EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis de longs mois, le monde connaît un regain de tensions et l'Europe est confrontée à un conflit majeur sur son sol : la guerre en Ukraine causée par l'invasion russe bafouant toutes les règles du droit international.

Cette agression injustifiable a remis à l'ordre du jour prioritaire les questions de défense. Désormais, les Européens s'inquiètent pour leur sécurité.

La crise sanitaire les avait déjà un peu forcés à sortir de leur « torpeur » et à penser à nouveau en termes d'industrie et de souveraineté.

En raison des contraintes budgétaires, la France a conservé avec peine un modèle complet d'armée et une base industrielle et technologique de défense (BITD) allant des grands groupes aux PME locales, en passant par les start-up. Une BITD forte assure à nos armées la capacité de défendre nos intérêts en toute indépendance.

La France est bien placée dans la compétition mondiale. Les prises de commande d'armement en 2022 ont atteint près de 27 milliards d'euros, soit un niveau historique. Mais la concurrence se durcit face à des entreprises extracommunautaires aux contraintes limitées et fortement soutenues par leurs États (États-Unis, Russie, Turquie, Chine...). De plus, nos voisins européens n'hésitent plus à s'équiper massivement en matériels américains disponibles « sur étagère», fermant de fait l'accès à leur marché pour de nombreuses années s'agissant d'équipements qui resteront en service une, voire deux décennies.

Pour rester dans la course industrielle et stratégique qui s'accélère, la question du financement est cruciale afin d'assurer la survie d'un des derniers écosystèmes industriels français, indispensable à toute souveraineté et à la protection de la nation.

Cette filière d'excellence, non délocalisable, assure à la France la maîtrise de nombreuses technologies de pointe, notamment pour la dissuasion nucléaire. Elle jouit d'une bonne image dans la population, et représente un vivier de compétences et d'emplois dans les territoires.

Compte tenu de leurs qualités, les « pépites technologiques » françaises suscitent un fort intérêt d'investisseurs étrangers qui souhaitent en prendre le contrôle. Elles rencontrent aussi des difficultés de financement qui entravent leur développement. Certaines sont hélas passées sous pavillon étranger, d'autres ont été sauvegardées in extremis. Les mésaventures d'entreprises comme Latécoère, Photonis, Aubert & Duval, Exxelia, Segault, Atos - peu connues du grand public mais importantes pour notre souveraineté- ont défrayé la chronique économique ces dernières années.

Ces événements illustrent les fragilités françaises en matière de financement et de protection des entreprises.

Alerté par les armées et les industriels, le Sénat a régulièrement appelé l'attention du Gouvernement à propos des problématiques de financement des entreprises de la BITD, et en particulier des PME et ETI1(*). L'Assemblée nationale s'est aussi penchée sur le sujet2(*).

Les principales inquiétudes recueillies par les sénateurs portaient sur la modicité des soutiens publics, les difficultés d'accès aux financements bancaires, le manque de fonds d'investissement consacrés à la défense.

Dans un premier temps, l'État est resté dans une certaine forme de déni sur ces sujets avant d'en prendre progressivement la mesure.

À l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 (LPM), des dispositions ont été introduites par les rapporteurs des crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », Pascal ALLIZARD et Yannick VAUGRENARD, pour créer un « Livret d'épargne souveraineté ». Les versements dans ce nouveau livret d'épargne réglementé devaient être affectés à l'acquisition de titres financiers contribuant au financement de l'industrie de défense française.

En Commission mixte paritaire, un accord a été trouvé pour finalement flécher une partie des ressources collectées au titre du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire vers les entreprises de la BITD.

Les petites et moyennes entreprises étaient notamment visées puisqu'elles éprouvent souvent plus de difficultés que les grands groupes pour se financer et obtenir des crédits bancaires. Leurs difficultés peuvent même fragiliser ces grands groupes lorsqu'elles en sont des fournisseurs critiques.

Lors de l'examen d'un recours de députés d'opposition concernant la LPM, le Conseil constitutionnel s'est aussi saisi d'office d'une dizaine d'articles. Ils ont été censurés pour des questions de procédure, notamment celui portant sur le financement des entreprises3(*).

C'est la raison pour laquelle la présente proposition de loi réintroduit les mesures débattues dans le cadre de la LPM, puis adoptées par le Parlement, et qui ont fait l'objet d'un consensus avec le Gouvernement.

Elle assurera des moyens de financement supplémentaires pour la défense et contribuera à renforcer le lien entre les armées et la nation à travers l'épargne des Français.

L'article 1er prévoit le fléchage d'une partie des ressources collectées au titre du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire vers les entreprises, notamment petites et moyennes, de l'industrie de défense française. Cette mesure n'aura aucune conséquence sur le financement du logement social dans la mesure où elle ne concernera que la part non centralisée des ressources collectées (environ 40 % de l'encours).

L'article 2 prévoit un rapport du Gouvernement, avant le 31 décembre 2026, sur le nouveau dispositif et qui devra étudier la création d'un produit d'épargne spécifique destiné au financement du secteur de la défense si les résultats ne sont pas probants.

* 1 Pascal ALLIZARD et Gisèle JOURDA, « Défense : Environnement et prospective de la politique de défense », Avis n° 130 (2023-2024), tome V, déposé le 23 novembre 2023 ; Pascal ALLIZARD et Yannick VAUGRENARD , « Renseignement et prospective : garder un temps d'avance, conserver une industrie de défense solide et innovante », Rapport d'information n° 637 (2022-2023), déposé le 24 mai 2023 ; « Défense : Environnement et prospective de la politique de défense », Avis n° 117 (2022-2023), tome V, déposé le 17 novembre 2022 ; « Environnement et prospective de la politique de défense », rapport d'information n° 217 (2021-2022), déposé le 24 novembre 2021 ; « Défense : Environnement et prospective de la politique de défense », Avis n° 140 (2020-2021), tome V, déposé le 19 novembre 2020 ; Pascal ALLIZARD et Michel BOUTANT, « L'industrie de défense dans l'oeil du cyclone », rapport d'information n° 605 (2019-2020), déposé le 8 juillet 2020 

* 2 Françoise BALLET-BLU et Jean-Louis THIERIOT, « mission « flash » sur le financement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) », 17 février 2021

* 3 Article 52 de la LPM, cf. Décision n° 2023-854 DC du 28 juillet 2023

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