EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'examen du projet de loi n° 2488 relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique, déposé à l'Assemblée nationale le 5 décembre 2019 et adopté par sa commission des affaires culturelles et de l'éducation le 5 mars 2020, a été suspendu à la suite de la proclamation de l'état d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de covid-19 à compter du 24 mars 2020.
Compte tenu de l'importance qui s'attache toutefois à l'adoption des mesures relatives à la lutte contre le piratage, particulièrement attendues par les professionnels, le présent projet de loi reprend les dispositions en cause du précédent projet de loi en ciblant les sites qui tirent profit de la contrefaçon. Elles incluent notamment l'instauration d'un mécanisme de listes noires ainsi que la création de procédures spécifiques en matière de lutte contre le piratage des retransmissions sportives.
La dernière enquête sur les pratiques culturelles en temps de confinement menée par le département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la culture établit que les Français ont plébiscité, pendant le confinement, l'offre numérique culturelle. Plus largement, la dernière décennie a vu la montée en puissance des usages numériques qui se sont massifiés au sein de la population française.
Cette nouvelle donne redéfinit profondément le paysage culturel des générations les plus récentes. Phénomène émergent de la dernière décennie en tant que pratique de masse, les usages numériques sont ainsi devenus, en une décennie, majoritaires dans le quotidien des jeunes, qu'il s'agisse de l'écoute de musique en ligne, de la consultation quotidienne de vidéos en ligne, des réseaux sociaux ou encore des jeux vidéo.
Le présent projet de loi vise donc à accompagner les internautes dans leurs pratiques numériques vers des usages responsables, notamment au regard des règles de propriété intellectuelle.
Pour s'assurer d'une application efficace du nouveau cadre ainsi posé, le projet de loi procède à une rénovation de grande ampleur de la régulation et du rôle des régulateurs qui en sont chargés, en particulier à travers la fusion du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) au sein d'un organe unique, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM).
Le présent projet de loi comporte quatre chapitres. Le chapitre I er vise à fusionner le CSA et la HADOPI au sein de l'ARCOM et à renforcer la lutte contre la contrefaçon sur internet. Le chapitre II consolide la mission de l'ARCOM et modernise, en les renforçant, les compétences et les pouvoirs dont le CSA disposait. Le chapitre III instaure une protection de l'accès du public aux oeuvres cinématographiques et audiovisuelles en prévoyant des garanties de déclaration préalable en vue de la recherche d'exploitation suivie des oeuvres en cas de projets de cession. Enfin, le chapitre IV comprend les dispositions diverses, transitoires et finales.
Le chapitre I er comporte deux sections : la section 1 modifie les dispositions de la partie législative du code de la propriété intellectuelle afin de confier à l'ARCOM les missions aujourd'hui exercées par la HADOPI, de renforcer la protection des radiodiffuseurs contre la reprise non autorisée de leurs programmes et, enfin, de renforcer les outils à la disposition de l'ARCOM pour lutter contre le piratage en ligne ; la section 2 tire les conséquences de la création de l'ARCOM au sein de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
L' article 1 er du projet de loi modifie les dispositions de la partie législative du code de la propriété intellectuelle afin, d'une part, de fusionner le CSA et la HADOPI, le nouvel ensemble devenant l'ARCOM, et, d'autre part, de renforcer les outils à la disposition de cette nouvelle autorité pour lutter contre le piratage en ligne.
Le I de l'article 1 er du projet de loi a pour objet d'investir l'ARCOM des missions actuellement confiées à la HADOPI : mission d'encouragement de l'offre légale, mission de protection des oeuvres et objets protégés et mission de régulation et de veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d'identification des oeuvres et objets protégés.
Afin de conforter son rôle d'accompagnement des usagers vers des pratiques culturelles responsables, le projet de loi prévoit de confier à l'ARCOM une nouvelle mission de sensibilisation des consommateurs, notamment les plus jeunes.
La mission de réponse graduée, actuellement mise en oeuvre par la commission de protection des droits de la HADOPI, est confiée à un membre de l'ARCOM.
Le projet de loi vise également à améliorer les moyens de lutte contre la contrefaçon sur Internet et à réorienter cette lutte en direction des sites internet de streaming, de téléchargement direct ou de référencement, qui tirent des profits de la mise en ligne d'oeuvres en violation des droits des créateurs.
Tout en maintenant le dispositif de réponse graduée, qui produit désormais des effets significatifs sur le périmètre qu'il couvre (les échanges sur les réseaux de pair à pair), le projet de loi lui apporte certaines modifications visant à améliorer l'efficacité de la procédure (saisine de l'ARCOM par des auteurs individuels, mention du nom de l'oeuvre téléchargée dans les recommandations).
Par ailleurs, le projet de loi confie à l'ARCOM la mission d'établir, après une procédure contradictoire, une liste des sites portant atteinte de manière grave et répétée au droit d'auteur et aux droits voisins. Cette mission sera de nature, en objectivant la caractérisation des sites, à sécuriser les actions d'autorégulation de la part de divers intermédiaires, tels que les acteurs de paiement et les acteurs de la publicité (approche dite « follow the money ») ou encore d'autres intermédiaires, notamment les acteurs du référencement. La liste dressée par l'ARCOM pourra également être invoquée par les ayants droit à l'appui de leurs actions judiciaires.
Enfin, l'article 1 er du projet de loi propose de renforcer la portée des mesures prononcées par le juge à l'encontre de sites contrefaisants afin de prendre en compte le phénomène dit de « sites miroirs ». L'ARCOM se voit confier le pouvoir de demander le blocage ou le déréférencement d'un site jugé illicite en application d'une décision initiale du juge. En complément, l'Autorité élabore des modèles d'accord type que peuvent conclure les ayants droit, les fournisseurs d'accès à internet, les fournisseurs de nom de domaine et les moteurs de recherche, aux fins d'exécuter de manière dynamique ladite décision judiciaire.
Les II à IV de l'article 1 er du projet de loi procèdent à des coordinations au sein du code du cinéma et de l'image animée, du code des postes et des communications électroniques ainsi que dans la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, afin de tirer les conséquences de la fusion du CSA et de la HADOPI au sein de l'ARCOM.
L' article 2 du projet de loi vise à préciser la portée du droit voisin des entreprises de communication audiovisuelle. Ce droit, énoncé à l'origine à l'article 27 de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle, n'a pas été modifié depuis lors pour tenir compte des nouveaux instruments européens et des risques de piratage induits par les évolutions technologiques.
L' article 3 du projet de loi consacre, dans le code du sport, un dispositif spécifique de référé pour lutter contre le piratage sportif. Ce dispositif tient compte de l'urgence inhérente aux retransmissions audiovisuelles en direct de manifestations sportives (« live streaming »), le préjudice étant, dans cette situation, instantané et irréversible. Le texte prévoit en outre que des modèles d'accord type, similaires à ceux mentionnés ci-dessus, sont élaborés par l'ARCOM.
L' article 4 insère dans la loi du 30 septembre 1986 un nouvel article 3-2 qui prévoit que l'ARCOM assure les missions aujourd'hui dévolues à la HADOPI et veille plus généralement au respect de la propriété littéraire et artistique dans le secteur de la communication audiovisuelle et numérique.
L' article 5 modifie la composition du collège du CSA, devenu l'ARCOM, prévue à l'article 4 de la loi du 30 septembre 1986. Le collège comprendra un membre en activité du Conseil d'État et un membre en activité de la Cour de cassation désignés respectivement par le vice-président du Conseil d'État et le premier président de la Cour de cassation dont l'un est chargé de la réponse graduée prévue par le code de la propriété intellectuelle et l'autre le supplée dans l'exercice de cette mission. Pour maintenir à 7 le nombre de membres du collège, le nombre de membres désignés par les présidents des assemblées parlementaires passe de 6 à 4.
L' article 6 procède à une coordination au sein de l'article 5 de la loi du 30 septembre 1986.
L' article 7 prévoit que le rapport annuel de l'ARCOM est complété d'un bilan de la mise en oeuvre des missions aujourd'hui dévolues à la HADOPI.
Le chapitre II comporte une série de dispositions relatives aux pouvoirs et compétences de l'ARCOM.
L' article 8 élargit d'abord la mission principale de cette autorité à l'ensemble de la communication au public par voie électronique, pour tirer les conséquences de ses missions nouvelles en matière de régulation des communications sur internet, issues à la fois du présent projet de loi (fusion avec la HADOPI) et d'autres textes récents (loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information, ordonnance transposant la directive sur les services de médias audiovisuels s'agissant de la régulation des plateformes de partage de vidéos) ; il étend en conséquence sa mission de conciliation à l'ensemble des professionnels en cause.
L' article 9 renforce les pouvoirs de contrôle et d'enquête dont le CSA était précédemment doté. Il élargit le champ des personnes à l'égard desquelles ces pouvoirs s'exercent et définit les conditions dans lesquelles des agents spécialement habilités et assermentés pourront conduire des enquêtes à l'égard de l'ensemble des opérateurs soumis au contrôle de cette autorité.
L' article 10 prévoit au sein de la loi du 30 septembre 1986 que les conditions de la lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives sont définies à l'article L. 333-10 du code du sport.
L' article 11 prévoit que le secret des affaires n'est pas opposable aux échanges entre l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et l'Autorité de la concurrence, afin de faciliter leurs relations organisées par l'article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986.
Les articles 12 et 16 précisent le dispositif de publication des sanctions administratives, notamment en remplaçant leur publication automatique par une sanction complémentaire de publication. Spécifiquement pour les manquements à la contribution à la production et afin de renforcer l'effectivité de la sanction à de tels manquements, les articles 12 et 16 prévoient également que la sanction peut reposer sur les mêmes faits ou couvrir la même période que ceux ayant fait l'objet de la mise en demeure. La mise en demeure et la sanction doivent cependant être prononcées par des formations ad hoc et distinctes du collège.
L' article 13 relève le montant maximal de la sanction pécuniaire, en particulier s'agissant spécifiquement des manquements relatifs à la contribution à la production (avec coordination opérée par l'article 15 ).
L' article 14 introduit une caducité quinquennale des mises en demeure et permet au rapporteur indépendant chargé des poursuites de demander la désignation d'adjoints. Il apporte enfin les coordinations rendues nécessaires par les articles 12 et 16.
Le Chapitre III renforce la protection de l'accès du public aux oeuvres cinématographiques et audiovisuelles
Face au risque, que peut engendrer le transfert de propriété des oeuvres françaises, de priver le public français de la possibilité d'y accéder, l'article 17 prévoit un dispositif de déclaration préalable en cas de projet de cession d'une oeuvre cinématographique ou audiovisuelle à une personne qui ne se trouve pas dans le champ de l'obligation d'exploitation suivie prévue par l'article L. 132-27 du code de la propriété intellectuelle.
Le dispositif prévoit que le ministre de la culture dispose d'un délai de trois mois, à compter de la réception de la déclaration préalable effectuée par le cédant, pour se prononcer sur les conditions dans lesquelles l'obligation d'exploitation suivie peut être garantie entre les mains du cessionnaire. Avant l'expiration de ce délai de trois mois, le ministre peut saisir une commission de protection de l'accès aux oeuvres, qui, au terme d'une procédure contradictoire, peut imposer au cessionnaire des obligations destinées à garantir l'exploitation suivie de l'oeuvre, et dont la décision est susceptible d'un recours devant le juge judiciaire.
L' article 18 modifie la dénomination du CSA qui devient l'ARCOM pour tenir compte des nouvelles missions que lui confie la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, la loi relative à la lutte contre la haine sur internet ainsi que le présent projet de loi s'agissant de la fusion avec la HADOPI. Il tire également les conséquences sémantiques, au sein de la loi du 30 septembre 1986, de la nouvelle dénomination du Conseil supérieur de l'audiovisuel en Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, à l'issue de sa fusion avec la HADOPI.
L' article 19 organise les modalités de la fusion entre le CSA et la HADOPI. Il prévoit ainsi que cette fusion interviendra le premier jour du troisième mois suivant celui de la publication du présent projet devenu loi au Journal officiel de la République française. A cette date, les mandats des membres du collège de la HADOPI et de la commission de protection des droits (CPD) prendront fin et la personne morale « HADOPI » sera dissoute, l'ARCOM étant substituée dans ses droits et obligations. Les procédures en cours, notamment au titre de la réponse graduée, seront poursuivies devant l'ARCOM.
L' article 20 tire les conséquences de la modification de la composition du collège du CSA devenu ARCOM : afin d'assurer un renouvellement biennal des membres de l'ARCOM par tiers (hors le président de l'Autorité), la durée du premier mandat des membres désignés respectivement par le vice-président du Conseil d'État et le premier président de la Cour de cassation sera de sept ans. À titre dérogatoire, le collège de l'ARCOM pourra être composé de neuf membres jusqu'au terme des deux mandats des membres désignés par le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat en 2017, soit jusqu'au 25 janvier 2023. Les règles de quorum sont adaptées dans cet intervalle.
Enfin, l' article 21 est relatif à l'application en outre-mer de la présente loi et des textes qu'elle modifie.