EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis le 1 er janvier 2020, en application des dispositions du IV de l'article 64 1 ( * ) de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République , dite loi « Notré », l'eau et l'assainissement sont inscrits parmi les compétences obligatoires des communautés de communes 2 ( * ) . Cette évolution juridique est contestée par de nombreux élus locaux, dont les revendications en ce domaine ont toujours été portées et défendues par le Sénat. La loi n° 2018-702 du 3 août 2018 re lative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes a été adoptée pour apaiser ces oppositions. Sa principale disposition fut de permettre aux communes membres de communautés de communes, qui n'exerçaient pas à la date de sa publication - à titre optionnel ou facultatif - les compétences relatives à l'eau ou à l'assainissement, de pouvoir s'opposer en partie ou en totalité à leur transfert obligatoire, tel qu'il était prévu par les dispositions précitées de la loi « Notré » au 1 er janvier 2020. Pour y parvenir utilement, les communes intéressées par cette possibilité devaient délibérer avant le 1 er janvier 2020 3 ( * ) pour exprimer leur opposition partielle ou totale à ce transfert et représenter 25 % des communes membres de leur communauté de communes pour au moins 20 % de la population 4 ( * ) .

Toutefois, légalement, cette opposition au transfert obligatoire de l'eau et de l'assainissement est provisoire, puisqu'elle le suspend uniquement jusqu'au 31 décembre 2025. En effet, les communautés de communes qui ne seraient pas devenues compétentes pour ces deux thématiques au 1 er janvier 2020, en raison de l'opposition de communes dans les conditions précitées, le deviendraient automatiquement au 1 er janvier 2026. L'objet de cette proposition de loi est donc de supprimer le transfert automatique en 2026 de l'eau et de l'assainissement aux communautés de communes qui ne sont pas compétentes à l'heure actuelle, car des communes s'y sont opposées en 2019 dans le cadre de la procédure dite de « minorité de blocage » précédemment présentée.

Les motifs qui sous-tendent cette proposition de loi sont nombreux. Historiquement, l'eau et l'assainissement ont été des compétences largement exercées au niveau communal, sauf en matière d'assainissement non collectif. En 2016, selon les dernières données disponibles 5 ( * ) , 21 488 collectivités locales (communes et établissements publics de coopération intercommunale) étaient en charge de 32 508 services d'eau et d'assainissement : dont 8 747 communes pour l'eau potable, 13 000 pour l'assainissement collectif et 1774 pour l'assainissement non collectif 6 ( * ) . Cet état des lieux explique - en partie - la raison pour laquelle le transfert des compétences relatives à l'eau et à l'assainissement des communes aux communautés de communes suscite une opposition très forte chez les élus municipaux.

Au-delà et plus encore, les élus craignent - de façon fondée et justifiée au regard des nombreux retours d'expériences - que ce transfert de compétences n'aboutisse pas à de réelles économies d'échelle, mais bien au contraire à une augmentation des coûts de fonctionnement des services concernés, pour une qualité qui ne sera sans aucun doute pas meilleure, et - in fine - à une augmentation du coût pour les usagers . A l'heure actuelle, dans de nombreuses communes les services relatifs à l'eau et à l'assainissement au sens large sont financièrement gérés avec une très grande frugalité. Pour cause, dans de nombreux cas ils sont assurés de façon bénévole ou quasi-bénévole par des élus municipaux, ainsi que par des agents communaux polyvalents ou à temps non-complet. C'est pourquoi, la prise en charge systématisée de l'eau et de l'assainissement par les communautés de communes impliquera nécessairement la mise en place de services intercommunaux éponymes avec - en filigrane - le recrutement de personnels et - par là - l'engagement assuré de nouvelles dépenses de fonctionnement non négligeables.

Dans le même ordre d'idées, dans un contexte financier et budgétaire extrêmement contraint, conjugué à toutes les obligations anciennes ou récentes qu'elles doivent déjà assumer, les intercommunalités ne sont pas toutes en mesure de pouvoir assumer pleinement le transfert de l'eau et de l'assainissement. Contraindre ces dernières à assurer de nouvelles missions, alors qu'une grande partie d'entre elles n'y sont pas prêtes ou en capacité de pouvoir y faire pleinement face, et que les élus des communes concernées n'y seraient pas dans l'ensemble favorable, risqueraient de les fragiliser ou de les déstabiliser inutilement et dangereusement, surtout qu'elles sont déjà contestées sur le terrain. De plus, le principe de subsidiarité, tel qu'il est consacré par le 2 ème alinéa de l'article 72 de la Constitution française, avant même celui de libre administration, impose aux pouvoirs publics et - en premier lieu - à l'État de laisser le soin aux élus locaux de déterminer librement quel est le niveau territorial le plus pertinent ou le plus à même de mener au mieux une mission de service public, avec la plus grande efficience fonctionnelle ainsi que financière. La crise sanitaire liée à la Covid-19 a démontré, s'il en était vraiment besoin, que la proximité offerte par les communes étaient davantage une chance pour la France et les Français, plutôt qu'un handicap. Depuis le mois de mars dernier, elles ont fait preuve d'une réactivité et d'une efficacité que peu d'autres collectivités ont montrées.

Ainsi, le transfert automatique en 2026 de l'eau et de l'assainissement aux communautés de communes qui n'exercent pas à ce jour ces compétences risque de déstabiliser fortement une organisation territoriale qui est dans l'ensemble satisfaisante, mais également économe en fonctionnement, car située au plus près du terrain. De plus, leur transfert contraint du niveau communal au niveau intercommunal pourrait donner lieu à des difficultés pratiques insoupçonnées. Dans de nombreuses communes, notamment rurales, mais pas uniquement, les réseaux sont assez anciens et leur emplacement pas nécessairement bien matérialisé formellement dans les archives. Très souvent, leur positionnement n'est connu que de certains "autochtones" ou "locaux" qui s'occupent de l'eau et de l'assainissement depuis de nombreuses années dans les conditions qui ont été rappelées précédemment. Si en 2026 ces compétences étaient transmises à marche forcée des communes aux communautés de communes, malgré les oppositions exprimées en 2019 par des conseils municipaux en nombre suffisant pour constituer une "minorité de blocage" et en l'absence d'une volonté locale largement partagée par les parties prenantes, de nombreuses difficultés concrètes pourraient voir le jour sur le terrain.

Enfin, pour terminer, toutes les difficultés pratiques exposées durant les lignes précédentes ne sont pas uniquement des vues de l'esprit ou l'illustration d'un quelconque conservatisme concernant l'organisation territoriale de notre République décentralisée. Au surplus des nombreuses remontées d'élus situés dans des territoires où le transfert de l'eau et/ou de l'assainissement a donné lieu à des dysfonctionnements techniques ou à des dérives financières, l'adoption des dispositions du III de l'article 14 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique 7 ( * ) confirme que les communautés de communes ne sont pas dans l'absolu l'échelon le plus pertinent pour assurer l'exercice de ces deux compétences. En effet, ces dispositions législatives prévoient que les communautés de communes peuvent déléguer par convention tout ou partie des compétences eau et assainissement à leurs communes membres ou à un syndicat de communes existant au 1 er janvier 2019 et inclus en totalité dans leur périmètre. Cette permission législative est la reconnaissance que le niveau territorial constitué par les communautés de communes n'est pas nécessairement le plus pertinent pour la mise en oeuvre de ces compétences, dans le cas contraire la loi n'autoriserait pas que des délégations puissent être mise en oeuvre par ces dernières au profit de leurs communes membres.

Ainsi, pour toutes ces raisons, il ne semble pas pertinent de devoir « forcer les choses » concernant l'eau et l'assainissement dans les communautés de communes qui n'en assurent pas la responsabilité, mais plutôt de faire confiance à l'intelligence des élus locaux afin qu'ils s'organisent de la façon qui leur semble la plus adaptée pour leur territoire. En ce sens, il est donc préférable que l'eau et l'assainissement ne soient pas transférés automatiquement le 1 er janvier 2026 aux communautés de communes qui ne sont pas encore compétentes, du fait qu'une minorité de blocage s'est constituée en 2019 pour s'y opposer efficacement. Cette évolution juridique est d'autant plus la bienvenue qu'elle ne fera pas obstacle à ce que les communes et les communautés de communes concernées puissent procéder librement ou souverainement à un transfert de ces compétences avant ou après 2026. De la même manière, elle n'aura pas davantage pour effet de revenir sur les transferts qui sont déjà intervenus, pour le meilleur comme pour le pire.

Tel est l'objet de la proposition de loi qui vous est demandé d'adopter.


* 1 Selon le IV de l'article 64 de la n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République : « A compter du 1 er janvier 2020, l'article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié : 1° Le I est complété par des 6° et 7° ainsi rédigés : « 6° Assainissement ; « 7° Eau. » . »

* 2 Selon l'article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales : « I. La communauté de communes exerce de plein droit au lieu et place des communes membres les compétences relevant de chacun des groupes suivants : (...) 6° Assainissement des eaux usées (...) ; 7° Eau (...) ».

* 3 Initialement la date limitée fixée par la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes était le 1 er juillet 2020. Elle a été changée par les dispositions du II de l'article 14 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique.

* 4 Selon le 1 er alinéa de l'article 1 de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes : « Les communes membres d'une communauté de communes qui n'exerce pas, à la date de la publication de la présente loi, à titre optionnel ou facultatif, les compétences relatives à l'eau ou à l'assainissement ou qui exerce en partie seulement, sur tout ou partie du territoire de ces communes, l'une ou l'autre de ces compétences peuvent s'opposer au transfert obligatoire, résultant du IV de l'article 64 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, de ces deux compétences, ou de l'une d'entre elles, à la communauté de communes si, avant le 1er janvier 2020, au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population délibèrent en ce sens. En ce cas, le transfert de compétences prend effet le 1er janvier 2026 ».

* 5 Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement, Panorama des services et de leur performance en 2016 , septembre 2019, rapport disponible sur : http://www.services.eaufrance.fr/docs/synthese/rapports/Rapport_Sispea_2016_complet_DEF.pdf

* 6

* 7 Selon le III de l'article 14 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique : « Le titre Ier du livre II de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié : 1° Après le 7° du I de l'article L. 5214-16, dans sa rédaction résultant de l'article 64 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, sont insérés cinq alinéas ainsi rédigés : « La communauté de communes peut déléguer, par convention, tout ou partie des compétences mentionnées aux 6° et 7° du présent I ainsi que la compétence relative à la gestion des eaux pluviales urbaines définie à l'article L. 2226-1 à l'une de ses communes membres. « La délégation prévue au neuvième alinéa du présent I peut également être faite au profit d'un syndicat mentionné à l'article L. 5212-1, existant au 1er janvier 2019 et inclus en totalité dans le périmètre de la communauté de communes. « Les compétences déléguées en application des neuvième et dixième alinéas du présent I sont exercées au nom et pour le compte de la communauté de communes délégante. « La convention, conclue entre les parties et approuvée par leurs assemblées délibérantes, précise la durée de la délégation et ses modalités d'exécution. Elle définit les objectifs à atteindre en matière de qualité du service rendu et de pérennité des infrastructures ainsi que les modalités de contrôle de la communauté de communes délégante sur la commune délégataire. Elle précise les moyens humains et financiers consacrés à l'exercice de la compétence déléguée. « Lorsqu'une commune demande à bénéficier d'une délégation en application du neuvième alinéa du présent I, le conseil de la communauté de communes statue sur cette demande dans un délai de trois mois et motive tout refus éventuel. » ».

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