CHAPITRE II
LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE INDIENNE :
APAISEMENT REGIONAL ET AMBITIONS INTERNATIONALES
I. LA POLITIQUE ETRANGERE DU GOUVERNEMENT DU FRONT UNI : LA " DOCTRINE GUJRAL "
Fondée par Nehru sur le
neutralisme
, la politique étrangère de l'Inde doit aussi être
examinée à la lumière des relations de type conflictuel
qui existent entre ce pays, le Pakistan et la Chine.
L'Inde s'est très tôt affirmée comme le chef de file du
neutralisme : elle fut à l'origine de la conférence de
Bandung en 1955 et de la fondation du mouvement des non-alignés en 1961.
L'Inde a été en guerre à trois reprises avec son voisin,
le
Pakistan
: les conflits de 1948 et de 1965 ont éclaté à propos du
Cachemire, disputé entre les deux pays ; la guerre de 1971 a abouti
à la naissance du Bangladesh. Depuis 1990, l'apparition de troubles dans
le Cachemire indien a provoqué un vif regain de tension entre Delhi et
Islamabad.
Depuis le conflit frontalier de 1962 au cours duquel la
Chine
a occupé une partie du territoire indien, les relations entre Delhi et
Pékin sont restées délicates. Une amélioration
sensible est intervenue depuis la visite du Premier Ministre indien, M. Rajiv
Gandhi, à Pékin en décembre 1988. M. Li Peng, Premier
Ministre chinois, s'est rendu à Delhi fin 1991 et M. Narasimha Rao,
Premier Ministre indien, est allé à Pékin en septembre
1993. Enfin, M. Qiao Shi, Président du Parlement et numéro trois
du régime chinois, a effectué une visite en Inde en novembre 1995.
Les liens avec
l'Union soviétique
se sont essentiellement développés à la suite de la
visite de Khrouchtchev en 1955 mais ils n'ont abouti à un traité
de paix, d'amitié et de coopération qu'en 1971, avant la
dernière guerre indo-pakistanaise, à un moment où les
Etats-Unis s'opposaient à l'indépendance du Bangladesh.
L'effondrement de l'Union soviétique, en 1991, a fait perdre à
l'Inde l'un de ses principaux alliés et partenaires économiques.
Delhi cherche aujourd'hui à développer activement des liens avec
les nouveaux Etats de la CEI. Sans retrouver leur niveau de 1991, les relations
commerciales et économiques avec la Russie se sont fortement accrues
depuis 1993. L'Inde reprend en particulier sa coopération avec la Russie
dans le domaine de l'armement.
1. De meilleures relations avec les petits États voisins : une stratégie indirecte à l'égard du Pakistan
Pragmatique, le Gouvernement du Front Uni pratique une
" diplomatie de
proximité " visant à améliorer le climat dans le
sous-continent indien, en commençant par le plus simple - les relations
avec les petits Etats voisins - et en terminant par le plus difficile - la
relation conflictuelle avec le Pakistan. Le programme du Gouvernement de M.
Deve Gowda le prévoyait. Grâce à la ténacité
et aux talents de négociateur du Ministre des Affaires
étrangères, M. I. K. Gujral, d'importants
progrès ont été réalisés dans cette voie.
Architecte d'un rapprochement de l'Inde avec ses voisins,
M. I. K. Gujral a été à l'origine d'un
infléchissement dans la politique étrangère indienne, vite
qualifié de " doctrine Gujral ". Par le passé, l'Inde
avait parfois profité de sa puissance pour dicter ses conditions aux
nations plus petites et plus faibles de la région. La " doctrine
Gujral " va à l'encontre de cette tentation. M. Gujral s'est en
effet prononcé pour une politique de compromis avec ses voisins en
affirmant que toute négociation ne repose pas nécessairement sur
l'espoir d'une réciprocité : l'Inde étant beaucoup
plus puissante que ces petits voisins, elle doit être disposée
à faire des concessions plus importantes que ceux-ci.
Le bilan de M. I. K. Gujral est assez remarquable :
-
avec le Népal
: deux traités ont été conclus ; ils portent sur la
gestion en commun du bassin de la rivière Mahakali et sur le commerce.
Les concessions indiennes sont évidentes s'agissant de ce second point.
-
avec le Bangladesh
: le contentieux majeur concernant le partage des eaux du Gange, si
nécessaires à l'économie bangladaise et dont le
débit est contrôlé par l'Inde, a été
réglé par un accord signé le 12 décembre 1996.
-
avec le Sri Lanka
: les relations s'améliorent, qu'il s'agisse du contrôle
pratiqué en commun de l'immigration des réfugiés tamouls
du Sri Lanka vers les côtes indiennes ou de la lutte menée dans
chaque pays contre le LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam) dont le capital
de sympathie s'effrite en Inde.
Avec le
Pakistan
, le contentieux demeure sur la question du Cachemire. Toutefois, là
encore, le Gouvernement du Front Uni a fait un geste en proposant la reprise du
dialogue bilatéral interrompu depuis deux ans, en réponse
à un message de félicitations adressé en juin 1996 par Mme
Bhutto. L'Inde et le Pakistan ont ainsi renoué des contacts de haut
niveau à la fin du mois de mars 1997 lorsque les Foreign Secretaries
(Secrétaires généraux des ministères des affaires
étrangères) des deux pays se sont rencontrés à New
Delhi. Lors d'une deuxième rencontre, à Islamabad, le 19 juin
1997, les Foreign Secretaries de l'Inde et du Pakistan ont
procédé à un échange de vues sur «une approche
constructive pour résoudre leurs différends». Une
troisième rencontre est prévue à New Delhi au mois de
septembre prochain. Les négociations entre New Delhi et Islamabad
risquent fort peu d'aboutir prochainement à une vraie
réconciliation entre les deux pays. La reprise du dialogue
témoigne cependant d'un nouveau climat.
2. Une volonté d'intégration aux ensembles asiatiques et l'amorce d'une diplomatie économique
Consciente de la fin du monde bipolaire et de l'émergence
économique de l'Asie du Sud-Est, l'Inde cherche à
s'intégrer aux enceintes asiatiques en gestation.
Le Gouvernement du Front Uni conduit une politique d'ancrage régional
perçue comme essentielle, notamment dans le domaine économique.
L'Inde est associée à l'ASEAN (Association of South East Asian
Nations) depuis décembre 1995 comme " partenaire de
dialogue "
et membre de l'ASEAN Régional Forum (ARF). Elle poursuit
désormais deux objectifs : l'intégration à l'APEC
(Asia-Pacific Economic Cooperation : Coopération économique
Asie-Pacifique), à l'issue du moratoire de Seattle, et la participation
à l'ASEM (Asia-Europe Meeting : sommet Europe-Asie) en 1998 à
Londres. Pour ce faire, elle tente de s'appuyer sur certains pays
européens (Royaume-Uni, Allemagne) mais aussi sur certains
pôles-clés de la " région " : Singapour,
Malaisie, Australie, Afrique du Sud. Avec ces derniers, elle recherche
également une coopération dans le cadre du forum de
l'" Indian Ocean Rim ".
3. Le maintien des équilibres stratégiques avec Moscou, Pékin et Washington
La
Chine
constitue la principale préoccupation de sécurité pour
l'Inde. Sa montée en puissance diplomatique, économique et
militaire, son rôle accru dans la définition des équilibres
asiatiques, conjugués à l'expérience douloureuse du
passé (guerre sino-indienne de 1962) et à la persistance d'un
contentieux frontalier en font un voisin redouté. Le Gouvernement du
Front Uni s'est d'ores et déjà engagé dans la poursuite du
processus lent mais patient de " tranquillisation " de la
frontière, en renforçant, en décembre 1996, l'accord de
1993 sur l'instauration de mesures de confiance. Dans les mois à venir,
des réductions de troupes seront négociées. La discussion
du tracé de la frontière ne viendra qu'en étape ultime du
processus.
Moscou
reste l'allié le plus sûr en dépit du caractère
parfois imprévisible des positions russes. C'est avec la Russie que
l'Inde vient de conclure un très important marché d'armement :
achat, en novembre 1996, de 40 Sukhoi 30 et prochainement de deux sous-marins,
possibilité d'achat de deux réacteurs nucléaires civils.
Mais le soutien de Moscou n'est pas indéfectible - comme l'a
montré la négociation sur le CTBT (Comprehensive Test Ban Treaty
: Traité interdisant les essais nucléaires) - et est surtout
inefficace dans le domaine de la diplomatie économique qui prend chaque
jour plus d'importance. Demeure toutefois une communauté objective
d'intérêts stratégiques vis-à-vis de l'Asie et
surtout face à la montée en puissance de la Chine.
Avec les
Etats-Unis
, la relation est plus complexe. Elle est caractérisée par une
certain ressentiment indien à l'égard de la relation
privilégiée que le Pakistan entretient avec Washington.
Parallèlement, sa politique d'ouverture économique conduit l'Inde
à rechercher un plus grand partenariat avec les Etats-Unis, premier
investisseur en Inde. L'année 1996 a vu plusieurs visites en Inde de
membres du Congrès américain et de chefs d'entreprises. Une
visite du Président Clinton en Inde fin 1997 ou en 1998 n'est pas exclue.
La diplomatie économique, atout vis-à-vis de l'Asie et des
Etats-Unis, l'est aussi vis-à-vis de l'Union Européenne, premier
partenaire économique de l'Inde. Le poids politique des Quinze est
cependant encore mal perçu en Inde, bien que l'on considère
l'Europe comme un contrepoids possible à la puissance américaine.
4. Sur le plan multilatéral, les ambitions demeurent malgré de récents revers
L'ensemble de ces éléments concourent au
déclin de la rhétorique du non-alignement
, même si la conférence ministérielle annuelle du Mouvement
des Non-alignés s'est tenue à New Delhi début avril 1997.
La sensibilité de gauche du Gouvernement du Front Uni l'a conduit
à utiliser cette composante traditionnelle de la diplomatie indienne,
mais avec un succès limité : isolement à l'ONU dans le
débat sur le l'interdiction des essais nucléaires, échec
à l'élection de membre non-permanent du Conseil de
Sécurité face au Japon, négociation en ordre
dispersé à l'Organisation mondiale du commerce, en
décembre 1996, malgré la réunion du G15 à Harare en
novembre de la même année.
La pugnacité de l'Inde reste cependant grande : arguant de la menace
chinoise, elle a refusé de signer le CTBT ; sa mobilisation autour
de l'opposition aux " nouveaux thèmes " à
l'Organisation mondiale du commerce pourrait connaître un second souffle,
tant l'enjeu apparaît fondamental pour une économie
émergente. Par ailleurs, la recherche de coopérations en
matière de lutte contre le terrorisme et d'endiguement du
fondamentalisme islamique ne devrait pas se démentir.
Au plan multilatéral, l'Inde poursuit donc une politique d'affirmation
sur la scène internationale, en tant que puissance régionale
incontournable. Ses ambitions internationales, que traduit notamment sa
candidature à un siège permanent au Conseil de
Sécurité de l'ONU, demeurent malgré les revers subis.
Dans le nouveau Gouvernement installé le 20 avril 1997,
M. I. K. Gujral conserve le portefeuille des affaires
étrangères tout en assurant la charge de Premier Ministre. Le
départ de M. Deve Gowda ne devrait donc pas avoir de conséquences
notables sur la politique étrangère du Gouvernement du Front Uni.
II. UNE AMELIORATION SENSIBLE DES RELATIONS POLITIQUES AVEC LA FRANCE
Les relations entre l'Inde et la France sont
traditionnellement bonnes, comme
en ont notamment témoigné les visites en Inde des
Présidents de la République française (janvier 1980,
novembre 1982 et février 1989) et du Premier Ministre (janvier 1990,
avril 1994), et celles des Premiers Ministres de l'Inde en France (novembre
1981, juin 1985, juillet 1989, novembre 1991, septembre 1992 et juin 1995). En
outre, MM. Dinesh Singh et Pranab Mukherjee, Ministres indiens des Affaires
étrangères, sont venus en visite officielle en France
respectivement en février 1994 et en avril 1995 tandis que M. Alain
Juppé, Ministre français des Affaires étrangères,
s'est rendu en Inde en avril 1994. Enfin, ont été
instituées des consultations bi-annuelles entre les secrétaires
généraux des ministères des Affaires
étrangères des deux pays
Toutefois, les liens qui unissent la France et l'Inde subissent
fréquemment le contrecoup des ventes - ou projets de ventes - d'armement
français au Pakistan. En septembre 1995, l'annonce d'un projet de vente
de 40 Mirage-2000 au Pakistan a ainsi provoqué un sérieux
refroidissement dans les relations franco-indiennes.
Le voyage de la délégation du Groupe sénatorial
France-Inde est intervenu peu après une visite de M. François
d'Aubert, secrétaire d'Etat à la recherche. M. d'Aubert
avait été le premier membre du Gouvernement français
à se rendre en Inde depuis 18 mois. Le Ministre français de
l'agriculture, M. Philippe Vasseur, s'est également rendu en Inde
au début du mois de mars. Ces visites s'inscrivent dans le cadre d'une
relance du dialogue franco-indien.
L'intérêt très vif suscité par la visite
sénatoriale française témoigne d'un état d'esprit
ouvert et positif envers notre pays au sein du Gouvernement et du Parlement
indiens. La venue de la délégation du Groupe sénatorial
répondait manifestement à une attente si l'on en juge par la
qualité de l'accueil réservé à la
délégation. Tous les interlocuteurs de la
délégation ont confirmé le désir du Gouvernement
indien de relancer les relations bilatérales entre l'Inde et la France.
L'affaire dite du " Galathée " reste cependant un sujet de
préoccupation pour le Gouvernement français. Depuis l'arrestation
de cinq Français, à bord du voilier
" Galathée ", en décembre 1995, l'ambassade de France
à New Delhi et le consulat général de France à
Pondichéry ont fait preuve sans relâche de l'intérêt
actif de la France pour ses ressortissants. M. Hervé de Charette,
Ministre des Affaires étrangères, a évoqué
l'affaire avec M. Inder Kumar Gujral, son homologue indien.
Au début du mois de novembre 1996, le Gouvernement français
nommait un émissaire spécial en la personne de l'ancien Ministre
Jean-François Deniau, afin de résoudre l'affaire. M. Deniau a
séjourné à New Delhi les 12 et 13 novembre 1996. Il a eu
à cette occasion plusieurs entretiens avec des responsables indiens.
Enfin, M. Alloncle, Président du Groupe sénatorial France-Inde, a
évoqué la question avec M. Gujral, chef de la diplomatie
indienne. M. Alloncle a souligné que la procédure durait depuis
très longtemps et a souhaité qu'elle soit activée. Tout en
rappelant le principe de séparation des pouvoirs entre l'exécutif
et le judiciaire, M. Gujral a répondu que le Gouvernement indien
était conscient de la nécessité d'accélérer
la procédure. Le Ministre a ajouté qu'il avait le sentiment que
les Français ne s'étaient pas rendus coupables d'espionnage, mais
qu'ils s'étaient mis dans une situation nécessitant une
procédure judiciaire.
De retour à Paris, la délégation du Groupe
sénatorial a eu la satisfaction de constater que trois des cinq
Français avaient été libérés. Elle
renouvelle ici le souhait que François Clavel et Philippe Ellé
puissent être à leur tour rapidement libérés.
L'affaire du " Galathée "
Les cinq Français - Philippe Ellé, François Clavel,
Thierry Proust, Hervé Blanchet, Pierre-Hugues Lejeune - et le Malgache
Vincent Mathew qui composaient l'équipage du Galathée sont
arrivés dans le port de Cochin le 11 décembre 1995. Ils ont
entrepris des recherches dans les eaux territoriales indiennes sans disposer
des autorisations légales que s'était engagé à
obtenir, avec le soutien d'un député local, leur partenaire
indien. Alors que l'équipage prospectait depuis dix jours dans une zone
située à 15 kilomètres du port de Cochin -
considéré par les autorités indiennes comme une base
navale stratégique - sur l'emplacement présumé du naufrage
d'une caraque portugaise, le Galathée a été
arraisonné. Placé en détention provisoire pour infraction
à la réglementation sur les eaux territoriales et à celle
sur la circulation des étrangers, l'équipage a
bénéficié d'une mise en liberté sous caution avec
assignation à résidence à Cochin le 4 juin 1996.
Le 24 février 1997, le Bureau fédéral d'enquêtes
(CBI), à qui l'affaire avait été confiée,
déposait son rapport d'accusation, attendu depuis plusieurs mois, qui
mettait officiellement en accusation MM. Ellé et Clavel en faisant
référence au " Official Secrets Act " qui
réprime les activités susceptibles d'affecter la
sécurité du pays. Il était reproché aux
Français du Galathée d'avoir utilisé du matériel
sophistiqué de détection sous-marine qui aurait permis de
collecter des informations considérées comme secrètes et
pouvant être utilisées dans la lutte anti-sous-marine.
Le 11 mars 1997, quatre des six membres d'équipage - Thierry Proust,
Hervé Blanchet, Pierre-Hugues Lejeune et le Malgache Vincent Mathew -
bénéficiaient d'un non-lieu prononcé par le tribunal de
Cochin. Ils étaient de retour à Paris le 15 mars 1997.
Philippe Ellé et François Clavel attendent toujours que le juge
chargé du dossier se prononce sur l'acte d'accusation dressé
contre eux par le CBI et décide ou non de leur inculpation formelle.
Pour des raisons de procédure, les auditions de ce juge sont
reportées de semaine en semaine.
III. ENTRETIENS AVEC M I. K. GUJRAL, MINISTRE DES AFFAIRES EXTÉRIEURES ET M. MULAYAM SINGH YADAV, MINISTRE DE LA DÉFENSE
A. ENTRETIEN AVEC M. I. K. GUJRAL, MINISTRE DES AFFAIRES EXTÉRIEURES2 ( * )
L'entretien entre M. I. K. Gujral et la délégation sénatoriale a eu trois axes principaux : les relations bilatérales entre l'Inde et la France, la politique étrangère indienne, surtout dans son environnement immédiat, et l'affaire du Galathée.
1. Les relations entre l'Inde et la France
M. I. K. Gujral a tenu à affirmer, de manière
liminaire, que les rapports de l'Inde avec les pays de l'Union
européenne, et la France en particulier, avaient toujours
été bons. Mis à part le cas du Royaume-Uni, avec lequel
les relations sont bien évidemment étroites, l'Allemagne et la
France sont les pays d'Europe avec lesquels la coopération a
été la plus fructueuse pour l'Inde et son développement.
C'est pourquoi, a affirmé M. I. K. Gujral, le Gouvernement
indien serait très heureux et honoré d'accueillir le
Président de la République française, soit cette
année, soit à l'occasion du prochain Republic Day (26 janvier
1998).
Le Ministre des Affaires extérieures a souligné que l'Union
européenne était le premier partenaire commercial de l'Inde. Il a
aussi rappelé les progrès accomplis depuis 1991 en matière
de libéralisation de l'économie et le souci de l'Inde d'offrir
aux investisseurs étrangers des garanties en termes de stabilité
juridique et politique. Les échanges avec les Quinze, a-t-il
affirmé, sont également nourris au plan politique : pour preuve,
les rapports entre la SAARC (South Asian Association for Regional Cooperation)
et l'Union européenne et les réunions régulières
entre la troïka et le Ministre des Affaires extérieures indien. La
prochaine rencontre devrait avoir lieu à Bruxelles en juillet 1997.
M. I. K. Gujral a rappelé l'importance des relations
russo-indiennes. Il était à Moscou dix jours auparavant. La
relation entre l'Inde et la Russie a toujours été excellente et
très profitable pour la modernisation de l'industrie indienne ; ceci est
sans aucun lien avec le communisme puisque l'Inde, a rappelé le
Ministre, n'a jamais été communiste. Il a par ailleurs
souligné que l'Inde n'avait jamais conclu d'alliance militaire avec la
Russie.
2. La politique extérieure de l'Inde dans son voisinage : les principaux axes de la " doctrine Gujral "
Dans un deuxième temps, M. I. K. Gujral a
longuement
exposé, à la demande de la délégation
sénatoriale, les principes qui guident aujourd'hui la politique
étrangère indienne, principes dont il est l'inspirateur et qu'on
désigne d'ailleurs sous le nom de " doctrine Gujral ".
L'origine de la démarche indienne procède du constat que la
taille de l'Inde et les ressources de son économie lui imposent de faire
plus pour ses partenaires d'Asie du Sud qu'elle ne doit attendre d'eux. Elle a
donc choisi d'emprunter la voie des concessions unilatérales. C'est
ainsi qu'au 1er avril prochain, l'Inde accordera une réduction tarifaire
de 50 % à ses sept partenaires de la SAARC, engagés dans le
système SAPTA (South Asian Preferential Trade Arrangement), auxquels
elle octroie déjà de nombreux avantages non tarifaires.
Le but final poursuivi par la diplomatie indienne est la constitution, à
l'horizon de l'an 2000, d'une zone de libre-échange en Asie du Sud et,
de manière plus diffuse, le renforcement de la coopération
régionale. Le Ministre s'est attaché à illustrer la
nouvelle politique de rapprochement et d'amitié dont le Gouvernement
indien a eu l'initiative à l'égard de ses voisins, à
travers une énumération éloquente des succès de la
diplomatie de son pays : signature d'un traité sur le partage des eaux
avec le Bangladesh comme avec le Népal, politique de détente et
de coopération avec le Bouthan, les Maldives et Sri Lanka.
En ce qui concerne le Pakistan, l'antagonisme ancré entre les deux pays
a certes empêché, jusqu'à présent, la
concrétisation de la politique de rapprochement. Cependant, M.
I. K. Gujral veut montrer que la bonne volonté indienne est
incontestable : depuis que le Gouvernement de M. Deve Gowda est au
pouvoir, aucune déclaration agressive à l'égard du
Pakistan n'a été proférée. Au contraire, l'Inde,
soucieuse de favoriser le " rapprochement entre les
peuples " indien
et pakistanais, a libéralisé et simplifié sa politique
d'octroi de visas aux ressortissants pakistanais.
L'Inde fonde beaucoup d'espoir sur le Gouvernement qui vient d'accéder
au pouvoir à Islamabad et dit souhaiter renouer le dialogue avec son
voisin. M. I. K. Gujral venait de féliciter son homologue
pakistanais pour sa nomination.
3. L'affaire du Galathée
Alors que l'entretien se concluait, M. Alloncle, Président du Groupe sénatorial France-Inde, a tenu à faire part au Ministre des affaires extérieures de son inquiétude et de son incompréhension à l'égard du sort des Français détenus à Cochin. M. I. K. Gujral a montré qu'il comprenait et partageait ces sentiments ; il s'est d'ailleurs dit très soucieux, à titre personnel, de la situation des détenus. Il a toutefois rappelé que l'affaire était désormais entièrement entre les mains du juge et que le pouvoir du Gouvernement de l'Union était dès lors très limité.
B. ENTRETIEN AVEC M. MULAYAM SINGH YADAV, MINISTRE DE LA DÉFENSE
L'entretien a porté essentiellement sur la conception indienne de la sécurité de son territoire et les relations indo-pakistanaises.
1. Conception de la sécurité de l'Inde
L'Inde, pour assurer sa sécurité, cherche à entretenir les
meilleures relations possibles avec tous ses voisins, a affirmé le
Ministre. Pour autant, elle doit, du fait de son histoire et de sa situation
particulière, assurer sa protection contre toute agression et toute
tentative de déstabilisation pilotée de l'extérieur.
M. Mulayam Singh Yadav a immédiatement ajouté que le Pakistan
était la principale menace pour l'Inde : il en voulait pour preuve les
incidents répétés le long de la frontière
indo-pakistanaise, dont le Pakistan, affirme-t-il, est totalement responsable.
Ce pays chercherait à infiltrer des groupes de militants destinés
à mener des actions terroristes, surtout au Cachemire, dans le but de
déstabiliser l'Inde. D'où l'existence d'une unité
spéciale, les Border Security Forces, chargée de prévenir
et de combattre de telles actions.
Le Ministre de la défense a alors fait part aux sénateurs de son
inquiétude liée aux relations particulières que la France
entretenait avec le Pakistan en matière de défense. Il a
demandé que la France mette fin à ses exportations d'armes vers
ce pays, car ces armes sont, à ses dires, utilisées en
priorité contre l'Inde : pour preuve, le fait que des terroristes
pakistanais aient été arrêtés par les forces
indiennes "en possession d'armes françaises".
2. La coopération franco-indienne dans le domaine de l'armement
M. Alloncle, Président du Groupe sénatorial France-Inde, a reconnu l'existence de ventes d'armes françaises au Pakistan, mais a également fait valoir que notre pays était prêt à développer une coopération avec l'Inde, non seulement dans le domaine de l'armement, mais aussi dans tous les secteurs industriels afin de participer au développement économique indien. Pour établir une telle coopération, il faudrait encore que la France connaisse avec précision les besoins de l'Inde, a-t-il ajouté. La réponse de M. Mulayam Singh Yadav a été catégorique : "l'Inde n'acceptera ni achats d'armements français, ni développement de la coopération dans le domaine de l'industrie de défense, tant que la France vendra des armes au Pakistan".
3. Le nucléaire
La délégation française a enfin interrogé le Ministre sur la poursuite du programme nucléaire indien, en dépit des traités internationaux se rapportant à cette matière : selon M. Mulayam Singh Yadav, l'Inde continue son programme nucléaire, mais "à des fins purement pacifiques".