N°489
SENAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 30 juin 1999. Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 septembre 1999.
PROPOSITION DE LOI
relative à l'amélioration du recouvrement des créances des salariés en cas de défaillance de leur entreprise,
PRÉSENTÉE
Par Mme Marie-Claude BEAUDEAU, MM. Guy FISCHER, Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Robert BRET, Michel DUFFOUR, Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Entreprises. -Assurances - Faillite et règlement judiciaire - Code du travail.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Les employeurs du secteur privé en France ont l'obligation de cotiser à l'Assurance garantie des salaires (AGS) pour leurs salariés afin que soit garanti à ces derniers le paiement de leurs salaires, frais et indemnisations en cas de redressement ou de liquidation judiciaire de l'entreprise, conformément à l'article L. 143-11-1 du code du travail.
Par ailleurs, la mondialisation de l'économie favorise les concentrations et le développement d'entreprises multinationales. Ce contexte économique international s'accompagne d'une progression des défaillances d'entreprises en Europe et dans le monde qui met en évidence les lacunes tant du droit communautaire que des droits nationaux du travail.
C'est notamment le cas de la France.
Ainsi, des salariés d'un employeur étranger mais travaillant sur le territoire national avec un contrat de travail, bénéficiant souvent même des dispositions d'une convention collective et possédant des bulletins de salaires prouvant que leur employeur a bien cotisé à l'AGS ne peuvent obtenir le recouvrement de leurs salaires car l'AGS, dont la thèse a été confirmée par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation en date du 20 janvier 1998, estime qu'elle n'a pas à. intervenir dans la mesure où la défaillance de l'entreprise a eu lieu à l'étranger et a été constatée par un tribunal étranger.
Il y a donc là un paradoxe choquant qui aboutit à un déni de justice pour les salariés concernés : les employeurs étrangers qui exercent au moins une partie de leur activité en France ont l'obligation de verser des cotisations à l'AGS en vertu de l'article L. 143-11-1 du code du travail mais leurs salariés, en cas de faillite, ou de liquidation judiciaire, ne sont pas couverts par l'AGS si le constat de la défaillance de l'entreprise a été fait hors du territoire national.
S'ils veulent donc obtenir le remboursement de leurs créances salariales, les salariés concernés doivent entreprendre des actions judiciaires dans le pays où la défaillance de l'entreprise a été prononcée, s'ils adhèrent au raisonnement de l'AGS, confirmé par l'arrêt précité de la Cour de Cassation du 20 janvier 1998, qui se fondait également sur un arrêt du 17 septembre 1997 de la Cour de Justice des Communautés. On peut, d'ailleurs, mentionner que si l'AGS refuse d'indemniser les salariés dans ce cas précis, elle se propose, en revanche, de rembourser à l'entreprise ses cotisations.
Outre que ce serait une procédure longue et coûteuse pour des salariés qui ne sont pas familiarisés avec les droits étrangers et qui ne cherchent qu'à récupérer une créance salariale qui, par définition, a un caractère alimentaire, il convient de rappeler que l'indemnisation pourrait être moins favorable dans l'Etat considéré, notamment pour les cadres, et même que certains pays n'accepteraient pas une telle requête.
En effet, au sein de l'Union européenne, deux écoles juridiques s'opposent sur ce point, celle des pays comme la France, le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède qui estiment que c'est au pays où est prononcée la défaillance de l'entreprise d'indemniser les salariés quel que soit le lieu où ils étaient employés et celle des pays, comme l'Allemagne, qui considèrent que le droit applicable est celui du pays où est employé le salarié.
Il peut donc y avoir des conflits de compétence négatifs, c'est-à-dire qu'aucun pays ne s'estimera compétent pour l'indemnisation des salariés dont l'entreprise a fait faillite.
Et si le règlement communautaire n° 1408/71 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté prévoit bien au a) du 2 de son article 13 que « la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat, même si elle réside sur le territoire d'un autre Etat membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre Etat membre », en revanche, la directive n° 80/987/CEE du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des Etats membres et relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur a omis le cas des salariés d'un Etat membre dont l'employeur a fait faillite dans un autre Etat membre et n'a donc pas tranché entre les deux écoles juridiques afin de supprimer les dénis de justice.
Un texte complétant cette directive serait, bien évidemment, la formule la plus adéquate pour apporter une solution durable au problème qui vient d'être exposé.
Toutefois, même si un groupe d'experts animé par la Commission européenne a été mis en place pour réfléchir sur ce point en septembre 1997, aucune proposition de modification de cette directive n'a été formulée à ce jour et il ne semble pas qu'il faille attendre cette modification, compte tenu de la difficulté d'obtenir l'accord des Etats membres, avant la fin de l'an 2000.
En attendant cette réforme, la représentation nationale ne peut se désintéresser de ce problème qui empêche des salariés de plus en plus
nombreux de récupérer le simple fruit de leur travail.
C'est pourquoi nous vous proposons de modifier l'article L. 143-11-1 du code du travail afin que soient indemnisés par l'AGS, les salariés, quel que soit le lieu où est prononcée la défaillance de l'entreprise.
Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de loi suivante.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Les trois premiers alinéas de l'article L. 143-11-1 du code du travail sont ainsi rédigés :
« Tout employeur ayant la qualité de commerçant, d'artisan, d'agriculteur ou de personne morale de droit privé et occupant un ou plusieurs salariés doit assurer ceux-ci, qu'ils soient employés sur le territoire français ou qu'ils soient détachés à l'étranger ou expatriés conformément à l'article L. 351-4, contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement, de liquidation judiciaire ou d'une autre procédure assimilable à l'une ou l'autre de celles-ci, qu'elle ait été prononcée par un tribunal français ou étranger, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail.
« L'assurance couvre :
« 1° Les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ou d'une autre procédure assimilable à l'une ou l'autre de celles-ci. »