B. LA « LIBÉRATION PACIFIQUE »
Les autorités chinoises, aujourd'hui encore, n'admettent pas que les velléités d'indépendance des Tibétains aient pu être spontanées. Pour elles, la volonté d'indépendance tibétaine n'a pu être le résultat que d'un complot impérialiste ourdi par les Occidentaux. Selon l'ouvrage officiel d'information intitulé « Cent questions sur le Tibet » (dont des extraits se trouvent cités en annexe II), les impérialistes britanniques « recrutèrent des sécessionnistes pro-impérialistes parmi les hauts dirigeants du Tibet en vue de le séparer de la patrie et de la transformer en une région coloniale qu'ils contrôleraient ».
De même, le Livre blanc sur l'autonomie régionale ethnique au Tibet affirme qu'« à partir de la Guerre de l'Opium en 1840, la Chine a été réduite à une société semi-coloniale et semi-féodale. Le Tibet, comme toutes les autres régions chinoises, a subi l'invasion des puissances impérialistes. Celles-ci ont accaparé divers privilèges grâce à des traités inégaux, exercé au Tibet un contrôle et une exploitation colonialistes et, en même temps, elles ont formé des forces séparatistes parmi une poignée de dominateurs des classes supérieures du Tibet et tenté de séparer le Tibet de la Chine ».
Pourtant, les colonisateurs britanniques n'ont jamais cherché à contrôler le Tibet, alors qu'ils l'auraient pu relativement aisément depuis leurs possessions indiennes. Certes, Londres obtint de Pékin en 1894 l'ouverture d'un comptoir commercial au Tibet puis, se heurtant au refus tibétain d'appliquer cet accord, lança en 1904 une expédition militaire qui arriva jusqu'à Lhassa. Le Dalaï-Lama trouva alors refuge en Mongolie. Mais les Britanniques ne poussèrent pas leur avantage et, en échange de droits commerciaux élargis, reconnurent par le traité de Pékin signé en 1906 la suzeraineté de la Chine sur le Tibet. Par la suite, le Tibet devenu indépendant se tourna vers eux, puis vers l'Inde à son tour indépendante, pour trouver un appui extérieur, notamment pour équiper ses modestes forces armées.
L'autre grande puissance coloniale présente en Asie centrale était la Russie. Mais le Tibet est resté en dehors de sa zone d'influence, à la différence de la Mongolie. Cette dernière a proclamé, elle aussi, son indépendance à la chute de la dynastie mandchoue en 1911. En réponse, les Chinois l'occupèrent militairement dès 1919. Mais, à partir de 1921, l'Armée rouge exporte la révolution bolchevique en Mongolie. La République populaire de Mongolie est proclamée en novembre 1924, pour devenir le premier « Etat satellite » de l'URSS. Ainsi, c'est la protection russe qui a garanti l'indépendance de la Mongolie jusqu'à nos jours. Rien de tel pour le malheureux Tibet.
Dès la fondation en 1949 de la République populaire de Chine par les communistes victorieux des nationalistes, le nouveau régime se donna pour objectif de « libérer » le Tibet d'une « présence impérialiste » alléguée, mais qui relevait de la pure rhétorique. Les seuls étrangers présents à Lhassa étaient alors les représentants diplomatiques des nations amies, comme le Népal, l'Inde et le Royaume-Uni. La réelle motivation de Pékin était, bien sûr, de mettre un terme à l'indépendance dont le Tibet jouissait depuis 1912.
Le 7 octobre 1950, 40 000 hommes de l'Armée populaire de libération (APL) franchirent le Yangtsé pour submerger les 8 500 hommes des forces armées tibétaines. Le combat était dramatiquement inégal, mais la progression des troupes chinoises demeurait lente en raison des formidables obstacles naturels opposés par les montagnes du Tibet. Le 9 septembre 1951, plusieurs milliers de soldats communistes entrèrent dans Lhassa. Quelques 90 000 hommes de l'APL se répandirent alors sur le plateau tibétain pour en occuper les points stratégiques.
Ainsi, si les mots ont un sens, la « libération pacifique » du Tibet a été purement et simplement une « invasion armée ».