C. UNE VIE POLITIQUE MARQUÉE PAR L'APPARTENANCE ETHNIQUE
L'échiquier politique bosnien ne répond pas au clivage politique traditionnel droite - gauche, observable dans la plupart des démocraties. Les principaux partis, à une ou deux exceptions près, se définissent avant tout par le lien qu'ils ont noué avec une communauté. Le SDA représente ainsi la communauté bosniaque, le HD et le HDZ 90 les croates, le SNSD et SDS les bosno-serbes. Le SBiH et le SDP répondent, quant à eux, à une logique multiethnique, militant ardemment pour la suppression des entités.
Le recul des partis nationalistes, observé lors des élections législatives de 2006, ne signifie pas pour autant une réelle perte d'influence. Le cas des bosno-serbes est à cet égard révélateur : le SDS s'est, en fait, vu concurrencer par le SNSD de Milorad Dodik, Premier ministre de Republika Sprska, toujours prompt à annoncer la sécession et l'accession à l'indépendance de son entité. Les élections municipales du 5 octobre 2008 sont venues confirmer la prégnance d'un vote identitaire, comme en témoigne le faible score du parti SBiH.
Configurée de la sorte, la scène politique bosnienne se caractérise par une forme de surenchère verbale constante, chaque parti, et donc chaque entité, renvoyant sur l'autre l'échec d'une réforme ou la paralysie des institutions. La recherche d'un consensus est, dans cette optique, quasi impossible à trouver. C'est sur la base du compromis que les rapprochements les plus significatifs ont pu être opérés ces dernières années, à l'image de la déclaration de Mostar d'octobre 2007. Celle-ci constitue un accord a minima sur la réforme de la police adopté en vue de permettre à la Bosnie-Herzégovine de signer un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne. L'urgence dicte de facto les alliances.
Le processus de Prud en est le dernier exemple en date. Ce compromis signé entre représentants du SDA, du SNSD et du HDZ le 5 novembre 2008 doit permettre d'avancer sur un certain nombre de dossiers considérés comme prioritaires et actuellement bloqués au nombre desquels la réforme du statut de la ville de Brèko, la question de la répartition des biens de l'État et l'organisation d'un recensement en 2011. Si cet accord demeure flou sur la question de la réforme constitutionnelle, il constitue néanmoins une réelle avancée dans un certain nombre de domaines et devrait ainsi favoriser l'allègement de la tutelle internationale.
Cet accord n'a pourtant pas été salué à sa juste valeur. Là encore, la surenchère nationaliste a pu jouer à plein, surtout du côté bosniaque. Le leader du SDA, Suleijman Tihic, martyr de la guerre, s'est vu reprocher à la fois par ses concurrents politiques (en premier lieu le SBiH de l'actuel membre bosniaque de la présidence collégiale Haris Silajdzic, ancien Premier ministre d'Aliocha Izetbégovic), par les médias mais aussi par sa propre base de céder aux demandes serbes et de renier ainsi son engagement. Sa réélection à la tête du SDA a même paru compromise. Un tel extrémisme avait pu être déjà observé lorsque le SBiH s'était opposé en avril 2006 à l'adoption d'amendements destinés à renforcer les institutions centrales, considérant qu'ils n'allaient pas assez loin.
M. Jack Ralite en compagnie de M Suleijman
Tihic,
président du SDA - Parti d'action (bosniaque)
Le succès de M. Tihic à l'occasion du congrès du SDA le 28 mai dernier souligne que l'option modérée peut être une solution et que le jusqu'au-boutisme trouve, enfin, ses limites. Elle incite à penser que la mémoire ne peut servir d'argument politique viable et durable et que le quotidien des bosniens et bien sûr, leur avenir peuvent revenir au centre des préoccupations des partis.