EXPOSE DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 2023-1251 du 26 décembre 2023 relative à la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques, adoptée à l'initiative des sénateurs Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias, a mis en place un cadre juridique permettant le traitement des demandes de restitution de restes humains relevant du domaine public. Elle a ainsi défini la procédure et les conditions de leur sortie des collections publiques en vue de leur restitution à un État à des fins funéraires.

Si cette loi constitue une avancée majeure pour faciliter la réponse des pouvoirs publics aux légitimes demandes de restitution émanant d'États souhaitant rendre l'hommage dû à leurs morts, mais également pour promouvoir une gestion plus éthique de nos collections, son champ d'application est cependant circonscrit aux demandes de restitution formulées par des États étrangers. Elle ne couvre donc pas le cas des restes humains de défunts français, en particulier ultramarins, présents dans les collections publiques.

Or, les travaux parlementaires conduits dans la phase préparatoire de ce texte ont mis en lumière l'existence d'une problématique ultramarine particulière en matière de restitution de restes humains, qui résulte du passé colonial de la France dans ces territoires. En 2014, les crânes du grand chef kanak Ataï et du sorcier Andja, entreposés au Musée de l'Homme mais appartenant à une collection particulière, ont ainsi fait l'objet d'une restitution à leurs descendants. En conséquence de la pratique des zoos humains qui a prévalu du XIXe siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, de nouvelles demandes de restitution émanant des territoires ultramarins doivent être anticipées pour les prochaines années, ce qui rend nécessaire la mise en place de procédures permettant d'assurer leur instruction rapide et efficace.

Or, le législateur a estimé que la procédure interétatique mise en place par la loi du 26 décembre 2023 précitée ne pouvait être étendue en l'état aux territoires ultramarins : outre qu'il n'est pas possible en droit de mettre sur un pied d'égalité des États étrangers et les collectivités ultramarines, l'ouverture d'une voie de restitution réservée aux seuls territoires ultramarins, à l'exclusion des autres collectivités françaises, pourrait créer une rupture d'égalité devant la loi. Les délais d'examen de la loi n'étaient cependant pas suffisants pour permettre au législateur d'organiser les concertations nécessaires à la mise au point d'une solution juridiquement satisfaisante.

C'est la raison pour laquelle, à l'initiative du Sénat, l'article 2 de cette loi a prévu la remise au Parlement, dans l'année suivant sa promulgation, d'un rapport gouvernemental proposant une solution pérenne pour les restitutions aux collectivités ultramarines. La ministre de la culture alors en fonction, Rima Abdul-Malak, s'était engagée lors du débat parlementaire à lancer dès le début de l'année 2024, en lien avec les services du ministre des outre-mer, alors Philippe Vigier, une mission parlementaire sur les restes humains ultramarins des collections publiques. Il devait ainsi s'agir d'évaluer le corpus des restes concernés dans les collections publiques, de consulter les autorités administratives, politiques et coutumières ultramarines et d'identifier le véhicule législatif le mieux adapté pour leur restitution. Le remaniement du Gouvernement, intervenu en deux temps en janvier puis en février 2024, ainsi que la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 2024 ont cependant entravé le lancement de cette mission.

Or le temps presse, le législateur ayant été informé d'une demande spécifique de restitution émanant de l'association Moliko Alet+Po
(« les descendants de Moliko »), créée en mémoire de défunts de l'ethnie kali'na victimes de la pratique des exhibitions ethnographiques au XIXe siècle. Cette association sollicite ainsi le retour en Guyane, à des fins funéraires, des restes humains de Kali'nas décédés en métropole alors qu'ils étaient exhibés dans des zoos humains, aujourd'hui conservés au musée de l'Homme - six squelettes et deux moulages sont concernés.

La législation actuelle ne permet pas d'accéder à sa demande. Alors que la plupart des descendants de Moliko vivent aujourd'hui sur le territoire de la Guyane française, seule une demande portée par l'État voisin du Suriname pourrait aboutir en application des dispositions de la loi-cadre - l'association Moliko Alet+Po ayant déjà obtenu l'accord des chefs coutumiers implantés au Suriname pour que les restes soient transférés sur le territoire guyanais, où les rites funéraires traditionnels du peuple kali'na seraient pratiqués.

Au regard du bien-fondé de la demande portée par l'association Moliko Alet+Po et de l'exemplarité de leur démarche, il n'apparaît ni souhaitable ni légitime d'attendre, pour lui donner satisfaction, l'aboutissement d'un travail préliminaire de réflexion qui, presque un an après le vote de la loi, n'a pas même été entamé. Devant cette situation regrettable, il est donc nécessaire de recourir à une loi d'espèce.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi, dont l'article unique vise à la sortie des collections publiques des huit dépouilles mortelles de Kali'nas conservées au musée de l'Homme ainsi qu'à leur remise, dans l'année suivant l'entrée en vigueur de la loi, à la collectivité de Guyane à des fins funéraires.

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