EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France est une grande puissance agricole européenne et mondiale. Cette fierté nationale, fruit du travail de générations de femmes et d'hommes, ne cache désormais plus un constat bien établi, celui d'une brutale érosion de sa compétitivité. Les chiffres attestent ce douloureux constat : d'un solde commercial s'établissant à près de 12 milliards d'euros en 2011, puis à 8 milliards en 2021, il s'établit en 2023 à 6,5 milliards, des chiffres fort heureusement tirés vers le haut par les performances à l'export d'une filière vins et spiritueux elle aussi désormais en passe d'être déstabilisée. Le déficit commercial avec nos partenaires européens, constaté pour la première fois en 2015, se monte en 2023 à 2,6 milliards d'euros. L'heure n'est plus au constat, mais à l'action.

La ferme France et ses 390 000 exploitants agricoles ont progressivement perdu pied, entravés par l'accumulation d'injonctions ayant souvent trouvé une traduction normative voire fiscale, concourant à l'érosion de leur potentiel productif, à l'accélération de la décapitalisation dans l'élevage, à l'apparition d'impasses techniques dans les cultures végétales. La filière française des fruits et légumes illustre, comme d'autres, les conséquences de la multiplication des entraves franco-françaises à la compétitivité de notre agriculture, avec un déficit commercial qui culmine, en 2023, à 7,3 milliards d'euros.

En opposition à l'orientation qui a fait de la « montée en gamme » le seul horizon de l'agriculture française, au prix du déclin continu de ses parts de marché sur les marchés internationaux et en particulier au sein de l'Union européenne, la commission des affaires économiques du Sénat avait, bien seule, fait l'analyse que la souveraineté alimentaire de la France n'était pas un acquis immuable mais, au contraire, un trésor fragile, patiemment constitué, fruit des efforts de femmes et d'hommes sur maintes générations.

À l'échelle européenne comme en France, la prise de conscience fut lente. La crise liée au Covid-19 avait constitué un premier coup de semonce, puis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a finalement fait émerger le débat sur la sécurité alimentaire sur le continent. Des craintes se sont fait jour, tant pour les États eux-mêmes - alors que le Pacte vert, pas encore mis en oeuvre, laissait craindre une diminution du potentiel productif européen de l'ordre de 15 % - que pour la continuité des approvisionnements de leurs clients dans le monde, notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

C'est dans ce contexte qu'est née, à la fin de l'automne 2023, une contestation agricole qui, par effet de contagion, a gagné toute l'Europe, et dont le détonateur avait d'abord été la protestation en Allemagne contre une hausse de la fiscalité du carburant pour les travaux agricoles et forestiers, et en Europe de l'Est la fronde contre l'afflux d'importations d'Ukraine.

Cette contestation a été marquante par sa durée, son intensité, par la mobilisation simultanée de l'ensemble des syndicats, et bien au-delà, et par sa dimension européenne.

En France, plusieurs facteurs ont contribué, par effet d'accumulation, à l'expression contestataire d'un profond découragement, voire d'une franche colère, d'un monde agricole usé par les crises, les normes et les injonctions contradictoires :

- l'épidémie de maladie hémorragique épizootique (MHE) dans le Sud-Ouest ;

- les règles contre-productives de la politique agricole commune (PAC) sur les prairies temporaires devenant prairies permanentes au bout de 5 ans dans le Grand Ouest ;

- les retards chroniques dans le versement des aides de la PAC partout en France ;

- à l'instar de l'Allemagne, une hausse de la taxation du gazole non routier, à effet immédiat, compensée par des mesures fiscales, mais avec un an de retard.

Au total, les événements semblent avoir malheureusement donné raison aux diagnostics répétés de la commission des affaires économiques du Sénat.

Depuis lors, et malgré des réponses partielles apportées par le Gouvernement, la situation de la ferme France ne s'est guère améliorée, en lien avec les crises sanitaires, les intempéries et l'étau normatif qui continue de contraindre fortement les agriculteurs dans leurs pratiques, à l'exemple des plans d'action régionaux sur les nitrates, disparate d'un endroit à l'autre. Dans le monde agricole, l'incompréhension demeure, et du côté de l'administration, toutes les leçons de la crise ne semblent pas avoir été tirées.

C'est pourquoi il convient désormais de travailler à des remèdes urgents. La présente proposition de loi s'inscrit en complémentarité de l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture (Plosarga), maintes fois retardé, et que les auteurs appellent à reprendre au plus vite, pour autant qu'ils obtiennent satisfaction sur les mesures de ce texte. Elle permettra d'apporter une réponse plus concrète dans les cours de ferme, et part d'un constat simple : il ne suffit pas d'inciter les agriculteurs à s'installer, encore faut-il qu'ils le restent.

Les mesures proposées ont une histoire, elles sont le fruit de multiples travaux de la commission des affaires économiques du Sénat, d'initiatives de parlementaires, et de l'écoute attentive des besoins urgents des filières agricoles. Elles ne prétendent pas traiter l'ensemble des problématiques agricoles, mais, par leur indispensable complémentarité avec le projet de loi d'orientation agricole, redonner aux femmes et aux hommes nourrissant notre pays des marges de compétitivité. Plus encore, ces mesures sont le témoignage de la confiance et de l'importance que la Nation entend accorder à ses agriculteurs, en passant d'une logique de méfiance voire de défiance à une logique partenariale, de confiance et de reconnaissance.

Pour ce faire, le présent texte entend garantir une concurrence loyale dans les échanges, a minima avec nos partenaires européens, en revenant sur certaines surtranspositions identifiées de longue date. Il vise également à sécuriser l'indispensable accès à l'eau des agriculteurs, dans le respect de la pluralité des usages. Enfin, il propose de tendre vers une logique de confiance exigeante, notamment en matière d'aléas climatiques et de répression environnementale.

Dans le détail, son titre Ier a pour but de mettre fin aux surtranspositions et surrèglementations françaises en matière d'usages des produits phytosanitaires, afin de permettre aux agriculteurs français de sortir d'impasses techniques et d'éliminer les distorsions de concurrence qui peuvent exister avec leurs voisins européens.

Ainsi, l'article 1er revient sur la séparation de la vente et du conseil des produits phytopharmaceutiques, une mesure jugée contreproductive dans la mesure où elle prive les agriculteurs du conseil des techniciens des coopératives metteuses sur le marché sur l'usage de ces produits et où elle rétrécit le vivier de professionnels éligibles au bureau d'une chambre d'agriculture (1° à 3° de l'article).

Il entend également faire évoluer le conseil stratégique phytosanitaire, qui serait rendu facultatif, comme l'avait esquissé la ministre déléguée chargée de l'agriculture au moment de l'examen du Plosarga (4° et 6° de l'article).

Il revient enfin sur l'interdiction des remises, rabais et ristournes à l'occasion de la vente de produits phytopharmaceutiques (5° de l'article).

L'article 2 accorde au ministre chargé de l'agriculture le pouvoir de suspendre, dans certaines conditions, une décision de l'Anses en matière d'homologation de produits phytopharmaceutiques, et permet par ailleurs au directeur général de l'agence de s'en remettre au ministre pour une telle décision. Cette mesure a déjà fait l'objet d'un débat et d'un vote au Sénat.

Ce même article reprend une disposition là aussi votée au Sénat au cours de l'examen de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France visant à autoriser, conformément au droit européen, l'usage d'aéronefs sans pilote pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques dans des conditions strictes, notamment lorsque celui-ci présente des avantages manifestes pour la santé humaine et l'environnement par rapport aux applications par voie terrestre.

Enfin, l'article 2, reprenant une mesure issue de la proposition de loi tendant à répondre à la crise agricole, revient sur une surtransposition française du droit européen en abrogeant les dispositions relatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes pour en revenir à l'application stricte du droit européen.

Le titre II entend simplifier la vie des éleveurs afin de limiter le déclin des taux d'auto-approvisionnement de la France dans les filières animales.

Ainsi, l'article 3 procède à des simplifications du régime français des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), bénéficiant aux bâtiments d'élevage, allant plus loin que l'amendement qui avait été déposé par les deux auteurs lors de l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté en agriculture et le renouvellement des générations en agriculture (Plosarga).

Premièrement, il renforce les obligations de motivation et de transparence des avis de l'autorité environnementale, qui sont souvent utilisés par les tiers à l'occasion de recours contre des projets de construction ou d'extension d'élevage.

Deuxièmement, il revient sur un effet de bord d'une disposition de la loi dite « Industrie verte » qui, en cherchant à accélérer les procédures ICPE, a étendu la durée de la consultation à trois mois et prévu deux réunions publiques, une d'ouverture et une de clôture, aux frais des porteurs de projet, ce qui est source d'irritants locaux. Cet article rétablit donc des modalités de consultation du public plus souples.

Enfin, cet article entend relever les seuils faisant basculer de l'enregistrement à l'autorisation ICPE, et donc à partir desquels s'applique l'obligation d'enquête publique, en s'alignant, pour les bâtiments d'élevage, sur les seuils de la directive EIE (évaluation des incidences sur l'environnement) et non plus sur ceux, inférieurs, de la directive IED (directive sur les émissions industrielles).

L'article 4 vise à mettre en place des modalités effectives de recours en cas de contestation des évaluations des pertes de récolte ou de culture, lorsque celles-ci sont fondées sur des indices. Se fondant sur l'intervention du comité départemental d'expertise, l'article reprend ainsi la position initiale défendue par le Sénat à l'occasion de l'examen du projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture en 2022.

Le titre III entend sécuriser l'accès à l'eau des activités agricoles, dans le respect de la diversité des usages et de la nécessaire protection de la ressource.

Pour ce faire, l'article 5 vise à faciliter les projets de stockage de l'eau présentant un intérêt général majeur, afin d'en renforcer la solidité juridique, dans la conciliation avec d'autres objectifs.

Il ajuste la hiérarchie des usages de l'eau figurant dans le code de l'environnement, pour situer les usages agricoles après les usages liés à la santé, la salubrité publique, la sécurité publique et l'alimentation en eau potable de la population.

De plus, il entend faire évoluer les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et leurs déclinaisons locales, les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (Sage), pour assurer leur prise en compte des besoins en eau de l'agriculture.

Enfin, il précise la définition des zones humides - afin de réduire l'insécurité juridique des agriculteurs. Ainsi, il propose de revenir à la définition de la zone humide qui prévalait jusqu'en 2019. Cette définition, issue de la loi sur l'eau de 1992, requiert la présence cumulée de deux facteurs à savoir le terrain hydromorphe et la végétation hydrophile.

Le titre IV entend apaiser les relations entre l'Office français de la biodiversité (OFB) et les agriculteurs, ce dans le but de favoriser l'acceptabilité de la police environnementale au sein du monde agricole.

À cette fin, l'article 6, inspiré du rapport de M. Jean Bacci n° 777 (2023-2024) relatif à l'Office français de la biodiversité de septembre 2024, vient préciser la mission de délégué territorial de l'OFB, confiée au préfet dans la loi « 3DS » : ce dernier serait tenu d'inviter l'office à privilégier la procédure administrative, pour éviter autant que faire se peut des procédures judiciaires - ces dernières ayant pu être jugées infamantes, alors que les peines finalement prononcées sont équivalentes à celles de la voie administrative -, dès lors que les faits poursuivis relèvent d'une primo-infraction ou d'une infraction ayant causé un faible préjudice environnemental.

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