EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les droits de tirage spéciaux (DTS) sont un instrument monétaire international créé par le fonds monétaire international (FMI) en 1969 pour compléter les réserves officielles existantes des pays membres. Leurs taux d'intérêt sont bas, voire nuls. Chaque pays membre se voit attribuer une quote-part de DTS en fonction de sa position relative dans l'économie mondiale. Le FMI fait appel à une formule de calcul des quotes-parts pour aider à déterminer la position relative d'un pays membre. La formule de calcul des quotes-parts est une moyenne pondérée en fonction du produit intérieur brut (PIB) (à 50 %), du degré d'ouverture de l'économie (à 30 %), des variations économiques (à 15 %) et des réserves officielles de change (à 5 %).

Il est par ailleurs à noter que des banques centrales comme la Réserve fédérale des États-Unis (FED) et la Banque centrale européenne (BCE) et plus généralement celles des pays de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans le contexte pandémique actuel, se donnent les moyens d'une création monétaire de milliers de milliards de dollars à des taux très faibles, voire négatifs. Les marchés prêtent à ces États, pour l'instant, dans des conditions similaires même si toute cette masse monétaire n'est pas suffisamment utilisée à bon escient, loin s'en faut, alors que les besoins humains dans les pays en développement, dont les pays africains, sont immenses et aujourd'hui asphyxiés par les taux d'intérêt élevés d'emprunts extérieurs.

Concernant la situation de ces pays africains, il est à noter qu'ils sont particulièrement sensibles à ces chocs notamment à travers l'instabilité de la demande externe et du prix international des produits primaires, qui peuvent constituer encore une forte proportion des exportations, à travers les épisodes récurrents de catastrophes naturelles comme les sécheresses, qui réduisent drastiquement la production agricole, et à travers les phénomènes de violence, qui sont exogènes quand ils sont liés au terrorisme, au commerce international de drogue ou à l'intrusion de bandes armées étrangères, comme le sont, ainsi que l'expérience récente l'a montré, les épidémies, coûteuses en vies humaines et en termes d'activité économique. Dans ce qu'elle a de structurel la vulnérabilité économique des pays africains reste forte, comme l'est leur fragilité politique. Et le changement climatique risque d'en exacerber les conséquences. Comme ceci a été mis en évidence dans le cas des pays les moins avancés (PMA), la vulnérabilité structurelle conjuguée à un niveau relativement faible de formation de la main-d'oeuvre engendre un cercle vicieux où les chocs au-delà de leurs effets immédiats diminuent la capacité de faire face à des désastres futurs.

C'est le résultat des plans d'ajustement structurels en cours depuis les années 1980 détruisant les services publics, imposant la politique du moins disant fiscal. C'est le résultat aussi de politiques monétaires inadéquates. En effet les instruments monétaires sous tutelle comme le franc CFA/ECO et d'autres qui ne le sont pas formellement mais qui s'appliquent également une politique ordolibérale sont incapables de relever le défi de la mobilisation des ressources internes en vue de réussir la lutte contre la pauvreté, les inégalités et remporter le combat écologique.

Face à cette situation très grave de plus en plus de voix se font entendre en faveur d'une forte augmentation de l'émission de DTS. L'ancien premier ministre britannique Gordon Brown estimait le 16 décembre 2020 que de cette façon quelque 1200 milliards de dollars pourraient être libérés en deux tranches en 2021 et 2023 et que les montant dégagés d'une telle initiative pourraient atteindre les 2000 milliards dollars permettant ainsi de financer l'Afrique à travers les banques de développement régionale. À l'instar d'autres propositions, cette allocation des éventuelles émissions de droits de tirages spéciaux, en particulier dans l'hypothèse où les pays ayant les plus forts quotas décideraient d'en allouer une partie à des pays à faibles revenus et faibles quotas, ne peut être traitée sans changer les règles de répartition des crédits du FMI aux pays pauvres. Considérant l'urgence de la situation une partie d'entre eux estime qu'il faudrait également que les institutions financières effectuent des avances non-remboursables. La dirigeante du FMI, quant à elle, a indiqué le 23 mars dernier que son institution envisage d'émettre 650 milliards de dollars de nouveaux DTS mais dont à peine 30 milliards seraient attribués aux pays africains. Elle met également en perspective un fonds pour aider les pays pauvres à hauteur de 100 milliards de dollars.

Si ces mesures sont importantes par rapport à ces dernières décennies elles sont très insuffisantes au regard des besoins urgents des peuples.

Il serait urgent de réviser le mode de calcul des quotes-parts de DTS, lequel désavantage les pays qui en ont le plus besoin et avantage ceux qui mettent en cause leurs services publics alors que plus que jamais ces derniers démontrent leur utilité notamment face à la crise sanitaire actuelle. Dans l'urgence ils devraient rendre possible une réaffectation des DTS au profit des pays du Sud. Ces DTS supplémentaires en faveur des pays en développement ne devraient pas être utilisés comme un instrument pour garantir les rendements des détenteurs de titres de dette souveraine mais plutôt servir à renforcer leurs capacités productives au niveau national voire à l'échelle régionale ou continentale en vue de relever leurs défis sociaux et environnementaux, au moyen de prêts à long terme à faible taux d'intérêt répondant à des critères précis en matière économique (augmentation endogène du potentiel de création de valeur ajoutée des pays bénéficiaires), sociale (développement de l'emploi et de la formation des travailleurs) et écologique (économies de matières premières et maîtrise de leur exploitation par les pays producteurs, développement de nouvelles formes d'énergie décarbonées). Cette nouvelle utilisation des DTS répondrait à la prise de position des grands pays émergents en faveur de leur transformation en un nouvel instrument de réserve international, embryon d'une monnaie commune mondiale.

Il serait avantageux de changer le fonctionnement du FMI afin que les critères d'allocation des DTS visent à atténuer l'impact à moyen et long terme des vulnérabilités structurelles précédemment décrites et à accroître la résilience à l'égard de chocs futurs éventuels.

De telles mesures peuvent être prises par le Conseil des Gouverneurs du FMI, dans lequel la France est influente. Celui-ci peut également approuver des augmentations de quotes-parts, des allocations de DTS et des amendements aux statuts ou à la réglementation générale.

Toutes ces mesures peuvent être prises en attendant aussi que les pays africains notamment se dotent d'instruments monétaires et fiscaux participant réellement à la mobilisation de leurs ressources internes et s'appliquer de telle façon à ce qu'elles permettent à réaliser au plus vite cet objectif d'une efficience monétaire et fiscale. Par conséquent les DTS concernés ne doivent en aucun cas servir de facilité de paiement pour des « éléphants blancs » surfacturés au seul bénéfice de multinationales.

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