EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Des témoignages convergents recueillis depuis plusieurs années par des associations, des ONG et des institutions internationales, en France et dans le monde, ont mis en évidence la particulière vulnérabilité des femmes en situation de handicap aux violences. Selon les constats ainsi établis, ces violences, qu'elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques, menacent ces femmes dans tous les aspects de leur quotidien - dans les institutions où certaines sont hébergées, dans le cadre familial, dans la vie professionnelle où elles se heurtent à de nombreuses discriminations, ou encore lors de transports spécialisés. Elles peuvent être le fait tant de professionnels que de proches. Elles concernent tous les âges de la vie.

De surcroît, ces constats soulignent la nécessité de la prise de conscience d'une double corrélation entre violence et handicap, car si le handicap expose davantage les femmes et les enfants aux violences, il peut aussi, qu'il soit physique ou psychologique, être la conséquence de violences subies.

Pourtant, si la surexposition des femmes en situation de handicap aux violences est indéniable, les chiffres manquent et le besoin de statistiques complètes, régulièrement mis à jour, est évoqué par tous les experts.

Longtemps occulté par le terme de maltraitance, ce fléau semble constituer encore aujourd'hui un « angle mort » des politiques publiques de lutte contre les violences, a fortiori parce que la dénonciation des violences, déjà difficile pour les femmes dites valides, est compliquée par le lien de dépendance qui peut exister entre la victime handicapée et son agresseur, quand celui-ci est la personne - membre de la famille ou professionnel - qui est censée prendre soin d'elle.

De surcroît, la crédibilité des victimes est compromise par un préjugé trop largement répandu qui conduit à les considérer comme des mineures dont la parole peut être mise en doute, y compris par les professionnels chargés de recueillir leur plainte.

Ces violences effroyables sont donc non seulement invisibles, mais aussi inaudibles.

De ce fait, alors qu'elles sont plus exposées aux violences que la population dite valide, les femmes en situation de handicap confrontées aux violences rencontrent des difficultés accrues pour s'engager dans une démarche judiciaire.

Ces obstacles concernent notamment l'absence d'accessibilité des locaux de la police, de la gendarmerie ou de la justice. Ils tiennent également à un accès aux droits insuffisants, si l'on se réfère, entre autres exemples, à l'insuffisance de permanences juridiques en langue des signes ou à la formation lacunaire des professionnels de la police, de la gendarmerie et de la justice à l'accueil des victimes de violences en situation de handicap.

Quant à l'orientation et à l'accueil des femmes handicapées victimes de violences, ils sont rendus plus complexes par l'insuffisante accessibilité des centres d'hébergement d'urgence.

De plus, les acteurs de terrain et les experts constatent que les nombreuses discriminations subies dans le monde du travail contribuent à l'insuffisante autonomie économique des femmes en situation de handicap, ce qui les rend plus vulnérables aux violences, a fortiori lorsque celles-ci sont commises dans un contexte familial.

Les discriminations rencontrées par les femmes handicapées ne se limitent pas au cadre professionnel. Elles concernent aussi l'accès aux soins, très largement perfectible, qu'il s'agisse par exemple du suivi gynécologique ou du dépistage du cancer du sein, insuffisants faute de structures et de matériels adaptés. Il résulte de ces lacunes une dépendance aggravée, une dignité altérée et une prise en charge psychologique et sanitaire des victimes de violences très imparfaite au regard des traumatismes subis, avec des conséquences graves et durables sur leur santé.

L'amélioration de la prévention des violences qui menacent les femmes en situation de handicap passe, selon les experts 1 ( * ) , entre autres pistes :

- par des efforts en matière d'éducation à la sexualité des jeunes femmes concernées, afin de les aider à identifier d'éventuels prédateurs ;

- par une attention accrue au recrutement des professionnels et bénévoles intervenant au contact de personnes handicapées - plus particulièrement quand il s'agit d'enfants et de femmes - pour s'assurer que ces personnes ne sont pas inscrites au fichier automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) ;

- par une réflexion sur les responsabilités des professionnels, plus particulièrement des professionnels de santé, en matière de signalement des violences physiques, sexuelles ou psychiques commises sur des personnes handicapées dont ils peuvent avoir connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.

La période actuelle est caractérisée par une volonté politique partagée de renforcer les politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes. Ce tournant a été encouragé par la prise de conscience de l'ampleur inacceptable des violences conjugales et des féminicides qui a marqué l'année 2019. Les femmes en situation de handicap ont toute leur place dans cette dynamique nouvelle, si l'on en juge par la permanence téléphonique « Écoute violences femmes handicapées », qui observe que 35 % des violences signalées ont lieu au sein du couple et sont commises par le conjoint.

À l'heure où la mobilisation contre les violences faites aux femmes a franchi une étape significative dans le cadre du Grenelle de lutte contre les violences conjugales , il est donc primordial de réaliser des avancées concrètes au bénéfice des femmes en situation de handicap.

Par cette résolution, le Sénat :

- appelle à une prise de conscience généralisée des violences, notamment sexuelles, qui menacent les femmes handicapées et à une mobilisation de toute la société contre ce fléau ;

- encourage un changement de regard de l'ensemble de la société et des acteurs de la chaîne judiciaire sur les femmes en situation de handicap, afin que la femme et la citoyenne soient plus visibles que la personne handicapée et que la parole des victimes qui dénoncent des violences soit entendue ;

- rend hommage aux associations qui contribuent à lutter contre ces violences inacceptables en accueillant et en accompagnant les victimes ;

- rappelle que l'autonomie, plus particulièrement économique, des femmes en situation de handicap est une condition de leur protection contre le risque de violences auquel elles sont plus particulièrement exposées, ce qui suppose des efforts significatifs en termes d'accès aux études, aux formations et à l'emploi ;

- plaide pour que les femmes handicapées ne soient pas les oubliées des efforts actuellement envisagés dans le cadre de la Grande cause du quinquennat pour renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes ;

- suggère que la dimension de l'égalité entre femmes et hommes soit systématiquement intégrée à toutes les politiques du handicap et, inversement, que la dimension du handicap soit prise en compte dans toutes les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes.


* 1 Cf. Violences, femmes et handicap : dénoncer l'invisible et agir ! , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Dominique Vérien (n° 14, 2019-2020).

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