N°
488
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 30
juin 1999
Enregistré à la Présidence du Sénat le
1
er
septembre 1999
PROJET DE LOI
portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relatif à la signature électronique ,
PRÉSENTÉ
au nom de M. LIONEL JOSPIN,
Premier ministre,
par MME ÉLISABETH GUIGOU,
garde des sceaux, ministre de la justice.
(Renvoyé à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Droit civil. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le
projet de loi qui vous est soumis a pour objet de réaliser une
adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information.
Les dispositions du code civil sur la preuve, qui ont été
rédigées à une époque où le papier
était le seul support utilisé pour constater l'existence et le
contenu des contrats et en faire la preuve, sont mal adaptées à
la " société de l'information ".
L'assimilation de la preuve par écrit au papier, dans la lecture qui
est traditionnellement faite de l'article 1341 du code civil, s'accommode mal
des évolutions technologiques qui conduisent de plus en plus
fréquemment à la dématérialisation des
échanges.
Si la règle de la primauté de la preuve par écrit a connu
de nombreux assouplissements, sous l'influence tant du législateur, qui
est intervenu en 1980 pour élargir le champ des exceptions à
l'article 1341 du code civil, que de la jurisprudence, qui a notamment admis la
validité des conventions sur la preuve, il subsiste néanmoins des
incertitudes sur l'admissibilité comme mode de preuve des messages
dématérialisés ainsi que sur leur force probante.
A l'heure où les pouvoirs publics encouragent l'usage de l'internet et
cherchent à favoriser le développement du commerce
électronique, il importe de créer un cadre juridique clair et
sûr, propre à créer la confiance dans les transactions
électroniques.
La nécessité d'une réforme législative en ce
domaine est d'ailleurs largement reconnue.
Le Conseil d'Etat a remis en juillet 1998 au Premier ministre un rapport sur
" Internet et les réseaux numériques ", dans lequel il
propose une reconnaissance de la valeur juridique des outils de la transaction
électronique.
Par ailleurs, les réflexions développées dans les
enceintes internationales incitent les Etats à reconnaître la
validité juridique des messages électroniques.
La commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI)
a adopté en 1996 une loi-type sur le commerce électronique qui
encourage la reconnaissance juridique des outils du commerce
électronique. Au plan communautaire, une proposition de directive qui
vise à reconnaître la valeur juridique des procédés
de signature électronique est en cours de discussion. La Commission
européenne vient également de présenter une proposition de
directive visant à la mise en place d'un cadre juridique pour le
développement du commerce électronique.
En outre, plusieurs pays européens, tels que la Belgique,
s'apprêtent à adapter leurs législations afin de
reconnaître une valeur probante aux messages de données
électroniques. D'autres Etats, comme l'Allemagne, disposent
déjà d'une réglementation sur les signatures
électroniques.
Dans ce contexte, l'adaptation de notre droit de la preuve est devenue une
nécessité. Elle permettra en effet à la France, à
ses entreprises et à ses consommateurs, de profiter pleinement de
l'essor du commerce électronique et contribuera de surcroît au
renforcement de l'efficacité du système juridique français.
*
* *
Les
principales dispositions du projet de loi sont les suivantes :
I. - La redéfinition de la preuve littérale :
Le texte proposé introduit au sein du chapitre du code civil traitant
de la preuve des obligations et de celle du paiement, dans la section
première consacrée à la preuve littérale, des
dispositions liminaires générales prenant place avant les
paragraphes particuliers consacrés au titre authentique, à l'acte
sous seing privé et aux autres preuves littérales.
Ce nouveau corps de règles s'ouvre par un article 1316 nouveau qui
définit en quoi consiste la " preuve littérale ",
c'est-à-dire la preuve par écrit. Il le fait en des termes qui
permettent de couvrir aussi bien le document électronique que
l'écrit traditionnel sur support papier.
Cette définition ne concerne que l'écrit exigé
ad probationem
et reste sans incidence sur l'écrit
exigé
ad solemnitatem
.
II. - La reconnaissance explicite de la valeur juridique du document
électronique :
Les dispositions des articles 1316-1 et 1322-1 ont plus spécifiquement
pour objet l'écrit électronique.
Le premier article reconnaît l'admissibilité comme mode de preuve
de l'écrit électronique, au même titre que l'écrit
sur support papier, à condition que les moyens techniques
utilisés donnent des assurances, d'une part, sur la bonne conservation
du message et, d'autre part, sur l'identité de celui dont émane
cet écrit et auquel on entendrait l'opposer.
Le second reconnaît à l'écrit électronique, qui
constate des droits et obligations et qui porte une signature, une force
probante équivalente à celle d'un acte sous seing privé
sur support papier.
Pour lever l'obstacle à l'utilisation du document électronique
que constitue la formalité de la mention manuscrite de la somme en
toutes lettres et en chiffres, exigée pour les actes unilatéraux,
le projet de loi prévoit également de substituer, dans l'article
1326 du code civil, aux mots : " de sa main " les mots :
" par lui-même ".
III. - Le règlement des conflits de preuve littérale :
Le code civil ne contenant actuellement aucun article réglant les
conflits entre preuves littérales, il est proposé
d'insérer dans le code civil un article 1316-2, précisant que le
juge règle ces conflits de preuve en se fondant sur la vraisemblance des
éléments qui lui sont soumis.
Il appartiendra donc souverainement au juge de déterminer au cas par
cas, en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce, quelle
est la preuve littérale qui doit l'emporter sur l'autre.
IV. - La consécration de la validité des conventions sur la
preuve :
La jurisprudence a reconnu la possibilité de passer des conventions sur
la preuve dérogeant aux règles supplétives contenues dans
le code civil. Afin de lever toute incertitude sur la portée exacte de
cette jurisprudence et l'efficacité de certaines conventions sur la
preuve dont la validité n'aurait pas été
expressément reconnue, il est proposé de consacrer cette
faculté par voie législative (article 1316-2 du code civil).
V. - La définition de la signature :
La reconnaissance de l'efficacité du document électronique comme
mode de preuve serait privée de toute portée pratique si elle
restait subordonnée à l'apposition sur celui-ci d'une signature
tracée de la main même de son auteur. Aussi convient-il de
compléter les dispositions précitées par un article
consacrant la validité des procédés dits de
" signature électronique ".
Avant de préciser à quelles conditions une signature peut
être admise sous forme électronique, l'article 1322-1 comporte une
définition de la signature, qui fait actuellement défaut en droit
français. Cette définition, conforme à l'approche
préconisée par la CNUDCI, fait clairement ressortir la double
fonction de la signature, qu'elle soit manuscrite ou non : d'une part,
elle renseigne sur l'identité de l'auteur de l'acte, d'autre part elle
manifeste l'adhésion du signataire au contenu de l'acte.
Le deuxième alinéa du même article, qui traite du cas
où la signature est électronique, précise les conditions
qu'elle doit remplir, mais en des termes généraux, de
manière à pouvoir s'adapter aux évolutions techniques. Est
ainsi requis l'usage d'un processus fiable, permettant d'établir le lien
avec l'acte sur lequel la signature électronique porte.
Dans la perspective de la prochaine adoption de la proposition de directive
européenne sur les signatures électroniques, cet alinéa
instaure également une présomption de fiabilité au
bénéfice des signatures électroniques répondant
à certaines exigences de fiabilité qui seront
précisées par décret en Conseil d'Etat.
PROJET DE LOI
Le
Premier ministre,
Sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice,
Vu l'article 39 de la Constitution,
Décrète :
Le présent projet de loi portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relatif à la signature électronique, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat, sera présenté au Sénat par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui sera chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.
Article 1er
I. -
L'article 1316 du code civil devient l'article 1315-1.
II. - Les paragraphes 1er, 2, 3, 4 et 5 de la section première du
chapitre VI du titre troisième du livre troisième du code civil
deviennent respectivement les paragraphes 2, 3, 4, 5 et 6.
III. - Il est inséré, avant le paragraphe 2 de la section
première du chapitre VI du titre troisième du livre
troisième du code civil, un paragraphe 1er intitulé :
" Dispositions générales ", comprenant les articles
1316 à 1316-2 ainsi rédigés :
"
Art. 1316.
- La preuve littérale ou par écrit
résulte d'une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de
tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible,
quels que soient leur support et leurs modalités de transmission.
"
Art. 1316-1.
- L'écrit sous forme électronique est
admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, sous
réserve que puisse être dûment identifiée la personne
dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des
conditions de nature à en garantir l'intégrité.
"
Art. 1316-2
. - Lorsque la loi n'a pas fixé d'autres
principes, et à défaut de convention valable entre les parties,
le juge règle les conflits de preuve littérale en
déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable quel qu'en
soit le support. "
Article 2
Après l'article 1322 du code civil, il est inséré un
article 1322-1 ainsi rédigé :
"
Art. 1322-1.
- La même force probante est attachée
à l'écrit sous forme électronique lorsqu'il constate des
droits et obligations et qu'il est signé. "
Article 3
Après l'article 1322-1 du code civil, il est inséré un
article 1322-2 ainsi rédigé :
"
Art. 1322-2.
- La signature nécessaire à la
perfection d'un acte sous seing privé identifie celui qui l'appose et
manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte.
" Lorsqu'elle est électronique, elle consiste en l'usage d'un
procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte
auquel elle s'attache. La fiabilité de ce procédé est
présumée, jusqu'à preuve contraire, lorsque la signature
électronique est créée, l'identité du signataire
assurée et l'intégrité de l'acte garantie, dans des
conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. "
Article 4
A l'article 1326 du code civil, les mots : " de sa main " sont remplacés par les mots : " par lui-même ".
Article 5
La
présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, dans les
territoires d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Mayotte.
Fait à Paris, le 1
er
septembre 1999
Signé : LIONEL JOSPIN
Par le Premier ministre :
Le garde des sceaux, ministre de la justice,
Signé : Elisabeth GUIGOU