EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'invasion de l'Ukraine par la Russie, en violation flagrante du droit international, a conduit des milliers de personnes de nationalité ukrainienne ou résidant en Ukraine, à prendre les routes de l'exil en direction de l'Union européenne. Près de deux semaines après le début du conflit, ce sont environ 2 millions de civils, principalement des femmes et des enfants, qui ont fui l'Ukraine. Et ce nombre pourrait rapidement atteindre 4 à 5 millions, selon Josep Borrell, le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères.

Il s'agit, selon les mots de Filippo Grandi, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, de « l'exode le plus rapide qu'a connu l'Europe depuis la seconde guerre mondiale ».

Par sa soudaineté et son ampleur, ce défi humanitaire appelait une réaction rapide et adaptée. La décision prise par l'Union européenne et ses Etats membres de recourir au mécanisme de protection temporaire, créé par la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 a été une réponse courageuse et nécessaire.

Alors qu'elle s'était jusqu'à présent montré divisée et pusillanime lorsqu'il s'agissait de répondre aux défis qui lui sont posés en matière de migrations et d'asile, l'Union européenne a ici fait la démonstration que lorsque l'essentiel est en jeu et qu'il existe une volonté politique, elle est en capacité d'agir.

A l'unanimité de ses membres, le Conseil de l'Union européenne a adopté, le 4 mars 2022, une décision d'exécution instaurant une protection temporaire.

Ce mécanisme d'urgence qui peut être déclenché en cas d'afflux massif de personnes, permet d'accorder, sans passer par une demande d'asile individuelle, une protection collective à des personnes déplacées qui ne sont temporairement pas en mesure de retourner dans leur pays d'origine.

Outre d'accorder une protection immédiate aux personnes déplacées, il s'agit d'éviter que les systèmes nationaux d'asile se trouvent submergés par un afflux de demandes qu'ils ne seraient matériellement pas en mesure de traiter.

En droit interne français, le bénéfice de la protection temporaire est accordé pour une période d'un an renouvelable dans la limite maximale de trois ans (article L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile). L'étranger soumis à ce régime est mis en possession d'un document provisoire de séjour valable six mois qui est renouvelé tant que dure la protection temporaire. Par ailleurs, il doit bénéficier d'un ensemble de droits économiques et sociaux, principalement le droit de travailler et de percevoir l'allocation versée aux demandeurs d'asile (ADA).

Puisque le mécanisme de protection temporaire n'avait jusqu'à présent jamais été mis en oeuvre, nous pouvons pour la première fois apprécié sa portée et notamment l'effectivité des droits qui lui sont attachés.

Or, s'agissant de l'accès au marché du travail, il apparait que les dispositions légales qui figurent dans notre droit national ne confèrent pas à la directive 2001/55/CE sa pleine portée.

Alors que l'article 12 de la directive 2001/55/CE dispose que « les États membres autorisent, pour une période ne dépassant pas la durée de la protection temporaire, les personnes qui en bénéficient à exercer une activité salariée ou non salariée », l'article L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose quant à lui que l'étranger qui bénéficie de la protection temporaire « est mis en possession d'un document provisoire de séjour assorti, le cas échéant, d'une autorisation provisoire de travail ».

L'accès au marché du travail, indissociable du régime de la protection temporaire en vertu de la directive 2001/55/CE, n'apparait donc pas automatique dans notre droit national. Et de fait, l'étranger bénéficiaire d'une protection temporaire en France devra entreprendre de complexes et longues démarches afin de disposer d'une autorisation de travail distincte de son autorisation provisoire de séjour.

Ainsi, la législation nationale ne parait conforme ni à l'esprit ni à la lettre de la directive 2001/55/CE.

Que celle-ci ait été transposée par voie d'ordonnance (ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile), ratifiée lors de l'examen de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, explique-t-il sans doute ce défaut de vigilance du législateur.

Pour réparer cette erreur et donner à la directive sa pleine portée, l' article 1 er prévoit que l'autorisation provisoire de séjour dont bénéficient les protégés temporaires vaut autorisation de travail. Ce faisant, ils seront dispensés de requérir une autorisation de travail en complément de leur titre de séjour.

Les droits des protégés temporaires se trouveraient ainsi alignés sur ceux des réfugiés, bénéficiaires de l'asile ou de la protection subsidiaire, qui sont déjà dispensés de requérir une autorisation de travail, les titres de séjour dont ils disposent autorisant déjà leur titulaire à travailler. Il n'y a pas lieu en effet de traiter différemment les bénéficiaires du droit d'asile ou de la protection subsidiaire et les bénéficiaires d'un autre régime de protection internationale.

A l'inverse, exiger une autorisation de travail aux protégés temporaires revient à les soumettre aux même règles que les demandeurs d'asile, dont l'article L. 554-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prévoit qu'ils sont soumis aux règles de droit commun applicables aux travailleurs étrangers pour la délivrance d'une autorisation de travail. Or, dans le premier cas, la protection a été accordée alors que dans le second elle est seulement en cours d'instruction.

Dans le même esprit, l' article 2 propose de réformer les règles relatives à l'accès au marché du travail des demandeurs d'asile. A rebours de plusieurs pays européens qui permettent aux demandeurs d'asile d'accéder au marché du travail dès le dépôt de leur demande ou à partir de trois mois, comme l'Allemagne, la Suède, le Portugal ou l'Italie, la France a opté pour une législative restrictive.

En effet, les demandeurs d'asile ont actuellement l'interdiction de travailler pendant une durée d'au moins six mois, et passé ce délai, l'accès au marché du travail n'est pas de droit. L'autorisation peut leur être délivrée lorsque l'OFPRA, pour des raisons qui ne sont pas imputables au demandeur, n'a pas statué sur la demande d'asile dans un délai de six mois à compter de l'introduction de la demande. Cette simple faculté requière cependant d'entreprendre de fastidieuses démarches nécessitant de produire un grand nombre de documents et pièces justificatives fournies ou complétées par le futur employeur désireux de recruter la personne concernée.

L'accès au marché au travail des demandeurs d'asile appelle une réponse plus équilibrée. Sans renoncer à un mécanisme de régulation, le législateur doit avoir le souci de ne pas maintenir durablement les demandeurs d'asile dans l'inactivité.

Comme le soulignait le rapport d'Aurélien Taché, « 72 propositions pour une politique ambitieuse d'intégration des étranges arrivant en France », rendu public en février 2018, « le maintien des demandeurs d'asile dans l'inactivité est en effet préjudiciable à tous : déresponsabilisante et frustrante pour les intéressés, elle les enferme dans une logique d'assistance qu'ils supportent mal et qui nuit considérablement à leurs facultés ultérieures d'intégration. Il maximise aussi le coût budgétaire de l'Allocation pour demandeur d'asile (ADA) tout en créant un risque de recours à l'emploi non déclaré ».

Par souci de rééquilibrage, l'article propose deux assouplissements au régime en vigueur. D'une part, les demandeurs d'asile pourraient désormais déposer une demande d'autorisation de travail dès le dépôt de leur demande d'asile. Cette modification serait particulièrement bienvenue pour les mineurs non accompagnés confiés à l'aide sociale à l'enfance, qui peuvent actuellement renoncer à introduire une demande d'asile qui leur interdit toute entrée dans une formation en alternance.

D'autre part, dès lors que l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), et le cas échéant, en cas de recours, la Cour nationale du droit d'asile, pour des raisons qui ne sont pas imputables au demandeur, n'aurait pas statué dans un délai de six mois à compter de l'introduction de la demande, l'accès au marché du travail ne serait plus facultatif mais de droit.

Pour rappel, le groupe socialiste, écologiste et républicain défend ces évolutions depuis plusieurs années désormais. Ainsi, en juin 2018, défendant des amendements en ce sens lors de l'examen du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, Jean-Yves Leconte soulignait déjà l'importance que toutes les personnes qui arrivent sur notre territoire puissent être autonomes le plus vite possible, en particulier lorsqu'elles demandent l'asile.

Enfin, l' article 3 propose de compléter le rapport sur les orientations de la politique d'asile, d'immigration et d'intégration que le Gouvernement doit présenter chaque année au Parlement.

Ce rapport qui doit indiquer le nombre d'étrangers ayant obtenu le statut de réfugié, le bénéfice de la protection subsidiaire ou le statut d'apatride, devra désormais également indiquer le nombre de bénéficiaires de la protection temporaire.

Par ailleurs, il devra indiquer le nombre d'autorisations de travail délivrées aux demandeurs d'asile. Le groupe socialiste, écologiste et républicain avait déposé un amendement en ce sens lors de l'examen de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ; le Sénat l'avait adopté mais avait dû faire face à l'opposition de l'Assemblée nationale.

Ainsi complété le rapport annuel permettrait au législateur de pouvoir efficacement évaluer les politiques publiques relatives à l'accès au marché du travail des demandeurs d'asile et des protégés temporaires.

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