7. Les défis du gouvernement d'Evo MORALES
Après une année au pouvoir, le gouvernement d'Evo MORALES doit relever un double défi : d'une part, retrouver la confiance des investisseurs, à commencer par ceux du secteur des hydrocarbures, en stabilisant l'environnement légal ; d'autre part, répondre aux attentes de la population, en particulier la plus pauvre, dans un contexte économique favorable.
En matière économique, l'atonie des investissements, y compris dans le secteur public, est sans doute le point le plus préoccupant.
Selon un rapport de la Banque mondiale, le niveau d'investissement privé est passé de 18 % du PIB en 1998 à 7,1 % du PIB en 2005 et les investissements directs étrangers, essentiellement liés au secteur minier, ont chuté de 4 milliards USD entre 1996 et 2004 à 280 millions USD en 2005 et à 150 millions USD en 2006.
Ce net recul tient à un environnement légal instable et peu satisfaisant, renforcé par la volonté, souvent exprimée par le gouvernement d'Evo MORALES, de conférer à l'État un rôle sensiblement accru dans la conduite de l'économie (l'État contrôle 18 % de l'économie contre 7 % il y a un an. L'objectif est de parvenir à 25 % en 2007).
Les dirigeants boliviens les plus pragmatiques sont néanmoins conscients de l'importance de la contribution des entreprises privées pour mener à bien le Plan national de développement. Ils sont ainsi partisans de rassurer les investisseurs privés étrangers -surtout dans le secteur des hydrocarbures et des mines- en cherchant à définir avec eux des formules de partenariat mutuellement avantageuses et de nature à leur apporter la stabilité juridique qu'ils réclament afin de reprendre leurs efforts d'investissement.
Pour répondre aux attentes fortes de la population, les autorités boliviennes bénéficient d'un environnement macro-économique très favorable en 2006-2007:
- une croissance autour de 5 % du PIB avec une inflation inférieure à 4 % et un chômage officiel en deçà de 8 % de la population active ;
- un double excédent des finances publiques et de la balance des paiements courants proches de 6 % du PIB ;
- une monnaie stable (le boliviano a connu une appréciation de 0,4 % en 2006) ;
- une réduction sensible de la dette publique autour de 30 % du fait de l'annulation de la dette, en particulier par la Banque mondiale et le FMI pour un montant d'1,7 milliard USD ;
- un doublement des réserves de la Banque centrale atteignant plus de 3 milliards USD, soit 12 mois d'importations.
Pour autant, les disparités sociales demeurent très fortes avec 62 % de pauvres et 39 % de très pauvres, en particulier dans les zones rurales (80 % de pauvres, essentiellement indigènes qui représentent 70 % de la population). Ainsi, à titre d'exemple, la couverture en eau atteint 93 % des plus riches mais seulement 38 % des plus pauvres, celle de l'électricité 97 % des plus riches et 37 % des plus pauvres.
De plus, elles recoupent des disparités régionales, entre les populations des plaines orientales, riches en ressources énergétiques et agricoles, intégrées dans l'économie mondiale, et celles de l'altiplano occidental, indigènes et affectées par la fermeture des mines, où se concentre la pauvreté.
Par ailleurs, si les chiffres s'améliorent au niveau du chômage dans les villes (7,6 % en 2006 au lieu de 8,4 % en 2005), ils ne recouvrent que très partiellement une économie où l'emploi informel touche près de 70 % de la population au lieu de quelque 40 % en moyenne en Amérique latine et où le sous-emploi touche entre 40 et 50 % de la population.
Dans ce contexte, l'émigration (1 million de Boliviens sur une population de 9,16 millions et une population active de 4,2 millions en 2006) contribue à limiter l'implosion sociale, grâce à 400 millions USD de transferts en 2006 (soit 3,8 % du PIB). Selon l'ONU, 270.000 personnes en 2005 et 120.000 personnes en 2006 ont émigré, essentiellement vers l'Espagne, avec un flux de 1.500 personnes par mois.
Le thème de l'emploi et de l'amélioration des conditions de vie est donc une priorité pour le gouvernement d'Evo MORALES, faute de quoi les mouvements sociaux qui avaient désorganisé le pays entre 2003 et 2005 reprendront.
Le maintien de la cohésion nationale est un autre motif d'inquiétude. Le glissement progressif du centre de gravité du pays de l'Ouest andin, siège traditionnel du pouvoir politique, vers l'Est (département de Santa Cruz) et le Sud (département de Tarija), moins peuplés mais plus prospères (on y trouve 80 % des ressources en hydrocarbures) alimentent des revendications régionalistes de plus en plus exigeantes. Ce n'est donc pas un simple effet du hasard si les régions orientales et méridionales ont largement voté oui au référendum du 2 juillet 2006 sur l'autonomie régionale (71,6 % des suffrages à Santa Cruz et 60,8 % à Tarija).
Les quatre régions de l'Oriente bolivien tentent d'ailleurs de profiter de la dynamique de l'opposition au gouvernement Morales pour faire avancer la revendication autonomiste .
Les préfets et les présidents des comités civiques du Pando, du Beni, de Santa Cruz et de Tarija ont ainsi décidé de convoquer des « conseils publics » (cabildos) chargés de s'exprimer sur la question de l'autonomie. Ces réunions ont débouché sur la formation d'une « junte autonomique démocratique de Bolivie » dont l'une des attributions sera d'être l'interlocutrice des Constituants de Sucre lors du débat sur les autonomies.
Face à ce mouvement de protestation et de défi, le gouvernement a demandé à de nombreuses organisations paysannes de ces régions de s'organiser elles aussi en conseils pour apporter un contrepoids à la mobilisation de l'opposition.
Pour autant les responsables des quatre régions tentent de contenir le mouvement qu'ils ont lancé. Les préfets de Santa Cruz et de Tarija ont ainsi clairement indiqué qu'ils souhaitaient certes une large autonomie mais pas une mise en cause de l'unité nationale. Ils jouent, de la sorte, une partie périlleuse en mobilisant des populations très échauffées pour faire pression contre le gouvernement, tout en affirmant ne pas vouloir aller trop loin.
L'absence de représentant notable de Santa Cruz dans le Gouvernement, lors du remaniement du 23 janvier 2007, pourrait cependant contribuer à la radicalisation de l'Oriente et à division du pays.
Si Cochabamba, la troisième ville du pays devait basculer dans le groupe des autonomistes, ce ne seraient alors plus quatre mais cinq des neuf régions du pays qui s'opposeraient au gouvernement. Or, ni le Gouvernement ni le MAS ne sont prêts à ce renversement des rapports de force.
Car si la revendication autonomiste exprime de solides antagonismes régionaux, elle est aussi un combat politique.
L'opposition voit dans la mise en place des autonomies sa seule garantie de survie. De son côté, le MAS continue de favoriser les mouvements sociaux (et de les instrumentaliser) au détriment de la recherche d'un consensus national, alors que beaucoup de Boliviens craignent l'extension de la violence à d'autres zones.
La reprise de la présidence du Sénat par la droite, le 24 janvier 2007, à l'occasion de l'élection annuelle du Président, confirme le renforcement progressif de l'opposition. Les trois partis de l'opposition -Podemos, Un, Mnr- se sont en effet unis pour nommer le sénateur José VILLAVICENCIO (Un) en remplacement de Santos RAMIREZ, homme clé du MAS.
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En définitive, les insuffisances et les échecs du gouvernement d'Evo MORALES sont à mettre au compte de l'inexpérience des dirigeants, dont aucun n'a exercé de responsabilité avant le 22 janvier 2006, de la persistance d'une culture d'opposition, de la difficulté à s'éloigner de ses appartenances initiales pour s'élever au niveau de responsabilité qui exige d'unir tous les Boliviens, sans privilégier des groupes sociaux et ethniques (paysans pauvres de l'altiplano, indiens essentiellement aymaras, cultivateurs de coca, mineurs des coopératives, instituteurs ruraux...) et sans exclure certaines forces vives de la Nation (entrepreneurs, classes moyennes urbaines, éleveurs et producteurs de soja de l'Oriente).
En bref, le Gouvernement bolivien saura-t-il, comme il l'a fait jusqu'à présent, résister à des influences extérieures et concilier ses élans révolutionnaires parfois dogmatiques avec le respect du pluralisme politique et du fonctionnement des institutions démocratiques ?
Tel est, en effet, le grand défi des prochaines années, qui conditionne le succès de l'expérience révolutionnaire d'Evo MORALES : unir sans exclusive le plus grand nombre possible de Boliviens en les mobilisant dans le dessein indispensable de changer la Bolivie en profondeur, sans quitter la voie de la démocratie et du dialogue.
« Nous sommes là pour changer l'Histoire », proclamait Evo MORALES le jour de son investiture. Oui, mais l'Histoire ne s'écrit pas à coups de slogans. Et le changement, pour réussir, requiert un consensus politique minimal.
Ancien ministre des Affaires indigènes, le sociologue Ricardo CALLA s'alarme : « A son arrivée au pouvoir, Evo MORALES avait des adversaires. Aujourd'hui, il n'a plus que des ennemis. S'il continue, ce pays pourrait se trouver en situation de guerre civile ».