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N° 414
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009
Annexe au procès-verbal de la séance du 18 mai 2009 |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES
EUROPÉENNES
(1)
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73
BIS
DU RÈGLEMENT,
sur la création d'un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets,
PRÉSENTÉE
Par M. Richard YUNG,
Sénateur
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)
(1) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM. Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Pierre-Yves Collombat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est saisi d'une recommandation de la Commission au Conseil tendant à autoriser la Commission à ouvrir des négociations en vue de l'adoption d'un accord créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets.
Des progrès ont été réalisés sous présidence slovène en vue à la fois de la création d'un brevet communautaire et de la mise en place d'une juridiction unifiée. Malheureusement, en dépit de ces progrès, il n'a pas été possible d'aboutir sous la présidence française dont le bilan sur ce dossier aura donc été mince.
1/ Quelle est la situation actuelle pour les litiges en matière de brevets ?
Les demandes concernant la validité d'un brevet doivent être introduites devant les tribunaux de l'État membre dans lequel le brevet a été enregistré. Les actions en contrefaçon peuvent, quant à elles, être portées soit devant les tribunaux de l'État membre du domicile du défendeur, soit devant ceux de l'État membre où le préjudice s'est produit ou risque de se produire.
Cela veut dire concrètement que le système actuel entraîne des litiges dans de multiples juridictions . En effet, une entreprise doit introduire des recours parallèles dans tous les États membres où son brevet est valide. Cette situation est évidemment à la fois complexe et coûteuse. Elle est aussi source d'une très grande insécurité juridique puisque, pour un même brevet, il peut arriver que les juridictions nationales qui sont saisies rendent des décisions qui se contredisent ! En pratique, on dénombre environ 2 500 litiges par an, dont 1 200 en Allemagne, 600 au Royaume-Uni, 400 en France et 300 en Suisse. Ces litiges entraînent globalement un coût de 250 millions d'euros par an pour les entreprises.
Dans une communication en date du 3 avril 2007, la Commission européenne a évalué que les frais totaux en cas de litiges parallèles dans les quatre États membres (Allemagne, France, Royaume Uni et Pays-Bas) dans lesquels sont jugés la plupart des litiges en matière de brevet, varieraient entre 310 000 euros et 1 950 000 euros en première instance et entre 320 000 et 1 390 000 euros en deuxième instance . Couplé à l'absence de titre unitaire, ce système de règlement des litiges à la fois complexe , onéreux et n'offrant aucune sécurité juridique , est pénalisant pour les entreprises, en particulier pour les PME et les inventeurs individuels. Une étude récente (décembre 2008), réalisée à la demande de la Commission européenne, souligne l'effet bénéfique qu'aurait au contraire un système unifié et intégré de règlement des litiges. Elle évalue les économies réalisées pour les fonds privés entre 148 et 249 millions d'euros par an dès 2013 .
2/ Qu'est-ce qui est proposé aujourd'hui pour remédier à cette situation ?
Certains États membres et des pays tiers avaient élaboré, sous les auspices de l'Office européen des brevets, un projet de traité spécifique dit « EPLA » (« European Patent Litigation Agreement ») créant une cour européenne traitant de la validité des brevets et de la contrefaçon. Cette approche avait été soutenue par l'Allemagne et le Royaume-Uni. La France avait pour sa part proposé en 2006 la « communautarisation » du projet, c'est-à-dire son transfert dans un cadre communautaire intégrant l'aspect juridictionnel et le régime du brevet.
Plus récemment, une nouvelle approche pour le volet juridictionnel a emporté une assez large adhésion, y compris de l'Allemagne. Elle consiste à prévoir un traité établissant une juridiction unifiée qui couvrirait à la fois le brevet européen et le futur brevet communautaire, et qui serait donc ouvert à des pays non membres de l'Union.
C'est cette approche que concrétise la recommandation de la Commission au Conseil. La Commission propose, en effet, d'ouvrir des négociations entre la Communauté européenne, les États membres et les autres États adhérant à la convention sur la délivrance de brevets européens en vue de la conclusion d'un accord créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets. Il s'agirait d'un accord mixte couvrant à la fois les brevets européens existants et les futurs brevets communautaires . En dépit de ce caractère mixte, il devrait être considéré comme relevant de l'acquis communautaire .
Quelles seraient les caractéristiques de ce système unifié ? Il comprendrait un tribunal de première instance, avec des divisions locales et régionales ainsi qu'une division centrale, une cour d'appel et un greffe. Toutes ces divisions feraient partie intégrante d'une juridiction unique et seraient dotées de procédures uniformes . Pour la France, les divisions locales de première instance pourraient être situées à Paris et à Lyon. Le Luxembourg souhaiterait accueillir la Cour d'appel. Les juges de cette juridiction unifiée devraient disposer d'un degré élevé de spécialisation dans le domaine des litiges en matière de brevets et d'une expertise technique . Une formation serait mise en place afin de renforcer cette expertise. Un pool de juges qualifiés à la fois juridiquement et techniquement serait institué.
La compétence de cette juridiction unifiée serait large . Elle concernerait à la fois le brevet européen et le futur brevet communautaire. Elle porterait aussi bien sur les actions en contrefaçon, les actions en nullité, les demandes reconventionnelles en nullité ou encore les actions en réparation. En principe, l'une des 23 langues serait utilisée, sauf accord des parties pour utiliser l'une des trois langues de procédure du brevet européen, c'est-à-dire l'allemand, l'anglais ou le français. Il y aurait une traduction intégrale du brevet qui serait financée par le système européen.
Les décisions de cette juridiction unifiée produiraient des effets sur tout le territoire couvert par le brevet en cause. C'est évidement là que réside toute son utilité et qu'un changement substantiel serait opéré par rapport à la situation qui prévaut actuellement. Les décisions de première instance pourraient faire l'objet d'un recours devant la cour d'appel . La Cour de justice, pour sa part, statuerait sur les questions préjudicielles posées par les juridictions du système unifié, en ce qui concerne l'interprétation du droit communautaire, ainsi que la validité et l'interprétation des actes des institutions de la Communauté.
3/ Où en est-on et quelles sont les perspectives des discussions en cours ?
Il faut d'abord préciser que ce mandat de négociations n'est pas destiné à être adopté immédiatement. Il a été présenté par la Commission européenne, afin qu'une demande d'avis puisse être adressée à la Cour de justice pour vérifier que l'accord serait compatible avec le traité et que l'Union européenne dispose d'une compétence pour le conclure. Ce qui explique que les directives de négociations envisagées soient formulées intentionnellement de manière large . Une discussion détaillée sur le contenu du mandat ne s'imposera qu'à compter de la réception de l'avis de la Cour de justice. La Commission européenne espère que cet avis puisse être rendu d'ici la fin de l'année . Mais cela semble très optimiste au regard des délais habituels pour ce type de procédure.
La majorité des États membres a salué la présentation du mandat de négociation par la Commission européenne et se sont déclarés prêts à travailler sur la demande d'avis à la Cour de justice. Les questions en suspens portent sur le point de savoir qui adressera cette demande d'avis et comment elle sera formulée. Le conseil compétitivité de fin mai devrait se prononcer. Pour la Commission européenne, c'est le Conseil qui devrait adresser la demande d'avis puisqu'elle-même n'a aucun doute sur la compatibilité du projet d'accord avec le traité. Parmi les rares États qui s'opposent, on trouve l'Espagne qui met en particulier en avant la question du régime linguistique .
Plus préoccupante est la position défendue actuellement par le gouvernement français qui fait valoir dans les discussions en cours que, si ce contentieux était confié à une juridiction non communautaire, la France aurait une difficulté sérieuse , y compris au stade de la ratification, pour des raisons à la fois juridiques et politiques .
La France avait proposé en 2006 la création d'une juridiction communautaire . Par principe, le ministère de la justice est hostile à la création de toute nouvelle juridiction supranationale et spécifique qui pourrait apparaître comme un démembrement du système juridictionnel. Or les discussions techniques ont mis en évidence que les règles du traité ne permettraient pas la présence de juges spécialisés, pourtant essentielle pour ce contentieux très technique, et supposeraient l'application d'un régime linguistique et de procédures peu adaptés au contentieux spécifique des brevets. En outre, se poserait la question de la participation des États tiers membres de l'Office européen des brevets qui ne font pas partie de l'Union européenne. Un système de règlement des litiges purement communautaire les laisserait de côté. Pour ces motifs, la solution d'une juridiction mixte a été privilégiée.
Le Gouvernement a ensuite envisagé de se satisfaire d'un simple contrôle par la juridiction communautaire, par l'institution d'un pourvoi en cassation devant la Cour de justice. Or, l'Allemagne, la Commission et la plupart des autres pays s'opposent à la proposition française. Ils considèrent que la Cour de justice n'a pas l'expérience et la compétence pour se prononcer sur la validité ou la contrefaçon d'un brevet mais qu'elle doit dire le droit communautaire. C'est donc la voie de la question préjudicielle qui a en définitive été retenue dans le projet de mandat. Ce qui conduit le Gouvernement à indiquer que la France ne pourrait, en l'état, souscrire à ce projet de mandat.
En maintenant cette position, la France apparaît ainsi très isolée au sein du Conseil. Certes, il n'est pas illégitime de soumettre à la Cour de justice les différentes questions juridiques que peut soulever le projet d'accord. Mais l'essentiel est d'assurer que les règles du droit communautaire soient correctement appliquées par la future juridiction unifiée, ce que permettrait le mécanisme de la question préjudicielle . Cette question ne devrait donc pas constituer un motif de blocage de la part de la France.
Il est par ailleurs essentiel de lier la question du système juridictionnel avec celle de la création du brevet communautaire. C'est d'ailleurs la position de nombreux États membres. En particulier, l'Allemagne ne pourrait accepter une perte de compétence sur le règlement des litiges de brevet qui relève actuellement des Länder que si un brevet communautaire était créé. Il faut un titre unitaire qui offre aux entreprises une protection complète de leurs inventions sur l'espace communautaire. C'est bien la position de la Commission européenne qui souhaite mettre en place à la fois le brevet communautaire et le système juridictionnel unifié. Son espoir est d'arriver à un accord sur un texte de compromis à la fin de la présidence suédoise . Mais si l'avis de la Cour de justice n'était rendu que courant 2010, ce qui est probable, il faudrait vraisemblablement patienter jusqu'à la présidence belge qui succédera à la présidence espagnole au deuxième semestre 2010.
Pour ces motifs, la commission des affaires européennes a décidé de proposer au Sénat l'adoption de la proposition de résolution suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Vu l'article 88-4 de la Constitution ;
Vu la recommandation de la Commission au Conseil visant à ouvrir des négociations en vue de l'adoption d'un accord créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets (texte E 4381) ;
Considérant que le système actuel de règlement des litiges en matière de brevets entraîne des contentieux devant des juridictions multiples ; qu'il est ainsi à la fois complexe, coûteux et source d'une très grande insécurité juridique pour les entreprises, tout particulièrement les petites et moyennes entreprises, et pour les inventeurs individuels ; qu'il constitue en conséquence un frein au développement de l'innovation à travers un système de brevet sûr et efficace ;
Considérant que, dans ces conditions, un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets apparaît nécessaire ; que la mise en place d'un tel système doit être lié à la création d'un brevet communautaire qui permettra aux entreprises et aux inventeurs individuels de bénéficier d'une protection complète et uniforme de leurs inventions sur l'ensemble de l'espace communautaire ;
Le Sénat :
Approuve la démarche proposée par la Commission européenne dans sa recommandation ;
Demande, en conséquence, au Gouvernement d'agir dans le sens proposé par la recommandation de la Commission et de veiller à la recherche d'un accord global incluant la mise en place d'un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets et la création d'un brevet communautaire.