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N° 414

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 10 juin 1996.

PROPOSITION DE LOI

tendant à renforcer le dispositif pénal à l'encontre des associations ou groupement à caractère sectaire qui constituent, par leurs agissements délictueux, un trouble à l'ordre public ou un péril majeur pour la personne humaine ou la sûreté de l'État,

PRÉSENTÉE

Par MM. Nicolas ABOUT, Régis PLOTON, Joël BOURDIN, Jean-Paul ÉMIN, Jean PÉPIN, Jean-Claude Carle, Guy POIRIEUX, Didier BOROTRA, Jean-Paul HUGOT, Martial TAUGOURDEAU, Mme Paulette BRISEPIERRE, MM. Louis-Fredinand de ROCCA SERRA, Alfred FOY, Philippe MARINI, Jacques DELONG, Roger HUSSON, James BORDAS, Yann GAILLARD, Robert CALMEJANE, René-Georges LAURIN, Jean BOYER, Serge FRANCHIS, Maurice SCHUMANN, Pierre LAGOURGUE, André MAMAN, Daniel MILLAUD, Paul d'ORNANO, Serge MATHIEU, Louis MOINARD, Gérard LARCHER, Jean DELANEAU, Bernard BARBIER, Daniel ECKENSPIELLER, Kléber MALÉCOT, Charles-Henri de COSSÉ-BRISSAC, Paul MASSON, Roland du LUART, Alain JOYANDET, Roger BESSE, Charles DESCOURS, François TRUCY, Jean-PAUL AMOUDRY, Louis MERCIER, Gérard BRAUN, Roger RIGAUDIÈRE, François MATHIEU, Jean-Pierre SCHOSTECK, Henri de RAINCOURT, Louis SOUVET, Marcel DENEUX, Marcel-Pierre CLÉACH, Jean BERNARD, Paul GIROD, Christian BONNET, Pierre JEAMBRUN, Bernard SEILLIER, Maurice LOMBARD. Bernard PLASAIT, André VALLET et Edmond LAURET,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlements.

Droits de l'homme et libertés publiques . - Contrat d'association - Droit pénal - Code pénal.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES. MESSIEURS,

Depuis quelques années, on assiste en France à l'aggravation inquiétante du phénomène sectaire. Si l'on en croit les chiffres révélés par le dernier rapport parlementaire sur les sectes en France, la progression enregistrée sur treize ans serait de 60 % pour le nombre d'adeptes et de 100 % pour le nombre de sympathisants. Ainsi, 300 000 de nos concitoyens sont désormais engagés dans ce type de mouvements, pour le meilleur, et hélas ! bien souvent pour le pire.

Fait plus grave encore, cette prolifération s'est accompagnée, à l'approche de l'an 2000. d'une radicalisation des sectes dites apocalyptiques ou millénaristes. Nous gardons tous en mémoire les « suicides collectifs », ou prétendus tels, du Guyana et, plus récemment, des Davidsoniens de Waco au Texas ou ceux de l'Ordre du temple solaire au Canada, en Suisse et en France. Non contentes d'embrigader derrière elles des milliers de personnes, adultes et enfants confondus, qu'elles exploitent par l'esclavage ou la prostitution, dont elles abusent financièrement ou qu'elles persécutent physiquement, les sectes menacent aujourd'hui l'ensemble de la population de leur folie meurtrière.

Face à ces agissements, notre droit français semble bien impuissant et inefficace. Sans revenir sur les raisons historiques qui ont conduit l'État à se détourner de ce qui, à ses yeux, ne relevait que de la liberté de conscience individuelle, il faut bien constater qu'aujourd'hui la menace sectaire est entrée avec fracas dans le domaine public, comme en témoignent les attentats au gaz sarin perpétrés à Tokyo par la secte Aoum et qui ont fait, rappelons-le, plus de onze morts et 5 000 blessés.

Sans remettre en cause un instant les principes fondamentaux de liberté de croyance et d'association qui forment les piliers de notre République, la proposition de loi qui vous est présentée ci-dessous vise à renforcer notre dispositif pénal pour permettre aux juges de condamner plus fermement les agissements délictueux des mouvements à caractère sectaire, lorsqu'ils attentent de façon grave et répétée à la loi. et menacent ainsi l'intégrité de l'État et de nos concitoyens. Certes, il n'est pas aisé de définir juridiquement une secte, ni d'établir une juridiction antisectes. Pour autant, cette difficulté ne doit pas nous faire renoncer à légiférer ou a protéger efficacement la société et les citoyens. Nous pouvons nous prémunir des sectes en nous référant aux comportements illégaux et délictueux dont elles se rendent coupables. C'est précisément l'ambition de cette proposition de loi. C'est aussi notre devoir.

I - Assimiler les sectes

à des groupes de combat et des milices privées.

La loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées permet au président de la République de dissoudre tout groupement qui, en organisant des manifestations armées dans les rues ou en incitant à la discrimination, a la haine ou la violence, met en danger la légalité républicaine et la sécurité de l'État. Modifiée à plusieurs reprises, cette loi s'est peu a peu étendue à l'ensemble des groupements de fait menaçant l'État, notamment par des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme (loi du 9 septembre 1986).

Dans la mesure où certaines sectes prônent un discours antisocial, rendent coupables de multiples délits à l'encontre du fisc, de l'administration et des individus, provoquent des troubles à l'ordre public, menacent l'intégrité de l'État et des citoyens, en se montrant capables de commettre des massacres organisés ou de véritables actes de terrorisme, cette proposition de loi vise à étendre les pouvoirs de dissolution du président de la République aux sectes dangereuses, en assimilant ces dernières à des groupes de combat et des milices privées. Cette disposition permet ainsi de soumettre les sectes délictueuses au même régime pénal que les groupes terroristes, notamment en cas de maintien ou de reconstitution.

Afin d'éviter toute dérive arbitraire, la dangerosité des sectes est établie en fonction des condamnations déjà prononcées contre elles (l'énumération de ces condamnations s'inspire directement de la liste des principaux délits commis par les sectes, établie par le rapport Guyard 1996).

II - Renforcer les modalités de dissolution

des associations loi 1901 et les sanctions pénales

en cas de maintien ou de reconstitution.

Comme nous le savons, la législation française est particulièrement libérale en matière de contrôle des associations loi 1901. Dans le respect du droit fondamental de réunion et d'association, elle a ainsi créé un vaste espace de liberté, peu réglementé, où les sectes ont pu s'engouffrer. Fondues dans la masse des associations déclarées, elles échappent très facilement au contrôle de l'État, qu'il soit fiscal ou judiciaire. L'article 7 de la loi du 1 er juillet 1901 prévoit pourtant des modalités de dissolution des associations fondées « sur une cause illicite, contraire aux lois ou aux bonnes moeurs » mais, en raison de son imprécision, il est très peu utilisé par les juges.

Il convient donc de renforcer les modalités de dissolution des associations loi 1901 et surtout de les assortir, sur le plan pénal, de sanctions fermes et dissuasives pour empêcher leur maintien ou leur reconstitution. Les sectes se caractérisent, en effet, par une déconcertante capacité à disparaître un jour, sous la pression des sanctions judiciaires, et à se reconstituer le lendemain, sous un autre nom ou sous une autre forme. S'inspirant là encore des lois antiterroristes, une disposition doit permettre d'appliquer la même peine prévue dans le nouveau code pénal, en cas de reconstitution d'un groupe de combat : en l'occurrence, trois ans d'emprisonnement et 300 000 F d'amende.

III. - Permettre aux associations de défense de la famille

et de l'individu contre les sectes

de se porter partie civile dans les procès.

Parce qu'ils ont subi de graves traumatismes (matériels et psychologiques) dont ils ne sont pas toujours sortis, il est très difficile pour les ex-adeptes des sectes de porter plainte auprès de la justice et d'affronter seuls des organisations sectaires, souvent très aguerries à ce type d'exercice. Il est aujourd'hui indispensable de permettre aux associations de défense de la famille et de l'individu (U.N.A.D.F.I., C.C.M.M.) de leur venir en aide, en se portant partie civile dans les procès, comme c'est déjà le cas pour les associations de lutte contre le racisme, de défense de l'enfance martyrisée ou de protection des animaux.

Il convient donc de compléter l'article 2 du code de procédure pénale par un nouvel alinéa. Cette mesure devra bien sûr être accompagnée d'un décret pris en Conseil d'État pour que ces associations soient préalablement reconnues d'utilité publique.

*

* *

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er .

Il est inséré, avant le dernier alinéa de l'article premier de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, un alinéa ainsi rédigé :

« 7° Ou qui, condamnés à plusieurs reprises en application des articles 221-1 à 221-5. 222-1 à 222-18, 223-3 à 223-7, 224-1 à 224-5, 226-1 à 226-7, 226-10 à 226-12, 227-1 à 227-30 du nouveau code pénal, pour pratique illégale de la médecine, pour fraude fiscale, pour escroquerie, tromperie ou abus de confiance, pour violation du code du travail ou du code de la sécurité sociale, constitueraient un trouble à l'ordre public ou un péril majeur pour la personne humaine ou la sûreté de l'état. »

Art. 2.

Dans l'article 3 de la loi du 1 er juillet 1901 relative au contrat d'association, après les mots : « qui aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité », sont insérés les mots : « de la personne humaine ou ».

Art. 3.

Dans le premier alinéa de l'article 431-15 du nouveau code pénal, après les mots : « d'une association ou d'un groupement dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées », sont insérés les mots : « ou de l'article 7 de la loi du 1 er juillet 1901 relative au contrat d'association ».

Art. 4.

Il est inséré, dans le code de procédure pénale, un article 2-16 ainsi rédigé :

« Art. 2-16. - Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits qui se propose, par ses statuts, de défendre l'individu et la famille contre les dérives sectaires de certaines associations ou groupements de fait et d'assister les victimes de telles dérives peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les délits prévus aux articles 221-1 à 221-5, 222-1 à 222-18, 223-3 à 223-7, 224-1 à 224-5, 226-1 à 226-7, 226-10 à 226-12, 227-1 à 227-30 du nouveau code pénal, pour pratique illégale de la médecine, pour fraude fiscale, pour escroquerie, tromperie ou abus de confiance, pour violation du code du travail ou du code de la sécurité sociale, pour trouble à l'ordre public. »

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