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N° 289
SÉNAT
DEUXIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1993 - 1994
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 27 janvier 1994.
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 février 1994
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition modifiée de directive du Conseil relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (n° E-48)
Par M .Paul MASSON,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Communautés européennes - Informatique - Protection de la vie privée.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le développement des échanges au sein de l'Union européenne, ainsi que celui des réseaux de télécommunication, suscitent de manière croissante la circulation de données informatisées au travers des frontières des États membres. Il en va de même des données accompagnant le mouvement des personnes à l'intérieur de l'Union.
Cette circulation de données informatisées s'étend en parallèle au-delà même du territoire communautaire : il n'est pas rare aujourd'hui de relever des traitements informatiques effectués hors de la Communauté pour des biens et services mis en vente sur le territoire de l'Union.
Ces différentes évolutions ont conduit la Commission des Communautés européennes à proposer au Conseil des ministres la définition de normes communes de protection de ces données au regard des droits de la personne.
La proposition modifiée du Conseil relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données -soumise aux deux Assemblées par le Gouvernement le 11 février 1993 en application de l'article 88-4 de la Constitution (n° E-48)- prend la suite de cette proposition de la Commission.
L'architecture et le contenu de la proposition s'inspirent de la loi française du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Le texte communautaire prévoit ainsi d'encadrer la mise en oeuvre des traitements autorisés, d'exclure la prise en compte de certaines données et d'affirmer un droit d'accès de la personne, l'ensemble étant soumis à l'appréciation et au contrôle d'une autorité indépendante du type Commission nationale de l'Informatique et des Libertés.
L'intérêt de cette proposition doit être souligné, dans la mesure où la nécessité d'un régime de protection communautaire dans ce domaine est affirmée. Cependant, certaines garanties définies par elle apparaissent moindres que celles prévues par la loi française :
- l'article 8 de la proposition prévoit que le traitement -en principe interdit- de données révélant l'origine raciale et ethnique, l'opinion politique, les convictions religieuses, philosophiques ou morales, l'appartenance syndicale ou relatives à la santé et à la vie sexuelle, peut néanmoins être effectué « dans des circonstances telles qu'il ne porte manifestement pas atteinte à la vie privée et aux libertés » ;
- l'article 14 permet aux États membres de limiter le droit d'accès au fichier, prévu par la directive au bénéfice de la personne, lorsqu'une telle limitation constitue une mesure nécessaire à la sauvegarde « d'un droit équivalent d'une autre personne et des droits et libertés d'autrui ».
La proposition de directive apparaît, d'autre part, restreindre les prérogatives d'examen ou d'avis préalable de l'autorité de contrôle. Si, en effet, elle maintient le principe d'une déclaration précédant la mise en oeuvre du traitement, elle substitue à l'avis prévu dans certains cas par la loi française -proche dans sa conception d'une véritable autorisation- un régime facultatif, et enferme l'examen préalable dans un délai qui peut être jugé comme excessivement bref.
La définition de normes communes aux États membres de l'Union n'apparaît pas, cependant, justifier que les garanties prévues la loi française soient de la sorte -et sur des points importants- remises en cause. Or, il est à craindre que les différentes dérogations prévues par le projet communautaire transforment de proche en proche la règle en exception et l'exception en principe. La réduction des prérogatives de l'autorité de contrôle peut, pour sa part, rendre très difficile l'accomplissement par cette dernière de ses missions
Une modification du projet communautaire sur ces différents points apparaît, de ce fait, nécessaire.
Le champ d'application de la proposition de directive semble, en parallèle, devoir être précisé.
La proposition (article 3) énonce que les dispositions de la directive ne s'appliquent pas aux traitements mis en oeuvre pour l'exercice d'activités « qui ne relèvent pas du champ d'application du droit communautaire ». Cette restriction tend implicitement à préserver les prérogatives des États membres dans les domaines de la sécurité, de la défense et des affaires extérieures. Elle apparaît cependant devoir être rédigée dans des termes explicites retranchant plus précisément du champ d'application de la proposition, d'une part, les traitements ayant pour objet la sécurité publique, la défense ou la sûreté de l'État et, d'autre part, ceux mis en oeuvre pour les activités relevant des domaines couverts par les titres V (politique étrangère et de sécurité) et VI (justice et affaires intérieures) du Traité sur l'Union européenne.
Enfin, les prérogatives accordées par la proposition de directive à la Commission européenne n'apparaissent pas définies d'une manière pleinement satisfaisante,
Le projet communautaire (articles 33 et 34) prévoit que les mesures d'application de la réglementation nouvelle seront déterminées par la Commission après consultation d'un comité composé de représentants des États membres. Ce renvoi peut se révéler justifié par la nécessité de simplifier la définition matérielle de ces mesures. Il apparaît cependant souhaitable, dans ce domaine, que cet avis simple se voit substituer un avis conforme des représentants des États membres, à raison de la portée très large de ces mesures.
Pour ces différents motifs, il vous est proposé. Mesdames, Messieurs, d'exprimer le souhait d'une modification de la proposition de directive en adoptant la proposition de résolution suivante.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu la proposition d'acte communautaire n° E-48 qui lui a été soumise en application de l'article 88-4 de la Constitution ;
Considérant que cette proposition a pour objet de garantir la protection de certains droits et libertés des personnes physiques, notamment de leur droit à la vie privée, à l'égard du traitement des données à caractère personnel ;
Considérant que, si cette proposition est adoptée, cette protection sera considérée comme équivalente sur l'ensemble du territoire de la Communauté ;
Considérant qu'il convient, en conséquence, que les États membres parviennent à une harmonisation la plus approfondie possible afin que le niveau de protection des individus soit le plus élevé possible et en tout état de cause non inférieur à la protection offerte actuellement par la loi française relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978 quand bien même les moyens pour y parvenir seraient différents ;
Considérant qu'il convient, par ailleurs, de circonscrire le champ d'application de la proposition de directive, dont les dispositions ne s'appliquent pas aux traitements mis en oeuvre pour l'exercice d'activités qui ne relèvent pas du champ d'application du droit communautaire, afin, en tout état de cause, qu'en soient exclus :
- les traitements ayant pour objet la sécurité publique, la défense ou la sûreté de l'État ;
- les traitements mis en oeuvre pour les activités relevant des domaines couverts par les titres V et VI du Traité sur l'Union européenne ;
Considérant, enfin, que la proposition n° E-48 tend à accorder de larges pouvoirs d'application à la Commission des Communautés européennes alors qu'il est préférable, dans le domaine visé par la proposition, que les mesures d'application éventuelles soient prises sur proposition d'un Comité composé de représentants des États membres du type réglementaire le plus strict tel que défini par l'article 2, procédure III, variante b) de la décision du Conseil du 13 juillet 1987 fixant les modalités de l'exercice des compétences d'exécution conférées à la Commission, c'est-à-dire donnant le pouvoir de décision aux États membres ;
Invite le Gouvernement à proposer au Conseil de modifier la proposition n° E-48 dans le sens des considérations qui précèdent.