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N° 353
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016
Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 février 2016 |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 34-1 DE LA CONSTITUTION,
pour l' instauration d'un revenu de base ,
PRÉSENTÉE
Par M. Jean DESESSARD et les membres du groupe écologiste,
Sénateurs
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'idée d'une allocation universelle existe depuis plus de deux siècles. Que ce soit VOLTAIRE, dans L'homme aux quarante écus (1768), Thomas PAINE, dans Justice agraire (1797) ou John Stuart MILL, dans Principes d'économie politique (1848), plusieurs auteurs précurseurs ont avancé l'idée d'un revenu inconditionnel versé à tous les habitants d'un territoire.
La proposition du revenu universel permet d'envisager de manière différente la place des hommes dans la création de valeur, la redistribution de cette valeur issue du travail collectif et l'émancipation économique des individus au sein du monde du travail.
Depuis plusieurs années, des voix s'élèvent pour faire avancer ce sujet dans la société française. Plus concrètement, la création en 2013 du Mouvement français pour un revenu de base, dans le contexte d'une initiative citoyenne européenne, témoigne de l'intérêt de notre pays pour cette question.
Selon le Mouvement français pour un revenu de base, ce revenu est « un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d'autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement ».
Parmi les raisons qui plaident pour l'instauration de ce revenu universel, se trouve en premier lieu la nécessité de garantir à chaque personne un niveau de vie suffisant pour assurer son bien-être élémentaire. Cet objectif, inscrit au coeur de la déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 1948, n'est aujourd'hui que partiellement atteint. Le nombre de sans-abris dans notre pays reste élevé - 112 000 en 2012 selon l'Institut national de la statistique et des études économiques dont 31 000 enfants - et les taux de non-recours du Revenu de solidarité active - 50 % selon le comité d'évaluation du Revenu de solidarité active - témoignent des limites de notre système actuel de solidarité nationale.
Le revenu de base, permet également une réelle démarche de simplification. Les minima sociaux sont regroupés dans une allocation unique, les effets de seuils des allocations de solidarité nationale comme le Revenu de solidarité active sont évités puisque tout le monde y a droit et les services sociaux et l'État économisent les moyens humains et financiers alloués à la gestion et au versement de ces allocations.
En France de très nombreuses personnalités économiques et politiques ont pris position en faveur de la mise en place du revenu de base.
Yoland BRESSON, économiste et fondateur de l'Association pour l'Instauration d'un Revenu d'Existence, fut l'un des premiers à formuler cette idée en France dans les années 1980. Selon lui, chaque individu est créateur de valeur tout au long de sa vie - la « valeur temps » - et qu'en conséquence : « il faut que la collectivité, par le biais de l'État, alloue périodiquement à tout citoyen économique, sans autres considérations que celle de son existence, l'équivalent monétaire de la valeur de l'unité de temps. ».
Son idée a ensuite essaimé au sein du paysage intellectuel français. Le philosophe écologiste André GORZ envisage l'allocation d'un revenu social garanti. Le journaliste Ignacio RAMONET milite pour « établir un revenu de base inconditionnel pour tous » en lien avec l'instauration d'une taxe sur les transactions financières. L'historien de l'économie Jacques MARSEILLE propose un revenu de base mensuel de 750 € pour chaque adulte français, de la majorité à la mort. La philosophe et psychanalyste Cynthia FLEURY s'est prononcée en faveur d'une allocation universelle. Bernard MARIS, économiste disparu lors des attentats de Charlie Hebdo plaidait également pour un revenu minimum d'existence.
Au-delà de cette énumération, non-exhaustive, des soutiens au sein de la sphère intellectuelle, de nombreux politiques de tous bords ont également pris position en faveur du revenu de base. Arnaud MONTEBOURG, ancien ministre socialiste, défend le revenu d'existence dans son livre Antimanuel de politique . Frédéric LEFEBVRE, député les Républicains et Delphine BATHO, députée socialiste, ont tous deux récemment défendu des amendements pour que le Gouvernement étudie la possibilité de mettre en place le revenu de base. Dominique de VILLEPIN, ancien Premier ministre, a intégré à son programme présidentiel de 2012 l'idée d'un revenu citoyen. On peut également citer la prise de position du parti Europe Ecologie - Les Verts qui a adopté une motion pour l'instauration d'un revenu universel d'existence lors de son congrès de Caen en novembre 2013.
Ce débat n'existe pas qu'en France. Ainsi, la Finlande a lancé une étude en vue d'une expérimentation d'un revenu de base en 2017. Le 5 juin 2016, le peuple suisse sera invité à se prononcer sur l'instauration d'un revenu de base dans le cadre d'une initiative populaire fédérale. Au Pays-Bas, 30 villes envisagent d'expérimenter le revenu de base sur leur territoire. Des expérimentations ont été menées par le passé en Namibie, en Inde, en Alaska, au Canda et elles ont toutes amené des résultats positifs en matière économique et sociale sur les territoires concernés.
Ainsi, face à ces enjeux et en accord avec une importante mobilisation intellectuelle et transpartisane, l'instauration d'un revenu de base apparait comme une nécessité pour accompagner dignement les mutations de l'économie française.
Le Gouvernement est ainsi invité à prendre les mesures nécessaires pour mettre en place un « revenu de base, inconditionnel, cumulable avec d'autres revenus, notamment d'activité, distribué par l'État à toutes les personnes résidant sur le territoire national, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement seront ajustés démocratiquement ».
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 34-1 de la Constitution,
Affirmant, en accord avec l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, que : « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires (...) » ;
Reconnaissant la nécessité de lutter contre la précarité sociale pour améliorer le bien-être individuel et collectif des travailleurs ;
Constatant que de nombreuses activités, pourtant génératrices de valeur d'usage, notamment dans les domaines social, sanitaire et culturel, ne donnent droit aujourd'hui à aucune rémunération ;
Prenant acte des évolutions du monde du travail dues à l'émergence de l'économie numérique qui diminue la demande de main d'oeuvre et à des délocalisations durables de nombreux sites de production engendrant la disparition d'un grand nombre d'emplois ;
Reconnaissant la nécessité de réformer le système dit des « minima sociaux », à savoir des allocations relevant de la solidarité nationale, dans un but de simplification mais aussi de généralisation aux bénéficiaires potentiels ;
Considérant qu'un revenu de base, loin de constituer un effet d'aubaine éloignant de l'emploi, crée au contraire les conditions de dignité et de confiance favorisant l'employabilité ;
Prenant acte et s'inspirant des diverses initiatives et expérimentations lancées à travers le monde sur la question du revenu de base ;
Souhaite que le Gouvernement prenne les mesures nécessaires pour mettre en place un revenu de base, inconditionnel, cumulable avec d'autres revenus, notamment d'activité, distribué par l'État à toutes les personnes résidant sur le territoire national, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement seront ajustés démocratiquement.