N° 89
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005
Annexe au procès-verbal de la séance du 1 er décembre 2004
PROPOSITION DE LOI
relative à l' autonomie de la personne , au testament de vie , à l' assistance médicalisée au suicide et à l' euthanasie volontaire ,
PRÉSENTÉE
Par M. François AUTAIN, Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Pierre BIARNÈS, Michel BILLOUT, Yves COQUELLE, Guy FISCHER, Robert HUE, Mme Josiane MATHON, MM. Roland MUZEAU et Ivan RENAR,
Sénateurs.
( Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Vie, médecine et biologie. |
« La plus volontaire mort, c'est la plus belle. La vie dépend de la volonté d'autrui, la mort de la nôtre . »
Montaigne. Les Essais. II, 3
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi a pour objet de répondre à la demande d'une mort volontaire lorsqu'elle émane d'une personne atteinte d'un handicap ou d'une maladie d'une particulière gravité, irréversibles ou incurables.
Elle s'inscrit dans un contexte social particulier, à un moment où les conditions mêmes de la survenue de la mort ont changé, où l'opinion française, émue par le cas Humbert, s'avère favorable à l'euthanasie volontaire et où notre pays se trouve désormais environné de nations qui se sont déjà prononcées législativement sur ce sujet.
Aujourd'hui, dans nos sociétés occidentales, l'être humain se considère comme une personne autonome singulière, capable de fonder sur son propre jugement les décisions relatives à son corps et à sa santé et de moins en moins en référence à une autorité extérieure, quelle qu'elle soit.
L'autonomie de la volonté qui fonde le droit de la personne à disposer librement de son corps est devenue, au fil des ans, un principe de mieux en mieux reconnu par notre Droit.
Au cours de ces quarante dernières années, le Parlement a adopté plusieurs lois importantes qui témoignent de cette évolution :
- la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse qui reconnaissait pour la première fois aux femmes la libre disposition de leur corps ;
- à laquelle on peut ajouter dans le domaine de la maîtrise de la fécondité et de la reproduction, la loi du 28 décembre 1968 relative à la régulation des naissances et la loi du 29 juillet 1994 sur l'assistance médicalisée à la procréation et le diagnostic prénatal ;
- la loi du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d'organes ;
- les dispositions sur le traitement de la douleur figurant dans la loi du 4 février 1995 portant diverses dispositions d'ordre social et la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 ;
- enfin la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs et celle du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui, toutes les deux, reconnaissent au patient le droit de refuser un traitement même si cette décision met sa vie en danger.
La dépénalisation de l'euthanasie dont ces deux derniers textes admettent implicitement le principe - au moins dans sa forme passive par abstention thérapeutique - devrait constituer la prochaine étape de cette évolution vers une complète autonomie de la personne consacrant ainsi le droit de chacun « d'assumer sa maladie, sa vieillesse et sa mort, de façon libre, lucide et responsable » (J. POHIER).
Depuis un siècle, les progrès de la médecine conjugués à ceux de l'hygiène ont bouleversé les conditions de survenue de la mort. On ne décède plus chez soi mais à l'hôpital pris en charge par des professionnels dont les compétences et la technicité ne sauraient remplacer les anciens rituels familiaux qui entouraient le malade. On meurt de plus en plus vieux et de plus en plus lentement. La mort est devenue un processus long et tardif que les traitements de plus en plus lourds peuvent encore prolonger. Désormais, on peut réanimer et maintenir quiconque en vie presque indéfiniment. La vie rendue ainsi possible est de qualité extrêmement variable. Elle est le plus souvent bien acceptée par la personne, lorsque celle-ci est en état de s'exprimer, mais elle est quelquefois récusée quand elle s'accompagne d'un sentiment de déchéance, encore plus redoutable que la douleur car beaucoup plus difficile à surmonter.
Certes, les soins palliatifs pourraient modifier cette situation s'ils obtenaient rapidement les moyens nécessaires à leur développement. Or, c'est loin d'être le cas actuellement. Annuellement, ce sont seulement 5 000 personnes qui accèdent aux soins palliatifs alors que 150 000 pourraient en relever. De plus, les soins palliatifs ne sauraient, en toute hypothèse, être considérés comme exclusifs de l'euthanasie volontaire. Ces deux démarches dont aucune n'a le monopole de la compassion ni du respect de la dignité du mourant, loin de s'opposer, sont profondément complémentaires. Car il est prouvé que certaines personnes sont réfractaires aux soins palliatifs soit parce qu'elles s'y refusent, soit parce que leur souffrance résiste à toute sédation.
Qui plus est, soins palliatifs et euthanasie peuvent même se rejoindre lorsqu'un traitement en soulageant la douleur provoque la mort. Ce « double effet » démontre, s'il en était besoin, que les soins palliatifs ne sont pas dépourvus d'ambiguïtés puisque des actes, dont l'objectif est le respect du caractère sacré de la vie, peuvent aboutir à l'abrègement de cette dernière.
Quant à l'euthanasie, même pénalement répréhensible, elle semble, selon tous les témoignages, largement répandue en France. Son mode opératoire peut varier selon les endroits sans en changer profondément la nature. Elle se définit comme « tout comportement suivi d'effets dont l'objectif est de provoquer la mort d'une personne pour lui éviter ainsi des souffrances » (P. VESPIEREN) qu'elle soit consentante ou non. Dès lors, la distinction qui est souvent avancée entre euthanasie active et euthanasie passive devient purement formelle.
Dans les services de réanimation, un patient sur deux meurt après décision de limitation ou d'arrêt de soins actifs et 20 % de ces décisions médicales sont des injections avec intentionnalité de décès (Didier PEILLON, 1995 ; Docteurs POCHARD et AZOULAY, 1999). Quand on sait par ailleurs que le tiers des décès, dans notre pays, soit environ 180 000 sur les 520 000/540 000 constatés par an, survient dans les services de réanimation, on mesure la place qu'ont prise des pratiques assimilables à l'euthanasie passive même si l'emploi de ce terme en pareille circonstance est récusé par les praticiens de la réanimation. Il faut ajouter que le patient n'est pratiquement jamais informé ou en mesure de donner un quelconque consentement parce que, le plus souvent, hors d'état d'exprimer sa volonté. Les proches non plus ne semblent pas avoir part à la décision.
Ces pratiques ne sont naturellement pas soumises à de quelconques règles et ne sont ni évaluées, ni contrôlées. Elles ont lieu dans le silence et la dissimulation avec l'acceptation tacite du corps social.
En définitive, et cela n'est pas acceptable, la seule loi que la pratique de l'euthanasie doit respecter est celle du silence.
Face à ce silence, la voix de l'opinion semble claire.
On dispose de deux sondages. L'un réalisé auprès des Français le 7 juin 2001 par la SOFRES, pour l'association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), révèle que 88 % des personnes interrogées se déclarent favorables à ce que soit reconnu au malade le droit d'être aidé à mourir à sa demande en cas de maladie grave et incurable s'accompagnant d'une souffrance insurmontable.
L'autre, réalisé par une revue professionnelle, « Impact médecin », les 2 et 3 octobre 2003 auprès d'un échantillon de médecins indique que 78 % d'entre eux sont favorables à ce que l'on autorise l'euthanasie dans des conditions exceptionnelles alors qu'ils n'étaient que 70 % en 2000 à considérer qu'il est « parfois plus cruel d'obliger à vivre que de donner la mort ». Parmi les déclarations recueillies auprès des médecins, retenons celle-ci : « nous ne sommes que des techniciens et la société doit nous dire où se trouve la frontière. C'est bien beau de dire qu'il faut agir en son âme et conscience mais, moi, ma conscience est floue. On ne peut plus nous laisser dans le brouillard » ; Ou encore : « au début des années 70, j'ai accompagné des copines aux Pays-Bas pour une I.V.G. J'aimerais bien ne pas avoir à faire la même chose pour une amie en fin de vie ».
Très clairement, les médecins réclament un cadre d'intervention. Plus de 40 % d'entre eux ont été confrontés à une demande d'euthanasie et ils ne veulent pas que la société se décharge sur eux de ses propres responsabilités.
De nombreux pays ont déjà légiféré sur ce problème de société. Le Québec (1992), le Danemark (1992), la Grande-Bretagne (1995), la Suisse (1996), la Belgique et, en Espagne, la Catalogne (2000) reconnaissent la légalité du testament de vie. L'État américain de l'Oregon (1994), la Suisse (1995) et les Pays-Bas (1993) autorisent le suicide médicalement assisté pour les malades atteints d'une maladie au stade terminal. Enfin, l'Australie (pendant neuf mois en 1997), la Colombie (1997), les Pays-Bas (2001) et la Belgique (2002) ont dépénalisé l'euthanasie volontaire lorsqu'elle est pratiquée dans certaines conditions.
Une enquête mentionnée par l'ADMD sur les causes de 20 000 décès survenus dans six pays européens confirme l'importance du recours à ces pratiques (cf. tableau ci-dessous cité par le n° 299 de mars 2004 de « Regards sur l'actualité », p. 44) :
FRÉQUENCE DE DÉCISION DE
MORT
MÉDICALEMENT ASSISTÉE (en %)
Pays étudiés |
Total des morts médicalement assistées |
Euthanasie ou suicide assisté |
Avec anti-douleurs potentiellement mortels |
Par arrêt de traitement |
Italie |
23 % |
0,10 % |
19 % |
4 % |
Suède |
36 % |
0,23 % |
21 % |
14 % |
Belgique |
41 % |
0,79 % |
26 % |
14 % |
Danemark |
44 % |
3,40 % |
20 % |
20 % |
Pays-Bas |
44 % |
3,40 % |
20 % |
20 % |
Suisse |
51 % |
1,04 % |
22 % |
26 % |
En France, l'euthanasie, qu'elle soit volontaire ou non, est considérée comme un assassinat, l'assistance médicalisée au suicide comme un délit de non-assistance à personne en danger et le testament de vie n'a pas d'existence légale. Dans son avis n° 63, intitulé « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie » et rendu public le 3 mars 2000, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) estime que cette législation est inadaptée pour répondre aux nombreux problèmes éthiques et humains de la fin de vie et plaide pour sa révision en faveur d'une exception d'euthanasie. Il constate en outre que les juridictions - quand elles sont saisies - font preuve de la plus grande indulgence.
Autant dire que la loi n'est pas appliquée créant une situation qui ne pourra sans dommage se prolonger indéfiniment car :
- elle condamne à la clandestinité les médecins qui accomplissent des actes d'euthanasie, perturbant ainsi les relations qu'ils entretiennent avec leur milieu professionnel, leurs malades et la famille de ceux-ci ;
- elle empêche de nombreux soignants respectueux de la loi, d'accéder à la demande de leurs patients ;
- elle crée une inégalité entre les citoyens quant au respect de leurs droits et de la législation existante, puisque, pour les uns, la loi sera transgressée tandis que les autres se verront opposer un refus ;
- enfin, elle permet implicitement la violation de l'autonomie de la personne, l'euthanasie se pratiquant souvent à son insu.
Comme l'a souligné la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'accompagnement de la fin de vie constituée en juin dernier (rapport n° 1708, 2003-2004 « respecter la vie, accepter la mort »), le statu quo n'est donc pas possible. Une loi apparaît nécessaire :
- pour combler le fossé qui s'est instauré entre le droit et le fait et assurer une transparence des pratiques ;
- pour redonner confiance aux malades en mettant fin à l'ignorance dans laquelle ils sont tenus quant au déroulement de leur fin de vie ;
- pour assurer la protection des plus fragiles car « entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » ;
- enfin pour mettre un terme à cette forme de discrimination entre les personnes qui peuvent se donner la mort seules et celles qui ont besoin d'une aide pour parvenir à leurs fins.
Néanmoins, on doit regretter que les conclusions à laquelle cette mission d'information est parvenue et la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie qui en a découlé (n° 1882 du 26 octobre 2004, adoptée le 30 novembre par l'Assemblée nationale) n'offrent qu'une réponse très partielle à ces enjeux.
Très directement, force est de constater que la situation de Mme HUMBERT et du Dr CHAUSSOY, actuellement poursuivis au pénal, n'est en rien réglée.
Malgré la volonté affichée d'une meilleure prise en compte de la volonté des malades en fin de vie, la décision reste en fin de compte, dans le texte retenu, entre les mains du médecin et échappe dans une large mesure au patient lui-même.
Le redépôt de la présente proposition de loi, déposée une première fois au mois de mai 2004, compte tenu du dernier renouvellement sénatorial, trouve donc tout son sens et son utilité. Ses objectifs sont les suivants :
Elle donne aux personnes atteintes d'une maladie incurable, dans le respect de leur autonomie individuelle, la garantie de voir leur demande d'euthanasie ou d'assistance médicalisée au suicide prise en considération.
Elle instaure un testament de vie permettant à la personne, devenue inconsciente ou dans l'impossibilité de s'exprimer, de définir les modalités de médicalisation de sa fin de vie, en interdisant, notamment, le recours à des soins ou des traitements pour la prolonger artificiellement.
Certes, actuellement, en France, un tel document n'est pas interdit, mais il est encore très insuffisamment répandu et, lorsqu'il existe, il suscite, de la part des soignants, de l'indifférence quand ce n'est pas de l'hostilité. Cela revient à dire que la grande majorité des personnes ayant rédigé un testament de vie ne peut espérer le voir pris en considération. Pire encore, la grande majorité de nos concitoyens n'imaginent même pas qu'ils pourraient faire une telle déclaration et qu'elle pourrait parfois s'avérer utile.
Ensuite, pour répondre à l'argument maintes fois avancé selon lequel une personne bien portante qui aura demandé, dans son testament de vie, qu'il soit mis fin à ses jours n'aura pas forcément la même réaction à l'approche de la mort face à une maladie incurable, la présente proposition de loi prévoit que le testament de vie doit être approuvé périodiquement et est révocable à tout moment, à tout le moins tant que la personne est consciente et peut s'exprimer.
La présente proposition de loi apporte également une protection à la personne atteinte d'une affection incurable en imposant au médecin des conditions précises à respecter pour pouvoir pratiquer une euthanasie.
Elle assure également la sécurité pénale du médecin confronté à une demande d'assistance médicalisée au suicide ou d'euthanasie satisfaisant aux conditions prévues par la loi. Elle lui garantit de la même façon, ainsi qu'à l'ensemble de l'équipe soignante, une totale liberté de conscience.
Elle prévoit, enfin, la création d'une véritable instance d'évaluation et de contrôle des situations réellement rencontrées - singulièrement absente du texte adopté par l'Assemblée nationale le 30 novembre 2004, de manière à harmoniser les pratiques et à empêcher tout risque de dérive et de discrimination. Elle charge, d'ailleurs, cette instance ainsi que celle qui aura pour mission de recueillir les testaments de vie d'établir un bilan d'application un an après l'entrée en vigueur de la loi, afin d'améliorer, s'il y a lieu, y compris sur le plan législatif, les dispositions mises en place.
La présente proposition de loi comporte trois titres et vingt-six articles.
Le titre I er consacre à la fois le principe du respect de la vie humaine et celui de l'autonomie de la volonté exprimée dans un testament de vie.
L' article 1 er est un article de principe.
L' article 2 définit le testament de vie, son contenu ainsi que le rôle de la personne de confiance.
L' article 3 permet aux personnes qui sont dans l'incapacité permanente de rédiger un testament de vie de pouvoir exprimer leur volonté dans ce domaine.
L' article 4 instaure une obligation d'information et de proposition de rédaction de testament de vie lors de l'accueil dans un établissement de santé ou d'hébergement pour personnes âgées.
L' article 5 crée une autorité chargée de recueillir et d'enregistrer les testaments de vie.
L' article 6 définit les conditions de validité du testament de vie.
L' article 7 instaure une obligation de secret et de discrétion professionnels à l'égard des membres de l'autorité créée à l'article 5.
Le titre II traite de l'assistance médicalisée au suicide et de l'euthanasie.
L' article 8 précise les conditions à remplir pour demander une assistance médicalisée au suicide.
L' article 9 définit la composition et le rôle de l'équipe pluridisciplinaire chargée d'examiner la demande d'assistance médicalisée au suicide.
L' article 10 prévoit les modalités de confirmation de demande d'assistance médicalisée au suicide de la personne et la procédure à respecter par le médecin qui prête son concours.
L' article 11 définit les conditions à remplir pour la pratique d'une euthanasie.
L' article 12 précise la composition et le rôle de l'équipe pluridisciplinaire consultée avant toute pratique d'euthanasie.
L' article 13 modifie le code pénal afin que l'euthanasie ne puisse être assimilée à un meurtre.
L' article 14 procède de même pour l'empoisonnement.
L' article 15 exclut du délit de non-assistance à personne en danger l'euthanasie et l'assistance médicalisée au suicide.
L' article 16 consacre la liberté de conscience du médecin et de l'équipe soignante en cas de demande d'euthanasie ou d'assistance médicalisée au suicide.
L' article 17 assimile l'euthanasie et l'assistance médicalisée au suicide à une mort naturelle.
L' article 18 dispose que les personnels de santé ne peuvent trouver un intérêt matériel au décès de leur patient.
L' article 19 institue une obligation d'information des professionnels de santé en matière d'assistance médicalisée au suicide et d'euthanasie dans le cadre de leur formation initiale et continue.
Le titre III institue et définit le rôle de la commission d'évaluation et de contrôle des euthanasies et des assistances médicalisées au suicide.
L' article 20 crée cette commission.
L' article 21 précise la durée de son mandat et ses principes d'organisation.
L' article 22 prévoit sa composition.
L' article 23 énonce ses obligations déontologiques.
L' article 24 définit les procédures de prise de décision de cette commission.
L' article 25 renvoie à un décret en Conseil d'État pour en établir les modalités pratiques d'organisation et de fonctionnement.
L' article 26 prévoit, un an après l'entrée en vigueur de la loi, le dépôt d'un rapport de la part de l'autorité de recueil des testaments de vie et de celle de la commission nationale d'évaluation et de contrôle des euthanasies et des assistances médicalisées au suicide pour évaluer leurs pratiques et proposer, éventuellement, des améliorations.
PROPOSITION DE LOI
TITRE I ER
DU RESPECT DE L'ÊTRE HUMAIN ET DE L'AUTONOMIE
DE SA VOLONTÉ EXPRIMÉE DANS LE TESTAMENT DE VIE
Article 1 er
Est garanti le respect de l'être humain du commencement à la fin de sa vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe, par une euthanasie, que si la personne concernée, majeure et capable, en a expressément et sans ambiguïté exprimé la volonté et que sont respectées les conditions et procédures fixées par la présente loi.
Article 2
Le testament de vie est le document par lequel une personne majeure et capable, exprime par anticipation sa volonté quant aux modalités de médicalisation de sa fin de vie pour le cas où elle serait dans l'impossibilité de le faire.
Par ce document, elle peut préciser, en l'absence de toute perspective d'amélioration de son état, si elle souhaite poursuivre son traitement, recourir à des soins palliatifs et à un accompagnement de fin de vie ou à une euthanasie respectant les conditions et procédures fixées par la présente loi.
Le testament de vie peut comporter, en outre, toutes dispositions en matière de prélèvement d'organes après la mort ou de stipulation funéraire et testamentaire.
Par ce document, la personne peut désigner la ou les personnes de confiance, au sens de l'article L. 1111-6 du code de la santé publique, majeures et capables au moment des faits, classées par ordre de préférence et chargées de la représenter auprès du médecin qui la soigne.
Toutefois, ne peut être désigné comme personne de confiance le médecin ou un membre de l'équipe soignante ayant dispensé ses soins ou soignant ladite personne.
Le testament de vie est rédigé, daté et signé par ladite personne qui peut le modifier, le remplacer ou ordonner sa destruction à tout moment.
Article 3
En cas d'incapacité physique permanente, médicalement constatée, de nature à l'empêcher de rédiger et de signer son testament de vie, la personne peut désigner, à cette fin, une personne majeure et capable, à condition que cette dernière n'ait aucun intérêt matériel ou moral à son décès.
Dans ce cas, le testament de vie est établi en présence de deux témoins dont l'un au moins n'a aucun intérêt matériel ou moral au décès de la personne concernée. Il est daté et signé par son rédacteur, contresigné par les deux témoins ainsi que, le cas échéant, par la personne de confiance mentionnée à l'article précédent.
Sont joints au testament de vie un document expliquant les raisons pour lesquelles la personne concernée n'a pu le rédiger et le signer ainsi que le certificat médical d'incapacité physique permanente.
Article 4
Lors de l'admission dans un établissement de santé ou dans un établissement médico-social accueillant des personnes âgées, il est demandé à la personne concernée si elle a rédigé un testament de vie et, si ce n'est pas le cas, il lui est proposé de le faire.
Article 5
Le testament de vie est transmis directement par la personne qui l'a rédigé ou par l'intermédiaire de l'établissement de santé ou médico-social qui héberge la personne concernée à l'Autorité nationale de recueil des testaments de vie instituée auprès du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre chargé de la santé.
Il est enregistré sur un registre national automatisé. Cet enregistrement fait l'objet d'un accusé de réception.
La composition et les modalités de fonctionnement de l'organisme mentionné au premier alinéa ainsi que celles relatives à la transmission, notamment, avant tout acte d'assistance médicalisée au suicide ou d'euthanasie, au médecin qui soigne la personne, à l'enregistrement et à la durée de conservation du testament de vie sont définies par décret en Conseil d'État, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Article 6
Tous les cinq ans à compter de l'enregistrement du testament de vie, l'Autorité mentionnée à l'article précédent contacte la personne qui l'a signé aux fins de confirmer la validité du document.
Tout testament de vie est considéré comme nul et de nul effet s'il n'a fait l'objet d'une confirmation dans les deux mois au-delà des cinq ans à compter de son enregistrement ou de sa précédente confirmation.
Article 7
Les membres de l'Autorité mentionnée à l'article 5 ainsi que les personnes qui les assistent sont tenus au secret et à la discrétion professionnels.
TITRE II
DE L'ASSISTANCE MÉDICALISÉE AU SUICIDE
ET DE L'EUTHANASIE VOLONTAIRE
Article 8
Toute personne majeure et capable, atteinte d'un handicap ou d'une affection d'une particulière gravité, quelle qu'en soit l'origine, reconnus comme irréversibles ou incurables, compte tenu de l'état des connaissances scientifiques au moment du diagnostic, peut demander, à un médecin, une assistance médicalisée au suicide.
Ledit médecin s'entretient avec la personne, en tant que de besoin, pour l'informer de son état de santé, des possibilités offertes par les soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie tels que mentionnés aux articles L. 1110-9, L. 1110-10 et L. 1110-11 du code de la santé publique afin de s'assurer si la demande est volontaire, réfléchie et constante et qu'aucune autre solution n'est possible.
S'il y a lieu, il demande communication du testament de vie de la personne auprès de l'Autorité mentionnée à l'article 5. Celle-ci le lui transmet dans les meilleurs délais.
Article 9
Si les conditions mentionnées à l'article précédent sont remplies, la demande fait l'objet d'un examen par une équipe pluridisciplinaire composée d'au moins quatre personnes dont deux médecins exerçant dans un établissement de santé, public ou privé, dont l'un est spécialisé dans le handicap ou l'affection dont est atteinte la personne et l'autre inscrit sur la liste d'experts dressée par le bureau de la Cour de cassation ou par celui d'une Cour d'appel et deux personnes qualifiées tenues au secret et à la discrétion professionnels choisies, notamment, parmi les auxiliaires médicaux, les assistants sociaux ou les psychologues.
L'équipe pluridisciplinaire ou une partie de ses membres peut entendre et s'entretenir avec la personne accompagnée, le cas échéant, de la personne de confiance désignée par elle, avec ses proches, sauf opposition de celle-ci, et avec l'équipe soignante.
Les réunions de cette équipe peuvent se faire en présence d'un médecin désigné par la personne concernée.
L'équipe pluridisciplinaire s'assure que la personne a pu s'entretenir de sa demande avec toute personne qu'elle souhaitait rencontrer.
Elle rédige un rapport dans les quinze jours de sa saisine afin de déterminer si la demande d'assistance médicalisée au suicide répond aux conditions mentionnées à l'article précédent.
Un exemplaire de ce rapport est remis à la personne concernée ainsi qu'au médecin qui la soigne.
Si le rapport conclut que les conditions permettant l'assistance médicalisée au suicide ne sont pas remplies, il est fait appel, s'il y a lieu, à une deuxième équipe pluridisciplinaire composée selon les mêmes modalités et ayant le même rôle et les mêmes conditions de fonctionnement que la première.
Article 10
Si le rapport mentionné à l'article précédent conclut à la possibilité d'assistance médicalisée au suicide, la personne dispose d'un délai de quinze jours à compter de la remise de celui-ci pour confirmer ou infirmer verbalement sa demande.
Dans les quinze jours après la confirmation de la demande, la personne la renouvelle dans un document écrit et signé par elle.
En cas d'impossibilité médicalement constatée de la personne pour rédiger et signer ce document, celle-ci peut désigner une personne capable et majeure à cette fin, à condition que cette dernière n'ait aucun intérêt matériel ou moral à son décès.
Ce document, les comptes rendus des différents entretiens, le rapport de l'équipe pluridisciplinaire et, s'il y a lieu, le testament de vie sont versés au dossier médical de la personne.
Celle-ci peut à tout moment révoquer sa demande auquel cas les documents mentionnés à l'alinéa précédent lui sont restitués.
L'assistance médicalisée au suicide ne peut avoir lieu avant l'expiration d'un délai de 15 jours après la rédaction du document en confirmant la demande. Si la personne concernée le souhaite, cet acte peut avoir lieu en présence des proches qu'elle aura, elle-même, désignés.
Dans un délai de quatre jours ouvrables après cet acte, le médecin qui a prêté son concours fait un rapport détaillé à la Commission nationale d'évaluation et de contrôle créée à l'article 20 expliquant les raisons qui l'ont motivé et les conditions dans lesquelles il s'est déroulé. À ce rapport, sont joints les documents visés au quatrième alinéa.
Article 11
Lorsqu'une personne majeure et capable est, de manière permanente, hors d'état d'exprimer sa volonté, une euthanasie ne peut être pratiquée à son égard, par un médecin, qu'à condition qu'elle en ait exprimé, expressément et sans ambiguïté, la volonté dans un testament de vie dûment enregistré et valide, et qu'elle soit atteinte d'un handicap ou d'une affection d'une particulière gravité, quelle qu'en soit l'origine, reconnus comme irréversibles ou incurables, compte tenu de l'état des connaissances scientifiques au moment du diagnostic. Ledit médecin doit, en outre, respecter les obligations figurant à l'article suivant.
Article 12
Préalablement à l'euthanasie, le médecin demande l'avis d'une équipe pluridisciplinaire composée d'au moins quatre personnes dont deux médecins exerçant dans un établissement de santé, public ou privé, dont l'un est spécialisé dans l'affection ou le handicap dont est atteinte la personne et l'autre inscrit sur la liste d'experts dressée par le bureau de la Cour de cassation ou par celui d'une Cour d'appel et deux personnes qualifiées tenues au secret et à la discrétion professionnels, choisies, notamment, parmi les auxiliaires médicaux, les assistants sociaux ou les psychologues.
L'équipe pluridisciplinaire s'entretient avec la personne de confiance désignée dans le testament de vie, avec les proches et avec l'équipe soignante.
Les réunions de cette équipe peuvent se faire en présence d'un médecin désigné par la personne de confiance.
Ladite équipe rédige un rapport, dans les quinze jours de sa saisine, afin de déterminer si les conditions mentionnées à l'article précédent sont remplies.
Si elle conclut positivement, le médecin peut pratiquer une euthanasie.
Dans un délai de quatre jours ouvrables après cet acte, le médecin qui l'a pratiqué fait un rapport détaillé à la Commission nationale créée à l'article 20 expliquant les raisons qui ont motivé ledit acte et les conditions dans lesquelles il s'est déroulé. À ce rapport sont joints celui de l'équipe pluridisciplinaire ainsi que le testament de vie et les comptes rendus des différents entretiens.
Article 13
L'article 221-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, n'est pas considérée comme un meurtre encourant la peine prévue au premier alinéa, l'euthanasie à l'égard d'une personne qui en a expressément et sans ambiguïté exprimé la volonté dans un testament de vie dûment enregistré et valide et lorsque sont respectées les conditions et procédures fixées par la loi n° ........ du ......... relative à l'autonomie de la personne, au testament de vie, à l'assistance médicalisée au suicide et à l'euthanasie volontaire ».
Article 14
L'article 221-5 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, n'est pas considérée comme un empoisonnement encourant les peines prévues aux deuxième et troisième alinéas, l'euthanasie à l'égard d'une personne qui en a expressément et sans ambiguïté exprimé la volonté dans un testament de vie dûment enregistré et valide et lorsque sont respectées les conditions et procédures fixées par la loi n° ........ du ......... relative à l'autonomie de la personne, au testament de vie, à l'assistance médicalisée au suicide et à l'euthanasie volontaire ».
Article 15
L'article 223-6 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, en cas d'euthanasie ou de suicide médicalement assisté lorsque sont respectées les conditions et procédures fixées par la loi n° ........ du ......... relative à l'autonomie de la personne, au testament de vie, à l'assistance médicalisée au suicide et à l'euthanasie volontaire, les faits mentionnés à l'alinéa précédent ne constituent pas un délit punissable des peines prévues au premier alinéa. »
Article 16
Le médecin n'est jamais tenu de pratiquer une euthanasie ou une assistance médicalisée au suicide.
En cas de refus, il le signifie sans délai à la personne concernée ou, à défaut, à la personne de confiance désignée par cette dernière, indique le nom de praticiens exerçant dans l'établissement de santé ou médico-social dans lequel la personne est hébergée, susceptibles de pratiquer cet acte ou, s'il n'y en pas, les coordonnées d'un établissement où une telle possibilité existe. Il ne peut s'opposer au transfert de la personne concernée dans ledit établissement.
Aucun membre de l'équipe soignante n'est tenu de concourir à une euthanasie ou à une assistance médicalisée au suicide.
Article 17
Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui concerne les contrats où elle était partie et, en particulier les contrats d'assurance, la personne dont la mort a été la conséquence d'une euthanasie ou d'une assistance médicalisée au suicide respectant les conditions et procédures fixées par la présente loi.
Article 18
Les dispositions de l'article 909 du code civil sont applicables aux médecins et aux membres de l'équipe soignante qui ont participé à une euthanasie ou à une assistance médicalisée au suicide respectant les conditions et procédures fixées par la présente loi.
Article 19
Le deuxième alinéa de l'article L.1112-4 du code de la santé publique est complété par la phrase suivante : « Ils assurent également, dans le cadre de la formation initiale et continue des professionnels de santé, une information sur les conditions dans lesquelles une assistance médicalisée au suicide ou une euthanasie peut être pratiquée. »
TITRE III
DE LA COMMISSION NATIONALE D'ÉVALUATION
ET DE
CONTRÔLE DES PRATIQUES EN MATIÈRE D'EUTHANASIE ET D'ASSISTANCE
MÉDICALISÉE AU SUICIDE
Article 20
Il est institué, auprès du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre chargé de la santé, une commission nationale d'évaluation et de contrôle chargée d'examiner si les conditions et procédures fixées par la présente loi en matière d'assistance médicalisée au suicide ou d'euthanasie ont été respectées.
Article 21
La commission mentionnée à l'article précédent comprend 20 membres nommés pour une durée de quatre ans renouvelable une fois, équitablement répartis en quatre sections. En cas de besoin, une section temporaire, composée de membres pris dans d'autres sections, peut être formée.
Article 22
La commission instituée à l'article 20 est composée de :
- Quatre membres du Conseil d'État, désignés par son vice-président parmi les conseillers d'État ou les maîtres des requêtes ;
- Quatre membres de la Cour de cassation désignés par son premier président parmi les conseillers ou les conseillers référendaires ;
- Six médecins dont quatre exerçant dans un établissement de santé, public ou privé, un psychiatre et un spécialiste de l'éthique clinique et de la fin de vie nommés par le ministre chargé de la santé ;
- Quatre représentants des associations d'usagers du système de santé nommés par le ministre chargé de la santé ;
- Deux personnalités qualifiées nommées par le ministre chargé de la santé et spécialisées dans les problèmes de fin de vie des personnes dont l'état est irréversible ou incurable.
Article 23
Les membres de la commission instituée à l'article 20 sont tenus au secret et à la discrétion professionnels. Ils ne peuvent prendre part ni aux délibérations ni aux votes de la section à laquelle ils appartiennent, ni à celles et ceux de l'assemblée plénière s'ils ont un intérêt direct ou indirect au cas examiné.
Article 24
Les décisions de chaque section, qui peut entendre le médecin qui a pratiqué l'assistance médicalisée au suicide ou l'euthanasie, sont prises à la majorité.
Toute décision de section est rendue deux mois au plus tard après la transmission du rapport rédigé par le médecin.
Lorsqu'une section estime que les procédures, qu'il s'agisse d'aide médicalisée au suicide ou d'euthanasie, n'ont pas été respectées, le cas est examiné par la commission réunie en assemblée plénière. Celle-ci peut entendre le praticien concerné.
Toute décision prise en assemblée plénière est rendue un mois au plus tard après la saisine par la section.
En cas de partage des voix, en assemblée plénière, celle du Président de la commission est prépondérante.
Si l'assemblée plénière confirme la décision de section, le dossier complet, auquel sont joints, s'il y a lieu, les comptes rendus d'audition du médecin concerné, est transmis au Procureur de la République territorialement compétent.
Article 25
L'organisation et le fonctionnement de la commission créée à l'article 20 ainsi que les modalités d'élection de son président sont fixés par décret en Conseil d'État.
Article 26
Un an après l'entrée en vigueur de la présente loi, l'Autorité instituée à l'article 5 et la commission instituée à l'article 20, après consultation du Comité prévu à l'article L. 1412-1 du code de la santé publique, remettent, chacune, un rapport au Gouvernement et au Parlement qui évalue leurs pratiques et propose, s'il y a lieu, toutes modifications afin d'améliorer leurs conditions de fonctionnement ainsi que les procédures mises en place.