N°251
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès verbal
de la séance du.4 mars 1999
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN
APPLICATION DE L'ARTICLE
73 BIS
DU RÈGLEMENT,
sur
le projet de statut des
députés au Parlement européen
(E 1209)
PRÉSENTÉE
Par M. Michel BARNIER
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)
Union européenne
Mesdames, Messieurs,
Le traité d'Amsterdam
prévoit d'insérer dans le traité instituant la
Communauté européenne un paragraphe aux termes duquel le
Parlement européen fixerait
" le statut et les conditions
générales d'exercice des fonctions de ses membres, après
avis de la Commission et avec l'approbation du Conseil statuant à
l'unanimité ".
S'appuyant sur ce texte, qu'il applique
donc par anticipation, le Parlement européen a adopté le 3
décembre 1998 un projet de statut des députés au Parlement
européen. C'est ce projet qui est soumis à l'Assemblée
nationale et au Sénat, en application de l'article 88-4 de la
Constitution, sous la référence E 1209.
Les
dispositions de ce texte peuvent être rangées en trois
catégories :
•
La première
catégorie se compose de dispositions d'ores et déjà
consacrées par le droit européen
. Il en va notamment
ainsi en ce qui concerne le rappel de l'élection au suffrage
universel, le principe de l'assimilation du parlementaire européen au
parlementaire national en ce qui concerne les immunités, ainsi que le
principe du vote personnel et de l'interdiction du mandat impératif. On
observera que les membres du Parlement européen seraient
désormais appelés officiellement
" députés ", titre qu'une loi de 1947 encore en vigueur
réserve en France aux membres de l'Assemblée nationale.
•
La deuxième catégorie de dispositions
contenues dans le projet de statut
regroupe celles qui, sans
être véritablement novatrices dans leur principe, modifient
substantiellement des dispositions communautaires existantes
. Elles
concernent le régime des incompatibilités.
Le
droit actuel prévoit en effet plusieurs cas d'incompatibilités
avec la qualité de représentant au Parlement
européen
. Par exemple, on ne peut être en même
temps parlementaire européen et fonctionnaire européen, membre du
Gouvernement d'un Etat, de la Commission ou de la Cour des comptes des
Communautés européennes.
Chaque Etat peut en outre fixer
les incompatibilités applicables sur le plan national.
Le projet
de statut étend la liste des cas d'incompatibilité fixés
par le droit européen, visant notamment la qualité de
" député au Parlement d'un Etat membre "
et de
président de l'exécutif d'une collectivité locale ou
régionale
. Cette rédaction présente une certaine
ambiguïté car on peut se demander si l'expression
"
député au Parlement d'un Etat membre
" vise
seulement les membres des chambres basses ou tous les parlementaires nationaux,
et notamment les sénateurs.
En outre, le projet de
statut soumet les Etats membres à des règles contraignantes pour
leurs propres régimes d'incompatibilités
:
- d'une part, les Etats membres doivent notifier au Parlement
européen toutes les incompatibilités existant dans leur
législation nationale ;
- d'autre part, les Etats membres
doivent adresser au Parlement européen tout projet tendant à
instaurer une nouvelle incompatibilité ; le Parlement
européen rend alors un avis sur ce projet dans un délai maximal
de trois mois ;
- enfin, et surtout, toute nouvelle
incompatibilité instaurée par un Etat membre ne peut entrer en
vigueur avant les élections suivantes.
Sur ce point
également, la rédaction est ambiguë : que faut-il
entendre par "
incompatibilités
", par
"
élections suivantes
" ? On peut supposer, sans
en être toutefois certain, que sont visées les
incompatibilités avec le mandat de parlementaire européen
- et non tous les cas d'incompatibilités - et les
élections européennes.
•
La troisième
catégorie de dispositions du projet de statut contient de
véritables innovations en ce qu'elles n'ont pas de
précédent dans la législation communautaire
.
Elles concernent notamment le régime financier, lequel, en l'absence de
statut du député européen, est actuellement calqué
sur celui des parlementaires nationaux (ce qui explique les fortes
différences, régulièrement dénoncées, dans
le montant des indemnités perçues par les parlementaires
européens).
Le projet de statut prévoit notamment
des règles uniformes pour les indemnités
, lesquelles,
selon une annexe, correspondraient à la moyenne des indemnités
que l'ensemble des parlementaires européens percevront à la date
de l'adoption du statut.
Toutefois,
" les
députés réélus peuvent (...) choisir de conserver
l'indemnité parlementaire nationale versée
jusqu'ici
".
*
* *
Sur le plan des principes,
on ne peux que souscrire
à l'idée d'un statut uniforme des membres du Parlement
européen
. Il conviendra d'y venir tôt ou tard, comme il
conviendra de parvenir à un mode de scrutin uniforme permettant aux
citoyens de mieux identifier leurs représentants au Parlement
européen. Sur ce point, on peut déplorer une nouvelle fois le
retrait par le Gouvernement de son projet de loi qui, reprenant largement une
proposition déposée par plusieurs membres de notre
assemblée, aurait renforcé la représentativité de
nos collègues de Strasbourg et assuré une meilleure prise en
compte des intérêts français dans la construction
européenne.
Sur le fond, le projet de statut qui nous est soumis
contient des propositions intéressantes dans leur principe. On peut
notamment citer les nouvelles incompatibilités avec le mandat de membre
du Parlement européen qu'approuveront probablement ceux qui pensent que
le développement des vocations politiques est la condition
sine qua
non
pour rapprocher les citoyens de leurs représentants, et que
notre vie politique ne peut continuer à être riche en
mandats et pauvre en élus.
Cela étant, ce texte
paraît soulever des problèmes de principe, notamment au regard du
principe de subsidiarité et de notre Constitution
.
En
ce qui concerne tout d'abord la subsidiarité, on peut se demander si
toutes les dispositions contenues dans le projet de statut relèvent bien
de la compétence de l'Union européenne.
Ainsi, une annexe
au projet de statut précise que l'indemnité parlementaire est
soumise uniquement à l'impôt au profit des communautés.
Mais aucune disposition des traités ne donne compétence à
l'Union européenne pour intervenir dans le domaine de la
fiscalité directe et il n'est pas certain que le " statut "
que le Parlement européen pourra fixer dès l'entrée en
vigueur du traité d'Amsterdam couvre le statut du parlementaire
européen au regard de la fiscalité.
Toujours en ce qui
concerne la subsidiarité,
on peut
également
se demander s'il appartient à l'Union européenne de
définir des incompatibilités avec des fonctions électives
nationales ou locales
. Certes, on peut admettre que la notion de
statut englobe les droits et les obligations et que, à ce titre, le
traité d'Amsterdam intègre dans la compétence de la
Communauté la détermination des incompatibilités avec le
mandat de parlementaire européen. Mais la Communauté n'aura pas
pour autant une compétence exclusive en cette matière : les
législations nationales pourront également instaurer de telles
incompatibilités. Dès lors, conformément au principe de
subsidiarité, la Communauté ne devra intervenir "
que si
et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne
peuvent pas être réalisés de manière suffisante par
les Etats membres et peuvent donc (...) être mieux réalisés
au niveau communautaire
".
Or, les Etats ne sont-ils pas
mieux placés que la Communauté pour apprécier si, compte
tenu des missions d'un élu national ou local, des tâches qu'il
doit assumer, cet élu peut également exercer dans de bonnes
conditions un mandat de parlementaire européen ? Chacun
reconnaîtra que la question doit être posée.
Mais
c'est surtout au regard de nos principes de valeur constitutionnelle que le
projet de statut des députés européens soulève de
graves problèmes. Il en va en particulier ainsi pour les dispositions
concernant, d'une part, les incompatibilités et, d'autre part, le
régime indemnitaire des parlementaires européens.
En ce
qui concerne les incompatibilités, il me semble que le projet de statut,
s'il était adopté en l'état, porterait atteinte, pour
reprendre une formule employée par le Conseil constitutionnel dans sa
décision des 29 et 30 décembre 1976, "
aux pouvoirs et
attributions des institutions de la République et, notamment, du
Parlement
".
Une première atteinte
résulterait de l'interdiction d'exercer le mandat de parlementaire
européen en même temps que celui de parlementaire
national
. En effet, la Constitution française renvoie à
une loi organique pour fixer le régime des incompatibilités
touchant les députés ou sénateurs. Il y aurait donc bien
atteinte aux attributions du Parlement.
Une seconde atteinte
résulterait de l'impossibilité de mettre en application une loi
instaurant une nouvelle incompatibilité jusqu'aux prochaines
élections européennes
. Ce sursis à
exécution des lois de la République, dont la durée
pourrait atteindre cinq années, paraît également
contestable au regard de nos principes constitutionnels.
En ce qui
concerne le régime indemnitaire des parlementaires européens, il
paraît quelque peu paradoxal de rechercher l'uniformité en
consacrant une différence. Au nom de quoi un parlementaire
européen réélu pourrait-il choisir son régime
indemnitaire, alors qu'un élu pour la première fois ne le
pourrait pas ? Le Parlement européen justifie cette
différence au nom de ce qu'il appelle les "
droits
acquis
". Mais peut-on parler de droits acquis à propos de
l'indemnité parlementaire qui est moins un droit qu'une garantie pour le
bon exercice du mandat ? Pourquoi cette garantie varierait-elle pour les
mêmes parlementaires élus dans le même Etat ?
En tout état de cause, même si l'on considère
l'indemnité parlementaire comme un droit, on peut difficilement admettre
que cette notion de droits acquis puisse justifier une différence de
traitement qui se heurterait à deux critiques majeures.
En
premier lieu, elle constituerait une régression par rapport au droit
actuel, puisque
aux différences entre parlementaires tenant
à leur lieu d'élection s'ajouterait une différence entre
parlementaires d'un même Etat en fonction de la date de leur
première élection
. Pour une proposition dont l'objet est
précisément d'instaurer un statut uniforme, cela paraît
pour le moins paradoxal.
En deuxième lieu,
cette
différence de traitement me semble probablement contraire au principe
d'égalité
qui a une valeur constitutionnelle.
*
Le texte E 1209 fournit donc un exemple de projet d'acte de
l'Union européenne qui, sur plusieurs points, paraît être
contraire à notre Constitution. L'avis préalable d'une
juridiction, et notamment du Conseil constitutionnel, serait en l'espèce
éminemment souhaitable. Mais ce texte sera d'application directe dans
les Etats membres. Aucune ratification n'étant exigée, le Conseil
constitutionnel ne pourra en être saisi, ni directement sur le fondement
de l'article 54 de la Constitution, ni indirectement sur le fondement de
l'article 61.
Ainsi, en l'absence d'une veille constitutionnelle que
certains membres de notre assemblée avaient souhaité voir
instituée lors de la révision constitutionnelle préalable
à la ratification du traité d'Amsterdam, seul le Gouvernement
peut veiller au respect de la Constitution par le futur statut. Il lui
appartient de s'opposer au sein du Conseil aux dispositions constitutionnelles
et d'empêcher ainsi leur adoption puisque le projet de statut,
rappelons-le, doit être approuvé par le Conseil à
l'unanimité.
C'est pour attirer son attention sur les
difficultés soulevées par ce texte qu'il vous est demandé,
Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante,
que la Délégation pour l'Union européenne m'a
chargé de déposer :
PROPOSITION DE RESOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le texte E 1209,
Considérant que le
traité d'Amsterdam permettra au Parlement européen de fixer le
statut et les conditions générales d'exercice des fonctions de
ses membres, après avis de la Commission et avec l'approbation du
Conseil statuant à l'unanimité ;
Considérant
que, anticipant sur l'entrée en vigueur dudit traité, le texte
E 1209, adopté par le Parlement européen le 3
décembre 1998, a pour objet d'établir un statut uniforme pour les
membres du Parlement européen, qu'il propose d'appeler
" députés au Parlement européen " ;
Considérant que ce texte prévoit :
- de
rendre incompatibles avec la qualité de député
européen, la qualité de " député au Parlement
d'un Etat membre " et celle de Président de l'exécutif d'une
collectivité locale ou régionale,
- d'obliger les Etats
membres à adresser pour avis au Parlement européen tout projet
tendant à instaurer de nouvelles incompatibilités et d'en
interdire l'application avant les élections suivantes ;
Considérant que le texte E 1209, qui a pour objectif
d'établir un régime indemnitaire uniforme, permet cependant aux
membres du Parlement européen réélus de conserver le
régime indemnitaire qui est actuellement le leur ;
Considérant qu'une annexe au projet de statut précise que
l'indemnité parlementaire est soumise uniquement à l'impôt
au profit des communautés ;
Partage le souci du Parlement
européen d'adopter dans les meilleurs délais un statut assurant
l'égalité de traitement de ses membres ;
Comprend
son souhait d'interdire le cumul de l'exercice du mandat de membre du Parlement
européen avec l'exercice d'un mandat de membre d'un Parlement national
ou de président de l'exécutif d'une collectivité
locale ;
Observe cependant que, au regard du principe de
subsidiarité, certaines dispositions du texte E 1209, notamment d'ordre
fiscal ou touchant aux incompatibilités, paraissent relever de la
compétence des Etats membres, en particulier des
parlements nationaux de ces Etats ;
S'interroge en outre sur la
conformité à la Constitution du dispositif proposé au
regard, d'une part, du principe d'égalité et, d'autre part, des
pouvoirs et attributions des institutions de la République et,
notamment, du Parlement ;
Rappelle que le texte E 1209, qui
ne constitue pas en l'état un engagement international et qui, selon son
article 19, s'appliquerait directement dans chacun des Etats membres, ne pourra
donner lieu à saisine du Conseil Constitutionnel ni sur le fondement de
l'article 54, ni sur celui de l'article 61 de la Constitution et constate
que seul le Gouvernement est donc actuellement en mesure de veiller au respect
de la Constitution par le futur statut de député
européen ;
Invite en conséquence le Gouvernement
à s'opposer au sein du Conseil à l'adoption de toute disposition
du texte E 1209 contraire au principe de subsidiarité ou à
la Constitution et notamment :
- aux dispositions relatives aux
incompatibilités, en ce qu'elles porteraient atteinte aux attributions
du Parlement français ;
- aux dispositions relatives
à la fiscalité directe, en ce qu'elles ne pourraient relever
d'actes communautaires dérivés ;
- aux dispositions
relatives au régime indemnitaire des membres du Parlement
européen, en ce qu'elles porteraient atteinte au principe
d'égalité.