EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Commission européenne a présenté le 2 mai 2018 ses propositions pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027 de l'Union européenne, lançant ainsi le cycle de négociations pour le budget à long terme de l'Europe.

Ses propositions prenaient en compte la perspective du retrait du Royaume-Uni, deuxième contributeur net de l'Union européenne, qui sera effectif à la fin du mois de janvier 2020.

Outre la volonté de simplifier et de rendre plus transparent et plus performant le cadre financier pluriannuel, la Commission, qui met l'accent sur la notion de « valeur ajoutée européenne », proposait notamment de mener à bien de nouvelles politiques permettant de répondre aux nouveaux défis auxquels elle est confrontée (technologie, innovation, numérique, jeunesse, climat et environnement, migrations et frontières, sécurité et défense, action extérieure).

Elle proposait également des mesures visant à protéger le budget de l'Union en cas de défaillance généralisée de l'État de droit dans un État membre.

S'agissant du système des ressources propres de l'Union européenne, qui est directement lié au cadre financier pluriannuel, la Commission formulait des propositions pour simplifier la ressource TVA et abaisser le taux des frais d'assiette et de perception des droits de douanes prélevés par les États membres. Elle proposait en outre d'inclure dans les ressources propres de l'Union un nouveau panier de ressources propres, à savoir 20 % des recettes du marché d'échanges de quotas d'émission carbone, une contribution de 3 % sur l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés, à compter de 2023, et une contribution calculée sur la quantité d'emballages plastiques non recyclés dans les États membres.

La Commission européenne proposait enfin de réduire progressivement les rabais dont bénéficient cinq États membres (Allemagne, Autriche, Danemark, Pays-Bas et Suède), en vue de les supprimer totalement en 2026.

La proposition de cadre financier pluriannuel de la Commission se traduisait par un plafond de dépenses arrêté à 1,11 % du revenu national brut (RNB) des États membres en crédits d'engagement, soit 1 134 milliards d'euros en prix 2018.

En application des articles 311 et 312 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le Parlement européen est consulté sur la décision du Conseil fixant les dispositions applicables au système des ressources propres mais il doit approuver le règlement fixant le cadre financier pluriannuel. Il a adopté plusieurs résolutions, dont la dernière le 10 octobre 2019 à l'issue de son renouvellement, exigeant en particulier un montant de dépenses arrêté à 1,3 % en crédits d'engagement (1 324,1 milliards d'euros en prix 2018).

La présidence finlandaise du Conseil a présenté, le 5 décembre 2019, une « boîte de négociation » proposant un montant de crédits d'engagement arrêté à 1,07 % du revenu national brut (1 087 milliards d'euros en prix 2018), soit environ 47 milliards de moins (prix 2018) que la proposition initiale de la Commission européenne.

Le Sénat a lui-même adopté, depuis octobre 2017, de nombreuses résolutions européennes traitant de sujets sectoriels et affirmant des positions fortes en vue de la négociation du cadre financier pluriannuel. Cette négociation sera, avec celle de la relation future avec le Royaume-Uni, en particulier sur le plan commercial, l'un des principaux enjeux européens de l'année 2020.

La commission des affaires européennes a ainsi souhaité consacrer sa première réunion de l'année à ce sujet en entendant la Secrétaire générale des affaires européennes, Madame Sandrine Gaudin, le 14 janvier 2020.

Celle-ci a réaffirmé les priorités défendues par le Gouvernement français en matière de dépenses mais a tenu un discours très prudent en matière de ressources.

Elle a estimé que la nécessaire maîtrise des finances publiques rendait difficile d'envisager un montant de crédits d'engagement tendant vers la proposition défendue par la Commission européenne (1,1 % du RNB), qui pourrait se traduire par un accroissement de près de 6 milliards d'euros par an en moyenne de la contribution française par rapport à l'actuel cadre financier pluriannuel.

La Secrétaire générale des affaires européennes a considéré que le centre de gravité des négociations se déplaçait vers le bas et se situait, du côté des États membres, plutôt autour de la proposition présentée par la présidence finlandaise du Conseil (1,07 % du RNB), voire en-deçà, soit en tout état de cause très en-deçà de la proposition défendue par le Parlement européen (1,3 % du RNB).

Le nouveau président du Conseil européen, Monsieur Charles Michel, va poursuivre le travail de rapprochement des positions des États membres et les négociations avec la Commission et le Parlement européen.

Dans ce contexte, et alors qu'est envisagée la tenue d'un sommet extraordinaire d'ici la fin du premier trimestre 2020 afin de clarifier les positions, la commission des affaires européennes a souhaité affirmer le point de vue d'ensemble du Sénat sur le contenu du prochain cadre financier pluriannuel.

La présente proposition de résolution européenne reprend ainsi certaines positions déjà votées par le Sénat, en les réactualisant le cas échéant en fonction de l'évolution des négociations.

Elle prend par ailleurs position sur des points importants du cadre financier pluriannuel qui n'ont pas fait l'objet de résolutions du Sénat au cours de la période récente, comme l'éventuelle mise en oeuvre de conditionnalités pour bénéficier de l'accès aux fonds européens, l'instrument budgétaire de la zone euro ou les ressources propres et l'équilibre d'ensemble du cadre financier pluriannuel.

Du point de vue méthodologique, par référence aux données de référence de la Commission européenne, du Parlement européen et de la présidence finlandaise du Conseil, les montants en valeur absolue apparaissant dans le présent texte sont des montants en prix 2018, et non en euros courants .

*

S'agissant de la philosophie générale du cadre financier pluriannuel , la présente proposition de résolution européenne affirme que le financement de nouvelles priorités destinées à permettre à l'Union de faire face à de nouveaux défis, que la commission des affaires européennes approuve, ne doit pas se faire au détriment des politiques plus anciennes comme la politique agricole commune ou la politique de cohésion, qui conservent toute leur pertinence.

Elle approuve les efforts tendant à simplifier et à rendre plus lisible le cadre financier pluriannuel.

Suivant les recommandations de la Cour des comptes européenne dans son avis du 14 février 2019 sur le cadre financier pluriannuel 1 ( * ) , elle préconise que la notion de valeur ajoutée européenne soit définie de manière plus précise.

Se référant à l'article 2 du traité sur l'Union européenne qui stipule que « l'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités » , ainsi qu'au socle européen des droits sociaux proclamé en novembre 2017, la présente proposition de résolution européenne prend acte de la proposition de la Commission européenne relative à la protection du budget de l'Union en cas de défaillance généralisée de l'État de droit dans un État membre.

Elle considère toutefois que la mise en oeuvre d'une telle conditionnalité dans l'accès aux fonds européens suppose des critères objectifs et une méthode d'appréciation transparente. Elle affirme par ailleurs qu'elle ne doit pas pénaliser les bénéficiaires ou destinataires finals des États membres visés. Elle invite enfin à élargir la réflexion aux modalités de prise en compte de politiques non-coopératives, notamment sur le plan social.

La présente proposition de résolution européenne traite ensuite de plusieurs politiques sectorielles.

Elle réaffirme les positions du Sénat en matière de politique agricole commune , en saluant l'effort réalisé par la présidence finlandaise du Conseil pour relever de 10 milliards d'euros les crédits proposés par la Commission européenne pour le second pilier de la PAC, tout en regrettant que le premier pilier n'ait fait l'objet d'aucune réévaluation, alors qu'il apparaît prioritaire et essentiel pour permettre aux agriculteurs de relever les défis auxquels ils sont confrontés.

Elle appelle à conforter la réserve pluriannuelle proposée par la Commission, le filet de sécurité offert par la PAC étant apparu insuffisant pour permettre aux agriculteurs de faire face à la volatilité des prix agricoles et aux différents aléas auxquels ils sont confrontés. La Commission européenne avait proposé que le montant de la réserve atteigne au minimum 400 millions d'euros par an. La boîte de négociation de la présidence finlandaise du Conseil retient un montant de 450 millions d'euros en euros courants.

La présente proposition de résolution européenne souligne à nouveau que l'objectif de simplification de la mise en oeuvre de la politique agricole commune et la méthode utilisée dans le cadre du « new delivery model » proposé par la Commission européenne, fondée sur le recours à une conception abusive et détournée du principe de subsidiarité, ne doivent pas conduire à une renationalisation rampante et à une dilution progressive de la PAC, entraînant la création de distorsions de concurrence supplémentaires au sein même de l'Union européenne.

Elle rappelle qu'aucune réforme de la PAC ne serait satisfaisante sans la préservation d'un budget stable en euros constants sur la période 2021-2027, par rapport aux années 2014-2020,

Elle réaffirme également les positions adoptées par le Sénat en faveur de la politique de cohésion , dont elle souligne le rôle stratégique. Elle demande que cette politique de cohésion concerne toutes les régions de l'Union européenne et dispose d'une enveloppe d'un montant suffisant pour faire face aux inégalités territoriales et sous-régionales. Elle souligne les enjeux liés à la correcte articulation entre la politique de cohésion, le fonds InvestEU, mais aussi le futur fonds pour une transition juste, qui ne doit pas conduire à amputer ni les fonds de cohésion, ni la politique agricole commune.

Elle salue également l'ambition du pacte vert pour l'Europe présenté en décembre dernier par la Commission européenne mais souligne l'ampleur des enjeux en termes de financement et d'accompagnement de certains territoires et filières économiques. Elle insiste sur la nécessité pour l'Union européenne de ne se priver d'aucune technologie permettant d'atteindre les objectifs ambitieux qu'elle s'est assignée. Il est en effet essentiel de concilier lutte contre les dérèglements climatiques, développement durable, développement économique et inclusion sociale, afin d'éviter que des citoyens se sentent laissés pour compte. Elle appelle en particulier à la mise en oeuvre efficace et rapide d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui permettra d'assurer une équité dans les relations commerciales internationales.

Afin d'apporter un soutien clair aux outre-mer , la présente proposition de résolution européenne appelle à une prise en compte, adaptée à la hauteur de leurs spécificités et enjeux propres, des régions ultrapériphériques et des pays et territoires d'outre-mer dans la mise en oeuvre et le financement des politiques européennes.

Elle rappelle les positions antérieures du Sénat adoptées à la suite des conclusions de la commission d'enquête sur Schengen et demande que la gestion des migrations et la gestion des frontières extérieures de l'Union européennes demeurent des priorités. Elle souligne en particulier la nécessité de dédier à l'agence Frontex un budget permettant la mise en oeuvre des engagements pris en matière de recrutement et d'équipements. Le nouveau mandat de l'agence Frontex 2 ( * ) prévoit un corps permanent composé d'experts nationaux détachés et d'agents mobilisables dans le cadre d'interventions rapides. L'objectif était d'atteindre un effectif opérationnel de 10 000 personnes d'ici 2027, mais la nouvelle présidente de la Commission européenne a souhaité que cet objectif puisse être atteint dès 2024, ce qui nécessite des moyens importants. La Secrétaire générale des affaires européennes a souligné devant la commission des affaires européennes l'importance de ce dossier pour le Gouvernement français.

La présente proposition de résolution européenne confirme la position du Sénat en faveur d'un mécanisme d'incitation au bénéfice des États tiers coopératifs en matière de retour de leurs ressortissants. Elle rappelle également que le développement constitue une réponse de long terme à la question migratoire et souligne à cet égard la nécessité de veiller au suivi et à l'efficacité des actions menées, dans le cadre du nouvel instrument unique de voisinage, de développement et de coopération internationale.

Concernant deux domaines particulièrement importants pour l'autonomie stratégique de l'Union européenne et pour la France, à savoir le fonds européen de la défense et le programme spatial européen , elle déplore vivement les coupes proposées par la présidence finlandaise du Conseil et appelle à revenir aux propositions initiales de la Commission européenne.

Elle souligne les enjeux liés à la recherche et à la stimulation des investissements pour permettre à l'Union de rester en pointe dans la compétition mondiale, en appelant à réaliser un effort particulier d'investissement dans le domaine de l'intelligence artificielle et renouvelant l'appel à créer un « projet important d'intérêt européen commun » en ce domaine, en réitérant son soutien aux programmes « Horizon Europe » et « InvestEU », tout en soulignant dans ce dernier cas que le regroupement de quatorze instruments financiers au sein d'un même programme ne doit pas entraîner de baisse globale des financements destinés à soutenir l'investissement.

S'agissant de la zone euro , la présente proposition de résolution européenne salue la mise en place d'un instrument budgétaire de convergence et de compétitivité (IBCC), en demandant une réévaluation à la hausse des propositions présentées par la présidence finlandaise du Conseil, qui abaissent d'environ 14 % (12,9 milliards d'euros en prix 2018) le volume des crédits dédiés à cet instrument dans la proposition de la Commission européenne. Elle observe par ailleurs qu'il n'existe pas de consensus à ce stade sur la fonction de stabilisation macroéconomique.

Notre collègue Patrice Joly, rapporteur spécial des crédits de la participation de la France au budget de l'Union européenne, soulignait lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020 la faiblesse du montant envisagé pour l'IBCC. Il relevait également l'écart entre cet instrument et les ambitions initiales de la déclaration franco-allemande de Meseberg du 19 juin 2018, qui employait le terme de « budget de la zone euro », non repris aujourd'hui, et affirmait le besoin de la fonction de stabilisation macroéconomique, aux côtés des objectifs de convergence et de compétitivité.

Concernant le montant global du cadre financier pluriannuel 2021-2027 , sans recommander absolument de valeur cible, la présente proposition de résolution européenne fait le constat qu'il sera très difficile de satisfaire l'ensemble des positions exprimées par le Sénat sans atteindre un montant de crédits d'engagement correspondant, au minimum, au montant proposé par la Commission européenne et se rapprochant de celui proposé par le Parlement européen. Elle regrette en tout état de cause la faible ambition de la proposition formulée par la présidence finlandaise du Conseil, qui se traduit par des coupes importantes dans des programmes stratégiques.

La commission des affaires européennes n'a pas souhaité « passer au tamis » les priorités exprimées par le Sénat pour les faire entrer dans une enveloppe plus basse.

Elle prend toutefois en compte les observations de la Secrétaire générale des affaires européennes, selon laquelle le centre de gravité des négociations entre États membres se déplacerait aujourd'hui vers le bas.

La présente proposition de résolution européenne insiste dès lors sur la nécessité d'approfondir les réflexions en vue de la constitution d'un panier satisfaisant de nouvelles ressources propres, seul à même de permettre l'élaboration d'un budget européen ambitieux et équilibré, en relevant que le rendement de la nouvelle contribution envisagée sur les quantités d'emballages plastiques non recyclés dans les États membres a vocation à se réduire, compte tenu des ambitions affichées par l'Union européenne en matière d'économie circulaire et des efforts déployés par les États membres. Elle appelle explicitement à inclure le futur mécanisme d'ajustement carbone aux frontières dans les ressources propres de l'Union.

Conformément à la position déjà adoptée par le Sénat sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 2 ( * ) , elle soutient également la proposition de la Commission européenne tendant à abaisser de 20 % à 10 % le taux des frais d'assiette et de recouvrement des droits de douanes prélevés par les États membres, dans la mesure où ce taux apparaît plus conforme aux coûts réels de collecte.

Le Royaume-Uni est à l'origine de l'instauration de mécanismes de correction (rabais), dont il a bénéficié ainsi que cinq autres États membres par la suite (Allemagne, Autriche, Danemark, Pays-Bas et Suède). À l'occasion du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, la présente proposition de résolution européenne appelle à remettre en cause, dès le début du nouveau cadre financier pluriannuel, les rabais et systèmes de correction, dont la France est le premier financeur à hauteur de 2 milliards d'euros par an en moyenne, selon les propos de la Secrétaire générale des affaires européennes.

Compte tenu du calendrier serré de négociation du cadre financier pluriannuel et de la position adoptée par le Parlement européen dans sa résolution du 10 octobre 2019, la commission des affaires européennes appelle également à étudier les mesures nécessaires pour rendre opérationnel l'article 312, paragraphe 4, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui stipule que « lorsque le règlement du Conseil fixant un nouveau cadre financier n'a pas été adopté à l'échéance du cadre financier précédent, les plafonds et autres dispositions correspondant à la dernière année de celui-ci sont prorogés jusqu'à l'adoption de cet acte ». En cas de blocage entre le Parlement européen et le Conseil, ceci permettrait d'assurer une transition correcte entre l'actuel cadre financier pluriannuel et le prochain.

Enfin, la future Conférence sur l'avenir de l'Europe devant être l'occasion de réexaminer les politiques menées par l'Union européenne et son fonctionnement, la commission des affaires européennes demande que les Parlements nationaux, en tant qu'acteurs essentiels de la construction européenne, soient pleinement associés aux travaux de cette instance qui ne manqueront pas d'avoir des incidences sur le cadre financier pluriannuel.

*

Pour ces raisons, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :


* 1 Synthèse des remarques de la Cour des comptes européenne concernant les propositions législatives de la Commission pour le prochain cadre financier pluriannuel (CFP), février 2019.

* 1 Règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et abrogeant les règlements (UE) n° 1052/2013 et (UE) 2016/1624.

* 2 Résolution européenne du Sénat n° 45 (2011-2012) du 11 décembre 2012 sur le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne (2014-2020).

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