenti leur effort, la part de ces dépenses dans le budget communal ayant tendance à se stabiliser. Une évolution similaire, mais plus tardive, a été constatée pour les départements et les régions, qui ont investi plus récemment le champ culturel.

D'après les informations données par le ministère, cette tendance à la stabilisation devrait être confirmée par les résultats de l'enquête sur les dépenses de 1996.

Les actions de diffusion et de conservation du patrimoine, au travers du soutien accordé aux bibliothèques, aux musées et aux monuments historiques, demeurent prépondérantes avec 35 % des dépenses. Elles sont suivies par les dépenses de production et de diffusion, notamment dans le domaine du spectacle vivant, qui ont connu une progression relative très significative entre 1978 et 1993 pour atteindre 24 %. L'animation et la formation occupent la troisième et la quatrième place, représentant respectivement 17 % et 15 % des dépenses culturelles.

Le maillage culturel du territoire doit beaucoup à cet effort des collectivités locales qui bien qu'encouragé dès les années 60 par le ministère de la culture, notamment à travers la politique du théâtre ou des maisons de la culture, n'a pris toute son ampleur qu'après les lois de décentralisation.

L'Etat s'est associé à cette évolution en y apportant un concours financier qui a abouti au développement d'une politique de partenariat, que l'on appelle désormais, un peu abusivement, " politique de décentralisation culturelle ".

2. Une évolution favorisée par le mouvement de déconcentration

La généralisation des partenariats entre l'Etat et les collectivités territoriales a également été encouragée par le mouvement de déconcentration qu'a connu le ministère de la culture, évolution qui, après avoir été relancée en 1998, parvient aujourd'hui à son terme.

On rappellera que la déconcentration a été initiée au sein du ministère de la culture dès les années 1980 lorsque la croissance de ses moyens l'a amené à s'adapter à une dimension qu'il n'avait pas jusque là ; elle s'est traduite par un accroissement du rôle des directions régionales des affaires culturelles qui, avec les services départementaux des archives et du patrimoine, constituent les échelons déconcentrés du ministère.

Parallèlement à cette évolution propre au ministère de la culture, la déconcentration est devenue un principe fondamental de l'organisation administrative de l'Etat. Conçue comme le corollaire de la décentralisation, la déconcentration implique, en vertu du décret n° 97-1200 du 19 décembre 1997, que les décisions individuelles entrant dans le champ de compétences de l'Etat, à l'exception de celles concernant des agents publics, soient prises par le préfet.

Cette règle nouvelle de portée générale, que le ministère de la culture avait plus que d'autres vocation à appliquer en raison de l'importance de ses partenariats avec les collectivités territoriales, s'est traduite par un accroissement mécanique du taux de déconcentration des crédits.

En 2000, plus de 66 % des crédits disponibles (hors charges en personnel, dotations des établissements publics et des services à compétence nationale) étaient déconcentrés, contre 30 % en 1997. En 2001, ce taux, dont la progression fléchit, devrait atteindre 69,3 %.

Cette forte impulsion correspond au souci de privilégier une gestion de proximité qui se traduit par un rééquilibrage des tâches au profit des directions régionales des affaires culturelles mais également au redéploiement des dépenses de Paris vers la province engagé dès les années 80.

En 2001, si l'on raisonne à structure constante -c'est-à-dire hors transfert des charges sociales patronales- la part des crédits du ministère de la culture qui bénéficiera à la province passera de 48,9 % à 49,8 % 8 ( * ) , consacrant la tendance constatée depuis plusieurs années de rééquilibrage au profit des dépenses en région. Cette évolution, qui semble cependant aujourd'hui marquer une étape, a été plus accompagnée que provoquée par le mouvement de déconcentration.

La déconcentration parvient désormais à son terme. Certains services, à l'image de la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles ou de la délégation aux arts plastiques, ont désormais achevé ce processus. Le rapport des crédits déconcentrés par rapport aux crédits déconcentrables atteint, en effet, pour ces directions, respectivement 71,2 % et 73 %. D'autres, comme la direction de l'architecture et du patrimoine ou la direction des musées, connaissent des taux de déconcentration moindres, qui seront amenés à s'accroître dans les années à venir. C'est le cas notamment des crédits consacrés à l'architecture qui commencent à peine à faire l'objet de mesures de déconcentration, faute de correspondants " architecture " dans toutes les DRAC.

3. Un processus qui ne s'est pas accompagné des réformes nécessaires

a) La contractualisation : un instrument efficace pour renforcer la cohérence du rôle de l'Etat ?

La déconcentration, si elle est de nature à rapprocher l'administration de la culture des réalités locales et des besoins des citoyens, n'est pas exempte de dangers dans la mesure où elle met en péril la cohérence de l'action de l'Etat en ouvrant la voie à une politique culturelle à géométrie variable.

Face à ce risque, l'Etat doit réaffirmer son rôle d'orientation et d'évaluation.

C'est dans cette perspective que s'inscrit la relance de la politique de contractualisation conduite par le ministère avec les collectivités territoriales et les institutions culturelles, politique qui n'est pas nouvelle si l'on se rappelle les " conventions de développement culturel " ou les " chartes culturelles " proposées aux communes et aux départements dans les années 1970 ou encore des " conventions de développement culturel " mises en oeuvre dans les années 1980.

Cette contractualisation vise désormais, comme par le passé, à encourager les efforts engagés par les collectivités territoriales en matière culturelle mais également à uniformiser les modalités d'intervention de l'Etat au profit des structures culturelles.

Ainsi, la charte des missions de service public, mise en oeuvre en 1999, devait répondre à ce dernier impératif dans le domaine du spectacle vivant. Mise en oeuvre en 1999, elle s'est traduite par la refonte de l'aide aux compagnies dramatiques et par une nouvelle politique de " labellisation " des structures de diffusion du spectacle vivant, " les scènes conventionnées ", autant de mesures destinées à assurer une plus grande transparence des financements et à permettre une meilleure évaluation des structures subventionnées.

S'il est encore trop tôt pour tirer un bilan de ces réformes, force est de constater qu'elles sont encore mal comprises par les professionnels du spectacle et par les collectivités territoriales et que leur mise en oeuvre se révèle plus difficile que prévue. Ainsi, la modification des aides aux compagnies dramatiques qui visait essentiellement à distinguer l'aide au fonctionnement à vocation pluriannuelle et l'aide ponctuelle à la production exige des mesures transitoires certes destinées à préserver l'équilibre financier des structures mais qui limitent significativement la portée de la réforme. De même, la signature des contrats des scènes conventionnées se révèle laborieuse.

La ministre semble avoir du mal à adapter ses modalités d'intervention, confrontée à la difficulté d'une part, d'évaluer réellement le travail des équipes artistiques, souvent promptes à défendre leurs avantages acquis et, d'autre part, de s'adapter à une réalité artistique très mouvante qui résiste aux tentatives de classification qu'engendrent les procédures de " labellisation ".

En ce qui concerne le partenariat avec les collectivités locales, l'année 2001 devrait voir la création d'un nouvel instrument, dont le ministre ne cache pas la vocation expérimentale, " les protocoles de décentralisation culturelle ". Ces protocoles, au nombre de six à huit, qui sont destinés à proposer une nouvelle forme de contractualisation, dont les modalités ne sont pas pour l'heure précisées, bénéficieront d'une enveloppe de 15 millions de francs.

Ce dispositif à la portée juridique très limitée suscite des interrogations.

En effet, il s'agit là d'un dispositif nouveau mais dont la spécificité n'apparaît pas clairement. Si l'objectif de promotion d'" une nouvelle répartition des responsabilités " en matière culturelle peut permettre de tenir compte de la part croissante prise par les collectivités territoriales dans le financement de la culture, on peut se demander dans quelle mesure il pourra être atteint à travers ces contrats. Cet objectif exige, à l'évidence, des réformes plus ambitieuses, notamment en ce qui concerne la gestion des institutions culturelles financées conjointement par l'Etat et les collectivités locales. En ce domaine, ces dernières sont, en effet, lasses d'assumer des fonctions et des charges définies par l'Etat et dont les objectifs et les publics dépassent souvent leur territoire.

Ces questions méritent sans doute mieux que la succession de dispositifs partiels.

On rappellera en effet qu'avait déjà été créé en 1998 un fonds de contractualisation, doté de 23 millions de francs en 1998 et 1999 et destiné à " créer un effet de levier sur le financement de l'action culturelle en servant de catalyseur des initiatives des collectivités territoriales " et à " favoriser une coopération approfondie entre le ministère de la culture et les collectivités territoriales pour la gestion des institutions de diffusion et d'enseignement artistique ". Ce fonds a été supprimé en 2000. Cela se passe à l'évidence de commentaire.

Votre rapporteur ne pourra que regretter cette absence de continuité des instruments de la politique de contractualisation entre l'Etat et les collectivités territoriales.

b) Un contrôle insuffisant du ministère sur la conduite de la politique culturelle

La déconcentration exige un renforcement des capacités d'impulsion et de contrôle du ministère de la culture sur ses services déconcentrés.

A cet égard, il semble qu'en ce domaine les réformes nécessaires marquent le pas.

La réorganisation de l'administration centrale du ministère de la culture, historiquement constituée de services anciens oeuvrant selon des traditions et des méthodes spécifiques, s'imposait afin de permettre aux différentes directions de se consacrer à leur mission d'orientation et d'animation des différentes politiques sectorielles, la gestion quotidienne relevant désormais des DRAC.

Cet impératif ne s'est traduit jusqu'à présent que par le regroupement au sein de directions uniques, des directions d'une part du théâtre, de la musique et de la danse et, d'autre part de l'architecture et du patrimoine, mesure dont le bilan est peu satisfaisant. La Cour des comptes indique, en effet, dans son rapport précité que " les deux nouvelles directions connaissent des difficultés d'organisation interne, liées à la complexité de leurs structures, en dépit des audits commandés sur cette question par chacune d'elles, voire par des entités spécifiques en leur sein " .

Au delà, le ministère de la culture éprouve des difficultés à maîtriser le processus de déconcentration, notamment faute de moyens de contrôle de l'emploi des crédits par les DRAC.

Certes, les différentes directions disposent d'instruments pour orienter l'action des services déconcentrés, notamment au travers de la circulaire d'emplois des crédits déconcentrés, qui constitue en quelque sorte la " feuille de route " pour l'année, et qui sera complétée, à l'avenir, par des " directives nationales d'orientation " dont la vocation sera pluriannuelle.

Cependant, les instruments nécessaires pour évaluer les conditions d'utilisation des crédits font encore aujourd'hui largement défaut, entraînant des difficultés pour réaliser le suivi des différentes actions mais également pour élaborer la programmation budgétaire. En effet, les services centraux ne disposant pas d'informations précises sur les conditions d'exécution de l'année n, voire dans certains cas de l'année n-1, ne peuvent établir des projections pour l'année n+1 dans des conditions satisfaisantes.

Cette situation, regrettable à bien des égards, notamment dans la mesure où elle fait obstacle à un contrôle approfondi du Parlement sur le budget de la culture, trouve son origine dans l'absence d'outils informatiques, permettant une remontée des informations des DRAC vers les services centraux. Cette situation peut surprendre alors que la déconcentration correspond à une mutation déjà ancienne des pratiques administratives au sein du ministère de la culture.

A cet égard, votre rapporteur ne pourra que souligner la nécessité de mettre en place les instruments informatiques permettant d'établir un dialogue entre l'administration centrale et les services déconcentrés. Pour l'heure, seuls fonctionnent des systèmes partiels auxquels devrait être substitué en 2001 un nouveau logiciel, nommé " Quadrille ". Ce système, dont la mise en oeuvre n'a que trop tardé, constituerait à la fois une aide à la gestion pour les DRAC et une base de gestion analytique consolidée à l'échelon national pour les services centraux.

Enfin, le mouvement de déconcentration se heurte à l'insuffisance des moyens dont disposent les DRAC comme les services départementaux de l'architecture et du patrimoine.

En 2001, les DRAC ne bénéficieront que de 1,3 million de francs de mesures nouvelles, la progression de leurs moyens de fonctionnement résultant pour l'essentiel d'une mesure de transfert de crédits correspondant à la prise en charge par ces services de la réalisation de la carte archéologique.

Le programme de transfert d'emplois des services centraux vers les DRAC engagé en 1999, s'il répond à une nécessité, est à l'évidence insuffisant ; il ne porte, en effet, que sur 200 emplois. Par ailleurs, son rythme se révèle assez lent : au 30 juin 2000, seuls 50 emplois avaient été transférés.

Pour certaines actions, le manque de personnels constitue une difficulté de gestion manifeste. C'est le cas notamment pour le cinéma où en dépit d'une déconcentration très large des crédits, les services centraux ne disposent de correspondants locaux spécialisés que dans la moitié des régions.

A l'évidence, les effets de la déconcentration, s'ils sont désormais bien réels, sont encore mal maîtrisés par le ministère de la culture.

* 8 Ce taux ne tient pas compte des crédits consacrés au musée du quai Branly. Si l'on intègre ces crédits, il ne s'élève qu'à 48,6 %.

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