EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 30 novembre 2022, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement sur les emballages et déchets d'emballages ainsi qu'un cadre d'action relatif aux plastiques biosourcés, biodégradables et compostables. Ce texte s'inscrit dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe1(*) et du nouveau plan d'action de l'UE en faveur de l'économie circulaire2(*).

Le règlement présenté a vocation à, d'une part, remplacer la directive 94/62/CE relative aux emballages et aux déchets d'emballages, qui a été modifiée à plusieurs reprises, et, d'autre part, modifier la directive (UE) 2019/904, qui a interdit la mise sur le marché de certains produits plastiques à usage unique à compter du 3 juin 2021. Il s'agit d'actualiser et de renforcer le cadre législatif de l'Union européenne relatif à la gestion des emballages et déchets d'emballages, afin de réduire drastiquement leur incidence environnementale et d'encourager le développement d'un marché intérieur des emballages. Le commissaire européen à l'environnement, aux océans et à la pêche, M. Virginijus Sinkevièius a ainsi justifié, dans un communiqué, ce nouvel acte législatif : « chaque jour, nous produisons un demi-kilogramme de déchets d'emballages par personne. Les nouvelles règles représentent des étapes cruciales pour faire de l'emballage durable la norme dans l'UE. Nous créerons les conditions propices à la bonne application des principes de l'économie circulaire : réduire, réutiliser et recycler ».

· L'Union européenne ne parvient pas à réduire la quantité d'emballages produits et de déchets d'emballages

Par leur impact négatif sur l'environnement, les emballages et déchets d'emballages constituent une préoccupation environnementale majeure en Europe et dans le monde. Or la tendance dans l'Union européenne est à une augmentation continue de la production et de l'utilisation d'emballages, en raison notamment du développement du commerce en ligne et de la vente à emporter au cours des dernières années. La pandémie de Covid-19 a, d'ailleurs, marqué une régression dans ce domaine, avec une augmentation très significative de la consommation de plastiques et de produits emballés, favorisant le retour en force du « tout-jetable ». Selon la Commission européenne, si aucune nouvelle mesure n'est prise, le volume des déchets produits devrait continuer à progresser dans les prochaines années dans des proportions importantes : de 19 % pour les déchets d'emballages et de 46 % pour les déchets d'emballages plastiques, d'ici à 2030.

De fait, en 2020, un Européen a produit 177 kg de déchets d'emballages, contre 154 kg en 2010. Seuls 65 % de ces déchets d'emballages ont été recyclés. En effet, les emballages techniquement recyclables ne sont pas souvent recyclés en raison d'une indisponibilité ou d'un manque de rentabilité des processus de collecte, de tri et de recyclage. Par ailleurs, entre 2012 et 2020, la part des emballages non recyclables a aussi progressé. Près de 30 millions de tonnes de matériaux sont donc encore incinérés, mis en décharge ou abandonnés dans la nature. Force est de noter également que les emballages représentent 36 % des déchets solides des communes.

Dans l'Union européenne, la production d'emballages a atteint, en 2019, 138,1 milliards d'euros. La France contribue à hauteur de 13 % à cette production, avec un chiffre d'affaires de 18,3 milliards d'euros, ce qui la place en troisième position derrière l'Allemagne (20 %) et l'Italie (15 %).

L'emballage constitue, par ailleurs, l'un des principaux secteurs utilisant des matériaux vierges, puisque 40 % des plastiques et 50 % du papier utilisés dans l'UE sont destinés à l'emballage. Alors qu'en France, les emballages en plastique constituent la principale production, en Europe, les emballages en papier-carton représentent la part la plus importante, de l'ordre de 40 % des ventes du secteur.

On constate aussi une augmentation continue des émissions de gaz à effet liées à la production de plastiques, alors même que l'Union européenne s'est engagée à atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. L'atteinte de cet objectif nécessite de réduire considérablement l'usage des plastiques à l'échelle européenne et, par conséquent, de diminuer la production d'emballages utilisant cette matière.

· Pourtant, l'Union européenne dispose déjà d'une législation très ambitieuse en matière de réduction des emballages et déchets d'emballages

La gestion des déchets fait l'objet d'une politique européenne depuis 1975, dont le cadre initial a été refondu par la directive-cadre (UE) 2008/851 relative aux déchets et complété par des directives sectorielles. Le Paquet économie circulaire, adopté le 30 mai 2018, a renforcé ce cadre qui a encore été complété par la directive (UE) 2019/904 du 5 juin 2019 relative à la réduction de l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement.

Ainsi, l'Union européenne a adopté plusieurs textes visant à réduire quantitativement la production et la consommation d'emballages et fixant des objectifs de recyclage et de réemploi de ces emballages d'ici à 2026 :

- la directive 94/62/CE du 20 décembre 1994, qui a été modifiée à plusieurs reprises, vise à harmoniser les mesures nationales concernant la gestion des emballages et déchets d'emballages, dans le respect des règles de libre circulation et de concurrence. Les objectifs fixés par ce texte ont été modifiés par la directive (UE) 2018/852 afin de favoriser la réutilisation, le recyclage et les autres formes de valorisation des déchets plutôt que leur élimination finale ;

- la directive européenne (UE) 2019/904 a interdit la mise sur le marché de certains produits plastiques à usage unique à compter du 3 juin 2021.

Ces textes fixent aux États membres des objectifs de recyclage généraux contraignants et déclinés pour des matières spécifiques, à atteindre en deux étapes : au moins 65 % en poids de tous les déchets d'emballages devront être recyclés avant le 31 décembre 2025 et 70 % avant le 31 décembre 2030. Ils imposent aussi la collecte séparée de certains déchets (déchets ménagers dangereux, biodéchets et textiles), ainsi que des objectifs impératifs de collecte de certains produits en plastique (90 % des bouteilles avant 2029) et un taux minimal de produits recyclés (25 % pour les bouteilles en 2025, puis 30 % en 2030).

Une marge de manoeuvre assez importante a été laissée aux États-membres dans la mise en application de ces textes. La France, avec la loi AGEC3(*), a ainsi décidé de mesures plus ambitieuses, avec des objectifs avancés par rapport aux textes européens.

· Les évolutions proposées par la Commission européenne pour lutter contre cette production croissante de déchets d'emballages

Considérant que la directive actuelle a « manqué son objectif », la Commission européenne a proposé un texte qui fixe des objectifs obligatoires, des exigences plus élevées ainsi des règles harmonisées au sein de l'UE afin de réduire les incidences négatives des emballages et des déchets d'emballages sur l'environnement.

L'étude d'impact réalisée par la Commission européenne a, en effet, identifié trois obstacles majeurs à l'atteinte des objectifs de l'UE en matière de réduction des déchets :

- la production croissante d'emballages, liée à de nouvelles habitudes de consommation ;

- des freins persistants au recyclage et à la réutilisation des emballages ;

- la faible qualité du recyclage des emballages en plastique et l'utilisation de matières premières secondaires.

Pour y répondre, la proposition de règlement, présentée le 30 novembre dernier, poursuit trois objectifs principaux :

- réduire la production de déchets d'emballages dès la conception des produits et réduire leur quantité ;

- promouvoir une économie circulaire pour les emballages de manière économiquement viable ;

- encourager l'utilisation de contenu recyclé dans les emballages.

Ø La Commission européenne fixe un objectif national de réduction des déchets d'emballages

La Commission européenne impose ainsi, pour la première fois, un objectif de réduction des déchets d'emballages par habitant et par État membre de 5 % d'ici 2030, de 10 % d'ici 2035 et de 15 % d'ici 2040 par rapport à 2018. La Commission estime que cela équivaut à une réduction globale des déchets d'emballages de 37 % en 2040 par rapport à un scénario sans modification de la législation.

Certaines formes d'emballages seront interdites, comme les emballages à usage unique pour les aliments et les boissons consommés dans les restaurants et les cafés, certains emballages miniatures, notamment ceux distribués dans les hôtels ou les emballages pour les fruits et légumes.

Ø La Commission européenne propose des objectifs et des mesures visant à accroître la recyclabilité et la réutilisation des emballages

La proposition de règlement fixe aussi de nouveaux objectifs de recyclage, et plus particulièrement de certaines matières contenues dans les emballages (plastique, bois, fer, aluminium, verre, papier et carton) ainsi que des objectifs quantitatifs, pour certains secteurs, de réemploi et de recharge. Elle établit aussi des objectifs contraignants de réemploi et de recharge à partir de 2030 et 2040, à l'échelle de l'UE pour les opérateurs économiques pour un certain nombre d'activités (boissons, vente de repas à emporter, emballages de transport). Elle détermine des exigences de durabilité pour les emballages, notamment en termes de recyclage et de critères de fabrication, à l'égard des industriels. Le texte impose aussi des obligations de recyclage et de compostage pour quatre formats d'emballage. Tous les emballages devront être recyclables d'ici 2030.

Des systèmes de consignation sont également prévus. Dans ce cadre, la Commission européenne prévoit la mise en place d'un système de consigne obligatoire pour les bouteilles en plastique et les cannettes en aluminium d'ici à 2029. Une exemption à cette obligation sera toutefois possible pour les États membres dotés d'un système de collecte sélective dès lors qu'ils atteignent 90 % de l'objectif de collecte sur les deux années consécutives 2026-2027.

Le texte fixe aussi des exigences en matière d'étiquetage, de marquage et d'information, qui doivent permettre de faciliter le tri par le consommateur ainsi qu'en matière de mise sur le marché des emballages.

Le texte prévoit une responsabilité élargie des producteurs, avec notamment la mise en place d'un registre pour contrôler la conformité au règlement des producteurs d'emballages, et l'obligation pour ces derniers de s'enregistrer dans chaque État membre où ils disposeraient d'outils de production.

· Pour atteindre les objectifs fixés, la Commission européenne fait le choix d'un règlement en remplacement d'une directive

Afin d'atteindre plus sûrement ces objectifs, la Commission a fait le choix de présenter un règlement qui, étant d'application directe par les États membres, est plus contraignant, alors que cette question relevait jusqu'à présent d'une directive, laquelle implique une transposition, dans les différents droits nationaux, des obligations qu'elle assigne et laisse ainsi plus de flexibilité au niveau national. Elle considère, en effet, que la directive n'a pas eu d'effet significatif puisqu'elle n'a pas permis de réduire l'écart croissant entre le taux de recyclage et le volume de déchets d'emballages dans l'Union européenne. Sa mise en oeuvre par les États membres a ainsi conduit à l'adoption de règles nationales disparates qui sont soupçonnées d'avoir empêché d'atteindre, pour l'instant, les objectifs à l'échelle de l'UE.

La règlementation en matière d'emballages diffère, en effet, d'un État membre à l'autre. Ces différences concernent notamment les exigences en matière d'étiquetage des emballages, la définition des emballages recyclables ou réutilisables, la modulation des redevances de responsabilité élargie des producteurs et les restrictions de commercialisation pour certains formats d'emballage. Elles peuvent être sources d'incertitude juridique pour les entreprises, ce qui ne favorise pas les investissements dans des produits innovants et respectueux de l'environnement.

Du fait qu'il n'apporte pas autant de souplesse que la directive de 1994, le choix d'un règlement peut être interrogé même si la Commission le justifie au regard d'un besoin d'harmonisation des dispositifs nationaux pour une mise en oeuvre efficace de ses objectifs, compte tenu de la tendance haussière de la production d'emballages et des déchets d'emballages en Europe.

Le choix de cet instrument juridique n'a pas les faveurs de certains États membres, notamment l'Autriche, la Belgique ou la République tchèque, d'autant qu'il impose de nombreuses obligations directement aux États membres. Les autorités françaises, pour leur part, n'ont pas d'objection sur le choix de l'instrument par la Commission européenne.

Il faut toutefois relever que le maintien d'une directive permettrait de préserver des marges de manoeuvre nationales dans la mise en oeuvre des mesures prévues, sans remettre en cause les choix déjà réalisés par les États membres dans le domaine de la gestion des déchets d'emballages, et serait en cohérence avec le choix d'un autre instrument juridique, la directive, retenu pour d'autres textes traitant de ce domaine d'action4(*).

Le Sénat est attentif à ce que ce texte contribue à la définition de politiques publiques vertueuses en matière de prévention des déchets et de lutte contre la pollution liée aux emballages, et encourage les changements de comportements des consommateurs européens, mais il souhaite aussi que les États membres puissent conserver des flexibilités pour tenir compte des spécificités nationales et des actions déjà engagées qui peuvent poursuivre des objectifs plus ambitieux que ceux proposés par la proposition de règlement, sans entraver le fonctionnement du marché intérieur.

· Une base juridique qui pourrait être utilement complétée pour sécuriser les législations nationales ambitieuses en matière de gestion des déchets

La Commission européenne fonde sa proposition, au même titre que l'actuelle directive de 1994 relative aux emballages et déchets d'emballages, sur le seul article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui confère aux institutions européennes toute compétence pour arrêter les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Elle considère que les approches réglementaires divergentes des États membres sont un facteur d'insécurité juridique pour les entreprises et un frein à l'innovation.

C'est sur cette base juridique que la Commission entend promouvoir un véritable marché intérieur des emballages tenant compte de l'ensemble du cycle de vie, de la production au recyclage ou réemploi des déchets. La production d'emballages et la gestion des déchets d'emballages sont, en effet, un secteur économique essentiel pour répondre à l'ambition européenne du Pacte vert de neutralité climatique à l'horizon 2050 et pour assurer la transition vers une économie européenne durable. Ce secteur représente aujourd'hui un chiffre d'affaires total de 370 milliards d'euros dans l'Union européenne.

Toutefois, ce texte recouvre une dimension environnementale qui pourrait tout autant justifier qu'il soit aussi pris sur le fondement de l'article 192 du même traité, qui prévoit la manière dont est mise en oeuvre la politique de l'Union européenne dans le domaine de l'environnement et qui constitue la base juridique traditionnelle des textes traitant de la gestion des déchets. La proposition d'une double base juridique est avancée par un certain nombre d'États membres, dont la France. Un précédent récent est constitué par les modifications apportées au règlement relatif aux batteries et aux déchets de batteries5(*). Les discussions ont abouti à y inclure une deuxième base juridique concernant les dispositions relatives à la responsabilité élargie des producteurs et à la gestion des déchets de batterie.

Selon une jurisprudence constante de la Cour européenne de justice de l'Union européenne (CJUE), le choix de la base juridique d'un acte de l'Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel ; « la détermination de la base juridique d'un acte doit, en effet, se faire en considération de son but et de son contenu propres »6(*). À titre exceptionnel, il peut être établi que l'acte poursuit plusieurs objectifs, indissociablement liés, et sans que l'un soit accessoire par rapport à l'autre, ce qui permet de fonder un tel acte sur plusieurs bases juridiques, sauf si ces bases prévoient des procédures incompatibles. Le traité de fonctionnement de l'Union européenne établit également que les différentes bases juridiques ont des conséquences différentes en termes de pouvoirs accordés aux États membres et de procédures prévues au niveau de l'Union pour l'examen et l'approbation de mesures nationales plus strictes.

À cet égard, le Sénat estime qu'il apparaît opportun de fonder le texte législatif sur une double base légale - « marché intérieur » et « environnement » - afin de ne pas remettre en cause les pratiques nationales très ambitieuses déjà mises en oeuvre, ou qui pourraient l'être, notamment en matière de responsabilité élargie des producteurs (REP) et de gestion des déchets d'emballages.

· Une obligation de mise en place d'une consigne pour les bouteilles en plastiques et les canettes en aluminium qui ne respecte pas le principe de subsidiarité

L'article 5 du traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ». Ce principe est indissociable de celui de proportionnalité. Ainsi, en vertu de ce dernier, les moyens mis en oeuvre par l'Union pour réaliser les objectifs fixés par les traités ne peuvent aller au-delà de ce qui est nécessaire, comme le fait valoir l'article précité. Les politiques en faveur du développement d'un marché intérieur des emballages et de gestion des déchets, promues par l'Union européenne, relèvent de compétences partagées et doivent donc se conformer aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

La volonté d'harmonisation de la Commission européenne tend ainsi à remettre en cause, par une approche uniforme et contraignante, des dispositifs déjà mis en place par les États membres en matière de collecte, de recyclage et de réemploi des déchets, qui ont fait l'objet d'investissements importants, notamment de la part des collectivités territoriales, et qui ont déjà fait la démonstration de leur efficacité. Il faut, par ailleurs, rappeler que la pandémie de Covid-19 a entraîné le report de certains investissements prévus par les collectivités territoriales françaises pour l'extension des consignes de tri. La mise en oeuvre des objectifs fixés par l'UE ne saurait ignorer les spécificités nationales dans le domaine de la collecte et du recyclage des déchets d'emballages.

Or le Sénat relève spécifiquement une disposition prévue par la proposition de règlement qui serait de nature à remettre en cause des choix précédemment réalisés par les États membres et n'apparaît pas suffisamment justifiée au regard de l'objectif de réduction des emballages en plastique : ainsi, l'article 44 du texte soumis au Sénat établit l'obligation, pour les États membres, de mettre en place des systèmes de consigne pour les bouteilles en plastique et les canettes en aluminium d'ici à 2029, à l'exception de certains types d'emballages (vins, vins aromatisés, spiritueux, lait et produits laitiers). La dérogation prévue à cet article - au bénéfice des États membres dont le taux de collecte des emballages visés dépasse 90 % sur la période 2026-2027 revient, par conséquent, à avancer de trois ans l'objectif européen actuel. La directive européenne du 5 juin 2019 sur les plastiques à usage unique impose, en effet, aux États membres d'atteindre un taux de collecte séparé des bouteilles en plastique de 90 % en 2029, et de 77 % en 2025. Cette disposition tend ainsi à modifier la trajectoire européenne en cours d'exercice alors même que toutes les mesures mises en oeuvre par les pays européens pour l'atteindre n'ont pas encore porté tous leurs résultats.

La Commission européenne souhaite que cette obligation contribue à ce que les consommateurs européens puissent jouer un rôle actif dans la réduction des déchets d'emballages dans le cadre de la recyclabilité de l'ensemble des emballages. Plusieurs États membres ont déjà mis en place un système de consigne ; c'est notamment le cas de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Croatie, des Pays-Bas, des Pays Baltes ou des pays scandinaves, sous la forme de systèmes de réemploi des bouteilles de boissons en verre et/ou de recyclage des bouteilles plastiques et canettes d'aluminium.

La France a fait, pour l'instant, un choix différent, qui s'est affirmé lors de l'examen, en septembre 2019, du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (« AGEC »), dans le cadre de la transposition du paquet « économie circulaire ». La mise en place d'un système de consigne avait été initialement envisagée par le Gouvernement avant d'être remise en cause lors de l'examen de cette disposition par le Sénat. Ainsi, sous l'influence de la Haute Assemblée, ce dispositif n'a pas été retenu et il a été remplacé par un système d'expérimentation volontaire de la part des collectivités territoriales, qui est actuellement en cours d'évaluation.

Le dispositif de consigne avait été vivement contesté par le Sénat pour plusieurs raisons :

- la crainte d'une augmentation de la consommation de plastique, contribuant à maintenir le « tout-jetable », ou tout au moins, la difficulté d'enrayer la progression de la consommation de bouteilles plastiques à usage unique ;

- la crainte d'une remise en cause d'un geste de tri qui est aujourd'hui bien intégré dans la population et qui commence à montrer sa réelle efficacité, ce qui marquerait un recul dans la prise de conscience environnementale et une forme de monétisation d'une pratique qui doit rester désintéressée ;

- le risque d'une division du service public de gestion des déchets entre, d'un côté, la gestion des bouteilles en plastique, et, de l'autre, celle des déchets non valorisables, laissée aux collectivités territoriales ;

- et finalement, une perte financière non négligeable - de l'ordre de 200 millions d'euros - pour les collectivités territoriales qui ont investi dans des centres de tri des bouteilles en plastique et revendent les bouteilles collectées dans ces centres à des recycleurs.

Sur la base des retours d'expérience des collectivités territoriales et de la remise du bilan de l'Agence de la transition écologique (ADEME), prévue pour le mois de mai prochain, et à l'issue de la concertation engagée prématurément par le gouvernement, il faudra se prononcer sur la mise en place généralisée ou non de ces consignes.

Dans ce contexte, il convient de noter que l'article 44 de la proposition de règlement COM(2022) 677 final fait l'objet d'une réserve d'examen de la part de la France dans le cadre des négociations actuelles au Conseil.

Jusqu'à lors, en France, l'équilibre de la législation actuelle a permis aux collectivités territoriales de poursuivre le déploiement de l'extension du tri sélectif avant de devoir justifier de leur capacité à atteindre les objectifs européens en matière de collecte pour recyclage des bouteilles en plastique, sans mettre en place des dispositifs de consigne. Il a aussi contribué à éviter une remise en cause du service public de gestion des déchets pour un dispositif dont la plus-value environnementale paraît, pour l'instant, limitée.

Force est de constater qu'en Allemagne, même si la mise en place d'une consigne pour recyclage des bouteilles en plastique a permis d'atteindre les 90 % de recyclage, elle n'a pas enrayé la progression des ventes de contenants à usage unique ; elles ont d'ailleurs augmenté de 60 % depuis 2003. Or les efforts demandés par la Commission européenne visent la réduction de la production et de l'utilisation d'emballages, notamment en plastique.

L'obligation d'instauration de systèmes de consigne par les États membres, telle qu'elle figure dans la proposition de règlement européen soumise au Sénat, ne prend donc pas en compte les spécificités nationales dans la mise en oeuvre des politiques de collecte et de gestion des déchets d'emballages et tend à remettre en cause les dispositifs déjà mis en place ou en cours de réalisation, qui ont fait l'objet d'investissements importants de la part des autorités nationales ou des collectives territoriales.

Le principe de neutralité technologique appliqué aux dispositifs de collecte et de traitement des déchets exige aussi que le texte présenté par la Commission européenne ne définisse pas les moyens nécessaires pour atteindre l'objectif de collecte en vue du recyclage ou du réemploi. Seule l'effectivité de la mesure doit être considérée. Il n'apparaît pas indispensable d'établir des méthodes et solutions uniformes dans ce domaine.

Il revient, en effet, à la Commission de définir les grandes orientations, ce qui nécessite d'identifier des objectifs et des priorités, mais il importe que les États membres conservent des marges de manoeuvre et des flexibilités en termes de moyens permettant de les remplir.

Tout en soutenant les objectifs fixés par la proposition de règlement, le Sénat considère donc que la Commission européenne ne peut imposer aux États un dispositif spécifique pour la collecte des bouteilles en plastique et des canettes en métal à usage unique et doit leur laisser le choix des moyens pour atteindre l'objectif de 90 % de collecte des bouteilles en plastique en France d'ici 2029. Le système de consigne doit demeurer une option qui ne peut être mise en place que dans le cadre d'une réflexion nationale sur la politique de gestion et de prévention des déchets d'emballages au sein de chaque État membre. En conséquence, cette mesure ne respecte pas le principe de subsidiarité.

Dès lors, pour l'ensemble de ces raisons, la commission des affaires européennes du Sénat a estimé que la proposition de règlement ne respectait pas les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Elle a, en conséquence, adopté la proposition de résolution européenne portant avis motivé suivante :

* 1 Communication de la Commission européenne du 11 décembre 2019 intitulée « Le Pacte vert pour l'Europe », COM(2019) 640 final.

* 2 Communication de la Commission du 11 mars 2020 intitulée «Un nouveau plan d'action pour une économie circulaire - Pour une Europe plus propre et plus compétitive», COM(2020)0098.

* 3 Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

* 4 Directive (UE) 2018/851 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets. Directive (UE) 2018/850 modifiant la directive 1999/31/CE concernant la mise en décharge des déchets.

* 5 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux batteries et aux déchets de batteries, abrogeant la directive 2006/66/CE et modifiant le règlement (UE) 2019/1020, COM(2022) 798 final.

* 6 Arrêt du 28 juin 1994, Parlement/Conseil, C- 187/93, EU:C:1994:265, point 28.