Limiter les licenciements pour convenance boursière
N°
397
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 20 juin 2001
PROPOSITION DE LOI
tendant à
limiter
les
licenciements
pour convenance boursière
,
PRÉSENTÉE
Par MM. Paul LORIDANT, Jean-Yves AUTEXIER, Guy FISCHER et Roland MUZEAU
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Entreprises. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En septembre 1999, les dirigeants du groupe Michelin annonçaient une
hausse de 20% du bénéfice semestriel du groupe ainsi que le
licenciement de plus de 7500 salariés. Dans la foulée l'action du
producteur de pneumatique enregistrait une hausse de 12%.
Depuis cette date, et malgré le vote de la loi sur les nouvelles
régulations économiques censée mettre fin à ces
pratiques, l'actualité économique et sociale est rythmée
par la succession des plans de fusion, d'acquisition ou de
« restructuration » de grands groupes avec souvent à
la clé des milliers de licenciements.
L'opinion, choquée, voit dans cette trilogie, « profit -
licenciements massifs - valorisation du cours de bourse », le symbole
d'une logique financière qui tend à s'imposer à l'ensemble
de la planète.
Pour justifier ces licenciements et cette course effrénée au
gigantisme, qu'il s'agisse notamment du feuilleton bancaire de
l'été 1999 entre la BNP, Paribas et la Société
Générale, ou de la guerre que se sont livrés Elf et
Total-Fina dans l'industrie pétrolière, les PDG invoquent en
choeur la nécessité de « créer de la
valeur ».
Cette expression signifie, dans la réalité, la confiscation par
les seuls actionnaires de la valeur ajoutée créée par
d'autres : dans les entreprises elles-mêmes, par les
différentes catégories de salariés, hors de l'entreprise,
par l'ensemble de l'environnement socio-économique et par les services
publics notamment en matière d'éducation ou de recherche.
La méthode de ces nouveaux dirigeants est simple, efficace et
malheureusement facile à mettre en oeuvre au regard de l'absence de
réelle réglementation économique et sociale dans notre
pays.
Alors même que ces grandes entreprises dégagent souvent de
confortables bénéfices, les dirigeants, sous la pression des
actionnaires en attente de toujours plus de dividendes, décident de
lancer une opération de restructuration ou de fusion. Pour rendre
l'entreprise attirante, les actionnaires ou les futurs actionnaires se voient
offrir des charrettes de licenciements. Le cours de l'action monte
immédiatement et les dirigeants se récompensent par de
confortables augmentations de salaires notamment sous forme de stock-options.
Ainsi, aux Etats-Unis, les PDG des neuf plus grosses entreprises qui, entre
1990 et 1996, avaient licencié 305 000 salariés ont perçu
chacun un salaire annuel d'environ deux millions de dollars. Avec leurs
stock-options et leurs autres avantages, leur revenu annuel dépassait,
après ces vagues de licenciement, plus de cinq millions de dollars
chacun.
En France, M. Philippe Jaffré, PDG d'Elf, réunissant ses
actionnaires étrangers en petit comité déclarait :
« Depuis que je suis en poste, j'ai réduit de 15% le nombre de
salariés français du groupe(...) et je continuerai ».
Quelques semaines après le raid victorieux de Total-Fina sur le groupe
Elf, la France médusée découvrait que M. Jaffré
avait négocié quelques 40 millions de francs d'indemnités
de départ auxquels il fallait ajouter les 200 000 stock-options
accumulés, soit un pactole de plus de 200 millions de francs.
A travers des instruments tels que les fonds de pension, les actionnaires
exercent une pression constante sur les critères de gestion des
entreprises et sur leurs effectifs.
Les salariés, les citoyens, ne disposant pas des mêmes
facilités de mouvement que le capital financier, sont condamnés
à subir les conséquences des fermetures d'entreprises.
Face à cette logique financière destructrice, la puissance
publique doit se donner de nouveaux moyens pour maintenir la cohésion
sociale. Elle doit également sauvegarder les fondements de l'exception
française, marquée par un souci permanent de réaliser un
équilibre entre la compétitivité économique et
l'impératif de justice sociale au travers d'un Etat acteur de la vie
économique et sociale.
Les sénateurs signataires de ce texte proposent, à
l'
article
1
er
de sanctionner les actionnaires de
grandes entreprises dégageant de confortables bénéfices et
qui procèdent pourtant à des licenciements massifs en proscrivant
la distribution de dividendes pendant une durée de trois années
consécutives. Le versement de dividendes aux actionnaires, preuve d'une
bonne santé économique et financière de l'entreprise,
n'est pas compatible avec des plans de licenciements qui devraient être
le signe pour une entreprise de sérieuses difficultés.
L'
article 2
, dans le même souci de répartir
équitablement les efforts entre les actionnaires et les salariés,
vise à interdire à cette même entreprise d'être
à l'origine d'une offre publique d'échange ou d'achat. Cette
disposition tend à empêcher certains dirigeants de se constituer
une « cagnotte » par des licenciements massifs en vue de
lancer des raids contre d'autres entreprises.
L'
article
3
démontre l'esprit de responsabilité des
signataires de la présente proposition de loi puisqu'il a pour objet de
protéger l'entreprise qui se sera vue interdire de distribuer des
dividendes à ses actionnaires contre des offres inamicales d'achat ou
d'échange. La suspension de la distribution de dividendes pourrait en
effet avoir comme conséquence une baisse du cours de bourse de la dite
entreprise et donc une plus grande vulnérabilité. Aussi, seule la
puissance publique, par l'intermédiaire des ministres de
l'économie et des finances et des affaires sociales, serait en mesure
d'autoriser une éventuelle offre d'échange ou d'achat.
Il se fixe également pour mission de moraliser la distribution des
stock-options parmi les mandataires sociaux et les cadres dirigeants. Il est en
effet choquant que ces derniers profitent financièrement des
licenciements qu'ils ont eux-mêmes préparés. Aussi, il est
proposé d'interdire pendant trois années consécutives la
possibilité d'acquérir des options d'achat d'actions dans une
entreprise qui, bien que dégageant de confortables
bénéfices, procède à des licenciements.
Pour ces différentes raisons, il vous est proposé, Mesdames,
Messieurs, d'adopter la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1
er
Après l'article L. 232-12 du code de commerce, il est
inséré un article L. 232-12-1 ainsi rédigé :
«
Art. L. 232-12-1
. - Aucune distribution de dividendes ne
peut être faite aux actionnaires pendant trois années
consécutives lorsque la société, dont le chiffre
d'affaires hors taxes est supérieur à 50 millions d'Euros, a
procédé à des licenciements dans le cadre d'un plan social
et que l'arrêté des comptes a constaté l'existence d'un
résultat net d'exploitation bénéficiaire. »
Article 2
Après l'article L. 224-3 du code de commerce, il est
inséré un article L. 224 -4 ainsi rédigé :
«
Art. L. 224- 4.
- I. La société, dont le
chiffre d'affaires hors taxes est supérieur à 50 millions
d'Euros, ne peut, pendant trois années consécutives, être
à l'initiative d'une offre publique d'achat ou d'échange
lorsqu'elle a procédé à des licenciements dans le cadre
d'un plan social et que l'arrêté des comptes a constaté
l'existence d'un résultat net d'exploitation bénéficiaire.
« II. La même société ne peut faire l'objet d'une
offre publique d'échange ou d'achat pendant ce même délai
qu'après un avis conforme du ministre de l'économie et des
finances et du ministre de l'Emploi et des affaires sociales. »
Article 3
Après l'article L. 225-186 du code de commerce, il est
inséré un article L. 225- 186-1 ainsi rédigé :
«
Art. L. 225-186-1
.- Lorsque l'arrêté des
comptes a constaté un résultat net d'exploitation
bénéficiaire, aucune option donnant droit à la
souscription d'achat d'actions ne peut être consentie aux mandataires
sociaux et aux cadres dirigeants pendant les trois années qui suivent la
mise en oeuvre de licenciements dans le cadre d'un plan
social. »