Ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté
N°
135
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 décembre 2000
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
présentée en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne la poursuite de l' ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté (n° E-1520),
PRÉSENTÉE
par MM.
Pierre LEFEBVRE, Jean-Yves AUTEXIER, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc
BÉCART, Mme Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Robert BRET, Guy
FISCHER, Thierry FOUCAUD, Gérard
LE CAM, Paul LORIDANT, Mme
Hélène LUC, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme
Odette TERRADE,
Sénateurs.
( Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Union européenne.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis 10 ans, le domaine des services publics subit les assauts de la vague de
libéralisation des économies. Parce qu'il représente sans
doute l'un des enjeux de société les plus importants, parce qu'il
est un terrain où les conceptions mêmes de la notion de service
d'intérêt général, fruits dans certains pays d'une
longue et douloureuse maturation, s'affrontent, on comprend que les services
publics constituent une étape importante de la réalisation du
grand marché unique européen.
Les âpres négociations sur les services dans le cadre du GATT,
puis de l'OMC ne sont certainement pas indifférentes à la
volonté d'ajouter à la libre circulation européenne des
capitaux, des marchandises et des hommes, celles des services. Dans un contexte
d'exacerbation de la concurrence sur fond de mondialisation capitaliste et de
globalisation financière, la pression des grands groupes multinationaux
joue aussi en faveur de la libéralisation des services.
Dans le domaine des services postaux, la transposition dans les juridictions
nationales de la directive 97/67/CE constitue une première étape.
Bien que limitée grâce à la fixation de seuils limites de
poids et de tarifs (respectivement 350 grammes et 5 fois le tarif de base), la
libéralisation n'en demeure pas moins importante et inquiète de
nombreux acteurs de ce secteur et citoyens.
L'initiative de la Commission européenne, par l'entremise du Commissaire
européen, F. Bolkenstein, d'accélérer l'ouverture à
la concurrence des services publics postaux des pays membres par le biais d'une
forte diminution des seuils encadrant le domaine réservé des
opérateurs historiques qui, en France, et c'est la
spécificité française, signifient secteur public, soumet
selon nous, les services postaux à un risque non négligeable
d'éclatement.
Non seulement, cette exacerbation de la concurrence compromet à terme
les missions mêmes dévolues aux services publics dont on sait
combien elles participent de l'aménagement du territoire et de
l'accès de tous à ces prestations mais, elle ne favorise pas les
conditions propres à l'émergence d'un véritable service
public postal européen.
Et le risque est grand que cette précipitation ne se traduise dans les
faits (des exemples, ceux de la Suède et de l'Espagne sont là
pour confirmer sa forte probabilité) par des réductions d'emploi
qui sont déjà trop nombreuses, la multiplication de ses formes
précaires, la détérioration des conditions de travail et
l'impossibilité de répondre aux exigences d'universalité,
de continuité, d'égalité d'accès à des
tarifs abordables.
Car c'était bien pour répondre aux dangers d'une gestion
laissée au seul marché que, outre le rôle de moteur et de
support de l'économie française, le secteur public s'était
vu confier d'importantes missions de service public et de solidarité
sociale.
Confrontés à ces menaces graves contre l'avenir même d'un
service public de la poste, unique de ce nom, les auteurs soumettent cette
proposition de résolution à votre approbation.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le
Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil
modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne la poursuite de l'ouverture
à la concurrence des services postaux de la Communauté, du 30 mai
2000 (COM 2000 319 final / E 1520),
Vu la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15
décembre 1997 concernant des règles communes pour le
développement du marché intérieur des services postaux et
l'amélioration de la qualité du service,
Vu les résolutions du Parlement européen du
14 janvier 1999
et du 18 février 2000 sur les services postaux européens,
Considérant que la transposition a contribué à
l'échelle européenne à une accélération des
opérations de croissance externe, au développement de la
sous-traitance dans le secteur des services postaux ;
Considérant que sur fond d'évolution rapide des technologies de
communication, la multiplication des opérations de croissance externe,
sous forme d'acquisitions ou de partenariats à l'échelle
internationale nuit à la construction d'un service postal
européen ;
Considérant la récente publication de la Commission soulignant
paradoxalement le rôle des services d'intérêt
général en Europe en matière de promotion de la
cohésion sociale et territoriale ;
Considérant pourtant que les missions de service public dévolues
aux postes participent à l'aménagement du territoire en
même temps qu'elles contribuent à l'accès de tous aux
services concernés ;
Considérant que dans un contexte d'accélération du
mouvement de restructuration des services postaux, une ouverture
supplémentaire du domaine réservé des services postaux
à la concurrence ne permettrait plus aux opérateurs historiques
de remplir correctement les missions d'intérêt
général qui leur sont dévolues ;
Considérant que l'emploi est un facteur important d'intégration
sociale ;
Considérant les effets négatifs en termes de réduction
d'emplois dans les pays ayant procédé à une
libéralisation totale de leurs services postaux (Espagne,
Suède) ;
Considérant que, dans le contexte actuel de
déréglementation sociale, le transfert à une gestion
privée des activités appartenant au domaine réservé
des opérateurs historiques peut conduire à une
précarisation de l'emploi préjudiciable à la
cohésion sociale ;
Considérant l'insuffisance d'une base statistique permettant
d'évaluer les performances économiques réelles des
secteurs postaux dans les pays ayant procédé à l'ouverture
à la concurrence de leurs services postaux ;
Considérant que les innovations technologiques dans le domaine des
communications permettent à la poste d'offrir de nouveaux services aux
usagers dans le respect des principes de base qui fondent la notion même
de service public au bénéfice de l'intérêt
général ;
Considérant que l'Europe doit aussi être un espace
démocratique où la controverse ait droit de cité et
où les différents points de vue exprimés par les
syndicats, associations soient non seulement pris en compte mais aient aussi
leur traduction dans les directives européennes ;
Considérant comme inadaptée, la volonté de la Commission
européenne de mettre en oeuvre un fonds de compensation susceptible de
" compenser les éventuelles pertes de recettes sur les services
réservés que pourrait subir le prestataire de service universel
et qui pourraient l'empêcher de couvrir le coût de l'obligation de
service universel qu'il assume " (directive 97/67/CE) alors qu'une
réelle réflexion quant à son applicabilité n'a pas
eu lieu ;
Considérant que la Commission propose, dans le document COM (2000) 319
final du 30 mai 2000, notamment :
- de diminuer les limites de poids et de prix caractérisant le domaine
réservé aux prestataires du service universel, en le portant de
350 grammes à 50 grammes, et de 5 fois à 2,5 fois le tarif de
base,
- de laisser la possibilité aux Etats membres de réserver le
publipostage dans ces limites,
- de libéraliser entièrement le courrier transfrontière
sortant et les services de courrier express,
- d'interdire le financement de services universels non réservés
par des recettes provenant de services universels réservés, sauf
dans la mesure où une telle subvention croisée s'avère
absolument indispensable à l'accomplissement des obligations de service
universel spécifiques liées au domaine concurrentiel,
- de prolonger l'application de la directive 97/67/CE jusqu'au 31
décembre 2006, au lieu du 31 décembre 2004,
- d'envisager une transposition de cette directive par les pays membres au plus
tard le 31 décembre 2002.
Réaffirme son attachement au service public d'intérêt
général qui, fondé sur les principes
d'universalité, d'égalité et de continuité, permet
l'accès de tous à un ensemble de droits sociaux ;
Affirme que la généralisation des rapports marchands dans le
domaine des services postaux peut remettre en cause la qualité des
missions de service public qui leur sont dévolues ;
Fait remarquer que le principe de péréquation financière,
mécanisme financier simple, permet d'assurer des prestations de
qualité, à des prix abordables et en tout point du
territoire ; et qu'il relève en cela d'une logique de
solidarité sociale échappant aux seuls critères
privés de la rentabilité financière ;
Affirme que la présence dans les zones rurales de réseaux de
postes constitue un facteur d'aménagement du territoire et
d'intégration sociale ;
Refuse la mise en place d'un fonds de compensation ;
Exige que la Commission se préoccupe de l'impact en terme d'emploi et
d'intégration sociale de la libéralisation des services postaux
consécutive à la transposition de la nouvelle directive ;
Regrette qu'aucune étude n'ait été réalisée
quant à l'impact sur les tarifs de l'ouverture à la concurrence
des services postaux ;
Demande en conséquence qu'un bilan public, officiel et précis,
permettant d'évaluer les effets sur les tarifs et sur l'emploi de la
libéralisation des services postaux soit mené dans les plus brefs
délais au sein des pays qui ont libéralisé leur service
postal ;
Souhaite qu'une véritable réflexion soit menée sur la
possibilité d'accords de coopération intracommunautaire dans le
secteur des services postaux à l'instar de ce qui s'est
réalisé dans d'autres secteurs ; dans le domaine des
transports européens, de tels accords conclus entre plusieurs pays de
l'Union ont prouvé leur viabilité et leur efficacité
économique ;
Regrette que la Commission n'ait pas réellement tenu compte des
réflexions et propositions des différents partenaires sociaux
lors de l'élaboration de sa proposition de directive ;
Refuse la fragmentation des services postaux en deux secteurs, l'un relevant de
la gestion privée et concernant les nouvelles techniques de
communication, l'autre public assumant le transport du courrier classique ;
Refuse la réduction du domaine réservé par la diminution
des poids et tarifs limites en deçà des seuils de 350 grammes et
de
5 fois le tarif de base.
Demande que la nouvelle proposition de la Commission européenne soit
donc
ex post
l'occasion de la mise en place d'un véritable
débat contradictoire et qu'il soit tenu compte des réflexions des
partenaires sociaux en conformité avec un processus
démocratique ;
Demande en conséquence au gouvernement français de rejeter la
présente proposition de directive (COM [2000] 319 final/
E
1520).