NOTE DE SYNTHESE
En
France,
la loi du 17 juillet 1970 tendant à renforcer la
garantie des droits individuels des citoyens
a introduit dans le code civil
une disposition selon laquelle "
chacun a droit au respect de sa vie
privée
", et qui donne aux juges les moyens de faire cesser, le
cas échéant en urgence, toute atteinte à la vie
privée. C'est cette disposition qui fonde l'affirmation du
caractère particulièrement protecteur de la législation
française.
Il a cependant paru utile d'examiner de quels moyens les principaux pays
européens, l'
Allemagne
, l'
Espagne
, la
Grande-Bretagne
et l'
Italie
, ainsi que les
Etats-Unis
,
disposaient pour protéger la vie privée des intrusions des
médias.
Cette analyse fait apparaître que les différences entre pays sont
plus importantes pour la protection civile que pour la protection
pénale.
-
En droit civil, la protection de la vie privée est assurée
de façon très différente : par des dispositions
générales, d'origine législative en Espagne et en France,
et d'origine essentiellement jurisprudentielle en Allemagne et en Italie,
tandis que le droit anglo-saxon ne réprouve que certaines atteintes
à la vie privée.
-
La protection pénale de la vie privée, également
beaucoup plus développée en Europe continentale, y est assez
homogène.
I. EN DROIT CIVIL, LA PROTECTION DE LA VIE PRIVEE EST ASSUREE DE FAÇON TRES DIFFERENTE.
1) La protection civile de la vie privée est garantie par un texte législatif en Espagne et en France.
a) La
loi espagnole sur la protection civile du droit à l'honneur, à
l'intimité personnelle et familiale et à l'image
Cette loi a été adoptée en 1982 pour permettre
l'application de l'article 18-1 de la constitution, selon lequel "
le
droit à l'honneur, à l'intimité personnelle et familiale
et à sa propre image est garanti à chacun
".
C'est, d'après la constitution, un
droit fondamental
, ce qui
permet à tout citoyen d'en demander la protection devant les tribunaux
ordinaires par une
action en référé
.
La loi de 1982 ne définit pas plus précisément ce droit,
mais elle indique qu'il s'agit d'un
concept changeant
en fonction de
l'évolution des idées.
Elle identifie en revanche sept atteintes illégitimes à ce droit,
parmi lesquelles "
la captation, la reproduction, ou la publication de
photographies, de films ou d'autres supports montrant l'image d'une personne
dans des lieux ou à des moments appartenant à sa vie
privée
(...) ".
L'existence d'une atteinte illégitime au droit que protège la loi
de 1982 constitue automatiquement un préjudice qu'il faut
réparer. De plus, le juge peut ordonner toute mesure propre à
faire cesser l'atteinte ou à prévenir des atteintes
ultérieures.
b) Le code civil français
Depuis 1970, l'
article 9 du code civil
dispose que :
"
Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent
sans préjudice de la réparation du dommage subi prescrire toutes
mesures telles que séquestres, saisies et autres, propres à
empêcher ou à faire cesser une atteinte à la vie
privée ; ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être
ordonnées en référé
".
La notion de vie privée n'est pas définie par la loi. Elle a
été précisée peu à peu par la jurisprudence
et peut être considérée comme incluant l'état de
santé, la vie sentimentale, l'image, la pratique religieuse, les
relations familiales et l'intimité.
Conformément à l'article 9 du code civil, toute victime
d'une atteinte à la vie privée peut obtenir, outre des
dommages-intérêts, des mesures pour empêcher ou faire cesser
l'atteinte (saisie, séquestre, astreinte, publication d'un encart...).
En cas d'urgence, la victime peut agir en
référé
.
2) La protection de la vie privée est essentiellement l'oeuvre de la jurisprudence en Allemagne et en Italie.
a)
Les textes allemands et italiens ne comportent que des indications parcellaires
sur la protection de la vie privée.
Le droit au nom est protégé par le code civil allemand. Le droit
à l'image est protégé par les lois allemande et italienne
sur le droit d'auteur.
b) La jurisprudence a forgé des concepts permettant de
protéger la vie privée.
Se fondant sur le fait que la
Loi fondamentale
garantit le droit de
chacun au "
libre développement de sa
personnalité
", la jurisprudence allemande a affirmé
à partir de 1954 que le "
droit général de la
personnalité
", c'est-à-dire le droit qu'a l'individu,
vis-à-vis de toute personne, au respect de sa dignité d'homme et
de sa personnalité propre, devait être protégé.
Cette protection se traduit non seulement par l'attribution de
dommages-intérêts en cas d'atteinte, mais aussi par la
possibilité pour le juge d'ordonner, le cas échéant en
référé, toute mesure de cessation ou de prévention.
De même, depuis 1973, la
Cour constitutionnelle italienne
considère que, parmi les droits inviolables, il faut inclure
"
le droit à la dignité, à l'honneur, à la
responsabilité, à l'intimité, à la
discrétion, à la réputation
".
Toutefois, comme le code civil prévoit que la réparation des
dommages non patrimoniaux n'a lieu que dans les cas prévus par la loi,
la portée effective de la protection constitutionnelle est
limitée.
En cas de conflit entre le droit au respect de la vie privée et la
liberté de la presse, constitutionnellement garantie dans chacun des
deux pays, la jurisprudence arbitre en fonction de l'intérêt
public. En pratique, les tribunaux italiens sont assez réticents
à limiter la liberté d'expression.
* *
*
L'Italie a adopté en décembre 1996 une loi sur la protection des données, qui comporte des indications concernant les journalistes : ces derniers peuvent, dans la mesure où l'intérêt public l'exige, traiter des données " sensibles " ( 1( * ) ) sans autorisation préalable de l'autorité chargée de veiller au respect de la loi. Cette exception ne s'applique cependant pas aux informations relatives à l'état de santé ou à la vie sexuelle . Un code de déontologie devrait prochainement préciser les droits et devoirs des journalistes.
3) Le droit anglo-saxon réprouve seulement certaines atteintes à la vie privée.
En
Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis, la
liberté de la presse
constitue un principe fondamental. Aucune loi ne garantit explicitement le
respect de la vie privée. Toutefois, la théorie de la
responsabilité civile extra-contractuelle
permet de protéger
les victimes de certaines atteintes à la vie privée. En effet,
certains actes, la violation de domicile ou la diffamation par exemple, peuvent
entraîner la responsabilité civile de leurs auteurs. Si la victime
d'une intrusion dans sa vie privée parvient à établir
l'existence d'une telle responsabilité, elle peut obtenir des
dommages-intérêts. C'est le plus souvent la jurisprudence qui a
défini les comportements susceptibles d'entraîner la
responsabilité de leur auteur, qu'on appelle
torts
.
En
Grande-Bretagne
, les principaux cas d'ouverture de la
responsabilité civile utilisés pour se défendre des
intrusions dans la vie privée sont la violation de domicile, la
diffamation, la divulgation de secrets, le mensonge avec intention de nuire et
le harcèlement. Dans ce pays, où le débat sur la
nécessité d'avoir une loi sur la protection de la vie
privée dure depuis de nombreuses années, plusieurs propositions
de réforme ont déjà été
élaborées. Certaines avaient proposé la création
par voie législative d'un nouveau
tort
, la violation de la vie
privée.
Aux
Etats-Unis,
les
torts
portant atteinte à la vie
privée varient d'un Etat à l'autre, mais les quatre principaux
sont la publication de faits concernant à la vie privée,
l'intrusion dans l'intimité, la présentation sous un jour
défavorable ou trompeur, l'appropriation du nom ou de la ressemblance.
L'existence de l'un de ces quatre
torts
n'entraîne pas
nécessairement l'attribution de dommages-intérêts. En
effet, les tribunaux, très attachés à la liberté de
la presse garantie par le premier amendement à la constitution, opposent
notamment au droit au respect de la vie privée l'intérêt
public et le fait qu'une personne " raisonnable " peut
considérer une information comme méritant d'être
diffusée.
* *
*
En Grande-Bretagne, le projet de loi tendant à intégrer la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans l'ordre juridique interne est actuellement discuté par le Parlement. On s'attend à ce que l'adoption de ce projet de loi se traduise par la création jurisprudentielle d'un droit général à la protection de la vie privée.
II. LA PROTECTION PENALE DE LA VIE PRIVEE EST PLUS DEVELOPPEE DANS LES PAYS CONTINENTAUX.
1) Le code pénal définit explicitement des infractions à la vie privée en Allemagne, en Espagne, en France et en Italie.
Le code
pénal sanctionne les "
infractions contre la vie privée
et l'intimité
" en Allemagne, les "
infractions contre
l'intimité, le droit à l'image et l'inviolabilité du
domicile
" en Espagne, le "
délit d'atteinte à
la vie privée
" en France et les "
interférences
illicites avec la vie privée
" en Italie.
De façon générale, ces dispositions permettent de punir
l'enregistrement visuel ou sonore d'informations relatives à la vie
privée d'autrui, et leur diffusion.
2) Le droit pénal anglo-saxon est nettement moins protecteur.
Il
n'existe d'infraction générale contre la vie privée ni en
Grande-Bretagne, ni aux Etats-Unis.
Cependant, aux Etats-Unis, les atteintes les plus graves peuvent amener le juge
à condamner le défendeur à verser à la victime des
dommages-intérêts d'ordre pénal, c'est-à-dire
destinés à punir le coupable.
De même, en Grande-Bretagne, la diffamation ne constitue une infraction
pénale que dans les cas les plus graves. Par ailleurs, la récente
loi sur la protection contre le harcèlement a créé une
nouvelle infraction pénale. Certaines des propositions de réforme
avaient suggéré la création d'infractions pénales
correspondant à celles qui existent en Europe continentale.