EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans un rapport publié le 6 décembre 2023, la Cour des comptes a apporté pour la première fois une estimation du nombre de contrôles d'identité réalisés chaque année par la police et la gendarmerie : 47 millions, dont 32 millions réalisés sur la voie publique.
Dans l'état actuel du droit, les articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale définissent dans quels cadres juridiques peuvent se dérouler les contrôles d'identité.
Le contrôle d'identité peut d'abord être lié à une infraction. Toute personne peut ainsi être invitée à justifier de son identité s'il existe contre elle une raison plausible de soupçonner :
- qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;
- qu'elle se préparait à commettre un crime ou un délit ;
- qu'elle est susceptible de fournir des renseignements sur un crime ou un délit ;
- qu'elle a violé ses obligations ou interdictions liées à un contrôle judiciaire, une mesure d'assignation à résidence, une peine ou une mesure suivie par le juge de l'application des peines ;
- qu'elle est recherchée sur ordre d'un juge.
Les forces de l'ordre peuvent aussi procéder à des contrôles d'identité sur réquisition du procureur de la République, en des lieux et pour une période de temps déterminée.
Le contrôle peut aussi être mené dans un cadre préventif, et administratif, quel que soit le comportement de la personne, pour prévenir une atteinte à l'ordre public. Ce contrôle préventif, quel que soit le comportement de la personne, comporte intrinsèquement un risque important d'arbitraire.
En janvier 2017, le Défenseur des Droits dévoilait dans une enquête que les jeunes hommes entre 18 et 25 ans perçus comme noirs ou arabes connaissent une probabilité vingt fois plus élevée que le reste de la population de subir un contrôle.
Dans sa décision n° 454836, Amnesty International France et autres, du 11 octobre 2023, le Conseil d'État a reconnu l'existence de pratiques de contrôles d'identité discriminatoires qui ne peuvent être regardées comme se réduisant à des cas isolés. Il a reconnu en outre leur impact dommageable sur les personnes qui y sont exposées. Dans une seconde décision, il a enjoint au ministre de l'intérieur de prendre des mesures pour faire appliquer l'obligation d'identification des forces de l'ordre.
Toutes les études convergent donc vers le même constat : en France, les personnes issues des « minorités visibles » sont contrôlées bien plus fréquemment que les autres. En 2013, le réseau d'associations Open Society Justice Initiative a mené une grande enquête en France afin d'évaluer les conséquences de ces contrôles souvent vécus comme violents, stigmatisants et discriminatoires. Aussi, les personnes régulièrement contrôlées ont l'impression d'être des citoyens de seconde zone, exclus parce qu'ils n'ont pas « l'air français ». Les parents doivent apprendre à leurs enfants à vivre avec les discriminations. Le sociologue Didier Fassin évoque à ce sujet ce qu'il nomme « une forme très particulière d'éducation civique » pour ces enfants. Les termes qui reviennent également le plus sont « gêne » et « humiliation », notamment quand ces contrôles ont lieu à la vue des passants.
En novembre 2005, Bouna Traoré et Zyed Benna rentrent d'un match de foot et décèdent dans un transformateur électrique après avoir pris la fuite par crainte d'un contrôle policier. À la suite de cela, la France a été confrontée à un épisode important de violences urbaines. Le contrôle policier a été l'étincelle qui a suscité la colère dans de nombreux quartiers et a eu un impact sur la sécurité de la société française tout entière.
Ces contrôles et l'absence de suivi et de transparence sont également un poison pour la police puisque ces pratiques contribuent à altérer la relation de confiance, indispensable, entre toutes les composantes de la population et les forces de l'ordre et, derrière ces dernières, les institutions publiques qu'elles représentent.
Cette relation de défiance qui s'instaure peu à peu met à mal notre vivre-ensemble, le contrat social qui fonde notre République et qui repose sur la liberté et l'égalité.
L'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 prévoit que « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » La force publique désigne l'ensemble des services de l'État et des collectivités territoriales chargés de maintenir l'ordre public, la sécurité et de garantir l'exécution des lois. Ses agents doivent exercer leur mission dans le respect des règles en vigueur et dans une relation de confiance avec la population.
Selon une étude du Défenseur des Droits publiée le 27 février 2024, près de deux policiers et gendarmes interrogés sur cinq (39,2 %) jugent les contrôles d'identité « peu voire pas efficaces » pour garantir la sécurité d'un territoire. Ce chiffre élevé est le signe d'une perte de sens de cette mission voire du côté contre-productif de cet acte pour beaucoup d'agents de la force publique. Le chiffre avancé par la Cour des comptes, à savoir 47 millions de contrôles d'identité réalisés chaque année, montre le caractère extrêmement chronophage de ces actes qui constituent souvent une perte de temps pour les forces de l'ordre.
Toujours selon cette étude du Défenseur des Droits confiée au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), les policiers et gendarmes sont très peu à être d'accord avec l'affirmation selon laquelle « on peut globalement faire confiance aux citoyens pour se comporter comme il faut » (23,8 % des policiers et 34,3 % des gendarmes). Le lien de confiance semble donc rompu des deux côtés entre la police et la population.
L'auteure de cette proposition de loi souhaite rappeler son attachement au travail exemplaire de nos policiers et gendarmes, très souvent mis à mal par un manque criant de reconnaissance et de moyens. Le travail de patrouille des agents est rendu de plus en plus difficile, notamment à cause d'une hostilité croissante de la part d'une partie de la population. Cette hostilité peut conduire à des violences et agressions envers les forces de l'ordre qui ne sont pas acceptables.
L'objectif de ce texte est également de susciter un débat sur la doctrine d'emploi des forces de l'ordre pour une plus grande efficacité d'action, ce qui suppose de réévaluer les consignes de la hiérarchie et l'adéquation de leur formation.
Comme l'a recommandé la Défenseure des Droits, il nous semble indispensable de « mettre en place une politique publique sur les contrôles d'identité qui apporte les garanties nécessaires pour encadrer une pratique aujourd'hui mal évaluée et peu contrôlée ».
Aussi, il semble nécessaire de mettre en place un dispositif d'enregistrement et de traçabilité des contrôles d'identité afin d'encadrer cette pratique. Et cela, en vue de deux objectifs essentiels : rétablir une confiance de la population dans la police et ses actions de contrôle afin d'assurer la sécurité partout et pour tous, mais aussi permettre aux policiers d'exercer leurs fonctions en toute transparence, afin de les sécuriser eux-mêmes dans la pratique de leur métier et de redonner du sens à leur mission.
Ainsi, l'article 1er de cette proposition de loi modifie l'article 78-1 du code de procédure pénale afin d'inscrire dans la loi l'exigence de contrôle motivé qui exclut toutes discriminations, telles que définies aux articles 225-1 à 225-4 du code pénal. Il doit être mis en oeuvre dans le respect de la dignité des personnes. Il est susceptible de recours.
L'article 2 modifie l'alinéa 7 de l'article 78-2 du code de procédure pénale relatif aux réquisitions écrites du procureur de la République en instaurant l'exigence d'une demande motivée du représentant de l'État dans le département ou, à Paris, du préfet de police, ou de la propre initiative du procureur.
Il modifie également l'alinéa 8 relatif aux contrôles administratifs qui comportent un risque important d'arbitraire en les encadrant pour assurer la sécurité d'un événement, d'une manifestation ou d'un rassemblement exposé à un risque d'atteinte grave à l'ordre public à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation.
L'article 3 instaure un dispositif d'enregistrement et de traçabilité des contrôles d'identité, c'est-à-dire le récépissé de contrôle d'identité. Il crée les articles 78-2-2-1 et 78-2-2-2 du code de procédure pénale qui prévoient l'établissement d'un document dont un double est remis à l'intéressé et qui mentionne :
- le fondement juridique et les motifs justifiant le contrôle d'identité, les suites qui peuvent y être données,
- l'identité de la personne contrôlée,
- la date, l'heure et le lieu du contrôle,
- le matricule, le grade et le service de l'officier ou de l'agent de police judiciaire ayant procédé au contrôle.
Le format que prendra l'enregistrement et la traçabilité des contrôles d'identité sera précisé par décret en Conseil d'État, mais il semble plus opportun de se diriger vers une attestation numérique qui pourrait prendre la forme d'un SMS ou d'un courriel.
Enfin, l'article 4 précise dans l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure que les contrôles d'identité doivent être enregistrés systématiquement par les caméras mobiles.