ESPAGNE
Les
violences conjugales constituent un problème préoccupant en
Espagne, où quarante-trois femmes et sept hommes ont
été tués par leur conjoint au cours de l'année
2000, et où les dénonciations pour mauvais traitements de la part
de femmes victimes de leur conjoint ont atteint le nombre de 22 354 pour
la même période.
|
1) Les dispositions pénales
Le code pénal comprend des dispositions spécifiques permettant de sanctionner les auteurs de violences conjugales. De plus, les tribunaux admettent que l'existence d'un lien conjugal n'empêche pas le viol.
a) La qualification pénale des violences conjugales
Depuis 1989, le code pénal comprend des dispositions
punissant les auteurs de violences conjugales
. Reprises dans le nouveau
code pénal, qui est entré en vigueur en mars 1996, certaines de
ces dispositions ont été modifiées par
la loi organique
14/1999 du 9 juin 1999 relative à la protection des victimes de
mauvais traitements
.
Conformément à la classification bipartite retenue par le code
pénal espagnol, les violences conjugales sont qualifiées de
" délits " ou de " fautes " selon la gravité
des actes commis. Plus précisément, la qualification de
" délit " est réservée aux cas où un
traitement médical est nécessaire.
Dans le livre II du code pénal, relatif aux délits,
l'article
153 prévoit une peine de prison de six mois à trois ans
à l'encontre de toute personne qui se livre de "
façon
habituelle à des actes de violence physique ou psychologique
"
sur son conjoint, son ex-conjoint, son concubin ou son ex-concubin (ou sur
des ascendants ou des descendants). Cette peine s'ajoute à celle
correspondant aux éventuelles infractions (coups et blessures par
exemple) qui résultent des actes de violence. Avant l'adoption de la loi
de 1999, l'article 153 du code pénal ne visait que les actes de
violence physique et ne s'appliquait qu'au conjoint (ou concubin).
Le même article précise que l'appréciation du
caractère habituel des actes de violence repose sur leur nombre et sur
leur fréquence, sans qu'il soit tenu compte de la multiplicité
des victimes et de l'existence de procédures judiciaires
antérieures. Par ailleurs, la circulaire l/1998 du 24 octobre 1998
relative à l'intervention du ministère public dans la poursuite
des mauvais traitements dans le cadre domestique et familial,
édictée par le procureur général du Royaume, charge
les membres du parquet d'instituer un
fichier des violences domestiques
,
qu'ils doivent alimenter dès qu'ils ont connaissance d'un indice
quelconque, les forces de police ayant par ailleurs l'obligation de transmettre
au parquet tous les procès-verbaux qu'ils dressent. L'existence de ce
fichier facilite en principe l'appréciation du caractère habituel
des actes de violence.
Dans le livre III du code pénal, qui est consacré aux
fautes, l'article 617 prévoit une
peine aggravée pour
celui qui frappe ou maltraite physiquement une personne sans lui causer aucune
blessure, lorsque la victime est son conjoint, son ex-conjoint, son concubin ou
son ex-concubin
(ou un descendant ou un ascendant). Quand la victime est un
tiers, la peine consiste en une peine d'arrêt d'une durée comprise
entre une et trois fins de semaine
(4(
*
))
ou une amende de dix à trente jours
(5(
*
))
. En revanche, quand la victime est le
conjoint, l'ex-conjoint ou le concubin, la durée de la peine
d'arrêt est comprise entre trois et six fins de semaine, et l'amende
entre un et deux mois. Cette disposition existait déjà avant
l'adoption de la loi de 1999.
L'article 620 du code pénal, relatif aux
menaces
exercées à l'aide d'armes ou d'objets dangereux,
prévoit également
une peine aggravée lorsque la victime
est le conjoint, l'ex-conjoint ou le concubin.
Dans cette hypothèse,
le juge peut en effet prononcer une peine d'arrêt d'une durée de
deux à quatre fins de semaine, alors que, si la victime est un tiers,
seule une amende peut être infligée. Cette disposition existait
déjà avant l'adoption de la loi de 1999.
La loi de 1999 a modifié plusieurs articles du code pénal
pour ajouter une nouvelle sanction,
que le juge peut imposer notamment dans
les cas d'homicide, de coups et blessures, et de torture, ainsi que lorsque
l'article 617 du code pénal est applicable. Désormais, le
juge peut
interdire au coupable d'approcher la victime ou d'entrer en
contact avec elle
, ou avec toute autre personne mentionnée dans le
jugement. Cette interdiction est prononcée pour une durée d'
au
plus cinq ans
.
Elle s'ajoute à celles qui existaient auparavant : interdiction de
se rendre ou de résider dans certains lieux. Le juge peut donc interdire
à l'auteur de violences conjugales l'accès au domicile du couple.
La loi de 1999 a également modifié le code de
procédure pénale
pour permettre au juge de prononcer,
à l'encontre de la personne inculpée d'homicide, de coups et
blessures, ou de torture, l'interdiction de résider ou de se rendre dans
un endroit, un quartier, une commune, voire une communauté autonome
donnée. Il peut également lui interdire d'approcher certaines
personnes. Une telle interdiction ne peut être décidée que
lorsqu'elle semble absolument nécessaire pour assurer la protection de
la victime.
b) Le viol à l'intérieur du couple
En 1995, le Tribunal suprême s'est prononcé à plusieurs reprises sur le fait qu'un viol pouvait être commis au sein d'un couple. Depuis lors, cette jurisprudence est clairement établie.
2) Le déclenchement de la procédure pénale
En
matière de violences conjugales,
le déclenchement de la
procédure ne requiert pas la plainte de la victime.
En effet, la règle générale, énoncée par la
Constitution et qui oblige tout citoyen à dénoncer les
infractions pénales dont il a connaissance, s'applique à celles
qui sont visées par les articles 153 et 617 du code pénal.
En outre, pour les infractions qui sont visées à
l'article 620 du code pénal et qui ne sont, en principe,
susceptibles d'être poursuivies que sur dénonciation de la
victime, la loi de 1999 a prévu une exception : lorsque la victime
est le conjoint, l'ex-conjoint ou le concubin, la dénonciation de la
victime n'est pas nécessaire.
De façon générale, la loi de 1999 a supprimé du
code de procédure pénale la disposition selon laquelle les
" fautes " constituées par les mauvais traitements
infligés par les maris à leurs épouses n'étaient
susceptibles de poursuites qu'à l'initiative de la victime.
Par ailleurs,
la circulaire 1/1998 du procureur général du
Royaume insiste sur la nécessaire intervention du parquet dans les
affaires de violence familiale
, cette intervention
" pouvant
même suppléer l'abstention des victimes, laquelle peut
résulter de diverses circonstances d'ordre culturel, économique
ou social, qui, compréhensibles d'un point de vue humain, ne peuvent pas
être juridiquement prises en compte quand il s'agit de la
réalisation d'infractions dont le caractère public est
indubitable et pour lesquelles le législateur a entendu confier la
poursuite au ministère public ".
3) Les dispositions du droit civil
C'est seulement lorsqu'une procédure de séparation ou de divorce est engagée que le juge civil peut prendre des mesures provisoires protectrices, en particulier en ce qui concerne l'attribution du logement.
4) L'aide aux victimes
La loi n° 35/1995 du 11 décembre 1995, relative à l'aide et à l'assistance aux victimes de délits violents et d'infractions sexuelles, s'applique en particulier aux victimes de violences conjugales . Le décret royal 738/1997 du 23 mai 1997 a permis l'application du chapitre 1 er de cette loi. En revanche, le chapitre II, qui concerne l'assistance personnelle, n'a pas encore fait l'objet d'un texte réglementaire.
a) L'aide financière
Dans
la mesure où les violences conjugales constituent des délits et
entraînent
une incapacité d'une durée
supérieure à six mois
, et où la victime ne
bénéficie ni de dommages-intérêts, ni des
prestations d'une assurance privée ou de la sécurité
sociale, elle a droit, au nom de la
solidarité nationale,
à une
aide financière
de
l'État
. En
cas de décès de la victime, ce droit revient aux victimes
indirectes des actes de violence (enfants économiquement
dépendants en particulier).
L'octroi de l'aide est subordonné à l'existence d'une
décision définitive du juge pénal, et son montant maximum
est fixé par référence au montant mensuel du salaire
minimum interprofessionnel :
- le double pendant la durée de l'incapacité provisoire,
après écoulement d'un délai de carence de six mois ;
- de quarante à cent trente fois son montant, en fonction du
degré d'incapacité, en cas d'incapacité permanente.
Pour tenir compte des facteurs personnels (situation économique de la
victime, nombre de personnes qui dépendent d'elle...), un coefficient
correcteur est ensuite appliqué au montant maximum de l'aide.
Les demandes sont traitées par la direction générale des
salaires et des pensions du ministère de l'Économie et des
Finances. En cas de décision négative du ministère, la
victime peut saisir une commission indépendante
ad hoc
créée par la loi de 1995.
La loi prévoit l'octroi d'
aides provisoires
en attendant la
décision définitive du juge pénal, lorsque la victime se
trouve dans une situation économique précaire, notion
précisée par le décret de 1997.
L'État peut ensuite exiger le remboursement de l'aide si le tribunal
conclut à l'absence de délit ou si la victime obtient
réparation du préjudice subi. De plus, l'État est
subrogé dans les droits de la victime contre le responsable au plan
civil.
b) L'assistance
La loi
de 1995 charge les acteurs du procès pénal d'informer les
victimes de la possibilité de solliciter une aide financière de
l'État. En l'absence de texte réglementaire relatif au chapitre
II de la loi, lequel concerne l'assistance personnelle aux victimes, c'est la
circulaire 2/1998 du 27 octobre 1998, édictée par le procureur
général du Royaume, qui rappelle aux membres du parquet leur
devoir d'informer les victimes.
La loi de 1995 charge également le ministère de
l'Intérieur d'instituer des bureaux d'assistance aux victimes dans tous
les tribunaux où la situation l'exige.
Par ailleurs, la circulaire 1/1998 du procureur général du
Royaume recommande la création, auprès de chaque Parquet, d'un
service des violences familiales doté d'un personnel
spécialisé.
En pratique, les commissariats de police les plus importants comprennent des
unités spécialisées dans les affaires de violences
domestiques et, dans les grandes villes, il existe des foyers pour les femmes
maltraitées qui ont quitté le domicile conjugal.
Gérés par des associations, ces foyers sont en partie
financés par les communes.
* *
*
Le dispositif normatif devrait être modifié dans les mois qui viennent. En effet, la commission pour la révision du code pénal, constituée en novembre 2000, doit notamment proposer des modifications relatives aux dispositions permettant de lutter contre les violences conjugales.