Groupe interparlementaire d'amitié
France - Balkans occidentaux
La Bosnie-Herzégovine quinze ans après Dayton : combler les retards d'avenir |
Compte rendu
du déplacement effectué par une délégation du groupe
en Bosnie-Herzégovine
du 14 au 17 avril 2009
La délégation était composée de :
M. Jack RALITE (Seine-Saint-Denis), président délégué pour la Bosnie-Herzégovine
M. François PILLET (Cher), président délégué pour le Monténégro
M. François FORTASSIN (Hautes-Pyrénées)
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N° GA 86 - Octobre 2009
LE GROUPE INTERPARLEMENTAIRE FRANCE-BALKANS OCCIDENTAUX
Répondant au souhait de leurs présidents de conférer une dimension régionale aux problématiques abordées isolément par les groupes interparlementaires France-Bosnie Herzégovine, France-République de Macédoine et France-Serbie et Monténégro, le Bureau du Sénat a autorisé le 19 décembre 2007 la fusion de ceux-ci au sein d'une nouvelle entité France - Balkans Occidentaux.
Sa composition est la suivante :
Président :
• M. Robert Badinter (Soc - Hauts-de-Seine)
Présidents délégués :
• Bosnie-Herzégovine : M. Jack Ralite (CRC-SPG - Seine-Saint-Denis)
• Kosovo : M. Didier Boulaud (Soc - Nièvre)
• République de Macédoine : M. François Rebsamen (Soc - Côte d'Or)
• Monténégro : M. François Pillet (app. UMP - Cher)
• Serbie : M. Jean-Pierre Michel (Soc - Haute-Saône)
Vice-Présidents :
• M. Bertrand Auban (Soc - Haute-Garonne)
• Mme Monique Papon (UMP - Loire Atlantique)
Secrétaire :
• M. François Fortassin (RDSE - Hautes-Pyrénées)
Trésorier :
• Jean-Claude Frécon (Soc - Loire)
Membres :
• Mme Michèle André (Soc - Puy-de-Dôme)
• M. Michel Billout (CRC-SPG - Seine-et-Marne)
• Mme Monique Cerisier-ben Guigua (Soc - Français établis hors de France)
• M. Bernard Fournier (UMP - Loire)
• M. Patrice Gélard (UMP - Seine-Maritime)
• M. Hubert Haenel (UMP - Haut-Rhin)
• Mme Virgine Klès (App. Soc - Ille-et-Vilaine)
• M. Serge Lagauche (Soc - Val-de-Marne)
• Mme Colette Mélot (UMP - Seine-et-Marne)
• M. Jean-Pierre Michel (Soc - Haute-Saône)
• M. Jacques Müller (Ratt. Soc - Haut-Rhin)
• M. Ivan Renar (CRC-SPG - Nord)
Le déplacement d'une délégation du groupe en Bosnie-Herzégovine constitue sa première mission à l'extérieur.
INTRODUCTION
« Nous avons tous un héritage que nous devons défendre, mais dans un même mouvement nous devons nous en défendre. Autrement nous aurions des retards d'avenir, nous serions inaccomplis. »
Predrag Matvejevic
« L'inaccompli bourdonne d'essentiel »
René Char
La visite d'un groupe interparlementaire en Bosnie-Herzégovine constituait une première depuis l'accession de ce pays à l'indépendance. Près de quinze ans après la signature des accords de Dayton qui ont mis fin à un conflit sanglant de quatre ans et à l'heure où la présence militaire française tend à toucher à sa fin, ce déplacement avait valeur de soutien aux autorités politiques bosniennes engagées dans un long travail de réformes dans la perspective d'une adhésion à l'Union européenne. Cette mission souhaitait également saluer les efforts de nombreux acteurs tant politiques qu'issus de la société civile en faveur de l'émergence d'un véritable État bosnien, dépassant les logiques communautaristes qui divisent encore le pays.
La Bosnie-Herzégovine n'a, en effet, pas encore tourné la page de la guerre civile qui l'a tant meurtrie. Le conflit, expression de logiques nationales et religieuses, oppose désormais les mémoires. Celles-ci s'affrontent et semblent empêcher toute réflexion sur un avenir commun. Le système mis en place par les accords de Dayton tend à exacerber ces clivages en multipliant les instances décentralisées, censées garantir le respect de la diversité et une forme d'égalité entre les peuples constitutifs de la Bosnie-Herzégovine. L'égalité n'est pourtant en aucun cas la garantie de la nécessaire équité entre les populations.
Pis, le système mis en place tend à favoriser les regroupements de populations sur des critères ethniques, annihilant les possibilités de retour à la situation d'avant-guerre, quand ces communautés coexistaient de façon pacifique. Prime est dès lors donnée à ces majorités de fait, les minorités étant contraintes à la marginalité voire à l'exil. Le reflexe identitaire ne peut sortir que renforcer d'une telle situation
Le constat semble sévère. Il l'est surtout à l'endroit des promoteurs des accords de Dayton, indispensables pour mettre fin à la guerre mais terriblement inadaptés à la paix. Ceux-ci ont débouché sur une situation quasi absurde au regard du nombre d'instances gouvernementales (14 gouvernements, 180 ministres pour moins de 4 millions d'habitants). Ils n'ont pas permis l'émergence d'un véritable État bosnien, apte à s'affranchir d'une tutelle internationale de plus en plus pesante pour la population au fur et à mesure des années. Ils ont cristallisé les positions de l'immédiat après-guerre et par delà, figé les mentalités.
Les autorités politiques bosniennes rencontrées au cours de cette mission partagent toutes l'ambition de réformer au plus vite la constitution actuelle en vue d'intégrer à moyen terme l'Union européenne. La nuance est néanmoins de taille quand il s'agit pour elles de détailler les mesures qu'elles entendent adopter : à la poursuite accrue de la décentralisation préconisée par les bosno-serbes en Republika Sprska répond la volonté de fusionner les entités poursuivie par les bosniaques et les bosno-croates.
Les contacts noués avec la société civile lors de ce déplacement ne sont pas non plus sans susciter quelque inquiétude. Celle-ci semble traversée par deux mouvements, l'un confinant au repli identitaire et l'autre empreint d'une certaine résignation. La défiance à l'égard du politique est, à cet égard, manifeste au sein des jeunes générations qui ne conçoivent leur propre avenir qu'à l'extérieur du pays.
La mission première d'un groupe interparlementaire d'amitié est de nouer des liens durables avec un pays. La crainte que ce pays n'ait in fine aucun avenir et soit maintenu sous assistance respiratoire internationale a présidé à la rédaction de ce rapport. Le groupe interparlementaire a en effet constaté un certain nombre de « retards d'avenir » à l'occasion de son déplacement auxquels il est nécessaire de répondre rapidement.
Face à la paralysie politique et à la résignation d'une partie de la société bosnienne, il convient cependant de noter quelques signes d'espoir, notamment au sein du monde culturel enclin à conférer à la Bosnie-Herzégovine une nouvelle image, moderne et européenne, dépassant les crispations identitaires. Le groupe interparlementaire tient à apporter tout son soutien à de telles avant-gardes, tant elles semblent aller dans le bon sens.
La délégation du groupe interparlementaire conduite par M. Jack Ralite (Seine-Saint-Denis - CRC-SPG), président délégué Bosnie-Herzégovine et composée de MM. François Fortassin (Hautes-Pyrénées - RDSE), secrétaire du groupe et François Pillet (Cher - app. UMP), président délégué Monténégro, tiennent à exprimer leur sincère reconnaissance à Son Excellence Mme Maryse Berniau, Ambassadeur de France en Bosnie-Herzégovine, ainsi qu'à MM. Thomas Wauquier, chef du bureau de Banja Luka, Jean-Christophe Thiabaud, premier conseiller, Lazare Paupert, conseiller de coopération culturelle et d'action culturelle et leurs collaborateurs pour la qualité de leur accueil et l'organisation du déplacement, dont l'architecture a répondu aux motivations du groupe.
I. A LA RECHERCHE DE L'ETAT INTROUVABLE
« L'avenir à chaque instant presse le présent d'être un souvenir »
Louis Aragon
A. LE CASSE TÊTE INSTITUTIONNEL
Les accords de Dayton signés en décembre 1995 figent au plan constitutionnel les positions acquises par les belligérants, serbe, bosniaque et croate, lors de la guerre civile. La Loi fondamentale qui en découle est assez singulière : rédigée en anglais, elle n'a fait l'objet d'aucune consultation des populations concernées et se présente sous la forme d'une annexe à un traité de paix.
La Constitution légitime l'existence des deux entités serbe et bosno-croate. Depuis 1992, les bosno-serbes, réunis au sein de la Republika Sprska, se sont déclarés indépendants et ont promulgué à cet effet une Constitution fondée sur le concept d'État unitaire. La Fédération de Bosnie-Herzégovine rassemble, quant à elle, bosniaques et croates depuis mars 1994. Cette fédération, largement décentralisée, se compose de dix cantons - cinq bosniaques, trois croates et deux mixtes - dotés chacun d'un gouvernement. Le pouvoir législatif est exercé par deux chambres dont l'une, la Chambre des peuples est élue au suffrage universel indirect et composée d'un nombre égal de représentants bosniaques et croates. Les décisions touchant aux « intérêts vitaux » de l'un des deux peuples constituants y sont adoptées à la majorité des deux composantes.
Les accords de Dayton placent au dessus de ces deux entités un État central. Le pouvoir exécutif est confié à une présidence collégiale tournante, composée de trois membres issus de chacun des peuples constitutifs. Un conseil des ministres lui est adjoint. Le régime est, par ailleurs, bicaméral. Il reprend la structure observée au sein de la fédération de Bosnie-Herzégovine. Les 42 membres de la Chambre des représentants sont élus au suffrage universel par chacune des deux entités, 28 représentants par la Fédération croato-musulmane et 14 représentants par la Republika Sprska. La seconde chambre, la Chambre des peuples, comprend 15 membres nommés par les Assemblées de chaque entité : deux tiers par la Fédération (cinq Bosniaques, cinq Croates) et un tiers par la Republika Sprska (cinq Serbes). Les représentants des « peuples constitutifs » peuvent y exercer leur droit de veto si leurs « intérêts vitaux » sont menacés.
L'État central est doté de pouvoirs circonscrits à des domaines bien définis : politique étrangère, commerce extérieur, politique douanière, politique monétaire, financement des institutions, politique de l'immigration (réfugiés et droit d'asile), droit international et pénal entre les entités, transports. Les compétences de l'État central ont, cependant, dépassé le cadre initial. D'une part, l'interprétation d'une disposition constitutionnelle lui reconnaissant le droit d'intervenir afin de préserver la souveraineté, l'intégrité territoriale, l'indépendance politique et la personnalité internationale de la Bosnie-Herzégovine a permis à l'État central de créer de nouveaux départements ministériels dans les domaines de la justice et de la défense notamment. D'autre part, le transfert de la gestion des impôts indirects des entités vers l'État central lui ont permis de se doter de compétences financières.
Ce mouvement vertueux doit cependant être relativisé : l'intérieur, la santé, l'agriculture, la politique sociale, l'urbanisme, les sciences et l'éducation, l'énergie, le sport et la culture relèvent de la compétence exclusive des entités. Dans d'autres domaines, à l'instar de la justice, le partage de compétence peut déboucher sur une situation ubuesque où l'État central, les entités et les dix cantons disposent chacun d'un ministère en la matière. Un tel système favorise tant la dispersion des pouvoirs que l'impossibilité d'aboutir à un consensus sur les réformes à mettre en oeuvre.
La ville de Brèko au nord du pays, dont le territoire est divisé entre la Republika Sprska et la Fédération de Bosnie-Herzégovine, bénéficie, quant à elle, d'un statut particulier depuis 1999. Érigée en district, elle est directement placée sous l'autorité de l'État central. Cette ville revêt une importance stratégique pour les bosno-serbes qui y étaient avant-guerre minoritaires : elle permet en effet de relier la partie orientale de la Republika Sprska à sa partie occidentale.