2. Le financement du service universel des télécommunications
a) Un système de financement mutualisé mis en place en 1996 par la loi de réglementation des télécommunications
La loi de réglementation des télécommunications du 26 juillet 1996 qui a ouvert ce secteur à la concurrence a affirmé le principe du maintien d'un service public des télécommunications et a organisé sa prestation dans un régime de concurrence. Elle en a ainsi précisé le contenu : le service universel est défini comme la fourniture à tous d'un service téléphonique de qualité à prix abordable. Il assure l'acheminement gratuit des appels d'urgence, la fourniture d'un service de renseignements et d'un annuaire d'abonnés sous forme imprimée et électronique. Il garantit la desserte du territoire en cabines téléphoniques sur le domaine public. Le service universel prévoit des conditions tarifaires et techniques spécifiques, adaptées aux personnes qui rencontrent des difficultés d'accès au service téléphonique en raison de leur handicap ou de leur faible revenu. Son financement est partagé entre les opérateurs.
Au cours de cette discussion législative, votre commission avait d'ailleurs particulièrement veillé à ce que la libéralisation du secteur ne se traduise pas par une diminution des exigences de service public. Bien au contraire, le nouveau cadre réglementaire a conforté ces exigences et a même prévu un mécanisme de révision du champ du service universel des télécommunications, pour enrichir périodiquement son contenu en fonction des évolutions technologiques et des besoins de la société. Une clause de rendez-vous avec le Parlement a ainsi été fixée, au moins une fois tous les quatre ans. Votre commission déplore que le Gouvernement n'ait pas respecté la première échéance, fixée à juillet 2000, pour le dépôt de son rapport sur le service universel des télécommunications, censé servir de point de départ à une éventuelle discussion législative sur l'extension du service universel.
Le coût du service universel comporte, d'après la loi de 1996, cinq composantes :
- le coût lié au déséquilibre de la structure courante des tarifs de France Télécom : cette composante transitoire couvrait la phase de rééquilibrage des tarifs de France Télécom par rapport à ses coûts 11 ( * ) . Elle est supprimée depuis le 1 er janvier 2000 ;
- le coût de la péréquation géographique , c'est-à-dire celui lié à la desserte du territoire pour que tous les abonnés aient accès au téléphone à un même prix sur l'ensemble du territoire ;
- les tarifs sociaux : il s'agit de la charge liée à l'obligation de fournir une offre de tarifs particuliers, destinée à certaines catégories de personnes en raison notamment de leur faible niveau de revenu ou de leur handicap. A noter que leur mise en place est récente ;
- la desserte du territoire en cabines téléphoniques ;
- l'annuaire universel et le service de renseignements correspondant, qui n'ont pas encore vu le jour (cf. ci-dessus) et pour lesquels le coût correspondant est nul.
Ce coût net est calculé par l'Autorité de régulation des télécommunications, puis constaté par le ministre chargé des télécommunications. Le principe est d'évaluer la différence entre la situation (fictive) où l'opérateur ne supporterait pas d'obligations de service universel et agirait selon une logique purement commerciale et celle où il remplit ces obligations, qui génèrent des coûts (desserte de zones auxquelles il ne se serait pas intéressé dans une logique purement commerciale par exemple), mais aussi des recettes. Ce calcul utilise un modèle économique destiné à évaluer le coût de la péréquation géographique, à partir de celui des zones non rentables, mais aussi de celui des abonnés non rentables dans les zones rentables.
La loi a fixé à France Télécom la charge de fournir le service universel. Son coût est partagé et financé par l'ensemble des opérateurs de télécommunications, au prorata de leur trafic dans le trafic téléphonique total 12 ( * ) .
Depuis 1997, le montant du service universel est le suivant :
b) Un dispositif sous étroite surveillance communautaire
La mise en place, en France, de ce système de partage du coût net du service universel est suivie avec une attention particulière par la Commission, tant par les services en charge des télécommunications que par ceux chargés des questions de concurrence.
Dans son dernier rapport sur la mise en oeuvre de la réglementation communautaire en matière de télécommunications, la Commission estime qu' " eu égard aux préoccupations de marché quant au fait que les régimes de financement du service universel constituent une entrave à l'entrée sur le marché, il faut une évaluation rigoureuse des coûts nets réels de la fourniture du service universel. "
La Commission relève, dans ce même rapport, que bien que neuf Etats membres (Belgique, Danemark, Allemagne, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Autriche, Portugal) ont adopté des dispositions législatives prévoyant la création d'un mécanisme de financement du service universel, seuls deux de ces Etats (France et Italie) ont mis ces mécanismes en service. En outre, la France est le seul pays dans lequel un transfert de paiements ait eu lieu entre les opérateurs .
Ainsi, dès 1998, la Commission européenne a adressé une lettre de mise en demeure au Gouvernement français concernant la transposition des directives européennes sur le service universel.
La Commission a fait observer que :
1. le caractère inéquitable de la charge de service universel pour l'opérateur qui en est chargé et la nécessité d'un système de partage des coûts du service universel n'auraient pas été établis ;
2. la mise en place d'un tel système dès 1997 n'aurait pas été entièrement justifiée ;
3. le calendrier du rééquilibrage tarifaire n'aurait pas été communiqué à la commission ;
4. les critères d'évaluation par la commission des coûts du service universel n'auraient pas suffisamment été pris en compte.
Sur les mêmes fondements, la Commission a envoyé un avis motivé à la France au titre de l'article 226 du traité, l'invitant à prendre les mesures requises.
Une réponse du Gouvernement en date du 3 décembre 1999 clarifie le calcul de la composante " tarifs sociaux " et annonce la volonté du Gouvernement de prendre en compte, à compter de 2000, les avantages immatériels liés à la qualité d'opérateur chargé du service universel, qui doivent venir en diminution des coûts nets du service universel. Cette obligation figure à l'article 5, paragraphe 4, de la directive 97/33, citée parmi les directives pour lesquelles le Gouvernement demande l'habilitation à effectuer une transposition par ordonnances.
Malgré cette réponse, la Commission a considéré que nombre de griefs subsistaient. Elle a donc saisi la Cour de Justice d'un recours en manquement contre la France sur les points suivants :
- mise en oeuvre de mécanisme de compensation dès 1997 ;
- absence de mesure économique et comptable du rééquilibrage tarifaire ;
- caractères non objectifs, proportionnels et transparents de certaines composantes (forfaitaires) ;
- non publication des contributions des différents opérateurs.
D'après les informations communiquées à votre commission, la réponse des autorités françaises serait en cours d'élaboration.
c) La prise en compte des avantages induits dans le coût du service universel
Le principe admis par la directive 97/33 est que, si le fait de fournir le service universel peut entraîner des coûts, cela génère également des effets positifs, notamment en termes de notoriété et d'image.
La prise en compte de tels " avantages induits " n'est prévue explicitement ni par la loi précitée du 26 juillet 1996 ni par le décret du 13 mai 1997 relatif au financement du service universel pris pour son application.
Un changement de ces dispositions -et en particulier de l'article L.35-3 du code des postes et télécommunications- est donc nécessaire pour faire entrer l'obligation communautaire dans le droit national.
Mais ces avantages immatériels, bien que réels, sont par nature très difficiles à quantifier. D'ailleurs les estimations varient suivant les méthodes de calcul retenues.
L'ART indique, dans son rapport annuel publié en juin 2000, avoir engagé des travaux pour quantifier les effets économiques induits et les avantages immatériels découlant de la fourniture du service universel . Elle a notamment confié une étude à un cabinet indépendant pour quantifié ces effets au moyen d'une enquête auprès d'un échantillon représentatif des ménages 13 ( * ) .
Les différentes évaluations conduites par l'Autorité situent, suivant les années, ces avantages entre 200 et 550 millions de francs.
Si l'on s'en tient au montant prévisionnel du coût net du service universel pour 2000 (soit 2,8 milliards de francs), selon une telle estimation des avantages induits, la baisse du coût du service universel occasionnée par leur prise en compte serait de 7 à 20%.
Votre rapporteur pour avis a pu constater que ces estimations - de même que l'existence d'un quelconque avantage induit- étaient contestés par l'opérateur historique. La mise en oeuvre de l'obligation communautaire pourrait s'avérer particulièrement délicate, surtout qu'il s'agit d'un enjeu financier réel pour les opérateurs concernés.
C'est pourquoi votre commission regrette que l'absence de débat législatif ne permette pas d'évoquer la méthodologie qui pourrait être retenue pour chiffrer - tâche ardue s'agissant de notions immatérielles - ces avantages induits.
Votre rapporteur a interrogé le ministre à ce sujet. Des réponses qui lui ont été apportées, il ressort que le Gouvernement entend préciser par décret la méthodologie que devra suivre l'art pour défalquer les avantages induits du coût net du service universel calculé chaque année.
* 11 Composante liée au déséquilibre de la structure des tarifs téléphonique au regard du fonctionnement normal du marché : compte tenu de la mission de service public assurée par France Télécom dans le cadre de l'ancien monopole, les tarifs de l'opérateur public étaient sciemment déséquilibrés. Le tarif de l'abonnement était inférieur aux coûts correspondants pour permettre au plus grand nombre de souscrire un abonnement au téléphone ; en contrepartie, les tarifs des communications longue distance et internationales étaient supérieurs à leur coût effectif et subventionnaient en quelque sorte abonnements et communications locales. Dans un régime de concurrence, les tarifs doivent être établis en fonction des coût. La loi avait donc prévu un rééquilibrage progressif de ces tarifs
* 12 Conformément à l'article R. 20-39 du code des postes et télécommunications, sauf pour les opérateurs n'ayant pas fourni leurs prévisions de volume de trafic, qui paient une contribution forfaitaire.
* 13 Etude de l'IFOP menée en septembre 1999 sur la valorisation des avantages du service universel, menée sous forme d'une enquête qualitative par téléphone interrogeant un échantillon national représentatif de 1400 personnes âgées de 15 ans et plus. La représentativité est assurée suivant la méthode des quotas