EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Afin de répondre à l'enjeu majeur du pouvoir d'achat, cette proposition de loi vise à modifier, d'une part, le dispositif des titres-restaurant et, d'autre part, à créer un titre-télétravail sur le modèle du titre-restaurant.

En effet, « l'argent fléché » permettant de s'affranchir des charges salariales et patronales donne un avantage pécuniaire supplémentaire aux salariés sans générer un coût inconsidéré pour l'entreprise.

Répondant à des objectifs de simplification et préservant des relations de confiance au sein des organisations, ces mesures permettraient aussi de renforcer l'usage du digital et de prendre en compte l'amélioration de la qualité de vie au travail, quelle que soit la forme de travail choisie (présentiel, télétravail...).

Enfin, cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans le cadre des innovations sociales préconisées par l'OCDE.

L'article 1er vise ainsi à renforcer de manière concrète le titre-restaurant.

Le titre-restaurant, avantage social préféré des Français, est un mécanisme éprouvé qui a fait la preuve de son caractère vertueux. Cet outil a encore été mobilisé récemment avec succès par le Gouvernement dans le cadre de la relance.

Rehausser la valeur maximale du titre-restant jusqu'à 15 € permettra de revaloriser le pouvoir d'achat du salarié, tout en constituant, pour les secteurs de la restauration et de l'alimentation, un soutien efficace à leur activité, par un simple rattrapage du décrochage constaté ces dix dernières années quant au budget consacré à l'alimentation. S'inscrivant dans le contexte de difficulté de fréquentation des restaurants, la mesure, très simple à mettre en place, offre une garantie de « deal » gagnant-gagnant pour toutes les parties prenantes :

- Les 4,5 millions de salariés bénéficiaires qui pourront bénéficier d'une réelle pause et d'un moment privilégié de déconnexion.

- Les 140 000 financeurs (privés et publics) y trouveront un levier pour redistribuer une partie de la productivité gagnée et proposer un vrai gain de pouvoir d'achat à leurs salariés.

- Les 200 000 restaurateurs et commerces de proximité acceptant accueilleront plus que favorablement cette dépense fléchée vers leurs établissements uniquement, pour compenser le chiffre d'affaires perdu.

Le titre-restaurant est un dispositif social performant, qui rapporte plus qu'il ne coûte à l'État, avec une augmentation mécanique des recettes fiscales (TVA et cotisations sociales en tête), du fait du chiffre d'affaires généré et des emplois préservés dans la restauration. De plus, il crée de l'emploi, en ayant déjà fait ses preuves en matière de contribution à la consommation.

Le titre-restaurant s'est ainsi imposé dans le paysage social et économique en tant que dispositif le plus répandu pour la prise en charge de la pause du salarié. Cet outil de politique sociale « à la française », encadré par l'État mais librement négocié par les partenaires sociaux, est un vecteur de performance économique pour tous les types d'entreprise et, bien entendu, pour les commerces partenaires car il représente 15% du chiffre d'affaires du secteur.

En accordant un régime particulier à ce dispositif, l'État a engendré un cercle vertueux sur le plan social comme sur le plan économique. Le titre-restaurant dynamise en effet la consommation locale et particulièrement dans la restauration, ce qui crée directement de l'emploi. En outre, du fait de son caractère multiplicateur, il permet à l'État et aux régimes sociaux de percevoir des recettes fiscales et sociales supérieures à son coût théorique.

Le titre restaurant, dispositif social plus que cinquantenaire, reste plébiscité par les 4,5 millions de salariés bénéficiaires comme leur « avantage social préféré ». Il permet en outre de s'affranchir des contraintes de remboursement de frais qui posent des problèmes fiscaux, de management et engendrent des frais administratifs de gestion. Ses fondamentaux sont toujours d'actualité dans le contexte de crise sanitaire que connaît actuellement notre pays, mais aussi de l'inflation grandissante qui met en péril le pouvoir d'achat des français.

Le titre-restaurant fait donc partie des leviers d'actions fléchées qui peuvent être facilement et rapidement activées.

En dehors du contexte exceptionnel de la crise Covid, le constat de forte érosion du pouvoir d'achat dédié à la restauration des bénéficiaires du titre depuis 10 ans, nous encourage à aller en ce sens. Sur les 10 dernières années en effet, selon l'INSEE, les bénéficiaires d'un titre-restaurant ont vu leur pouvoir d'achat dédié à leur restauration s'éroder très significativement. Alors que les indices des prix à la consommation dans l'alimentaire et la restauration ont augmenté respectivement de plus de 12 et 17 points de base entre 2011 et 2020, le plafond de la contribution patronale TR est resté quasi stable sur cette période, en gagnant à peine 5 points.

En résulte, au quotidien, un décrochage de plus en plus visible. En 2019, la valeur faciale moyenne d'un titre-restaurant était de 7,90 €, alors que le prix moyen d'un déjeuner est proche de 14 ou 15 € et que le prime repas, elle-même exonérée de cotisations sociales et d'impôt sur le revenu, était fixée à 19,10€ pour un déjeuner au restaurant (valeur au 1er janvier 2021). Il est du ressort des pouvoirs publics d'enrayer une telle érosion, pour continuer à faire jouer au titre-restaurant son rôle de politique sociale vertueuse, mais aussi d'équilibre alimentaire et nutritif.

Force est de constater que le mécanisme d'indexation du titre n'est plus suffisant pour permettre au dispositif de jouer son rôle d'amortisseur social et de soutien à l'économie locale. Ce mécanisme a certes récemment été mis à jour, à travers la loi de finances pour 2020. Mais, sans un ingénieux dispositif de cliquet, le plafond d'exonération aurait même dû reculer en 2021, pour la première fois de l'histoire du titre, en raison de la violence de la crise actuelle. La solution la plus adaptée est donc de rattraper le décalage qui s'est progressivement installé entre le titre et le coût de son usage privilégié, le déjeuner en restaurant.

Aujourd'hui, l'employeur détermine donc librement et dans le dialogue social le montant de la valeur libératoire des titres-restaurant qu'il octroie à son personnel : aucune disposition de la réglementation en vigueur n'impose de valeur minimale ou maximale des titres. En tout état de cause, une telle limitation pourrait difficilement avoir un caractère législatif.

Toutefois, la valeur des titres-restaurant est influencée indirectement par les limites légales imposées à la contribution financière des employeurs, qui résultent de la lecture combinée des articles L. 136-1-1 du code de la sécurité sociale et 81 du code général des impôts. Le 4° du III de l'article L. 136-1-1 du code de la sécurité sociale prévoit que sont exclus de l'assiette de la contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement les sommes consacrées par les employeurs pour l'acquisition de titres-restaurant dans les conditions prévues au 19° de l'article 81 du code général des impôts.

Le 19° de l'article 81 du code général des impôts prévoit qu'est affranchi de l'impôt « Dans la limite de 5,55 € par titre , le complément de rémunération résultant de la contribution de l'employeur à l'acquisition par le salarié des titres-restaurant émis conformément aux dispositions du chapitre II du titre VI du livre II de la troisième partie du code du travail, lorsque cette contribution est comprise entre un minimum et un maximum fixés par arrêté du ministre chargé du budget . La limite d'exonération est relevée chaque année dans la même proportion que la variation de l'indice des prix à la consommation hors tabac entre le 1er octobre de l'avant-dernière année et le 1er octobre de l'année précédant celle de l'acquisition des titres-restaurant et arrondie, s'il y a lieu, au centime d'euro le plus proche. »

Ceci est d'ailleurs rappelé par l'article L. 3262-6 du code du travail qui prévoit que « Conformément à l' article 81 du code général des impôts , lorsque l'employeur contribue à l'acquisition des titres par le salarié bénéficiaire, le complément de rémunération qui en résulte pour le salarié est exonéré d'impôt sur le revenu dans la limite prévue au 19° dudit article ».

L'arrêté ministériel a fixé la contribution de l'employeur entre 50 % et 60 % de la valeur nominale du titre, tandis que la limite de l'exonération pour l'employeur est au 1er janvier 2022 de 5,69 € par titre (du fait de la revalorisation automatique). Il en résulte que la valeur nominale du titre-restaurant ouvrant droit à l'exonération maximale, tant pour l'employeur que pour les salariés, est comprise entre 9,48 € et 11,38 €.

Puisque qu'il n'est pas possible de modifier la part devant être prise par l'employeur, qui dépend d'un arrêté ministériel, le seul moyen d'influer sur la valeur nominale effective du titre restaurant est donc de modifier l'article 81 du code général des impôts pour porter par exemple à 7,5 € la valeur de la contribution de l'employeur ouvrant droit à exonération complète.

L'article 2 vise à étendre les titres fléchés.

L'OCDE a récemment conduit une étude sur les bons sociaux, comme outils innovants pour l'inclusion sociale et le développement local. Grâce à l'analyse approfondie des programmes de bons sociaux dans 7 pays (Belgique, Brésil, République tchèque, France, Mexique, Maroc et Roumanie), ce rapport démontre comment ces derniers jouent un rôle important dans la mise en oeuvre efficace des politiques publiques visant à garantir aux travailleurs et aux citoyens l'accès aux nécessités de base et au bien-être tout en soutenant le développement de l'économie locale. Comme principale recommandation, le rapport appelle les autorités et toutes les parties prenantes impliquées dans l'élaboration des politiques publiques à explorer la possibilité de développer davantage les programmes de bons sociaux comme moyen de favoriser le développement socio-économique.

Ce rapport décrit les programmes de bons sociaux comme des outils efficaces pour soutenir le déploiement des politiques sociales en garantissant aux citoyens l'accès local ou national aux biens et services essentiels. La plupart des évaluations des programmes de ces bons signalent leurs impacts positifs et leur capacité à atteindre une série d'objectifs sociaux et environnementaux, tels que le bien-être des bénéficiaires, la promotion de l'inclusion sociale ou même l'encouragement des comportements de consommation. Le rapport souligne également que les bons sociaux sont des instruments puissants pour augmenter les recettes fiscales, lutter contre le travail non déclaré, stimuler la création d'emplois formels et développer l'économie locale.

Le rapport propose la définition suivante pour les « social vouchers » : « Que ce soit sous forme papier ou numérique, les avantages sociaux sont, le plus souvent, réglementés par la loi et soutenus par des politiques publiques et des cadres fiscaux spécifiques pour donner accès à des biens ou services spécifiques dans des réseaux désignés de fournisseurs et d'institutions. Les bons peuvent être utilisés au niveau national ou local comme alternative aux allocations en espèces ou aux biens en nature et sont généralement adaptés aux contextes locaux ».

L'OCDE identifie ainsi deux grands types de chèques sociaux :

§ Les bons liés au travail sont remis par les employeurs publics et privés aux salariés, dans le cadre du dialogue social. Leur objectif principal est de garantir la satisfaction d'un besoin essentiel en leur donnant accès à des biens ou services spécifiques (par exemple, l'accès à un repas au sein d'un réseau dédié de prestataires), augmentant ainsi le pouvoir d'achat des employés tout en renforçant la force de l'économie locale en encourageant la consommation plutôt que l'épargne. Une liste de biens ou de services admissibles est généralement négociée et accessible au sein d'un réseau dédié de fournisseurs locaux qui est développé par les sociétés émettrices.

§ Les titres-services publics sont attribués par les autorités nationales ou locales à des groupes cibles qui n'auraient pas pu autrement accéder, ou du moins pas dans la même mesure, à des biens ou services spécifiques. Ils sont soutenus par des fonds publics, mais pourraient également être fournis ou cofinancés par des organisations d'économie sociale telles que des organisations caritatives ou des fondations.

Ce rapport mentionne également que la spécificité des programmes de bons est qu'ils sont assortis d'une réglementation et d'un cadre fiscal spécifiques :

§ Les programmes de bons sociaux sont généralement soutenus par un cadre fiscal et/ou social favorable. Il est identifié comme l'un des critères les plus importants car il incite les employeurs à fournir l'avantage social. La réalisation d'un objectif social spécifique et/ou la réalisation d'objectifs économiques est la raison d'être qui justifie ces exonérations fiscales.

§ Les autorités publiques définissent leur champ d'application et leurs objectifs et clarifient les rôles et obligations des parties prenantes par la mise en oeuvre de cadres réglementaires spécifiques.

En comparaison avec d'autres moyens de fournir un soutien social (en nature, en espèces), le rapport conclut que « les bons sociaux permettent le ciblage, plus que l'argent, mais ils offrent également une liberté de choix non négligeable aux utilisateurs en ce qui concerne les fournisseurs de biens ou de services » et que « cet équilibre entre le ciblage et le choix des consommateurs aide les marchés avec des bons à rechercher l'efficacité ».

Plusieurs perspectives sont identifiées pour en élargir l'utilisation et en accroître l'impact. Ce rapport souligne que, en particulier dans le contexte post Covid, les bons sociaux peuvent encourager le comportement des consommateurs et des entreprises, et relier les agendas inclusifs et verts. Au-delà de ce contexte, le rapport souligne aussi que les systèmes de bons numériques peuvent accroître l'efficacité, améliorer le ciblage et aider à mieux surveiller les habitudes d'achat (plus de transparence dans l'utilisation et la circulation des fonds dédiés), tout en offrant plus de sécurité que les « bons papier ». Selon les auteurs, la digitalisation peut donc être un levier puissant pour soutenir l'expansion des programmes de bons sociaux, et peut également contribuer à favoriser la transition des petites entreprises vers l'économie numérique.

La présente PPL se concentre sur le volet des bons liés au travail, avec deux volets : la création d'une nouvelle réponse opérationnelle en lien avec le développement du télétravail et l'amorce d'une réflexion législative plus large quant au développement des titres fléchés.

Dans cette perspective, l'article 2 vise ainsi à étendre les domaines dans lesquels l'employeur pourrait faire bénéficier ses salariés de bons liés au travail : d'une part par la création d'un forfait télétravail, d'autre part par l'amorce d'une réflexion législative plus large quant au développement des titres fléchés.

Ainsi, la mise en place d' un « forfait télétravail » permettrait à l'employeur (sans obligation pour autant) de prendre en charge tout ou partie des frais générés par le télétravail (accès à un tiers lieu comme un espace de co-working, charges d'énergie, de téléphonie, de matériel informatique périphérique, de mobilier et d'aménagement d'espaces...), et ce quel que soit le nombre de salariés.

Ce « forfait télétravail », dont le plafond pourrait être porté à 600 € par an et par salarié, serait exonéré de cotisations et de contributions sociales et d'impôt sur le revenu.

S'agissant des modalités pratiques de paiement, sur le modèle du système des tickets-restaurant, un système de chèques pourrait être créé. L'employeur pourrait, via le titre-télétravail, délivrer une solution de paiement spécifique, dématérialisée et prépayée émise par une entreprise spécialisée pour permettre au salarié de procéder au règlement des frais engagés dans le cadre du télétravail.

Les bénéficiaires seraient les mêmes : les salariés des entreprises du secteur privé, ainsi que les magistrats et personnels civils et militaires de l'État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, les agents de la fonction publique hospitalière et des groupements d'intérêt public.

Lorsque l'entreprise décide d'accorder cette aide financière, son montant, ses modalités et critères d'attribution seraient déterminés par accord d'entreprise, par accord interentreprises, ou à défaut par accord de branche. La mise en oeuvre du forfait télétravail par décision unilatérale de l'employeur serait subordonnée à la consultation du comité social et économique, lorsqu'il existe.

Serait renvoyée au règlement la définition des conditions d'agrément des entreprises, notamment la nature des services ou biens fournis ou commercialisés.  À titre d'exemple, les dispositions réglementaires concernant le titre-restaurant prévoient que l'émetteur des titres doit mettre en oeuvre une fonctionnalité de blocage automatique empêchant l'utilisation des titres-mobilité en dehors des situations prévues par la loi. Sont passibles d'une amende de 135 € le fait pour l'émetteur de manquer à cette obligation et le fait pour l'entreprise agréée de ne pas mettre en place une procédure de garantie d'utilisation conforme des titres 1 ( * ) .

Enfin, l'article 3 prévoit la remise d'un rapport pour étudier un élargissement des titres fléchés dans les douze mois.

Il s'agit de travailler les déclinaisons possibles des bons sociaux liés au travail. Après l'alimentation et le télétravail, il pourrait être examiné les autres pistes de mise en oeuvre possible à l'échelle de l'entreprise : loisirs sportifs ou culturels, services à domicile...


* 1 Pour rappel, tout ce qui relève des contraventions est du domaine réglementaire, contrairement aux crimes et délits.

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