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N° 610 rectifié

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juillet 2017

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

visant à améliorer la qualité des études d' impact des projets de loi ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Franck MONTAUGÉ, Didier GUILLAUME, Claude BÉRIT-DÉBAT, Mme Maryvonne BLONDIN, MM. Yannick BOTREL, Martial BOURQUIN, Henri CABANEL, Pierre CAMANI, Jean-Louis CARRÈRE, Roland COURTEAU, Marc DAUNIS, Jérôme DURAIN, Alain DURAN, Mme Frédérique ESPAGNAC, M. Éric JEANSANNETAS, Mme Gisèle JOURDA, MM. Georges LABAZÉE, Bernard LALANDE, Mmes Claudine LEPAGE, Marie-Noëlle LIENEMANN, MM. Jean-Jacques LOZACH, Christian MANABLE, Didier MARIE, Mme Marie-Pierre MONIER, M. Alain NÉRI, Mme Marie-Françoise PEROL-DUMONT, M. Claude RAYNAL, Mme Sylvie ROBERT, MM. Jean-Yves ROUX, Jean-Pierre SUEUR, Mme Nelly TOCQUEVILLE, MM. Jean-Louis TOURENNE, Yannick VAUGRENARD et les membres du groupe socialiste et républicain,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

I- Mesurer et prendre en compte le bien-être des populations : une « ardente obligation ».

« Il est temps que notre système statistique mette davantage l'accent sur la mesure du bien-être de la population que sur celle de la production économique, et il convient de surcroît que ces mesures du bien-être soient resituées dans un contexte de soutenabilité »

Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, 2009.

En 1987, la commission mondiale sur l'environnement et le développement de l'organisation des Nations unies publiait un rapport au nom évocateur Notre avenir à tous 1 ( * ) . Ce rapport proposait pour la première fois une définition du développement durable ou soutenable ( sustainable ) : « le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs . Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis , à qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir » .

Le développement durable répondait à une double exigence, celle de préserver sur le long terme l'environnement et celle de réduire les inégalités.

Plusieurs implications immédiates et simultanées en découlaient.

En premier lieu la croissance économique ne pouvait plus être considérée d'entrée de jeu comme garante de l'amélioration du bien-être des générations présentes et futures et qu'elle pouvait, de surplus, se traduire par une montée des inégalités 2 ( * ) .

En second lieu, le produit intérieur brut (PIB) qui s'était imposé depuis l'après seconde guerre mondiale comme l'indicateur clé du progrès économique et social perdait de sa pertinence. La croissance économique, mesurée en points de PIB en plus n'était plus forcément le signe d'une amélioration des performances économiques et du progrès social. De nouveaux indicateurs de développement, alternatifs ou complémentaires au PIB devenaient nécessaires pour mesurer non seulement le bien-être présent mais aussi sa soutenabilité, c'est-à-dire sa capacité à se maintenir dans le temps.

De tels indicateurs susceptibles de remettre en cause la centralité du PIB dans nos systèmes de mesure se sont développés dans la foulée du rapport BRUNTLAND : des indicateurs de développement humain (celui du programme des Nations Unies pour le développement) ; de santé sociale ; d'inégalités et de pauvreté ; de sécurité personnelle ; des indicateurs environnementaux (PIB vert, empreinte carbone...).

Mais si la production de nouveaux indicateurs a été considérable dans tous les domaines, économiques, sociaux, environnementaux, culturels... leur utilisation à des fins d'action publique ou de pilotage des politiques publiques est néanmoins restée limitée, presque comme si ce foisonnement ne pouvait faire sens politique et parvenir à détrôner le PIB de son statut symbolique d'incarnation du progrès économique et social - notamment dans les médias -, ou comme outil d'évaluation des politiques publiques par les gouvernements.

Il a fallu qu'éclate, aux États-Unis en 2007-2008, une violente crise financière se propageant rapidement à l'ensemble des marchés financiers de la planète et générant dans de nombreux pays de graves récessions pour que l'on questionne à nouveau nos instruments de mesure et la nature de cette croissance qui avait porté en elle les germes d'une crise systémique d'une ampleur inégalée depuis la crise des années trente.

À cet égard, les travaux de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi (SSF) mise en place à la demande du Président de la République, Nicolas SARKOZY en 2008 constituèrent une critique radicale à l'encontre du PIB comme instrument de mesure central de « la richesse » des nations. Certains membres de la commission estimèrent « que l'une des raisons pour lesquelles cette crise avait pris de nombreuses personnes au dépourvu tenait au fait que notre système de mesure avait fait défaut et/ou que les acteurs des marchés et les responsables publics ne s'étaient pas attachés aux bons indicateurs statistiques . À leurs yeux, ni la comptabilité privée ni la comptabilité publique n'avaient été en mesure de jouer un rôle d'alerte précoce : ils n'avaient pu nous avertir à temps de ce que les performances apparemment brillantes de l'économie mondiale en termes de croissance entre 2004 et 2007 pouvaient être obtenues au détriment de la croissance à venir. Il est clair également que ces performances tenaient en partie à un « mirage », à des profits reposant sur des prix dont la hausse était due à une bulle spéculative ».

Et de poursuivre que « si nous avions été plus conscients des limites des mesures classiques comme le PIB, l'euphorie liée aux performances économiques des années d'avant la crise aurait été moindre, et que des outils de mesure intégrant des évaluations de soutenabilité (endettement privé croissant, par exemple) nous auraient donné une vision plus prudente de ces performances. Cela dit, beaucoup de pays manquent d'un ensemble complet et à jour de comptes de patrimoine - de « bilans » de l'économie - susceptibles de fournir un tableau global de l'actif et du passif des grands acteurs économiques ».

Les travaux de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi ont débouché sur plusieurs recommandations dont notamment la nécessité de mieux prendre en compte les inégalités en accordant davantage d'importance à la répartition des revenus, de la consommation et des richesses ; de mieux mesurer la qualité de la vie qui « dépend des conditions objectives dans lesquelles se trouvent les personnes et leurs capabilités (capacités dynamiques) » et enfin de mieux mesurer la soutenabilité en prenant en compte le patrimoine et non seulement les revenus et la consommation .

Le caractère soutenable de la croissance dépend en effet de sa capacité à transmettre aux générations futures un patrimoine national capable d'assurer la couverture de leurs besoins et de garantir sur le long terme leur bien-être. Ce qui suppose de pouvoir évaluer le patrimoine national en recensant les divers types de capitaux ou d'actifs qui le composent et les flux dans ces stocks (flux d'investissement et mais aussi les flux d'épuisement) :

- le capital économique privé et public composé du capital productif (machines, bâtiments, technologies, des infrastructures, etc.) ;

- le capital humain qui renvoie au niveau d'éducation de la société, aux compétences, aux niveaux de formation et de qualification du travail, etc.

- le capital social qui est un actif intangible mesurant la qualité des institutions et des rapports sociaux (degré de confiance entre individus), la culture, le mode d'organisation de la société... Il s'agit d'un indicateur permettant de mesurer le degré de cohésion de la société ;

- le capital naturel composé des ressources naturelles (les énergies fossiles, l'eau, les terres, etc.) et l'ensemble des écosystèmes.

Certains économistes ajoutent encore à ce bilan patrimonial de la nation, un actif intangible comme la démocratie 3 ( * ) .

Au passif du bilan patrimonial de la nation figure la dette publique et la dette privée.

Pour Jean-Paul FITOUSSI, disposer d'un tel bilan patrimonial de la nation permet d'éclairer les choix politiques, notamment les choix budgétaires. Ainsi, mener des politiques très restrictives afin de réduire la dette publique d'un ou de plusieurs points de PIB conduit à détruire du capital économique public et privé, du capital humain, du capital social et du capital environnemental car l'on ne se donne plus les moyens d'entretenir, de renouveler le capital économique public et privé 4 ( * ) , le capital humain, le capital social ni même de préserver et de réparer la nature. De telles politiques menées pour rendre plus riches les français conduisent au contraire à leur appauvrissement. La forte montée du chômage, notamment des jeunes, rend compte de l'importance de la destruction de capital humain. La perte de confiance dans les institutions qu'elle induit se traduit par une montée des extrémismes en France et dans nombre de pays européens - cf. audition de Jean-Paul FITOUSSI 5 ( * ) , observatoire français des conjonctures économiques et commission Stiglitz-Sen-Fitoussi.

Il ressort de l'établissement du bilan patrimonial de la nation que l'endettement public n'est pas forcément négatif lorsqu'il vise à entretenir et renouveler le patrimoine national - investissement public dans les infrastructures, dans la transition énergétique... - qui sera transmis aux générations futures.

La mesure des différents types de capitaux composant le patrimoine national suppose de recourir à un ensemble d'indicateurs précis et qualitatifs capables d'appréhender le bien-être des populations et de mesurer sa soutenabilité c'est-à-dire la capacité ou non de la société à transmettre aux générations futures ces stocks de capital qui garantissent le bien-être des populations.

Deux conceptions de la soutenabilité s'opposent aujourd'hui.

Une conception de la soutenabilité dite faible qui considère que les différentes composantes du patrimoine sont substituables entre elles et qu'elles peuvent donc se compenser les unes par les autres. Dans cette conception, l'épuisement de certaines ressources naturelles (énergies fossiles par exemple) ne compromet pas la croissance puisque d'autres capitaux peuvent lui être substitués. Les limites de la croissance peuvent être dès lors systématiquement repoussées, y compris par les progrès de la technologie.

La conception de la soutenabilité forte rejette au contraire l'idée d'une substituabilité des différents types de capitaux et considère a fortiori que le capital naturel doit être préservé à un certain niveau (en termes de capacités physiques) pour permettre la régénération des écosystèmes. Dans cette conception, les évaluations monétaires de la nature sont refusées au profit d'indicateurs biophysiques (artificialisation des sols en ha ; empreinte carbone en surfaces terrestres...). Ces questions font débat aujourd'hui - cf. audition de Philippe FRÉMEAU, institut pour le développement de l'information économique et sociale.

Faut-il donner une valeur monétaire à la nature, comme certains le pensent ? Selon quelles méthodes ? - cf. audition de Xavier TIMBEAU, observatoire français des conjonctures économiques.

Dans l'une de ses recommandations (la 12 ème ), le rapport de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi précisait : « les aspects environnementaux de la soutenabilité méritent un suivi séparé reposant sur une batterie d'indicateurs physiques sélectionnés avec soin. Il est nécessaire, en particulier, que l'un d'eux indique clairement dans quelle mesure nous approchons de niveaux dangereux d'atteinte à l'environnement (du fait, par exemple, du changement climatique ou de l'épuisement des ressources halieutiques) ».

II. Élaborer une nouvelle grille d'interprétation du monde à partir de nouveaux indicateurs qualitatifs et de bien-être pour évaluer et orienter les politiques publiques

« L'élaboration de nouveaux indicateurs de richesse se traduit] par une compétition où sont en jeu les cadres d'interprétation du monde et les normes déterminant l'action pour les décennies qui viennent, une compétition en vue du choix des principes qui orienteront les politiques publiques et privées, une compétition dont l'enjeu est de rendre légitimes certains comportements, certains usages du monde, certaines actions, au détriment d'autres. Une compétition dont sortira la nouvelle grammaire et le nouveau code organisant les rapports des êtres humains entre eux et de ceux-ci avec la nature, et donc les nouvelles normes qui définiront notamment les modes de production et d'appropriation légitimes ».

Dominique MÉDA, La mystique de la croissance ; comment s'en libérer , Champs Flammarion, Paris, 2014

Après la publication du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi dont le retentissement fut mondial, de nombreuses initiatives ont vu le jour pour mettre en place de nouveaux instruments de mesure plus pertinents que le PIB. Au niveau international, on peut citer :

- l'initiative « better policies for better life » (« de meilleures politiques pour une vie meilleure ») lancée par l'organisation de coopération et de développement économiques en 2011 qui vise à mesurer le bien-être actuel à travers 11 dimensions différentes regroupées en deux grandes thématiques : d'un côté, les conditions matérielles prises en compte par des indicateurs de revenus et de patrimoine, d'emploi et de salaires et des indicateurs de logement et de l'autre la qualité de vie fondée sur des indicateurs plus qualitatifs (santé, équilibre vie professionnelle/vie privée, éducation et compétences, liens sociaux...). Pour Martine DURAND, directrice des statistiques à l'organisation de coopération et de développement économiques, la prise en compte de ces nouveaux indicateurs permet de mettre en évidence que si les inégalités liées à la croissance des revenus des plus riches, d'un côté et à la stagnation des revenus des plus pauvres, de l'autre se sont accrues avec la crise de la fin des années 2000, elles ont véritablement commencé à croître dans les années 80. De ce point de vue, le PIB est vraiment un mauvais indicateur de ce qui se passe au niveau des ménages ; le PIB peut croitre alors que le revenu des ménages lui décroît - cf. audition de Martine DURAND, Romina BOARINI ; organisation de coopération et de développement économiques.

Dans la lignée du rapport de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, la soutenabilité du bien-être est évaluée à travers les stocks de ressources que sont le capital naturel, le capital humain, le capital social et le capital économique. Chacun de ces stocks est mesuré d'un côté via des indicateurs de stocks : concentration de gaz à effet de serre, patrimoine foncier forestier par habitant, ressources en eau douce par habitant pour le capital naturel, niveau d'études des 25-35 ans pour le capital humain, confiance envers autrui et envers les institutions publiques pour le capital social, actifs fixes nets par habitant, capital intellectuel par habitant, etc. pour le capital économique et de l'autre via des indicateurs de flux : émission de gaz à effet de serre par habitants et prélèvement d'eau douce par habitant pour le capital naturel ; espérance de scolarisation (de 5 à 39 ans) pour le capital humain ; la formation brute de capital fixe et l'investissement dans la recherche et développement (R&D) pour le capital économique. La mesure de la durabilité du bien-être est également mesurée sous l'angle de facteurs de risque (espèces menacées pour le capital naturel ; tabagisme, obésité pour le capital humain ; endettement du secteur privé...pour le capital économique). Selon Martine DURAND, « aller au-delà du PIB » suppose d'intégrer les nouveaux indicateurs dans le pilotage des politiques publiques.

- celle de l'Union européenne baptisée « au-delà du PIB » et qui a débouché sur la « stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive » fondée sur 9 indicateurs parmi lesquels 6 sont des indicateurs sociaux ou environnementaux ;

- celle des Nations Unies promouvant « 17 objectifs de développement durable ».

Au niveau national, les initiatives pour élaborer de nouveaux indicateurs de richesse (nouveaux indicateurs de richesse) se sont également multipliées.

En 2010, le Royaume-Uni a lancé un « Measuring National Well-Being Program » fondé sur un tableau de bord de nouveaux indicateurs de richesse ; deux rapports rendant compte de ces travaux ont été publiés, le premier en 2012, le deuxième en 2016. Le Parlement britannique a souhaité s'approprier cette problématique des nouveaux indicateurs de richesse et a mis en place un All Party Parliamentary Group (APPG), c'est-à-dire un groupe de travail transpartisan chargé de travailler sur la question du bien-être, de fournir aux parlementaires une grille d'analyse pour évaluer plus qualitativement les réformes en cours et d'organiser un cycle permanent de conférences sur la science du bonheur et du bien-être. Pour la Fabrique Spinoza, le Parlement français devrait également s'impliquer sur cette question du bien-être et bonheur en s'inspirant de l'initiative du Parlement britannique - cf. audition d'Alexandre JOST, Fabrique Spinoza.

L'Italie a mis en place un tableau de bord relatif « au bien-être équitable et soutenable qui est publié chaque année par l'office statistique Istat. En Nouvelle-Zélande un cadre de mesure du bien-être ( Living standard framework ) a été élaboré par le Trésor à des fins de recommandations en matière de politiques publiques. En Belgique, une loi adoptée en 2014 a confié au Bureau Fédéral du Plan le soin d'élaborer un ensemble « d'indicateurs complémentaires en vue de mesurer la qualité de vie, le développement humain, le progrès social et la durabilité de l'économie ». En février 2016, une série de 64 indicateurs a été mise en ligne - cf. le rapport issu de la loi « Sas » sur les nouveaux indicateurs de richesse, édition 2016.

La France, à l'origine de la mise en place de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi sur la mesure des performances économiques et du progrès social, n'est évidemment pas restée à l'écart de ce genre d'initiatives.

Fin 2010, Alexandre JOST crée la Fabrique Spinoza, Think tank du bien-être citoyen dont les missions sont « de favoriser la prise en compte du bien-être des citoyens au coeur des politiques publiques ; d'encourager la recherche, l'information, et le débat sur le bien-être des citoyens ; d'impacter directement ou faire agir en faveur du bien-être collectif, particulièrement dans le monde économique ».

Dans la foulée de la mise en place de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, un groupe d'économistes et de sociologues 6 ( * ) installent le Forum pour d'autres indicateurs de richesse (FAIR) chargé de travailler sur l'élaboration d'indicateurs alternatifs ou complémentaires du PIB, de suivre les travaux de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi et de produire des analyses critiques - cf. audition de Dominique MÉDA et Florence JANY-CATRICE, Université Paris-Dauphine, Université Lille.

Enfin, en 2015 à l'initiative de la députée écologiste Eva SAS, le Parlement français adopte une loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.

L'adoption de cette loi constitue une étape extrêmement importante.

D'abord parce que le Parlement pourra désormais disposer chaque année d'un rapport présentant l'évolution de l'état de la France à travers un tableau de bord d'indicateurs questionnant la nature de la croissance et de notre mode de production, son degré d'inclusion sociale par exemple ou sa soutenabilité sur le long terme. Le tableau de bord comporte dix indicateurs : taux d'emploi ; effort de recherche ; endettement ; espérance de vie en bonne santé ; satisfaction dans la vie ; inégalités de revenus ; pauvreté en conditions de vie ; sorties précoces du système scolaire ; empreinte carbone ; artificialisation des sols.

Ensuite parce que la loi prévoit que le rapport présente une évaluation de l'impact des principales réformes engagées par le Gouvernement notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces nouveaux indicateurs. Il s'agit donc de permettre une évaluation des politiques publiques « au-delà du PIB » à travers un tableau de bord de dix indicateurs précis et qualitatifs.

III. Démocratiser le processus de construction des indicateurs et d'évaluation des politiques publiques

« L'utilisation systématique de ces indicateurs [de bien-être] par tous les échelons de l'administration favorise également une plus grande cohérence des politiques publiques, en permettant de coordonner plus étroitement les actions et les processus décisionnels, et en mettant en évidence de façon plus explicite et plus systématique les synergies et les arbitrages entre les différentes politiques publiques. L'impact des réformes envisagées est ainsi évalué à l'aune de plusieurs objectifs simultanément, et non plus au regard de la croissance économique. L'approche consiste ainsi en une analyse d'impact ex ante et non plus ex post , où l'objectif économique ne prévaut pas, et où les objectifs sociaux et environnementaux ne sont plus considérés comme secondaires et traités après coup, dans le but de limiter les effets non intentionnels du processus de croissance ».

Martine DURAND, « l'initiative du vivre mieux de l'organisation de coopération et de développement économiques, Futuribles, n° 142, 05/06, 2016.

Mais aujourd'hui, il est nécessaire que le Parlement et les citoyens s'approprient ces nouveaux indicateurs de richesse dans une perspective d'efficacité politique accrue et d'amélioration du débat public via la démocratie participative.

Un usage approprié d'indicateurs pertinents, significatifs des politiques publiques menées, devrait être de nature à faire progresser le pilotage de nos politiques publiques et le rapport aux citoyens à qui elles sont destinées - cf. audition de Martine DURAND, OCDE, et de Damien DEMAILLY de l'IDDRI.

Les nouveaux indicateurs de richesse doivent faire l'objet d'une appropriation par les parlementaires qui sont aussi chargés du contrôle et de l'évaluation des lois mais également par les citoyens. Il faut qu'une culture de l'évaluation à partir de nouveaux indicateurs (une culture de l'alter-évaluation) puisse se développer, fournir régulièrement des informations sur l'état des inégalités, sur l'état du patrimoine national, le bien-être et mettre en débat ces questions-clés de société - cf. auditions de Laurent ÉLOI et Jacques LE CACHEUX, observatoire français des conjonctures économiques ; Dominique MÉDA et Florence JANY-CATRICE, Université Paris-Dauphine, Université Lille ; Jean-Paul FITOUSSI ; commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, Martine DURAND, Romina BOARINI ; OCDE.

Des chantiers sont ouverts ou doivent l'être, qui concernent la réforme de nos systèmes comptables au regard de ces nouveaux indicateurs de bien-être et de soutenabilité, qu'il s'agisse de notre comptabilité nationale ou de celle des entreprises.

Des avancées existent ; comme l'effort de l'administration de prendre en compte les nouveaux indicateurs de richesse de la loi « Sas » dans les documents budgétaires (projets annuels de performances, autrement dit les « bleus budgétaires »), de faire converger ces nouveaux indicateurs de richesse avec les indicateurs de la loi organique relative aux lois de finances actuels - cf. audition de Véronique FOUQUE, Marine CAMIADE, direction du budget 7 ( * ) .

Mais il faut encore aller plus loin, notamment en ce qui concerne la comptabilité d'entreprise (responsabilité sociétale des entreprises, normes internationales d'informations financières IFRS) - cf. audition de Philippe FRÉMEAU, institut pour le développement de l'information économique et sociale ; audition de Bertrand de KERMEL, Anne-Marie Boyer du Comité Pauvreté et politique.

De nombreux pays et organisations non-gouvernementales produisent aujourd'hui des indicateurs concurrents du PIB pour évaluer le bien-être des populations et sa soutenabilité, mais force est de constater que le PIB demeure encore un indicateur central voire fétiche, toujours utilisé par les gouvernements et commenté dans les médias -notamment dans les périodes comme celles d'aujourd'hui marquées par un fort ralentissement de la croissance allant de pair avec niveau de chômage qui semble incompressible.

Les propos d'Albert OGIEN expliquent l'importance accordée à la quantification chiffrée dans l'orientation de nos politiques publiques lorsqu'il parle « d'assujettissement du raisonnement politique aux catégories du raisonnement économique - ou plus exactement à celles du raisonnement gestionnaire qui organise aujourd'hui la conduite des affaires publiques [...]. Cette substitution d'une pensée de la quantité (qui est celle des indicateurs) à une pensée de la qualité (qui est celle des catégories de jugement ordinaire) vide le langage politique de sa signification en contribuant à accroître le fossé entre gouvernements et gouvernés » - cf. audition de Albert OGIEN, centre d'études des mouvements sociaux / institut Mauss. Ces propos nous invitent à réintroduire un processus démocratique dans la construction même des indicateurs d'évaluation des politiques publiques qui doit être fondée sur une démarche indépendante et pluraliste.

Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi composée de deux articles, vise à favoriser le développement de nouveaux indicateurs de richesse - des indicateurs qualitatifs -, leur utilisation et leur appropriation citoyenne afin de faire rentrer dans les moeurs une autre culture de l'évaluation fondée sur des indicateurs alternatifs au PIB.

La présente proposition de loi vise à améliorer la qualité de l'étude d'impact jointe aux projets de loi.

Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, l'évaluation des politiques publiques est conçue en amont de la discussion parlementaire, les projets de loi faisant l'objet d'une étude d'impact (article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution). Cette évaluation doit permettre au Parlement de disposer d'informations précises et détaillées sur tout projet de loi et notamment sur les objectifs poursuivis et l'estimation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales de la réforme envisagée. En prévoyant que les documents rendant compte de l'étude d'impact soient joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d'État, le législateur avait souhaité éviter que les études d'impact ne soient une « justification plus ou moins sommaire et a posteriori des arbitrages politiques rendus ».

Or force est de constater d'une part que selon les projets de loi, la qualité des études d'impact est très variable et d'autre part que pour nombre d'entre elles, la critique précédente s'applique.

Comme le soulignait récemment un rapport de France Stratégie : « L'évaluation doit tout d'abord être prévue dès la conception de la politique concernée. L'évaluation ex ante doit ainsi permettre d'éclairer la décision, sur la base de tous les éléments disponibles. C'est notamment l'objet des études d'impact, dont la dimension d'évaluation socioéconomique doit être développée et l'objectivité accrue. Trop souvent, celles-ci sont une simple défense et illustration, hâtivement quantifiée, de décisions ayant fait l'objet d'un arbitrage politique. Le recours à des procédures de type livre blanc et à des analyses indépendantes , fondées notamment sur l'expérience internationale, permettrait d'éclairer les débats parlementaires 8 ( * ) » .

L' article 1 er de la proposition de loi vise à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi en tenant compte de l'adoption de la loi « Sas » permettant l'évaluation des politiques publiques au regard de nouveaux indicateurs de richesse.

La loi n° 2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, dite loi « Sas » prévoit que le gouvernement remet annuellement au Parlement un rapport présentant l'évolution de nouveaux indicateurs de richesse. À l'issue des travaux du conseil économique, social et environnemental et de France Stratégie, dix indicateurs ont été élaborés. L'article 1 er propose donc que ces nouveaux indicateurs de richesse soient intégrés dans les études d'impact afin de disposer d'une évaluation plus qualitative des réformes proposées par le Gouvernement.

L'impact des réformes envisagées pourrait ainsi être évalué au regard d'indicateurs de bien-être et non au seul regard de la croissance du PIB ou de critères purement économiques. L'étude d'impact comprendrait les effets des réformes envisagées dans leurs multiples dimensions (environnementales, sociales...) sur le bien-être présent et à long terme des populations. Car, comme le souligne Martine DURAND, directrice des statistiques à l'organisation de coopération et de développement économiques « de meilleures mesures ne sont pas à elles seules, une garantie de meilleures politiques publiques. Il faut s'assurer que ces nouveaux indicateurs fassent partie intégrante de la « boîte à outils » des responsables publics et qu'ils soient utilisés à la fois dans la prise de décisions et dans l'évaluation de l'impact des politiques publiques ».

Au regard de ces nouveaux indicateurs de richesse, l'étude d'impact serait ainsi mieux à même d'intégrer la problématique de la soutenabilité du bien-être dans le pilotage des politiques publiques.

Elle permettrait d'informer de manière plus complète et précise le Parlement sur les enjeux et conséquences des réformes proposées et d'enrichir ainsi les débats parlementaires - cf. audition Vincent AUSSILLOUX, David MARGUERIT, France stratégie.

L' article 1 er vise donc à permettre une évaluation plus qualitative des projets de loi en intégrant dans les études d'impact les nouveaux indicateurs de richesse.

L' article 2 propose que l'étude d'impact, dans ses aspects économiques, financiers, sociaux et environnementaux, des projets de loi soit réalisée par des organismes publics indépendants, habilités à réaliser ce type d'études (Institut national de la statistique et des études économiques, observatoire français des conjonctures économiques, conseil économique, social et environnemental, universités...). Confier l'évaluation à des organismes indépendants et pluriels permettra d'assurer son objectivité.

Cette proposition de loi organique s'articule avec la proposition de loi n° 611 rect. (2016-2017) visant à instituer le Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Article 1 er

Après le huitième alinéa de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« - l'évaluation qualitative de l'impact des dispositions envisagées au regard des nouveaux indicateurs de richesse créés par la loi n° 2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ; ».

Article 2

L'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Ces évaluations sont réalisées par des organismes publics indépendants et pluralistes comprenant notamment le Conseil économique, social et environnemental, l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'Institut national de la statistique et des études économiques.

« Pour réaliser ces évaluations, l'Assemblée nationale et le Sénat peuvent désigner des universitaires et des personnes qualifiées en fonction de leur compétence par rapport aux domaines du projet de loi. Le mode de désignation des universitaires et des personnes qualifiées est déterminé par le règlement de chaque assemblée. »


* 1 Plus connu sous le nom de « rapport Bruntland » du nom de la norvégienne Gro Harlem BRUNTLAND qui présidait à l'époque cette commission.

* 2 Ce qui au passage remet en cause de la théorie dite du ruissellement ( Trickle Down Economic ) selon laquelle favoriser les riches est également profitable aux pauvres.

* 3 Pour Jean-Paul FITOUSSI, « la soutenabilité de la démocratie est sans aucun doute, un actif intangible essentiel (...). La croissance des inégalités, au-delà d'un certain degré, affecte défavorablement la « valeur » de cet actif pour deux raisons différentes. La première est qu'elle constitue une violation implicite du principe du suffrage universel. En effet, lorsque les médias, les Thinks tanks et même les fonds de recherche sont contrôlés par une fraction infime de la population, dont les intérêts sont bien identifiés, l'égalité devant le vote devient une fiction [...]. La seconde raison est que, si une part croissante de la population a l'impression d'être exclue des bénéfices du fonctionnement du système, elle peut avoir la tentation de changer de système. C'est pourquoi Dan USHER considérait que l'adhésion à la démocratie constitue un critère bien supérieur à celui de l'efficacité pour évaluer des politiques économiques», in Jean-Paul FITOUSSI, Le théorème du lampadaire , les liens qui libèrent, Paris, 2013.

* 4 À cet égard, durant la crise d'origine financière qui a débuté aux États-Unis en 2007-2008, le Fonds monétaire international (FMI) - qui n'est pas une institution réputée pour son hétérodoxie - a, à plusieurs reprises, interpellé les pays européens pour dénoncer leur politique budgétaire trop restrictive et aux effets souvent contre-productifs (faible réduction des déficits voire augmentation de ces derniers) du fait notamment de la sous-estimation du multiplicateur qui amplifie la réduction des revenus et se traduit par la propagation à l'échelle européenne des récessions.

Par ailleurs le fonds monétaire international dénonce régulièrement les excédents budgétaires allemands. Le dernier rapport annuel de l'institution publié le 15 mai 2017 souligne notamment l'accroissement du risque de pauvreté sur fond de croissance des inégalités de revenu, de montée de travailleurs pauvres et invite l'Allemagne à agir en faveur d'une croissance plus inclusive. Le fonds monétaire international recommande à l'Allemagne d'augmenter les impôts des plus riches, d'accroître les salaires et de permettre une plus grande participation des femmes au marché du travail. Enfin, ayant à plusieurs reprises dénoncé l'insuffisance d'investissement dans les infrastructures publiques - notamment le manque d'entretien du réseau routier - le fonds monétaire international juge que les marges budgétaires dont dispose l'Allemagne « devraient être utilisées pour des initiatives renforçant le potentiel de croissance, comme des investissements dans les infrastructures physiques et numériques, l'aide à l'enfance, l'intégration des réfugiés et l'allègement du poids fiscal sur le travail ».

* 5 Les différentes auditions mentionnées sont consultables sur : http://www.franckmontauge.fr/pour-une-culture-de-levaluation-des-politiques-publiques-et-du-bien-etre/

* 6 Certains d'entre eux sont connus pour leurs travaux pionniers sur la mesure de la richesse ; cf. par exemple Dominique MÉDA, Qu'est-ce que la richesse ? , Alto, Aubier, Paris, 1999. En 2008, des extraits seront republiés dans « Au-delà du PIB. Pour une autre mesure de la richesse », Champs Flammarion, 2008. Cf. aussi Jean GADREY, Florence JANY-CATRICE, Les nouveaux indicateurs de richesse , la découverte, Paris, 1984 ; régulièrement réédité.

* 7 Cf. également Les données de la performance 2016 , Missions du budget général de l'État, ministère de l'économie et des finances.

* 8 France Stratégie, Quelle action publique pour demain . Cinq objectifs, cinq leviers , Paris avril 2015, p. 42

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