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N° 353
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 février 2019 |
PROPOSITION DE LOI
visant à clarifier les modalités de fonctionnement et de rétribution de la haute administration publique de l' État ,
PRÉSENTÉE
Par M. Pierre-Yves COLLOMBAT, Mmes Éliane ASSASSI, Cathy APOURCEAU-POLY, Esther BENBASSA, M. Éric BOCQUET, Mmes Céline BRULIN, Laurence COHEN, Cécile CUKIERMAN, MM. Fabien GAY, Guillaume GONTARD, Mmes Michelle GRÉAUME, Marie-Noëlle LIENEMANN, MM. Pierre LAURENT, Pierre OUZOULIAS, Mme Christine PRUNAUD et M. Pascal SAVOLDELLI,
Sénatrices et Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La défiance des Français envers les institutions, le personnel politique et tout ce qui touche à l'exercice du pouvoir va croissant. Longtemps circonscrite au domaine électoral (absentéisme et « dégagisme »), elle s'exprime désormais dans la rue, à la recherche de moyens d'expression inédits.
Au coeur de ce profond malaise, l'impression de l'impuissance du suffrage et d'un blocage total du système politique. Les majorités parlementaires, les gouvernants peuvent changer, sur l'essentiel les choix politiques restent les mêmes. Seuls varient leur vitesse de mise en application et le doigté dans leur mise en oeuvre.
À ce sentiment d'impuissance se surajoute celui que le pouvoir réel n'appartient plus à ceux auxquels il est censé avoir été dévolu par les urnes, mais à une oligarchie tout à la fois politique, administrative, financière et économique, une oligarchie prébendière aux contours flous mais toute puissante. Un sentiment que la chronique médiatique nourrit en continu : fuite de hauts responsables administratifs vers la gestion et la défense d'intérêts privés ou inversement, nomination d'anciens gestionnaires de ces mêmes intérêts privés à de hautes fonctions publiques, reclassements avantageux de collaborateurs d'exécutifs sur le départ, « révélations » sur les revenus plus que confortables de responsables publics par ailleurs prêcheurs d'austérité salariale pour le plus grand nombre et de ponctions budgétaires etc.
C'est ce constat inquiétant qui est à l'origine de la « commission d'enquête sénatoriale sur les mutations de la Haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République » dont le rapport a été rendu public le 4 octobre 2018 1 ( * ) .
La présente proposition de loi est directement issue de ses travaux, de ses préconisations et analyses.
Conscients d'aborder, sinon une « terra incognita », a minima un domaine largement protégé des regards indiscrets du public, des parlementaires comme de la recherche universitaire, à l'abri du vent réformiste qui souffle partout ailleurs, les auteurs de la proposition de loi ont volontairement limité son champ d'application à certains hauts fonctionnaires ou assimilés (article 1 er ) ainsi qu'à quelques urgences : transparence en matière de rémunérations et de nominations, réduction des pratiques les plus susceptibles de dévoyer les institutions.
- Transparence des rémunérations (article 2) ;
- Contrôle effectif des mises en disponibilité pour convenance personnelle, de l'exécution des réserves pendant le temps de la disponibilité et lors du retour au sein de l'administration publique ; limitation à une fois trois ans des mises en disponibilité pour convenance personnelle pour occuper une fonction dans le privé, ce qui signifie une réduction drastique du « pantouflage » (article 3) ;
- Définition plus précise de la situation de « conflit d'intérêts » (article 4) ;
- Extension du champ du délit de prise illégale d'intérêts à un secteur d'activité (article 5) ; allongement du délai au terme duquel peut être exercée une fonction de contrôle ou de régulation relevant de la sphère publique après exercice d'une activité privée (article 6) ;
- Réforme de l'École nationale d'administration (ENA) (article 7) et de l'accès aux grands corps administratifs afin d'éviter la formation d'une oligarchie de mutants, successivement hauts fonctionnaires, acteurs politiques et/ou économiques selon un ordre et des modalités diverses (article 8) ;
- Institution d'un délai obligatoire entre participation à un cabinet présidentiel ou ministériel et nomination, au tour extérieur, dans un grand corps administratif (article 9) ;
- Extension au secrétaire général du Gouvernement de la procédure de nomination prévue à l'article 13 (alinéa 5) de la Constitution (article 10) ;
- Incompatibilité entre la fonction de secrétaire général du Conseil constitutionnel et appartenance au Conseil d'État, pour assurer l'indépendance du Conseil constitutionnel par rapport à toute autre instance administrative de jugement (article 11) ;
- Suppression de la possibilité de bénéficier des avantages du statut de la fonction publique (avancement, droits à la retraite) tout en exerçant une activité privée (article 12).
Proposition de loi visant à clarifier les modalités de fonctionnement et de rétribution de la haute administration publique de l'État
Article 1 er
Sont soumis aux dispositions de la présente loi, les membres, en activité, détachés ou mis à disposition, des corps du Conseil d'État, de la Cour des comptes, de l'Inspection des finances, de l'Inspection générale de l'administration, de l'Inspection générale des affaires sociales ; des administrateurs civils, des ingénieurs des mines, des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts, des administrateurs de l'Institut national de la statistique et des études économiques, des ingénieurs de l'armement, des corps diplomatique et préfectoral.
Y sont par ailleurs soumis :
- les directeurs du ministère des finances, de l'économie, de l'industrie, de la santé qui n'appartiendraient pas aux corps précédemment cités ;
- les secrétaires généraux et directeurs généraux des deux assemblées parlementaires ;
- les cadres dirigeants des organismes publics : entreprises, autorités administratives, agences et établissements publics ;
- les cadres dirigeants de la Banque de France, de la Caisse des dépôts et consignations, de la Banque publique d'investissement.
Article 2
Le montant des rémunérations (salaires, primes, émoluments annexes), de plus de 120 000 € brut par an, des personnes concernées par la loi, est publié chaque année, sous la responsabilité du Gouvernement. Les chambres parlementaires sont destinataires de cette publication.
Article 3
Les mises en disponibilité pour convenance personnelle afin d'occuper un poste dans le privé sont soumises à l'avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Les demandes sont transmises avec les avis du directeur de l'administration d'origine et du chef de corps. Elles sont instruites par une section spéciale de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Les attendus de ses avis sont publiés. En cas d'avis négatif, les demandes peuvent faire l'objet d'un recours gracieux. En cas de maintien de l'avis, la décision finale, publiée avec ses attendus, appartient au ministre concerné.
En cas de réserves, la demande fait l'objet d'une nouvelle instruction après communication par le directeur de l'administration d'origine et le chef de corps des dispositions qu'ils entendent prendre annuellement, pour vérifier le respect de ces réserves dans l'exercice du nouveau poste occupé.
Lors du retour de l'intéressé au sein de l'administration, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, obligatoirement saisie par l'administration concernée, émet un avis sur le choix du poste qu'elle entend affecter à l'intéressé, au regard des risques conflits d'intérêts.
La mise en disponibilité pour convenance personnelle afin d'occuper un poste dans le privé est limitée à une fois trois ans.
Article 4
Le premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est ainsi rédigé :
« Au sens de la présente loi, constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction. »
Article 5
Le premier alinéa de l'article 432-13 du code pénal est ainsi rédigé :
« Est puni de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que membre du Gouvernement, membre d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante, titulaire d'une fonction exécutive locale, fonctionnaire, militaire ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle des entreprises privées d'un secteur d'activité, soit de conclure des contrats de toute nature, de formuler un avis sur de tels contrats, de proposer directement à l'autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par des entreprise privées de ce secteur ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une des entreprises de ce secteur d'activité avant l'expiration d'un délai de cinq ans suivant la cessation de ces fonctions. »
Article 6
L'article 432-13 du code pénal est complété par un II ainsi rédigé :
II. - Est puni de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait, par une personne ayant été chargée de fonctions de direction dans un secteur d'activité ou de défense des intérêts de ce secteur d'exercer des fonctions de contrôle ou de régulation concernant ce secteur d'activité au sein de l'administration publique ou d'une autorité administrative indépendante avant un délai de cinq ans suivant la cessation de l'activité privée.
Article 7
La mission de l'École nationale d'administration est le recrutement des administrateurs civils de l'État.
La scolarité est de deux ans dont six mois de stages en responsabilité à la fin de la formation.
À l'issu de la formation, les administrateurs civils sont affectés dans les différents ministères selon les besoins.
Article 8
Il est créé un « Institut des hautes études administratives » en charge de la formation des fonctionnaires du Conseil d'État, de la Cour des comptes, de l'Inspection générale des finances, de l'Inspection générale de l'administration et de l'Inspection générale des affaires sociales. Cette formation dure 1 an.
Les promotions sont composées par moitié d'anciens élèves de l'École nationale d'administration après 4 ans au moins de pratique professionnelle et d'agents des autres corps ayant au moins 8 ans de pratique professionnelle.
Article 9
La nomination au tour extérieur des membres du Conseil d'État, de la Cour des comptes, de l'Inspection générale des finances, de l'Inspection générale de l'administration, de l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale de l'Éducation nationale ne peut intervenir que deux ans au moins après la participation à un cabinet présidentiel ou ministériel.
Article 10
La nomination du secrétaire général du Gouvernement fait l'objet d'un avis des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Article 11
Le poste de secrétaire général du Conseil constitutionnel ne peut être exercé par un membre du Conseil d'État.
Article 12
Les articles 108 à 110 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel sont abrogés.
* 1 Rapport n° 16 (2018-2019) de M. Pierre-Yves COLLOMBAT, fait au nom de la commission d'enquête sur les mutations de la Haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République. Ce rapport est disponible aux adresses : http://www.senat.fr/notice-rapport/2018/r18-016-1-notice.html (volume 1) et http://www.senat.fr/notice-rapport/2018/r18-016-2-notice.html (volume 2).