Cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur (PPRE) - Tableau de montage - Sénat

N° 36

SÉNAT

                  

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

11 décembre 2022

                                                                                                                                             

RÉSOLUTION EUROPÉENNE PORTANT AVIS MOTIVÉ

sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur (législation européenne sur la liberté des médias) et modifiant la directive 2010/13/UE - COM(2022) 457 final







Est devenue résolution du Sénat, conformément à l'article 73 octies, alinéas 4 et 5, du Règlement du Sénat, la résolution adoptée par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication dont la teneur suit :

                                                                                                                                             

Voir les numéros :

Sénat : 194 (2022-2023).




Résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur (législation européenne sur la liberté des médias) et modifiant la directive 2010/13/UE – COM(2022) 457 final

La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2022 COM(2022) 457 final a pour objet d’établir un cadre européen commun de régulation de l’ensemble du secteur des médias.

Elle détermine à cette fin les droits et obligations des fournisseurs de services de médias ; elle crée un nouveau comité européen pour les services de médias, composé des autorités nationales chargées des médias ; ce comité assumera, d’une part, les tâches du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA) au titre de la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (SMA) et, d’autre part, de nouvelles tâches, relatives au contrôle des systèmes de mesure de l’audience, à la répartition juste et équitable de la publicité d’État et à la protection des sources journalistiques. Elle établit un « dialogue structuré » avec les très grandes plateformes en ligne, afin de garantir l’intégrité éditoriale des contenus mis en ligne par les fournisseurs de services de médias ; elle pose un cadre juridique pour le contrôle des concentrations, en imposant aux États l’adoption de règles et de procédures nationales concernant l’évaluation des effets que les concentrations sur les marchés des médias peuvent avoir sur le pluralisme des médias et l’indépendance éditoriale.

Vu l’article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat émet les observations suivantes :

– l’article 5 du traité sur l’Union européenne prévoit que l’Union ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union » ; ce qui implique d’examiner, non seulement si l’objectif de l’action envisagée peut être mieux réalisé au niveau communautaire, mais également si l’intensité de l’action entreprise n’excède pas la mesure nécessaire pour atteindre l’objectif que cette action vise à réaliser ;

– la liberté de la presse et l’indépendance des médias sont des conditions essentielles de la vie démocratique ; ainsi, dans son principe, toute initiative protégeant le pluralisme et l’indépendance éditoriale dans l’Union européenne doit être soutenue ;

– en se fondant uniquement sur l’article 114 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), pour éliminer les « obstacles au fonctionnement optimal du marché intérieur des médias », qui engloberait tous les services de médias, y compris la presse écrite, la proposition de règlement postule l’existence d’un tel marché à l’échelle de l’Union européenne, laquelle n’est nullement attestée ni par l’exposé des motifs, ni par les considérants de ladite proposition et alors que les travaux menés en 2022 par la commission d’enquête du Sénat « afin de mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France et d’évaluer l’impact de cette concentration dans une démocratie » ont montré que le marché des médias est essentiellement structuré sur une base nationale, voire régionale ou locale ;

– en outre, l’article 114 du TFUE ne constitue pas une base juridique adéquate pour une réglementation garantissant la diversité des contenus et la liberté éditoriale, notamment au sein des entreprises des médias, qui font l’objet par exemple de l’article 3, de l’article 4, paragraphe 2, de l’article 5, et de l’article 6, paragraphe 2 de la proposition de règlement ;

– la base juridique invoquée paraît d’autant plus fragile que ni l’exposé des motifs de ladite proposition de règlement pour créer le comité ni ses dispositions mêmes ne justifient autrement que par une tautologie l’inclusion dans le champ des « services de médias » de la presse écrite et radiodiffusée, qui n’est pourtant pas visée dans la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 précitée modifiée par ladite proposition pour créer le Comité européen des services de médias ;



– or le pluralisme des médias et de la presse écrite, qui conditionne l’effectivité de la vie démocratique dans les États membres, incarne incontestablement la diversité culturelle et linguistique de l’Union européenne, et n’a pas à relever du seul marché intérieur ; à ce titre, l’article 167 du TFUE, lequel dispose notamment que « l’Union contribue à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun », constituerait aussi bien une base juridique pertinente et robuste à l’action de l’Union européenne dans ce domaine ; en cette matière, selon le c de l’article 6 du TFUE, l’Union européenne ne dispose à cet égard que d’une compétence d’appui, venant en complément ou en soutien de celle des États membres, ce qui ne justifie nullement une harmonisation législative, laquelle pourrait d’ailleurs se faire aussi bien par le haut que par le bas, entraînant un risque de nivellement pour les États membres ayant un corpus législatif ancien et robuste en ce domaine, dont la France ;



– la pertinence du fondement juridique de l’article 167 du TFUE est confortée par l’objet même des articles 21 et 22 de la proposition de règlement, visant à garantir le pluralisme et l’indépendance éditoriale, qui ne relèvent pas d’une approche exclusivement économique du marché intérieur, et qui peuvent même s’y opposer, puisqu’il s’agit de garantir la diversité des opinions, laquelle ne saurait être fondée sur des critères économiques ;



– dès lors, le Sénat s’interroge sur la légitimité et la valeur ajoutée d’une telle législation européenne ;



– de surcroît, le Sénat relève que la Commission a retenu, pour introduire une telle législation européenne, la voie d’une proposition de règlement, d’application directe et uniforme, et non d’une proposition de directive qui devrait être transposée en droit interne et aurait laissé aux États membres le choix de la forme et des moyens de mise en œuvre, en vertu de l’article 288 du TFUE, ce qui aurait été plus conforme aux objectifs de ladite législation et au respect de la diversité et du pluralisme, protégés par l’article 167 du TFUE ;



– le Sénat estime à cet égard que l’harmonisation proposée notamment aux articles 7 et 20 de la proposition de règlement, créant un nouvel échelon européen de recours contre les mesures décidées par les autorités ou entités nationales de régulation, contrevient au respect de cette diversité et au principe de proportionnalité ;



– le Sénat relève enfin que, selon l’article 167 du TFUE, paragraphe 5, « l’Union et les États membres favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes dans le domaine de la culture, et en particulier avec le Conseil de l’Europe », lequel a adopté plusieurs conventions dans le domaine de la protection du pluralisme et de la liberté des médias ; or la présente proposition de règlement ne mentionne nullement le Conseil de l’Europe, négligeant d’encourager l’Union européenne et ses États membres à coopérer avec cette institution particulièrement attentive au respect des droits des journalistes et des médias.



Pour ces raisons, le Sénat estime que la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil COM(2022) 457 final n’est pas conforme, dans sa rédaction actuelle, à l’article 5 du traité sur l’Union européenne et au protocole  2 annexé à ce traité.

Devenue résolution du Sénat le 11 décembre 2022.

Le Président,

Signé : Gérard LARCHER

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