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N° 92
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 23 novembre 1995.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 86/378/CEE relative à la mise en oeuvre du principe de l ' égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (E 450),
par M. Charles METZINGER,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La proposition d'acte communautaire n° E-450 qui vous est soumise a pour objectif de modifier la directive 86/378 CEE relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale. Cette directive permet actuellement un certain nombre de dérogations au principe d'égalité entre hommes et femmes, notamment en ce qui concerne l'âge de la retraite et les prestations de survivants.
Certains systèmes professionnels, particulièrement développés aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, prévoyaient jusqu'il y a peu des âges différents d'accès à la retraite pour les hommes et les femmes (les femmes ayant la possibilité d'accéder plus tôt à la retraite). Or, dans un arrêt BARBER de 1990 ( ( * )1) , la Cour de Justice des Communautés européennes a considéré que de telles dérogations étaient contraires au Traité de Rome. Dans son article 119, le Traité prévoit en effet que « chaque État membre assure au cours de la première étape, et maintient par la suite, l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail ».
La Cour de Justice a considéré que les cotisations à des fonds d'entreprises devaient être considérées comme des prélèvements sur les rémunérations dont le paiement est différé jusqu'après l'âge de la retraite. Elle en a déduit que ces cotisations constituaient des éléments de rémunération et qu'il fallait donc leur appliquer l'article 119 du Traité de Rome sur l'égalité de rémunération entre hommes et femmes.
Les régimes professionnels de sécurité sociale ne pouvaient donc maintenir les clauses prévoyant l'accès à certaines prestations à des âges différents pour les hommes et les femmes. Par la suite, dans d'autres arrêts, la Cour a précisé sa jurisprudence, et a notamment considéré qu'elle s'appliquait également aux pensions versées au survivant et à toutes les formes de prestations offertes par les régimes professionnels de sécurité sociale des travailleurs salariés.
Pour faire face aux conséquences financières de l'arrêt Barber, les États membres de l'Union européennes, lors de la négociation du Traité de Maastricht, ont introduit dans le traité un protocole précisant notamment que « des prestations en vertu d'un régime professionnel de sécurité sociale ne seront pas considérées comme rémunération si et dans la mesure où elles peuvent être attribuées aux périodes d'emploi antérieures au 17 mai 1990 (date de l'arrêt Barber) ». Ainsi cet arrêt ne s'applique qu'aux périodes d'emploi qui lui sont postérieures. Si cela n'avait pas été le cas, de nombreux régimes professionnels de sécurité sociale auraient été condamnés à la faillite.
La proposition d'acte communautaire qui vous est soumise vise à tirer les conséquences de cette jurisprudence de la Cour de justice. À cette fin, elle supprime les dérogations au principe d'égalité que la directive communautaire relative aux régimes professionnels de sécurité sociale prévoyait. Il convient de signaler que la jurisprudence de la Cour concerne exclusivement les régimes professionnels de sécurité sociale et non les régimes légaux.
Sans doute la proposition E-450 est-elle une simple mise en conformité du droit communautaire avec la jurisprudence de la Cour de Justice, dans un souci de clarté juridique. Mais elle peut être l'occasion, pour le Sénat, de se prononcer sur la manière dont le principe d'égalité entre hommes et femmes doit être appliqué par la Communauté.
La Cour de Justice, dans ses arrêts, tire les conséquences du traité tel qu'il est ; comme ce traité doit être remis en chantier en 1996, il paraît utile de se demander s'il ne serait pas souhaitable de préciser sa rédaction sur la question de l'égalité hommes/femmes, afin que l'application rigide du principe d'égalité ne puisse se traduire par la remise en cause de certains acquis sociaux.
La proposition E 450 s'inscrit en effet dans le cadre d'une interprétation assez rigide du principe d'égalité entre hommes et femmes qui résulte de l'application du traité par la Cour de Justice des Communautés européennes.
Le principe d'égalité est évoqué dans le Traité de Rome à l'article 119, qui ne concerne que l'égalité des rémunérations. Quatre directives communautaires sont venues étendre le principe de l'égalité entre hommes et femmes à d'autres domaines :
- la directive 76/207/CEE du 9 février 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail ;
- la directive 79/7/CEE du 19 décembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ;
- la directive 86/378/CEE du 24 juillet 1986 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale ;
- la directive 86/613/CEE du 11 décembre 1986 sur l'application du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, y compris une activité agricole, ainsi que la protection de la maternité.
Ces directives comportent toutes la même définition du principe d'égalité, qui implique « l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial ».
Elles permettent, cependant, certaines dérogations au principe d'égalité en faveur des femmes.
Comme on l'a vu, la Cour, dans l'affaire Barber, a été amenée à considérer comme contraires au Traité certaines de ces dérogations au bénéfice des femmes. Dans d'autres cas, elle a interprété de manière restrictive les dérogations prévues par les directives.
La directive de 1976 relative à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, permet un certain nombre de dérogations au profit des femmes. Ainsi, l'article 2 de la directive prévoit que celle-ci ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité. Le même article dispose que « la présente directive ne fait pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités défait qui affectent les chances des femmes (...) ».
Sur cette base, la Cour de justice a reconnu conforme au droit communautaire l'octroi d'un congé de maternité supplémentaire à l'expiration du délai légal de protection, accordé aux seules femmes, afin de protéger les « rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l'accouchement, en évitant que ces rapports soient troublés par le cumul des charges résultant de l'exercice simultané d'une activité professionnelle » ( ( * )2) .
En revanche, dans un arrêt de 1988 ( ( * )3) la Cour a condamné la France pour son maintien général des clauses des conventions collectives ouvrant des droits particuliers aux femmes. De même en 1991, à propos du travail de nuit des femmes, la Cour a estimé que la prohibition du travail de nuit ne visait pas à protéger les femmes de risques qui leur seraient spécifiques ( ( * )4) et a déclaré incompatible la loi française avec la directive de 1976.
Très récemment la Cour vient de condamner ( ( * )5) , au nom du principe d'égalité une loi du Land allemand de Brème, qui prévoit que, pour un poste donné, les femmes auront, à compétence égale, priorité sur les hommes tant qu'elles seront moins de la moitié dans le grade ou la fonction. La Cour a notamment estimé qu'une réglementation « qui garantit la priorité absolue et inconditionnelle aux femmes lors d'une nomination ou promotion va au-delà d'une promotion de l'égalité des chances (...) ». Elle a donc déclaré cette loi contraire à la directive communautaire de 1976. Ce dernier arrêt condamne en fait le principe des quotas qui, par ailleurs, a été considéré comme contraire à la Constitution française par le Conseil constitutionnel.
*
Ces différents arrêts ont suscité une certaine émotion, dans la mesure où beaucoup y ont vu une remise en cause de toute possibilité de prendre des mesures de protection particulière en faveur des femmes ou d'actions positives destinées à remédier aux inégalités de fait entre hommes et femmes. L'arrêt Barber, pour sa part, a conduit à la crainte que le régime d'accès aux prestations de retraite des femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale ne soit aligné sur celui, moins favorable, des hommes.
En fait, il semble que, le plus souvent, la Cour s'oppose aux dérogations au principe d'égalité qui présentent un caractère de généralité.
Cependant, on peut craindre que l'application rigide du principe d'égalité, conçu à l'origine comme un moyen de permettre aux femmes d'accéder à l'égalité dans des domaines où elles étaient pénalisées par rapport aux hommes, ne conduise en fait à supprimer toute possibilité de discriminations au profit des femmes.
Surtout, il convient de considérer que, dans le contexte actuel de difficultés économiques, où le développement du chômage met en péril l'équilibre des régimes sociaux, une application rigide du principe d'égalité risque de conduire à un nivellement vers le bas : il y a beaucoup plus de chances de voir supprimer les avantages particuliers consentis aux femmes que de voir ceux-ci étendus aux hommes.
Il paraît donc souhaitable que le traité révisé prévoie explicitement la possibilité pour les États membres de maintenir dans leur législation sociale des avantages en faveur des femmes en matière de droits à pension, de congés et de conditions de travail.
Ce serait d'ailleurs, me semble-t-il, conforme au principe de subsidiarité, qui doit permettre aux États membres d'adapter les règles européennes générales au contexte particulier de chaque pays, et de conserver des spécificités nationales lorsqu'elles sont plus favorables que les dispositions résultant de l'harmonisation européenne.
C'est pourquoi il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution qui suit, que la délégation pour l'Union européenne m'a demandé de présenter en son nom :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu la proposition d'acte communautaire E 450,
Considérant que le traité instituant l'Union européenne, à son article 119, mentionne seulement le principe d'égalité entre les hommes et les femmes à propos de l'égalité des rémunérations,
Considérant que le développement du droit social communautaire a pour conséquence la nécessité de mettre en oeuvre ce principe dans d'autres domaines sociaux que celui des rémunérations,
Craignant que, dans la situation économique actuelle, une application trop rigide du principe d'égalité entre les hommes et les femmes, en l'absence de précisions supplémentaires dans le traité, n'aboutisse en pratique dans certains cas à la remise en cause d'acquis sociaux dont bénéficient les femmes,
Invite le Gouvernement à s'efforcer de faire garantir explicitement par le traité, à l'occasion de la prochaine révision de celui-ci, la possibilité pour les États membres de maintenir dans leur droit social des avantages spécifiques accordés aux femmes en matière de pensions de retraite, de conditions de travail et de congés.
* (1) C.J.C.E. 17 mai 1990, Douglas Harvey BARBER c/ Guardian Royal Exchange Assurance Group, Aff. C262/88
* (2) C.J.C.E. 12 juillet 1984, HOFFMANN, Aff. 184/83
* (3) C.J.C.E. Commission c/France, 25 octobre 1988, Aff. 312/86 ( 3 )
* (4) C.J.C.E. 25 juillet 1991, Stoeckel, aff. 345/89 (4) C.J.C.E. 17 octobre
* (5) 1995, KALANKE, Aff. C 450/93