Annexe 2 - La coca en Bolivie
L'élection d'Evo MORALES à la présidence de la République bolivienne, le 18 décembre, a replacé la question de la coca au centre de la scène. Formé politiquement dans le Chapare, zone de culture illégale, dans les années 1980, Evo MORALES s'est fait connaître au public par sa défense des cultivateurs de coca. Aujourd'hui, le réduire à l'image de "l'indien cocalero" (ou de "narco-terroriste" selon certains à Washington) serait méconnaître la complexité de la réalité bolivienne.
1. La culture de la feuille de coca
La loi de 1988 autorise la Bolivie à cultiver 12.000 hectares de coca, dans la zone dite des Yungas, non loin de La Paz.
La légende raconte que les Aymaras de Tiwanaku, fuyant l'avancée de l'empire inca, franchirent les Andes et se réfugièrent dans les Yungas où ils subsistèrent grâce à la mastication de la feuille. La consommation de la feuille fut favorisée par les Espagnols qui y trouvèrent un solide allié pour le travail exténuant des Indiens dans les mines, à plus de 4000 m d'altitude.
Dans les années 1980, fuyant la fermeture des mines et la misère de l'altiplano, les Aymaras émigrèrent au Chapare pour y développer la coca, d'une culture aisée. Cette production, presque intégralement destinée au narcotrafic, fit les beaux jours de la Bolivie. Une importante campagne d'éradication fut lancée à la fin des années 1990, suscitant de nombreux conflits. Elle fit aussi passer le prix de 1 à 5 USD le kilogramme.
2. Les cultures
La Bolivie a cultivé 27 700 h de coca en 2004. Cette production représente 17 % des cultures andines (et mondiales), le Pérou ayant cultivé 50.300 h et la Colombie 80.000 h. En 1995, la Bolivie cultivait 48.000 h et représentait 30 % des cultures.
La production se répartit comme suit : Yungas : 17.300 h ; Chapare 10.100 h (plus 300 h dispersés au nord de La Paz). L'augmentation est forte au Chapare (+38 %), modérée dans les Yungas (+7 %), qui représentent 62 % du total des plantations. Elle s'explique par le gel de l'éradication décidé en 2004 par le président Carlos MESA pour apaiser les conflits sociaux, en permettant à chaque famille de cultiver un "cato de coca" (40 m sur 40 m).
3. Les rendements
Les rendements sont difficiles à déterminer. Ils varient selon la région et l'usure des sols, accélérée par la plante. Le rendement moyen serait de 2,764 kg/h/an dans le Chapare, 1,798 kg/h/an dans les zones « non traditionnelles » des Yungas (coca illégale) et de 936 g/h/an dans les zones traditionnelles des Yungas (coca légale).
Il faut 370 kg de feuilles du Chapare et 315 kg des Yungas pour produire un kilo de cocaïne. Si l'on estime que toute la "coca illégale" est destinée au narcotrafic, celui-ci peut s'approvisionner de 38 000 tonnes de feuilles séchées, dont 28.000 proviennent du Chapare. La production légale représente un peu plus de 11.000 tonnes. Le potentiel de production de la cocaïne bolivienne serait donc estimé à 107 tonnes en 2004 contre 79 tonnes en 2003.
4. Les prix
Le commerce de la coca est réglementé par la Digeco, qui contrôle les quantités, les prix et les routes, et délivre les autorisations de commercialisation. Chaque commerçant est autorisé à vendre 500 livres de feuille de coca séchée par mois. Le prix moyen sur le territoire était en 2004 de 4,4 USD le kilogramme. La vente de coca sur le marché officiel représentait 52 MUSD.
Au marché noir de la coca, dans le Chapare, le prix moyen en 2004 était estimé à 5,2 USD le kilogramme. En 1990, le kilogramme se vendait à 0,9 USD, à 1,5 USD en 1997, à 4,4 en 1998 et à 5,7, prix le plus élevé, en 2000.
La valeur totale de la production de coca en 2004 était estimée à 240 MUSD, soit 3 % du PIB bolivien. La coca conserve donc un poids réel dans l'économie bolivienne.
Le prix moyen du kilo de pâte base de cocaïne est de 1200 USD, et celui du kilo de cocaïne 1800 USD, en moyenne deux fois plus élevés qu'au Pérou, raison pour laquelle on note une contrebande de feuilles de coca du Pérou vers la Bolivie (27 tonnes de feuilles saisies en 2004).
5. La lutte contre le narco-trafic
La proposition d'Evo MORALES de dépénaliser la feuille de coca s'est appuyée sur le rejet de la cocaïne, perçue comme une perversion occidentale ("la coca fait partie de notre culture", "coca no es cocaina") et a été accompagnée d'un engagement à renforcer la lutte contre le narcotrafic. Pour ce faire, les autorités boliviennes devront également chercher à contrôler la circulation des précurseurs chimiques et s'attaquer aux complicités dont disposent les trafiquants à haut niveau.
Ainsi trois problématiques s'entrecroisent : celle de la coca est culturelle. Celle des cocaleros est sociale : l'indice de développement humain des zones cocaleras est de 0,54 (Bolivie : 0,681, 114 ème rang mondial). Celle de la cocaïne est criminelle et dépasse les frontières de la Bolivie.
Au total, le gouvernement bolivien souhaite à la fois renforcer la lutte anti-drogue et développer la production légale de la coca comme son industrialisation. Il entend, en outre, mener -une campagne internationale pour la dépénalisation de la coca.
Dans ce contexte difficile, l'action européenne semble positive dans le domaine du développement alternatif. Elle pourrait être utilement complétée par des projets associant les autorités publiques, notamment dans la lutte anti-corruption.
Selon les derniers rapports de la direction chargée de la lutte contre le narco-trafic au ministère de l'interieur bolivien (FELCN), le nombre des opérations anti-drogue aurait augmenté, passant de 6831 en 2005 à 9118 en 2006. Les agents de la FELCN auraient saisi 139,4 tonnes de substances narcotiques en 2006 dont 125,3 tonnes de marijuana et 14 tonnes de cocaïne. Ils auraient détruit 4066 petits laboratoires et 6261 puits de macération. Concernant la culture illégale de coca, près de 3 millions de livres de feuilles de coca auraient été saisis en 2006, contre moins de 2 millions en 2005. En outre, 4502 personnes auraient été apprehendées.
Pour autant, parallèlement à ce renforcement de la lutte contre le narco-trafic, le gouvernement bolivien revendique l'usage de la feuille de coca et de ses produits dérivés et a annoncé une extension des surfaces destinées à la culture légale de la coca.
Pour les autorités boliviennes, et en premier lieu pour le président MORALES toujours président du syndicat des cocaleros, l'éradication de la coca est inadmissible. Elles défendent non seulement l'usage traditionnel de la feuille de coca (médicinal et religieux) mais également le projet d'industrialiser la coca pour en tirer des produits dérivés (thé, farine, bio-médicaments, engrais, etc). Une première usine d'industrialisation de la feuille de coca, financée en partie par le Venezuela, vient d'ailleurs d'être inaugurée en bolivie.
C'est sur cette base que le gouvernement bolivien entend mener, dès 2007, une campagne internationale visant à obtenir la dépénalisation de la feuille de coca et son retrait de la liste des substances narcotiques de la convention sur les stupéfiants de 1961.
Dans le même esprit, le président MORALES a annoncé, le 18 décembre 2006, l'augmentation de la superficie des terres destinées à la culture légale de la coca. Jusqu'à présent, aux termes de la loi du 19 juillet 1988, les terres consacrées légalement à la coca étaient limitées à 12.000 hectares. Selon l'annonce faite par le président MORALES, ce chiffre devrait passer à 20.000 hectares prochainement. Si ce projet a été favorablement reçu par les bases paysannes et cocaleras du MAS, il demeure assez flou : quelles terres seront concernées ? Quels seront les débouchés de cette production additionnelle de coca légale ? Comment éviter une dérive vers plus de cocaïne ?
Ce sont précisement ces risques de dérive qui inquiètent les États-unis. Selon l'ambassadeur américain en Bolivie, l'augmentation des surfaces cultivées conduira nécessairement au développement du trafic de drogue. Les autorités américaines ont déja mis en garde à plusieurs reprises les autorités boliviennes contre ce risque. Elles n'hésitent pas à indiquer que ce sont en réalité 24 000 hectares qui sont cultivés soit le double des surfaces légalement autorisées.
Les mesures prises par le gouvernement bolivien interviennent par ailleurs, dans une période marquée par un désengagement progressif des États-unis dans le domaine de la lutte anti-drogue en Bolivie. Il s'agit d'une décision ancienne fondée sur des motifs budgétaires, qui s'applique également aux autres pays producteurs d'Amérique du Sud. L'aide américaine est, en effet, en baisse constante. Elle est passée, en Bolivie, d'un niveau record de 123 MUSD en 2001 à 45 MUSD en 2006 et devrait se situer à 33,8 MUSD en 2007.
Dans ce contexte, l'Union européenne a travaillé essentiellement sur le développement alternatif et paraît avoir obtenu des résultats positifs.
Parmi les quatre priorités de Lisbonne, le développement alternatif constitue, de fait, l'action la plus efficace pour la Bolivie, pays le plus pauvre d'Amérique du Sud.
Mis en place dans la principale région de production de coca, ce programme a couté 24,6 millions d'euros dont 19 millions financés par l'UE et 5,6 par le gouvernement bolivien. Il a bénéficié à environ 35.000 familles.
Ses principales composantes étaient :
- l'assainissement et l'attribution de terres : 715 titres de propriétés ont pu être distribués, pour une surface d'environ 10.000 hectares,
- le renforcement des communes : des actions ont été menées dans le domaine de l'éducation (ouverture de deux collèges) et dans celui de l'administration (matériels informatiques et formation à destination des municipalites),
- l'appui financier à la production alternative par la création de fonds de crédit et d'investissement,
- le développement des ressources naturelles,
- l'écotourisme avec la mise en oeuvre de centres touristiques et d'activités de formation.
L'appui au développement économique durable des régions minières d'Oruro et de Potosi est également lancé depuis 2004.
Prévu pour 6 ans et doté d'un budget de 11 millions d'euros, ce projet vise à réduire les migrations des mineurs pauvres vers les zones de production de coca. Pour développer l'économie locale, il s'appuie sur des formations aux techniques de l'entreprise dans le domaine minier, propose des formations visant à la création d'emplois non liés à la mine et met en place des accords de développement local avec les communes.
Cette coopération européenne devrait s'accompagner d'une action en direction des institutions publiques. Au-delà des actions menées avec les municipalités, il pourrait être utile de travailler au renforcement de l'état de droit, au niveau des administrations intervenant dans la lutte anti-drogue, soit police, justice et douanes. De même, l'UE pourrait s'associer à la constitution d'une fonction publique professionnelle. Le domaine de la lutte anti-corruption parait en effet particulièrement intéressant dans la mesure où le président MORALES a clairement exprimé, et à plusieurs reprises, la priorité qu'il accordait à ce domaine.
Plus spécifiquement des actions de formation en direction des personnels chargés du contrôle aéroportuaire et en direction des services de police chargés de la lutte anti-drogue pourraient être utilement prévues, particulièrement au moment où les États-Unis paraissent se désengager en Bolivie.