EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'action du ministère de l'intérieur est au coeur de la vie des Français. Vivre en sécurité, accéder à des services publics de proximité modernes, faciliter les projets dans tous les départements sont des attentes majeures des citoyens. Y répondre efficacement est une nécessité démocratique et constitue la mission des agents du ministère de l'intérieur, au service de tous, partout et tout au long de l'année. Pour les cinq ans à venir, cette loi fixe les objectifs et programme les moyens des missions relevant du ministère de l'intérieur, alors que l'univers numérique et la délinquance évoluent considérablement.
Depuis 2017, un effort sans précédent pour lutter contre le crime et garantir la sécurité du quotidien a été engagé, avec le recrutement de 10 000 policiers et gendarmes. En 2022, chaque département comptera plus de policiers et gendarmes qu'en 2017. De premières réponses ont ainsi été apportées aux priorités fixées, notamment la lutte contre le trafic de drogue et la répression des violences intrafamiliales, lesquelles touchent les femmes et les enfants.
Grâce à ces renforts, la lutte contre le trafic de drogue s'est traduite par la création d'un nouvel office anti-drogue et par la baisse du nombre de points de deal en France de 10 % en 2021. La généralisation des amendes forfaitaires délictuelles sanctionne, quant à elle, efficacement les consommateurs de stupéfiants : 130 000 amendes ont été dressées en 2021.
En outre, les atteintes aux biens ont reculé depuis 2017, qu'il s'agisse des cambriolages de logements, des vols de véhicules, des vols avec armes ou des vols violents sans armes.
Si les atteintes aux personnes ne s'infléchissent pas, c'est notamment du fait de l'augmentation déclarée des violences intrafamiliales et sexuelles. La parole se libère, les violences sont mieux connues et sont donc mieux combattues même s'il reste bien évidemment des efforts à faire. Depuis le Grenelle des violences conjugales, 2 000 enquêteurs spécialisés se sont déployés, 90 000 policiers et gendarmes ainsi que tous les élèves policiers et gendarmes ont été formés, 400 intervenants sociaux accueillent et accompagnent les victimes dans les commissariats et les brigades. Une plateforme de signalements a été créée ; les outrages sexistes et le harcèlement dans l'espace public sont désormais verbalisés.
Des moyens supplémentaires sont aussi venus faciliter les démarches quotidiennes des citoyens, avec notamment la création de 2 000 espaces France Services, partout dans les territoires. Pour la première fois ces deux dernières années, les effectifs des services territoriaux de l'État ont été stabilisés, alors même que 5 000 postes de fonctionnaires avaient été supprimés dans les préfectures et directions départementales interministérielles depuis 2010. L'échelon départemental, préservé et renforcé, s'est aussi transformé avec la mutualisation des fonctions de soutien des services pilotés par les préfets.
Ce renforcement des moyens humains est une partie de la réponse. La présente loi remet à niveau et modernise les moyens du ministère, pour l'adapter aux nouveaux enjeux de sécurité.
À la suite du Livre blanc sur la sécurité intérieure, le Beauvau de la sécurité lancé en février 2021 a permis une large concertation sur les missions, le statut et les moyens des policiers et gendarmes. Le très fort renforcement de la fonction investigation et la simplification de la procédure pénale se sont traduits par des avancées concrètes, comme l'extension des amendes forfaitaires délictuelles (AFD).
Parallèlement, des mesures pour améliorer transparence et exemplarité ont été prises : formation renforcée et allongée des policiers et gendarmes, meilleur encadrement par une hiérarchie présente sur le terrain, équipement en caméras-piétons individuelles, nouveau schéma national du maintien de l'ordre, publicité des rapports des inspections.
Par ailleurs, le modèle français de sécurité civile et de gestion de crise a été consolidé, avec le plan de soutien au volontariat de 2018 ainsi que la loi de 2021, première grande loi de sécurité civile depuis 2011, qui valorise le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels. Durant cinq ans, les services de l'État, pilotés par les préfets, ont plus que jamais joué un rôle majeur : lutte contre la pandémie, mise en oeuvre du plan France Relance avec des sous-préfets dédiés, pilotage de la lutte contre le séparatisme, notamment islamiste. Surtout, une manière nouvelle d'agir, fondée sur la confiance, a émergé. Préfets, sous-préfets et agents des préfectures travaillent étroitement avec les élus, en particulier les maires. Les partenaires des forces de sécurité, parties prenantes du continuum de sécurité, ont été confortés : les polices municipales sont dotées de nouvelles missions et le cadre d'exercice des professions de la sécurité privée sera profondément revu en 2022.
Cette remise à niveau des moyens humains, financiers ou matériels du ministère de l'intérieur a été permise par une augmentation de son budget - inégalée dans l'histoire administrative - de 10 milliards d'euros. S'arrêter serait une erreur : le ministère de l'intérieur, s'il est celui de l'urgence, ne peut se satisfaire de politiques « par à-coups », provenant en partie d'un déficit d'anticipation et de programmation. Ces cinq années de réparation se prolongeront pendant les cinq suivantes, avec un effort augmenté à hauteur de 15 milliards d'euros de crédits supplémentaires sur le périmètre actuel. L'institution continuera de se renforcer, tout en se transformant profondément. C'est la voie à suivre pour que les femmes et les hommes du ministère de l'intérieur relèvent les défis des cinq prochaines années.
La présente loi donne de nouveaux moyens humains, juridiques, budgétaires et matériels au ministère de l'intérieur. Préparer la France de 2030 suppose de prendre le tournant révolutionnaire du numérique, d'agir dans la proximité et de mieux prévenir les crises et menaces futures.
Le numérique, levier de modernisation et de rapprochement avec les citoyens à saisir mais aussi nouveau champ d'action à investir pour lutter notamment contre la cybercriminalité, impose au ministère de l'intérieur une « révolution copernicienne » comparable à la création de la police judiciaire sous Georges Clemenceau. Une part très importante des moyens de la présente loi est ainsi dédiée à la transformation numérique, pour que le ministère de l'intérieur se saisisse des opportunités qu'elle offre : démarches dématérialisées, outils de travail en mobilité, moyens d'investigations modernisées. Il est aussi un nouveau territoire de délinquance de masse, qui demande à ce que des moyens humains, juridiques et budgétaires importants soient orientés vers la lutte contre la cybercriminalité, l'accompagnement des victimes et l'anticipation de la crise de demain.
Dans les cinq années à venir, le ministère de l'intérieur se rapprochera des citoyens et des territoires ruraux. 200 brigades de gendarmerie seront créées et la présence de l'État dans les territoires sera renforcée, notamment dans les zones périurbaines et rurales. En outre, la présence des policiers et des gendarmes sur le terrain sera doublée en 2030. Grâce au numérique, à une meilleure gestion des effectifs, à l'abandon de tâches périphériques qui ne sont pas le coeur de métier des forces de l'ordre et à la simplification de la procédure, le temps sur la voie publique sera la règle et le temps au commissariat ou à la brigade l'exception. Les victimes, notamment de violences intrafamiliales ou sexuelles, placées au centre d'un parcours modernisé, seront mieux accueillies et accompagnées. Policiers et gendarmes refléteront aussi davantage la diversité de la population, grâce à des dispositifs de recrutement diversifiés. Avec des garanties de transparence et d'exemplarité renforcées dans l'action des forces de sécurité, jeunes et habitants des quartiers populaires auront davantage envie de s'engager dans celles-ci. Le ministère de l'intérieur nouera des partenariats renouvelés avec les acteurs du continuum de sécurité et se rapprochera du monde de la recherche. Les agents seront équipés de matériels performants et innovants et bénéficieront d'un immobilier offrant des conditions de travail et d'accueil rénovées et répondant aux besoins accrus de formation.
La présente loi donnera également les moyens de mieux faire face aux crises et menaces actuelles (ordre public, délinquance et criminalité, crises de sécurité civile), tout en préparant mieux notre société aux enjeux de 2030. Faire face mieux qu'hier à la délinquance du quotidien et à la criminalité suppose ainsi de continuer de renforcer les moyens humains et juridiques d'investigation, en intégrant davantage police et justice. La subversion violente sera combattue grâce de nouvelles unités plus réactives, après une décennie de baisse des effectifs de forces mobiles. À l'approche de la coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, des outils de gestion des grands évènements plus robustes seront bâtis. Face aux crises climatiques, nos moyens devront mieux s'adapter aux enjeux actuels mais aussi futurs : le renouvellement amorcé des matériels de sécurité civile sera amplifié de manière inédite avec le renouvellement de la flotte d'hélicoptères du ministère et une mutualisation plus grande des moyens aériens. La gestion de crise sera professionnalisée, sous l'autorité des préfets, et saura mieux qu'avant s'appuyer sur une population dotée d'une meilleure culture du risque. Enfin, nos frontières seront mieux sécurisées, grâce à une meilleure coordination opérationnelle et à l'utilisation d'outils technologiques de pointe.
L'ensemble de ces moyens ne saurait se déployer sans une attention accrue aux conditions de travail et au soutien. La présente loi, pour être à la hauteur des enjeux de 2030, devra avant tout être à la hauteur des femmes et des hommes du ministère de l'intérieur et au service des Français.
Le titre I er détaille les objectifs et moyens du ministère de l'intérieur, qui figurent dans le rapport annexé au texte de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.
L 'article 1 er a pour objet l'adoption du rapport annexé à la loi. L' article 2 fixe la trajectoire budgétaire sur les cinq années de la loi, soit de 2023 à 2027, pour le budget du ministère de l'intérieur.
Le titre II du projet de loi contient les dispositions relatives à la transformation numérique du ministère.
Le chapitre I er du titre II détaille les mesures prises pour lutter plus efficacement contre la cybercriminalité. L' article 3 du projet de loi permet aux officiers de police judiciaire, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction, de réaliser, au même titre de ce qui existe déjà pour les actifs bancaires, des saisies d'actifs numériques qui sont aujourd'hui plus rapidement et aisément dissimulables que des actifs bancaires. L' article 4 encadre les clauses de remboursement des rançongiciels par les assurances, en conditionnant ce remboursement au dépôt rapide d'une plainte par la victime, afin d'améliorer l'information des forces de sécurité et de l'autorité judiciaire et de « casser » le modèle de rentabilité des cyber attaquants.
Le chapitre II du titre II dédié à l'équipement numérique des forces de sécurité et de secours contient un unique article 5 qui habilite le Gouvernement à procéder par ordonnance pour engager les modifications du code des postes et des communications électroniques nécessaires au déploiement du projet « réseau radio du futur ».
Le titre III du projet de loi contient des dispositions relatives à l'accueil des victimes et à la répression des infractions.
Le chapitre I er du titre III concerne l'accueil des victimes. L' article 6 simplifie le dépôt de plainte en ouvrant la possibilité aux victimes de le faire par voie de télécommunication audiovisuelle.
Le chapitre II du titre III contient les dispositions visant à mieux lutter contre les violences intrafamiliales et sexistes. Compte tenu de la récurrence des faits de harcèlement dans l'espace public ou dans les transports, l' article 7 prévoit l'aggravation de la peine d'amende encourue pour le délit d'outrage sexiste et fait de cet outrage un délit lorsqu'il est commis dans certaines configurations. L' article 8 prévoit quant à lui le renforcement du dispositif pénal applicable à plusieurs types d'atteinte aux personnes. Il étend notamment l'usage des techniques spéciales d'enquête aux investigations en matière d'abus de faiblesse commis en bande organisée, pour mieux réprimer le phénomène sectaire ; il autorise le recours aux techniques spéciales d'enquêtes pour la recherche des fugitifs recherchés pour des faits de criminalité organisée ; il permet enfin le recours à ces mêmes techniques spéciales d'enquête, ainsi qu'à la garde à vue dérogatoire, pour des faits d'homicides et de viols lorsqu'ils sont commis en série.
Le titre IV contient les dispositions visant à anticiper les menaces et crises et à doter le ministère des moyens juridiques d'y faire face.
Le chapitre I er du titre IV vise à simplifier la procédure pénale pour renforcer la filière investigation. Pour augmenter le nombre d'officiers de police judiciaire et renforcer la formation juridique des nouveaux policiers et gendarmes, l' article 9 supprime la condition d'ancienneté appliquée aux policiers et gendarmes pour se présenter à l'examen d'officier de police judiciaire permettant ainsi à tous les élèves policiers et gendarmes de le passer à l'issue de leur scolarité et prévoit désormais une condition d'ancienneté en service et d'expérience pour recevoir l'habilitation d'officier de police judiciaire par l'autorité judiciaire. L' article 10 créé la fonction d'assistants d'enquête, nouvelle catégorie de police judiciaire, qui seconderont les officiers et agents de police judiciaire dans l'exercice de leurs missions de police judiciaire en réalisant des missions encadrées par le code de procédure pénale.
Le chapitre II du titre IV prévoit des dispositions visant à renforcer la fonction investigation. Par souci de simplification et d'allègement de la procédure pénale, l' article 11 supprime la réquisition des services de police technique et scientifique par les services de police et de gendarmerie.
L' article 12 vise à éviter que la seule absence de mention expresse au procès-verbal de consultation des traitements de données de la décision d'habilitation de l'agent des forces de sécurité ou des douanes, à procéder à cette consultation, n'entraîne automatiquement la nullité des procédures en cause, cette justification pouvant intervenir à tout moment, à la demande de l'autorité judiciaire ou de l'une des parties. L' article 13 étend les autorisations générales de réquisitions résultant d'instructions générales du procureur de la République concernant plusieurs catégories d'infractions.
Le chapitre III du titre IV est relatif à l'amélioration de la réponse pénale. Ainsi l' article 14 généralise l'amende forfaitaire délictuelle (AFD) à tous les délits punis d'une seule peine d'amende ou d'un an d'emprisonnement au plus.
Le chapitre IV du titre IV est relatif à l'amélioration de la réponse aux crises hybrides et interministérielles. L' article 15 vise à clarifier et à renforcer, lors d'événements d'une particulière gravité et sur autorisation du préfet de zone, les prérogatives du préfet de département à l'égard des établissements publics de l'État et services déconcentrés ne relevant pas de son autorité, pour les seules mesures liées à la gestion de la situation.
Le titre V prévoit l'application outre-mer de la réforme, en habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour l'application outre-mer des modifications prévues par le présent projet de loi.