EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis sa mise en place en 1982, le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, dit « régime CatNat », a fait la preuve de sa résilience. Ce régime, en associant étroitement les compagnies d'assurances aux institutions publiques, rend aujourd'hui possible une véritable solidarité face aux catastrophes naturelles sur l'ensemble du territoire français, tout en préservant les comptes publics.

Toutefois, le changement climatique représente désormais une menace considérable pour le régime CatNat, qui pourrait remettre en cause en cause son équilibre. Selon la Caisse centrale de réassurance, la sinistralité devrait augmenter d'environ 40 % à horizon 2050 en raison de la seule progression des aléas naturels. Rien que le coût de la sinistralité « sécheresse » représentera 43 milliards d'euros entre 2020 et 2050, contre 13,8 milliards d'euros entre 1989 et 2020.

Or, le régime CatNat est déjà à bout de souffle. Les sécheresses de ces dernières années ont considérablement diminué la provision d'égalisation de la Caisse centrale de réassurance, qui sera à la fin 2024 à un niveau presque nul. Si des inondations de l'ampleur de celles connues à l'automne 2023 et au début de l'année 2024 devaient se reproduire, il pourrait même être fait appel à la garantie de l'État, pour la première fois depuis les tempêtes Lothar et Martin de 1999.

Le relèvement par arrêté de 12 % à 20 % du taux de la surprime prévu pour le 1er janvier 2025 était nécessaire, mais il ne sera pas suffisant pour garantir l'équilibre du régime dans la durée. Cette mesure intègre les évolutions législatives récentes (loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles, ordonnance n° 2023-78 du 8 février 2023), mais elle ne prend pas en compte les effets du changement climatique, et ne laisse aucune marge de manoeuvre si un nouvel événement exceptionnel devait survenir.

Le régime CatNat est également contesté en termes d'équité, pour le phénomène de retrait-gonflement des argiles. De nombreuses communes touchées par la sinistralité sécheresse se voient refuser l'éligibilité au régime CatNat puisqu'en moyenne seules 50 % de celles qui ont déposé une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle l'obtiennent. Ensuite, la moitié des dossiers d'indemnisation déposés par les personnes victimes d'un sinistre dans ces communes sont classés sans suite par les experts mandatés par les sociétés d'assurance.

Il est cependant essentiel de préserver l'intégrité du régime CatNat. L'intervention directe et systématique de l'État pour l'indemnisation de l'ensemble les catastrophes naturelles serait en effet désastreuse autant pour les finances publiques que pour l'intérêt des sinistrés. À l'inverse, laisser le secteur privé prendre en charge toute la sinistralité CatNat conduirait à une forte diminution de la couverture assurantielle sur le territoire. L'équilibre entre l'intervention du secteur public et celle des compagnies d'assurances privées permet ainsi de garantir au mieux l'intérêt des assurés.

Une nouvelle réforme du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles s'impose donc. Christine Lavarde, rapporteur spécial de la mission « Écologie, développement et mobilité durable » au nom de la commission des finances du Sénat, a présenté un rapport sur le risque retrait-gonflement des argiles en 2023, puis a mené un contrôle plus large sur le régime CatNat de janvier à mai 20241(*).

Après avoir mené une trentaine d'auditions, elle a présenté un rapport intitulé « le régime CatNat : prévenir la catastrophe financière », devant la commission des finances le mercredi 15 mai 2024. Elle est arrivée à la conclusion que les paramètres de financement du régime devaient être revus, que la procédure d'indemnisation devait mieux protéger les assurés et que le renforcement de la politique publique de prévention des risques naturels majeurs était une condition sine qua non de la soutenabilité du régime sur le long terme. Elle a ainsi formulé 16 recommandations, adoptées par la commission des finances, qui permettront de remplir l'ensemble de ces objectifs.

La présente proposition de loi vise à traduire neuf de ces recommandations, les autres relevant principalement du pouvoir réglementaire. D'autres dispositions, ne relevant pas du domaine financier, pourront être ajoutées au cours des débats.

Les assurés ne doivent plus se sentir démunis face à la procédure d'indemnisation des catastrophes naturelles. De nouvelles garanties doivent être mises en place, autant en ce qui concerne l'application des franchises que l'encadrement de l'activité des experts en assurance et la liberté d'utilisation des indemnités d'assurance.

La politique de prévention des risques naturels majeurs doit quant à elle être rendue cohérente avec le régime CatNat, par l'intégration de la sécheresse et du recul du trait de côte parmi les risques finançables. Elle doit également donner une place plus importante aux actions menées par les particuliers, pour valoriser la prévention à une échelle plus locale et pour diffuser une véritable culture du risque au sein de la population.

Le financement de la politique de prévention des risques doit également être relevé à un niveau cohérent avec le prélèvement sur la garantie des catastrophes naturelles. En effet, on constate depuis 2021 un décalage important entre le produit de ce prélèvement et les financements du fonds Barnier, qui sera amplifié avec le relèvement du taux de la surprime2(*). Or, l'acceptabilité de la taxe sur la garantie CatNat est liée au sentiment que les dépenses iront effectivement à la prévention des risques. Ce surplus pourrait permettre de financer des diagnostics de prévention des risques pour les particuliers, d'apporter un soutien aux mesures de prévention individuelle et de subventionner des dispositifs expérimentaux en matière de retrait-gonflement des argiles et de lutte contre le recul du trait de côte.

Cette recommandation relève cependant du domaine de la loi de finances, et fera donc l'objet de discussions lors de l'examen du budget de l'État pour l'année suivante.

La proposition de loi comprend neuf articles répartis au sein de deux chapitres.

Le chapitre Ier comprend les dispositions visant à améliorer le financement du régime et à mieux protéger les assurés lors de la procédure d'indemnisation.

L'article 1er prévoit la mise en place d'un mécanisme de revalorisation automatique du taux de surprime, couplé avec une clause de revoyure quinquennale. Cette disposition doit permettre d'intégrer les effets du changement climatique dans le financement du régime CatNat.

L'article 2 supprime l'application multiple des franchises en cas de succession d'un même aléa naturel sur le même territoire. L'exonération des franchises multiples est déjà parfois appliquée pour certains sinistres majeurs, comme ce fut le cas pour les inondations de l'automne et l'hiver derniers. Elle ne repose toutefois sur aucune base légale et n'est permise que du fait d'un engagement des compagnies d'assurance. Cette situation est source d'incertitude pour les assurés et la loi permettra justement de clarifier les conditions d'exonération de franchises multiples.

L'article 3 met en place une présomption de refus d'assurance pour motif d'exposition aux catastrophes naturelles dans les zones les plus à risque. Cette disposition a vocation à faciliter la saisine du Bureau central de tarification pour les personnes qui ne parviendraient plus à s'assurer, et ainsi à lutter contre la progression de la non-assurance.

L'article 4 renforce les garanties d'indépendance demandées aux experts d'assurance spécialisés dans les catastrophes naturelles : la rémunération des experts en fonction du résultat est désormais interdite, ainsi que les liens capitalistiques entre la société d'experts et l'assureur. L'expertise d'assurance connaît en en effet une crise de confiance de la part des assurés, en particulier en matière de retrait-gonflement des argiles, et ces garanties d'indépendance participeront à l'amélioration de la perception des experts.

L'article 5 rétablit pleinement le principe de liberté d'utilisation des indemnités d'assurance en cas de sinistre provoqué par une catastrophe naturelle, y compris s'agissant du phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA). Il prévoit également que les assurances notifient systématiquement aux maires les dommages constatés sur le territoire de leur commune pour lesquels il a été établi que la cause déterminante résultait du phénomène de retrait-gonflement des argiles.

Le chapitre II comprend des dispositions pour renforcer la politique de prévention des risques naturels majeurs afin de garantir la soutenabilité du régime CatNat sur le long terme.

L'article 6 prévoit de diminuer la franchise payée par les particuliers en cas d'adoption par ceux-ci de mesures de prévention, à la manière de ce qui existe déjà pour les biens à usage professionnel, dans le cas d'entreprises dont la surface est supérieure à 300 m2. Pour qu'une telle disposition soit effective, il sera indispensable que les assurés soient informés de cette nouvelle exonération.

L'article 7 met en place un nouveau prêt à taux zéro, « l'éco-PTZ prévention », qui doit permettre aux particuliers de mettre en oeuvre des mesures de prévention des risques. Ce prêt aidera les ménages à financer les coûts de travaux de prévention des risques qui, dans certains cas, peuvent se révéler être particulièrement lourds.

L'article 8 prévoit de conditionner l'octroi de la prime de transition énergétique (MaPrimeRénov'), pour les logements les plus exposés aux risques naturels majeurs, à la réalisation de travaux de prévention des risques. En effet, la rénovation énergétique de logements fortement exposés au RGA, et pour lesquels aucune mesure de prévention n'est prise, conduit à une dépense publique inefficace, dans la mesure où ces logements disparaîtront potentiellement dans les prochaines décennies. Un conditionnement plus strict est nécessaire pour assurer la cohérence de la politique de rénovation énergétique et pour inciter à la réalisation de travaux de prévention des risques.

L'article 9 prévoit d'étendre le fonds Barnier au financement d'études et de dispositifs expérimentaux de prévention des dommages provoqués le retrait-gonflement des argiles ainsi que par le recul du trait de côte. Il ne s'agit pas de faire en sorte que l'ensemble des bâtiments exposés à ces risques puissent être financés par le fonds Barnier, mais de cibler les dispositifs les plus prometteurs en termes d'efficacité des mesures et d'économies potentielles sur le long terme.

* 1 Rapport d'information n° 354 (2022-2023) de Mme Christine Lavarde fait au nom de la commission des finances sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti, février 2022, et Rapport d'information n° 603 (2023-2024) de Mme Christine Lavarde fait au nom de la commission des finances sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti, mai 2024

* 2 Il est estimé que le prélèvement sur la garantie CatNat a rapporté 273 millions d'euros en 2023, tandis que 200 millions d'euros en crédits de paiement ont été inscrits au fonds Barnier la même année. Avec le relèvement du taux de la surprime prévue le 1er janvier 2025, le montant du prélèvement sur la garantie CatNat pourrait atteindre 450 millions d'euros.

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