PREMIÈRE PARTIE : DÉFINITION ET ENJEUX DE LA SIMPLIFICATION

Mme Élisabeth Lamure, Présidente de la Délégation aux entreprises . - Messieurs les présidents, Monsieur le Secrétaire général du Sénat, Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs,

C'est avec joie que j'accueille aujourd'hui au Sénat les membres du Conseil d'État et de la Société de législation comparée pour cette matinée d'étude. Cette rencontre entre sénateurs, membres du conseil d'État, juristes et universitaires est une première, que nous devons à notre commune préoccupation devant la complexité croissante de notre droit.

Diminuer cette complexité constitue une réelle urgence. Le Parlement et le Gouvernement en portent ensemble la responsabilité. Le Conseil d'État a également un rôle important à jouer. Chargé du contrôle de la légalité des normes, il a été aussi l'un des premiers, voici quelques années, à discerner dans leur complexité croissante une menace pour l'État de droit. La simplicité n'est certes pas, en elle-même, une finalité idéologique. Des complexités peuvent parfois se justifier lorsque les règles de droit viennent répondre à une demande sociale légitime.

Mais, cumulées, ces complexités deviennent insupportables. La Délégation aux entreprises, que j'ai l'honneur de présider, l'a vivement ressenti au contact de plus de 300 entreprises qu'elle a rencontrées partout en France. De nombreuses PME sont ainsi dans l'incapacité d'assurer la veille législative requise et se trouvent de fait hors-la-loi.

Dès sa réélection à l'automne 2014, le Président du Sénat, Gérard Larcher, a tenu à faire de la simplification une priorité politique pour notre assemblée. La Délégation aux entreprises, créée à son initiative en novembre 2014, a reçu du Bureau du Sénat plusieurs missions, dont celle de favoriser la simplification des normes applicables à l'activité économique. De même, le Président Larcher a souhaité la nomination, au sein de la Délégation aux collectivités territoriales, d'un premier Vice-président chargé de la simplification des normes. Ce dernier est l'interlocuteur parlementaire du Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités qui a été créé, à l'initiative du Sénat, par une loi de 2013 afin d'évaluer les normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. Ces collectivités croulent en effet également sous le poids des normes. Le Sénat a pris depuis d'autres initiatives au service de la simplification, sur lesquelles nous reviendrons.

Parallèlement, le Gouvernement actuel s'évertue à simplifier, dans la lignée des lois Warsmann adoptées sous la précédente législature. Le Président de la République a ainsi annoncé un « choc de simplification » en mars 2013, passant par un processus de modernisation de l'action publique (MAP). Un décret du 8 janvier 2014 a institué auprès du premier ministre, pour une durée de trois ans, un Conseil de la simplification pour les entreprises, chargé d'émettre des propositions de simplification et d'alerter les pouvoirs publics sur les difficultés que la mise en oeuvre d'une norme nouvelle pourrait susciter pour les entreprises. Des trains de mesure de simplification sont ainsi annoncés chaque semestre.

Et pourtant, la simplification n'est pas toujours au rendez-vous. En tout cas, la simplification n'est pas toujours ressentie. Se pose la question de savoir pourquoi.

Y aurait-il un malentendu sur ce que signifie « simplifier » ? Cette opération doit-elle se faire à droit constant ?

La complexité recouvre à la fois la prolifération ou l'instabilité législatives et le défaut d'intelligibilité et l'obscurité des normes, parfois en conflit entre elles, mais également l'ineffectivité ou l'inefficacité de l'action législative.

Avant de nous demander comment simplifier, le premier temps de notre matinée a donc pour objet de réfléchir sur les différentes conceptions possibles de la simplicité du droit. Concision ? Précision ? Stabilité ? Prévisibilité ? Souplesse ? Chaque pays n'a pas la même interprétation en la matière. Tout dépend également du point vue duquel on se place. Le législateur, le juge, le praticien ou encore l'entreprise ont-ils les mêmes attentes ?

Je laisse donc la parole à Mme Daniela Piana, professeur d'université, qui pourra témoigner de la simplification du droit engagée en Italie.

Mme Daniela Piana, Professeur à l'Université de Bologne . - Mesdames, Messieurs, m'exprimer dans un cadre si prestigieux est un plaisir et un honneur. Je remercie la Société de Législation comparée pour son invitation.

Mes travaux portent sur les institutions démocratiques et les institutions de l'État de droit du point de vue de la science politique, dans une perspective comparatiste au niveau européen. Je me focalise actuellement sur la comparaison entre la France et l'Italie.

Le cas italien est intéressant en matière de simplification du droit. Cette problématique y est ainsi traitée au travers de deux paradigmes différents, en fonction de la valeur et de la signification attribuée à la simplification et à ses objectifs.

Le thème de la simplification du droit est devenu partie de l'agenda politique et institutionnel en Italie en 1997 et 1998, à l'occasion de la promulgation des lois ordinaires intitulées leggi Bassanini , qui avaient pour objectif principal de rationaliser l'action publique et, dans ce cadre, de simplifier à travers -notamment- la déconcentration. Cela a conduit à donner des compétences législatives aux collectivités territoriales, et notamment aux régions.

Le fait que ces lois aient été promulguées après la mise en place d'une réforme de la loi électorale modifiant la procédure de désignation des maires, élus depuis 1993, n'est pas un hasard. Ces dernières s'inscrivent ainsi dans un contexte de déplacement de la légitimité de l'action publique du centre vers les territoires.

Plusieurs années plus tard, la problématique de la simplification du droit s'est imposée comme un moyen permettant au centre du système politique de reconstruire sa capacité à gérer les territoires. En Italie, la simplification du droit et la manière dont elle est conduite sont marquées par le lien difficile entre le centre et les collectivités territoriales et entre les territoires et les citoyens.

Ainsi, le site Internet présentant l'agenda de la ministre de la Simplification et de l'Administration publique indique que la simplification du droit vise à rendre l'État plus souple. Il y est également indiqué que cet objectif sera atteint en écoutant les citoyens, les entreprises et les collectivités territoriales, qui sont les plus à même de savoir où la simplification est nécessaire. Il est intéressant de constater que la première perte de capacité de contrôle est une perte en matière de connaissance. Dans un système de plus en plus complexe et de plus en plus différencié, le centre ne dispose ainsi pas de toutes les informations nécessaires pour gérer les territoires. La variable clé est donc la manière dont le centre parvient à obtenir les informations des collectivités territoriales. Dans un tel contexte, la simplification du droit vise à rendre au centre du système politique son image positive et sa légitimité.

À ce titre, l'exemple des politiques relatives à la qualité de la justice est particulièrement parlant. En Italie, il existe un réel problème concernant l'administration et la justice, notamment lié à la qualité du droit. Ainsi, depuis 2007, 141 interventions législatives et ordonnances ont concerné l'organisation des services judiciaires. Ce nombre faramineux d'interventions est bien entendu source de complexité, qui se traduit par les difficultés rencontrées par les juges pour prendre des décisions juridictionnelles convergentes. Dans ce cadre, la mise en oeuvre de l'état de droit devient problématique, sachant que les citoyens peuvent ainsi être confrontés à des décisions différentes sur les mêmes sujets.

Face à cette situation, des initiatives de simplification de l'organisation judiciaire et du droit ont été mises en oeuvre par le Conseil Supérieur de la magistrature et le ministère de la Justice à partir de 2012, dans une perspective de renforcement de la légitimité du pouvoir central. Pour ce faire, compte tenu de la connaissance parcellaire du centre concernant la réalité des territoires, les acteurs en charge de la simplification ont dû commencer par écouter les juges.

En conclusion, il apparaît que trois mots-clés principaux sont liés à la simplification en Italie. Le premier est la légitimation. La simplification du droit est ainsi un moyen pour l'État central de regagner une légitimité. Le second mot-clé est la connaissance. Enfin, le troisième mot-clé est l'écoute. Il s'agit de faire remonter les informations de la périphérie vers le centre.

Maître François Molinié, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation (Société de législation comparée) . - Définir la notion de simplification du droit n'est pas chose aisée. L'abondante littérature sur le sujet évoque le fait d'harmoniser, de toiletter, de rationaliser, d'unifier, de codifier, d'ordonner, de compiler, de supprimer, d'abroger ou encore de moderniser. La simplification du droit est donc un objet particulièrement imprécis pour un juriste, dont le métier est de procéder à un travail de qualification juridique.

Le droit français a une longue tradition en matière de simplification du droit. Ainsi, est-il possible de voir dans l'édit de Saint-Germain-en-Laye de 1679 instituant un enseignement du droit français le premier outil de simplification du droit. En effet, unifier les lois royales, le droit coutumier et les droits foisonnants des parlements d'ancien régime consiste assurément en une simplification du droit de l'époque.

De même, les lois des 16 et 24 août 1790 proclamaient qu'il serait fait un code général de loi simple, clair et approprié à la Constitution. La notion de code reviendra ensuite à de très nombreuses reprises dans l'histoire de la simplification du droit français. Rousseau voyait pour sa part dans le code une médecine efficace contre ces foules de lois, qui souvent se contredisent, dont le nombre rend les procès éternels et dont le conflit rend les jugements arbitraires.

Toutefois, simplifier le droit n'est pas toujours perçu comme un progrès. Montesquieu disait, par exemple, que lorsqu'un homme veut se rendre plus absolu, il songe d'abord à simplifier la loi.

En tant que praticien du droit, j'espère que la profession à laquelle j'appartiens n'est pas l'une de celles visées par l'instruction générale de 1949 relative à la codification, faisant état de véritables professions dont le seul rôle sera de guider le public dans le dédale des prescriptions réglementaires.

Mon métier consiste à délivrer des consultations juridiques sur un point de droit ou sur les chances de succès d'une procédure. La multiplication des sources du droit et l'instabilité des textes rendent parfois cet exercice difficile et aléatoire.

Nous vivons actuellement une situation paradoxale. Il n'a ainsi jamais été aussi facile d'accéder au droit (Légifrance, sites Internet des assemblées et des juridictions). Reste qu'au-delà d'y accéder, il est nécessaire de le comprendre. Nous assistons actuellement dans les cabinets d'avocats à un phénomène nouveau. Les clients arrivent ainsi avec des pochettes remplies de textes de lois et de jurisprudences interprétés avec leurs propres yeux, ce qui peut parfois aboutir à des résultats cocasses.

L'accès au droit agit donc comme le révélateur de sa complexité. Les nouvelles technologies créent de nouveaux espaces au sein desquels la norme a besoin d'être ajustée et réinventée de manière incessante.

Pour reprendre l'interrogation du rapport du Conseil d'État de 2006 relatif à la complexité du droit français, se pose la question de savoir si l'image du droit français est détériorée dans la compétition mondiale des systèmes juridiques, qui se comparent, s'évaluent et s'entrechoquent.

La simplification du droit est passionnante en ce qu'elle exige la mise en oeuvre d'une authentique démarche comparatiste. Adapter le droit suppose de prendre de la hauteur, de comparer les systèmes et de s'inspirer des expériences étrangères lorsque cela est nécessaire.

La norme simplifiée est un droit fondamental et constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a, sur ce sujet, développé toute une jurisprudence relative à la clarté, à l'accessibilité et à l'intelligibilité de la loi. Une disposition incompréhensible est inapplicable. Elle est entachée d'incompétence négative. Le Conseil a même développé un principe à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, en se fondant sur la Déclaration des droits de l'homme. Plusieurs applications mémorables de ce principe par le Conseil Constitutionnel sont à signaler. Ce dernier n'est toutefois pas allé jusqu'à confondre clarté et simplicité. La loi doit être claire et précise, mais elle peut être complexe lorsque les situations à régir sont complexes. Seule la complexité excessive est censurée.

Les mêmes prescriptions s'imposent en droit conventionnel, au travers de la Convention européenne des droits de l'homme. Plus distante concernant la qualité de rédaction des textes, la Cour de Strasbourg a tout de même considéré à plusieurs reprises que lorsqu'un système juridique mettait en place une voie d'accès à une juridiction mais que le texte était rédigé de telle sorte qu'il comportait un piège à l'égard du requérant, la façon dont la voie de recours était organisée était contraire aux droits fondamentaux.

Ces normes sont appliquées par les juridictions. À l'occasion de pourvois dirigés contre certains jugements de juges de proximité, la Cour de cassation a rappelé le principe selon lequel la décision de justice doit être claire et compréhensible.

Se pose ensuite la question de savoir comment simplifier la norme. Comme vous le savez, la simplification administrative est devenue une des préoccupations majeures des pouvoirs publics. Les années 2000 ont ainsi vu apparaître une nouvelle catégorie de lois, visant à simplifier la loi. De tels textes ont été promulguées en 2003, 2004, 2007, 2009, 2011 ou encore 2012. Ces lois se donnent pour objectif de concourir à l'intelligibilité de la norme.

À les regarder de plus près, ces textes poursuivent toutefois des objectifs différents qui peuvent se combiner. Un des objectifs pourra être de simplifier le vocabulaire, notamment en retirant des textes les mots qui ne sont aujourd'hui plus compréhensibles par le plus grand nombre. D'autres objectifs pourront être d'uniformiser, d'aligner des régimes, d'alléger et de faciliter des procédures, ou encore de codifier des solutions dégagées par la jurisprudence.

Le vaste chantier de la simplification ne se limite donc pas à rassembler et à codifier à droit constant. La réforme des contrats administratifs ou la réforme du droit des obligations ont consisté à reprendre des textes, à y intégrer les solutions de la jurisprudence ou encore à prévoir des dispositions allant à l'encontre de la jurisprudence.

Si la simplification du droit constitue un objectif pouvant être atteint de différentes manières, le processus n'est pas exempt de difficultés. Les limites tiennent d'une part à la méthode elle-même qui peut être source de difficulté. Codifier à droit constant ou à droit non constant engendre des problèmes, notamment en matière de droit transitoire, de portée des nouvelles dispositions ou encore d'incertitude quant au sens qui sera retenu par le juge lorsqu'un contentieux se présentera.

Les autres difficultés tiennent à ce que le droit ne peut pas toujours être simplifié. Il doit être aussi clair que possible, mais la complexité de certaines activités rend l'idée d'une simplification illusoire. À titre d'exemple, il est possible de citer le droit de la pharmacie et du médicament dont la complexité est justifiée par différents impératifs.

En outre, il convient de signaler le foisonnement des sources de droit. Le développement du droit souple et des autorités administratives indépendantes implique de disposer d'un bon interprète pour conduire le travail de simplification.

Cet interprète devra notamment s'exprimer dans une langue simple, conformément aux travaux engagés par le Conseil d'État et la Cour de cassation concernant la motivation des décisions de justice. Le fait que le juge explique à tous les lecteurs de sa décision le sens de cette dernière est également une des dimensions de la simplification du droit.

Face au développement d'un droit non traditionnel, l'interprète devra également savoir ouvrir les possibilités d'un recours lorsque cela sera nécessaire. Ainsi, la récente décision du Conseil d'État dite « Numéricable » ouvre des voies des recours contre certaines décisions prises par les autorités administratives indépendantes, ce qui me semble aller dans le sens de la simplification du droit.

En conclusion, il convient de souligner que nous souhaitons disposer d'un droit plus facile à vivre et à pratiquer pour tous, et notamment pour les juristes, d'un droit bien différent de celui décrit par Goethe, présentant Méphistophélès grimé en Faust et indiquant que « les lois et les droits se succèdent comme une éternelle maladie. Ils se traînent de génération en génération et s'avancent sourdement d'un lieu dans un autre. Raison devient folie, bienfait devient tourment ». C'est précisément ce que nous ne souhaitons pas.

M. André Reichardt, Secrétaire de la Commission des lois . - Mesdames, Messieurs, le Président de la Commission des Lois, Philippe Bas, s'excuse de ne pas pouvoir être présent ce matin. Cette absence ne s'explique bien évidemment pas par un quelconque désintérêt à l'égard de la simplification, mais par le caractère particulièrement chargé de son agenda. Philippe Bas m'a demandé de le représenter, en qualité de Secrétaire de la Commission des lois.

Je souhaiterais vous faire part en son nom de l'intérêt que porte la Commission des lois à vos travaux. Il est vrai que cette dernière a compétence en matière de simplification du droit. Il est également vrai qu'elle a eu fort à faire tout au long de ces dernières années.

Le rythme de la simplification du droit s'est ainsi considérablement amplifié, notamment depuis le début des années 2000. De 2002 à 2012, la Commission des Lois a examiné trois projets de loi visant à simplifier, principalement par le biais d'ordonnances, et quatre propositions de loi du député Warsmann. Depuis 2012, nous avons également étudié quatre projets de loi, recourant essentiellement à l'outil de l'ordonnance. Une loi du 12 novembre 2013 et une autre du 2 janvier 2014 ont ainsi habilité le Gouvernement à simplifier en ayant uniquement recours à l'ordonnance. Enfin, nous avons également examiné deux autres lois de 2014 et de 2015 relatives à la simplification du droit et de la vie des entreprises, recourant également aux ordonnances.

Au-delà du plébiscite de principe concernant la nécessité de la simplification, il est nécessaire de s'accorder quant à la simplification recherchée et quant à la nature de la norme simplifiée recherchée.

Dans le cadre des auditions menées par la Commission des Lois, il nous a ainsi été indiqué qu'il était parfois préférable de conserver un texte insatisfaisant ou complexe, plutôt que de le modifier trop souvent. À titre d'exemple, il est possible de citer la règle relative au siège de la SARL, modifiée récemment à plusieurs reprises. Le plébiscite de principe doit donc être relativisé à l'aune des objectifs recherchés et de la nécessité de stabilité du droit.

Comme indiqué par Maître Molinié, la simplification du droit peut passer par la simplification du vocabulaire. Ainsi, à chaque réunion de la Commission des Lois, Jean-Jacques Hyest livrait une véritable guerre au vocabulaire inapproprié, tel que le terme « notamment », source de nombre de contentieux.

Au-delà du vocabulaire, la simplification du droit passe également par l'allégement des procédures et la codification des textes. À titre d'exemple, j'ai eu l'occasion de travailler très récemment sur une réforme du Code des marchés publics dans le cadre de laquelle une ordonnance a remplacé dix-sept textes. Un tel remplacement constitue à n'en pas douter une réelle simplification, notamment pour les acheteurs publics, qui peuvent être de petites collectivités d'à peine 200 ou 300 habitants.

Au-delà de l'objectif recherché, la problématique de la simplification du droit pose également la question de la méthode de la simplification, qui fait l'objet d'un débat récurrent. La simplification a ainsi pu passer par des textes fourre-tout ou, à l'inverse, par des textes sectoriels. Cette problématique soulève la question plus large de savoir si la loi doit opter pour une approche pointilliste ou pour une approche d'ensemble. Par exemple, se pose la question de savoir s'il est raisonnable de travailler de façon approfondie sur la seule problématique de la réduction du nombre d'associés dans les sociétés non cotées sans penser à mener une réforme plus consistante du droit des sociétés. À titre personnel, je préfère l'approche d'ensemble, même si elle ne va pas sans poser toute une série de problèmes.

Se pose également la question de savoir s'il est préférable de simplifier par voie législative ou par voie d'ordonnance. Les parlementaires que nous sommes préfèrent bien entendu éviter le recours aux ordonnances, d'autant plus que les ordonnances de simplification concernent de plus en plus souvent des sujets éminemment importants. Ainsi le fait que, dans le cadre de la réforme du code des marchés publics, une ordonnance ait remplacé dix-sept textes de loi soulève un certain nombre de questions. Il apparaît in fine extrêmement complexe de simplifier.

Je travaille actuellement en qualité de rapporteur sur une proposition de loi déposée par un collègue ayant entrepris un travail fondamental depuis deux ou trois ans en matière de simplification du Code de commerce. Il a notamment auditionné un très grand nombre d'acteurs, avant de déposer un texte portant à la fois sur la réforme du fonds de commerce, des sociétés civiles et commerciales, de l'autorité de la concurrence ou encore des commissaires aux comptes. Ce texte peut être considéré comme fourre-tout, mais il dispose tout de même d'une ossature.

Nous en sommes actuellement à l'examen de l'article 1 er , qui propose de supprimer les cinq mentions obligatoires en cas de cession de fonds de commerce. Cette disposition paraît être de bon sens, notamment car le choix des cinq mentions obligatoires, opéré en 1935, est discutable, mais également en raison du fait que, par définition, le cessionnaire va nécessairement chercher les informations là où elles se trouvent. Toutefois, après audition d'un certain nombre d'acteurs, il est apparu que la situation n'était pas aussi simple que cela.

Cette situation illustre la complexité de la simplification. Ainsi, même si les simplifications paraissent nécessaires, il convient de ne pas faire abstraction d'autres paramètres, notamment d'ordre financier. À titre d'exemple, la suppression de l'enregistrement des actes statutaires des sociétés, en-dehors des actes constitutifs, paraît aller de soi. Elle pose toutefois un certain nombre de difficultés, notamment en raison du fait que le montant des droits d'enregistrement perçus se chiffre à plusieurs dizaines de millions d'euros.

De même, il pourrait sembler nécessaire de supprimer le système d'insertion d'annonces légales dans les journaux. L'objectif initial d'information des tiers pourrait ainsi être mieux atteint par d'autres voies, et notamment par le BODACC. Toutefois, les recettes que représentent ces annonces pour la presse locale et spécialisée, déjà en grande difficulté, doivent également être prises en compte.

Une fois que nous nous sommes accordés sur l'objectif de clarification et de simplification et sur une méthode qui pourrait être commune et reconnue par tous, d'autres paramètres doivent être pris en compte. Ces paramètres peuvent parfois amener le législateur dans ses derniers retranchements. Madame la Présidente, vous pouvez néanmoins compter sur la Commission des Lois pour vous aider dans cette tâche particulièrement ardue, dans le contexte difficile que je viens de présenter.

M. Rémy Pointereau, Premier Vice-président de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, chargé de la simplification des normes . - Je vous remercie pour votre invitation.

Il se trouve que je suis actuellement plongé dans la simplification en tant que Président du groupe de travail créé en janvier dernier par la Délégation aux collectivités territoriales et le Président du Sénat pour élaborer une proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme, de la construction et des sols. Il convient en effet de rappeler que le Code de l'urbanisme a été modifié par soixante lois, engendrant ainsi un véritable problème d'instabilité de la loi.

Je dois d'ailleurs me rendre dans quelques instants à la réunion à mi-parcours que le Président Larcher organise pour prendre connaissance de nos travaux, qui doivent aboutir à la fin du mois de juin.

Je ne suis pas en mesure de vous livrer tous les enseignements de ce dossier particulier, mais nous travaillons sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales depuis près de deux ans, et nous avons ainsi acquis une expérience des problèmes de méthode, ainsi que quelques convictions que je voudrais verser à vos débats.

Tout d'abord, il est évidemment impossible de simplifier sans avoir une idée précise de ce qu'est la complexité.

En outre, comme indiqué par André Reichardt, simplifier n'est pas simple. Ainsi, la volonté de simplifier peut parfois conduire à ajouter de la complexité à la complexité. Il convient donc d'agir avec mesure.

Dans le cadre de l'élaboration du rapport sur la loi de transition énergétique menée en janvier 2015, j'ai identifié six formes de la complexité, sous la forme de six groupes de disposition.

Le premier groupe comprend les dispositions tendant à imposer aux collectivités des obligations irréalistes ou disproportionnées au regard de l'équilibre souhaitable entre l'objectif recherché et les moyens techniques et financiers dont elles disposent.

Le deuxième groupe concerne les dispositions tendant à imposer des obligations dans une formulation insuffisamment normative ou précise, susceptible de donner lieu à des contentieux ou à une réglementation d'application disproportionnée.

Le troisième groupe comprend les dispositions tendant à créer ou à compléter des procédures disproportionnées au regard de l'équilibre approprié entre l'objectif recherché et les moyens techniques et financiers dont la collectivité territoriale dispose.

Le quatrième groupe concerne les dispositions tendant à créer une compétence locale obligatoire dont les conditions de mise en oeuvre ne sont pas réunies au regard des moyens techniques, juridiques ou financiers dont la collectivité dispose.

Le cinquième groupe comprend les dispositions d'affichage tendant à diminuer les délais prévus initialement pour la mise en oeuvre de dispositions complexes ou coûteuses, ou introduisant des éléments hétérogènes dans des dispositifs orientés vers d'autres objectifs.

Enfin, le sixième groupe concerne les dispositions ayant pour effet de brouiller la compréhension des compétences des collectivités et l'articulation des schémas et documents de planification au moyen desquels elles organisent l'exercice de ces compétences.

Voilà les domaines que je souhaitais évoquer avec vous. Nous vous en dirons plus à la fin du mois de juin, lorsque nous aurons achevé la rédaction de notre rapport. Sachant que toute la problématique de la simplification ne peut être traitée dans une seule loi, nous avons défini onze articles pour ce projet de loi.

Alain Lambert estime que plusieurs dizaines d'années seraient nécessaires pour simplifier les près de 500 000 normes existant en France. Le principal problème de la France est le nombre de lois votées chaque année. Elles sont ainsi au nombre d'une cinquantaine, contre une dizaine dans des pays tels que l'Angleterre ou l'Allemagne.

M. Patrick Gérard, Président-adjoint de la Section du rapport et des études du Conseil d'État . - Les propos du professeur Piana laissent à penser qu'il existe en Italie un cycle en matière de simplification. Ainsi, considérant que les lois sont tellement compliquées qu'il en devient lui-même illégitime, le Gouvernement s'attache à écouter les citoyens, les entreprises et les collectivités territoriales, en vue de simplifier le corpus législatif. Ce faisant, le Gouvernement redevient légitime. Dans ce cadre, quelles sont les garanties quant au fait qu'une fois redevenu légitime, le Gouvernement ne va pas recommencer à complexifier le dispositif normatif ?

Mme Daniela Piana, Professeur à l'Université de Bologne . - Nous sommes bien conscients de l'existence de ce problème potentiel. Face à cette situation, il a été décidé de mener une réforme constitutionnelle visant à simplifier la manière dont les lois sont élaborées. L'objectif est d'introduire la simplification dans la procédure même de fabrication des lois.

S'agissant du cas italien, le principal problème est que les projets de loi sont systématiquement bouleversés par le Parlement, finissant ainsi par ne plus correspondre aux projets initiaux. Le système institutionnel doit donc être modifié.

En outre, il n'est pas encore possible de conclure qu'en simplifiant, le Gouvernement regagne sa légitimité. Les réformes sont trop récentes et le recul insuffisant pour tirer de telles conclusions. Les effets de ces réformes ne pourront être analysés avant la fin de la présente législature, soit en 2018.

S'agissant de cette notion de légitimité, le point important concerne la capacité des citoyens à prévoir ce qui va se passer lorsqu'ils vont interagir avec la loi, la justice ou encore les organisations. En l'absence d'une telle capacité, le Gouvernement ne peut être légitime.

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