EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi vise à restreindre les possibilités de paiement en espèces afin de lutter plus efficacement contre le blanchiment et la fraude fiscale.

Les Français restent attachés au paiement en espèces malgré la généralisation de la dématérialisation des modes de paiement (carte bancaire, application téléphonique, banque sans guichet, crypto monnaies, carte de paiement prépayée, plateformes de paiements instantanés en ligne, ...). Cette dématérialisation a conduit à une baisse des paiements en espèces ces dernières années. Cependant, les billets continuent de remplir une fonction de réserve de valeur, notamment pour les populations les plus fragiles, une transaction sur deux se faisant encore en espèces en France.

Début 2024, dans le cadre d'une loi contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, l'Union européenne a fixé à 10 000 euros le plafond au-delà duquel les paiements en liquide au sein de l'Union européenne sont interdits. Cette règle a pour objectif d'harmoniser les réglementations existantes entre les 27 pays membres de l'Union européenne, y compris pour les banques, les agences immobilières, les crypto actifs ou encore les casinos.

Mais force est de constater que dans le cadre des trafics de stupéfiants, de la traite des êtres humains, de la prostitution, du travail non déclaré dit « au noir », de la fraude fiscale ou de toute autre activité illicite et de petite délinquance, les sommes échangées lors des transactions sont très souvent d'un montant beaucoup plus faible et peuvent échapper aux dispositions de la législation. Ces transactions financières opaques continuent, dans un cadre légal, à faciliter le blanchiment d'argent en espèces, sans traçabilité, par exemple autour du commerce des produits de luxe, des métaux précieux, des bijoux et accessoires de mode, des voitures, etc. Le paiement en espèces de sommes relativement modestes reste un mode notoirement reconnu de blanchiment d'argent pour les dealers et leurs patrons.

C'est le code monétaire et financier qui précise les conditions et plafonds de paiements en espèces entre particuliers, entre professionnels et entre particuliers et professionnels. Son article L. 112-6 a été modifié à l'occasion du vote de la loi de mars n°2023-171 du 9 mars 2023 - art.7 et complété par un décret D. 112-3.

Les dispositions de sa section 3, intitulée Interdiction du paiement en espèces de certaines créances, articles L. 112-6 à L. 112-8, prévoient que les paiements en espèces :

- ne comportent pas de plafond pour une transaction entre particuliers mais, qu'au-delà d'un montant de 1 500 euros, la transaction doit être régularisée par un écrit à valeur de preuve faisant apparaître la date le nom de l'acheteur et du vendeur, l'objet de la transaction, son montant et le fait qu'elle a été réglée en liquide (articles 1359 du code civil et 1 du décret du 15 juillet 1980) ;

- sont plafonnés à 1 000 euros pour une transaction entre un particulier et un professionnel ou entre professionnels. Toutefois, si le domicile fiscal du débiteur est situé à l'étranger et qu'il règle une dépense personnelle, cette limite est portée à 10 000 ou 15 000 € selon la situation conformément à l'article D. 112-3 du code monétaire et financier.

En outre, le code monétaire et financier précise qu'un centre des finances publiques peut refuser le versement en espèces pour des montants au-delà de 300 € (art. 1680 du code général des impôts), qu'un salarié peut être payé en liquide jusqu'à 1 500 € par mois (articles L. 3241-1 du code du travail et 1 et 2 du décret du 7 octobre 1985) mais avec établissement d'un bulletin de paie, qu'un paiement fait ou reçu par notaire peut s'effectuer en espèces dans la limite de 3 000 € (articles L. 112-6-1 et R. 112-5 du code monétaire et financier) ou encore qu'aucun professionnel ne peut acheter cash des métaux à un particulier.

Par ailleurs, pour les commerçants et les professionnels, il existe des motifs de refus d'un paiement en espèces, énumérés par la loi :

- suspicion de fausse monnaie ;

- billets et pièces en mauvais état, car ils risquent d'être rejetés par la Banque de France ;

- raisons techniques ou de sécurité (horodateurs, commerces ouverts la nuit).

- si le paiement est réalisé avec plus de 50 pièces (seul le Trésor Public peut en accepter plus).

- si un client ne dispose que de devises étrangères pour le règlement des sommes dues.

- le payeur doit faire l'appoint et régler la somme exacte au vendeur qui peut refuser le paiement en espèces si son client ne dispose pas d'assez de monnaie (grosses coupures).

En dehors de ces motifs, les refus d'être payé en espèces par un professionnel peuvent être sanctionnés par la loi et sont passibles d'une amende de 2ème classe, à hauteur de 150 euros.

Les dispositions du code monétaire et financier laissent encore la possibilité de versements en espèces dans de multiples occasions, y compris celles permettant le blanchiment de l'argent issu d'activités illicites, notamment le trafic de drogue ou encore la traite des êtres humains, par le moyen de paiements en espèces. On voit, par exemple, se développer la pratique de la location de voitures de luxe.

Se multiplient également les usages de cartes de paiement prépayées, sans compte, sans banque, mais qui permettent le dépôt de petites sommes (par tranches de 250 euros) pouvant atteindre un plafond de 10 000 euros.

Afin de faire obstacle à ces pratiques, les auteurs de cette proposition de loi entendent contribuer à combler les vides juridiques favorisant les transactions en espèces. C'est pourquoi ils proposent notamment de supprimer les dérogations possibles et d'interdire tout paiement en espèces pour des sommes supérieures à 1 000 euros en réécrivant l'article L. 112-6 du code monétaire et financier. Les modifications portent sur le deuxième alinéa de l'article L. 112-6 du code monétaire et financier afin de soumettre le paiement des loyers à l'interdiction du paiement en espèces, au même titre que le paiement des traitements et des salaires.

Le dispositif consiste donc à supprimer :

- le III-a) de l'article L. 112-6 du code monétaire et financier afin d'exclure de la liste des dérogations possibles les paiements par des personnes n'ayant pas de chèque, de compte de dépôt ou tout autre moyen de paiement ;

- le III-b) de l'article L. 112-6 du code monétaire et financier pour exclure de la liste des dérogations possibles les paiements en espèces entre personnes physiques, c'est-à-dire entre particuliers.

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