Tibet : un peuple en danger
Groupe d'information sur le Tibet
Table des matières
- COMPOSITION DU GROUPE D'INFORMATION
- CARTE DU TIBET
- INTRODUCTION
- CONCLUSION
- ANNEXE I : RÉSOLUTION DU PARLEMENT EUROPEEN DU 6 JUILLET 2000
-
ANNEXE II : DISCOURS DU DALAÏ LAMA DEVANT LE
PARLEMENT EUROPÉEN
LE 24 OCTOBRE 2001 - ANNEXE III : RÉSOLUTION DE LA CONFÉRENCE PARLEMENTAIRE SUR LE TIBET DES 14 ET 15 NOVEMBRE 2002
-
ANNEXE IV : AUDITIONS DU GROUPE D'INFORMATION
-
Audition de Sa Sainteté le Dalaï
Lama
Mardi 26 septembre 2000 -
Audition du professeur Samdhong
Rinpoche
Président du Parlement tibétain en exil
Mardi 17 octobre 2000 -
Audition de M. Tashi Phuntsok,
Représentant de Sa Sainteté le Dalaï Lama
Mardi 5 février 2002 -
Audition de M. Matthieu Ricard
Mardi 8 octobre 2002
-
Audition de M. Tashi Phuntsok
Représentant de Sa Sainteté le Dalaï Lama
Mardi 21 janvier 2003 -
Audition commune par le groupe d'études de
l'Assemblée nationale et le groupe d'information du Sénat de M.
Takna Jigmé Sangpo
Mardi 25 mars 2003
-
Audition de Sa Sainteté le Dalaï
Lama
COMPOSITION DU GROUPE D'INFORMATION
Président
d'honneur :
M. Claude HURIET, Sénateur honoraire, Membre honoraire du Parlement
Président
:
M. Louis de BROISSIA, Sénateur de la Côte d'or
Vice-Présidents
:
M. Alain VASSELLE, Sénateur de l'Oise
M. Jean-Louis LORRAIN, Sénateur du Haut-Rhin
M. Jean-François HUMBERT, Sénateur du Doubs
M. Bernard JOLY, Sénateur de Haute-Saône
M. Pierre-Yvon TREMEL, Sénateur des Côtes-d'Armor
M. Hubert DURAND-CHASTEL, Sénateur, Représentant des
Français établis hors de France
Secrétaires :
M. Philippe NOGRIX, Sénateur d'Ille-et-Vilaine
M. Jean-Pierre PLANCADE, Sénateur de Haute-Garonne
Membres :
Mme
Michèle ANDRÉ, Sénateur du Puy de Dôme
M. José BALARELLO, Sénateur des Alpes-maritimes
M. Bernard BARRAUD, Sénateur de l'Allier
M. Maurice BLIN, Sénateur des Ardennes
M. Jean-Guy BRANGER, Sénateur de Charente-Maritime
Mme Yolande BOYER, Sénateur du Finistère
M. Dominique BRAYE, Sénateur des Yvelines
M. Gilbert CHABROUX, Sénateur du Rhône
M. Yvon COLLIN, Sénateur du Tarn-et-Garonne
M. Yves DAUGE, Sénateur d'Indre-et-Loire
M. Paul DUBRULE, Sénateur de Seine-et-Marne
M. Daniel ECKENSPIELLER, Sénateur du Haut-Rhin
M. Jean FAURE, Sénateur de l'Isère
M. André FERRAND, Sénateur des Français
établis hors de France
M. Georges GRUILLOT, Sénateur du Doubs
M. Charles GUENE, Sénateur de Haute-Marne
M. Lucien LANIER, Sénateur du Val-de-Marne
M. Jacques LEGENDRE, Sénateur du Nord
M. Serge LEPELTIER, Sénateur du Cher
Mme Valérie LETARD, Sénateur du Nord
M. Philippe MADRELLE, Sénateur de Gironde
M. Louis MOINARD, Sénateur de Vendée
M. Georges MOULY, Sénateur de Corrèze
M. Jacques OUDIN, Sénateur de Vendée
M. Jean-Marc PASTOR, Sénateur du Tarn-et-Garonne
M. Jacques PELLETIER, Sénateur de l'Aisne
M. Jean PEPIN, Sénateur de l'Ain
M. Bernard PLASAIT, Sénateur de Paris
M. Yvan RENAR, Sénateur du Nord
M. Henri REVOL, Sénateur de la Côte D'or
M. Henri de RICHEMONT, Sénateur de Charente
M. Bernard SEILLIER, Sénateur de l'Aveyron
M. Bruno SIDO, Sénateur de la Haute-Marne
M. Jean-Pierre SUEUR, Sénateur du Loiret
M. François TRUCY, Sénateur du Var
CARTE DU TIBET
INTRODUCTION
La
question du Tibet, après plus de cinquante années d'occupation
par la Chine, conserve toute son actualité en ce début de
XXI
e
siècle. Le groupe d'information sur le Tibet du
Sénat a estimé utile de procéder à un bref rappel
des faits concernés car, si la figure charismatique du Dalaï Lama
est mondialement connue, les circonstances de l'invasion du Tibet sont trop
souvent ignorées, ce qui peut alors expliquer une certaine
« banalisation » de la cause tibétaine.
Le premier motif d'adhésion à la cause tibétaine demeure
le refus de la disparition d'un pays, d'un peuple et d'une culture. Les
Tibétains sont un peuple triplement en danger : en danger de mort,
en danger d'oubli, en danger de banalisation. Ce processus d'extinction d'une
civilisation à part entière, qui est actuellement en cours au
Tibet, viendrait réduire irrémédiablement la richesse et
la diversité de l'humanité.
Cette disparition programmée est d'autant plus inacceptable que les
Tibétains n'y opposent que la non-violence, et qu'elle se déroule
sans susciter de réactions officielles des grandes puissances. C'est
donc un devoir, pour le Parlement d'un pays libre, de briser le silence des
nations sur cette immense tragédie. En l'occurrence, les principes
humanistes ne sauraient s'effacer devant les considérations
économiques. Nous ne pouvons pas sacrifier les valeurs auxquelles nous
tenons, fut-ce pour gagner des contrats ou des marchés.
Par ailleurs, notre pays a une responsabilité et une vocation historique
à se porter défenseur des droits de l'homme partout dans le
monde. En l'espèce, on peut considérer que la France a
contracté une dette morale envers le Tibet, en s'abstenant de
réagir lors de l'invasion chinoise de 1949 et lors de la
répression de la révolte tibétaine de 1959.
Enfin, la cause tibétaine a, par beaucoup de ses aspects, valeur de
paradigme. Le sort du Tibet évoque des thèmes sensibles auxquels
le monde doit faire face un peu partout ailleurs : droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes, atteintes vitales à
l'environnement, destruction du patrimoine traditionnel, transferts de
populations, discriminations raciales, persécutions religieuses,
atteintes aux libertés individuelles et familiales, etc. sans oublier le
strict respect universel des droits de l'homme.
Bref, le Tibet fait office de laboratoire où peuvent être
validées les réponses que la communauté internationale
aura la volonté d'apporter à des problèmes universels bien
concrets. La manière dont les institutions internationales prendront ou
non en compte la question tibétaine permettra de jauger leur
capacité à assurer le respect des principes qui les fondent.
La diplomatie parlementaire, à laquelle le groupe d'information sur le
Tibet du Sénat souhaite contribuer dans la mesure de ses moyens, peut
aider à cette prise de conscience de la communauté
internationale, en faisant entendre un point de vue intermédiaire entre
la raison d'État et les convictions des citoyens.
La démarche adoptée par le présent rapport d'information
entend se fonder sur le postulat exposé par le Dalaï Lama lors de
son audition au Sénat : «
Nous ne demandons pas
à ce que l'on prenne parti pour nous. Mais simplement à ce que
l'on prenne parti pour la vérité. La force de la
vérité se suffit à elle-même
».
I. RAPPEL HISTORIQUE : DE LA COEXISTENCE À L'INVASION
Un bref
rappel historique est un préalable nécessaire pour une bonne
compréhension de la question tibétaine. En effet, les
autorités chinoises cherchent à justifier historiquement leurs
prétentions sur le Tibet, en invoquant les liens que celui-ci a
entretenus par le passé avec la Chine. A l'inverse, les Tibétains
considèrent que ces liens historiques, par ailleurs intermittents, n'ont
caractérisé au mieux qu'une forme lâche de protectorat et
ne sauraient en aucun cas justifier une revendication de souveraineté.
Le règne pacifique des Dalaï Lama, à partir du
XVII
e
siècle, a occulté l'époque où le
Tibet était un royaume combattant. Mais, si l'on remonte suffisamment
loin dans le temps, une longue lignée de rois tibétains a
mené une politique expansionniste en direction de la Chine, des
cités-Etats de la route de la soie et des royaumes au sud de l'Himalaya.
L'empire tibétain atteignit sa plus grande extension territoriale sous
le règne de Trisong Detsen (742-797), incluant des peuples
Indo-européens, des Turcs et des Chinois. A l'apogée de leur
pouvoir militaire, les Tibétains occupèrent même la
capitale chinoise, Chang'an, en 763.
A cette époque, les rois tibétains eurent parfois recours
à l'alliance matrimoniale comme un moyen politique. En 641, une
princesse chinoise fut donnée comme épouse au roi Songtsen Gampo,
à la demande pressante de celui-ci. Certains historiens chinois datent
de cet événement l'appartenance du Tibet à la Chine. Il
faut pourtant en relativiser la portée en précisant que Songtsen
Gampo épousa aussi, outre des femmes de clans nobles tibétains,
une princesse népalaise.
La diffusion du bouddhisme et son implantation au Tibet ont donné
naissance à des lignées religieuses dont l'influence est
allée croissant au fur et à mesure que des réseaux de
monastères se sont constitués autour d'elles. Certaines ont
acquis un rôle économique et même politique d'autant plus
important que les grandes familles y avaient souvent des intérêts.
Chaque lignée est dirigée par un hiérarque
caractérisé par ses qualités spirituelles et ses aptitudes
à guider ses disciples.
Dans les premières lignées, le mode successoral le plus
fréquent a d'abord été celui d'oncle à neveu. Mais,
à partir du XIII
e
siècle, le principe de succession
à la tête d'une lignée par réincarnation s'est
répandu. Il pose le problème de la vacance du pouvoir entre la
mort du
trulkou
(le dignitaire réincarné) et le moment
où un nouveau
trulkou
reprend ses fonctions.
Un système de régence est le plus souvent prévu.
Après une période de morcellement qui suivit la fin de l'empire
tibétain, le Tibet connut l'hégémonie de la lignée
des Sakyapa (XIII
e
-XIV
e
siècles) puis celle
de la lignée des Phagmodrupa
(XV
e
-XVI
e
siècles), avant que ne s'installe
durablement au XVII
e
siècle la lignée des Dalaï
Lama appartenant à l'école des Guélougpa.
Conquis par les Mongols, le Tibet n'a jamais été
intégré à leur empire et encore moins à la Chine
lorsque ceux-ci y prirent le pouvoir au
XIII
ème
siècle en y installant la dynastie des
Yuan.
La complémentarité entre politique et religion est l'une des
caractéristiques essentielles de l'histoire tibétaine. Elle
s'inscrit dans le cadre de la relation
cho-yon
, de maître
religieux à protecteur laïc, qui reconnaît un pouvoir de
protection temporelle à l'empereur et un pouvoir spirituel au
hiérarque bouddhiste, qui dépasse les frontières du Tibet
pour s'étendre également à la Chine des mongols. Ce lien
qui s'est instauré entre les dirigeants religieux tibétains et
les empereurs mongols n'a pas été rompu par leurs successeurs, et
a été la clef de voûte des relations sino-tibétaines
jusqu'à la révolution chinoise de 1911.
En réaction à une invasion du sud du Tibet par les gourkhas du
Népal, en 1791, l'empereur mandchou Qianlong dépêche une
armée de 15 000 hommes qui aide les troupes tibétaines
à refouler les envahisseurs jusqu'à Kathmandou. La victoire
tibéto-chinoise et la présence militaire mandchoue donnent alors
à l'empereur l'occasion de rappeler sa tutelle sur le Tibet, qui
était jusqu'alors restée théorique.
Représenté à Lhassa par un
amban
, ou commissaire,
l'empereur établit sur le Tibet une forme de protectorat.
Malgré les réformes mises en train, jamais l'empire ne
présente le Tibet comme une portion de son territoire. Son pouvoir
s'inscrit dans le cadre administratif tibétain ; les
amban
,
dont le rôle est théoriquement important, ne peuvent exercer leur
autorité sans le concours des autorités tibétaines. Pour
les officiels de Lhassa, la relation qu'ils entretiennent avec Pékin
s'apparente toujours au partenariat, non à la soumission.
Au XIX
e
siècle, l'empereur devient trop occupé par les
crises politiques intérieures et les exigences des Occidentaux : le
Tibet n'est plus une priorité pour lui. La qualité des
amban
en pâtit, et leur présence devient symbolique. Leur
médiocrité comme leur ignorance de la langue tibétaine
permettent aux gouvernements tibétains qui se succèdent d'agir en
toute indépendance. La garnison chinoise est réduite à la
centaine d'hommes qui constituent la garde de l'
amban
.
Durant l'ère coloniale moderne, le Tibet devint une pièce du
« Grand jeu » en Asie centrale entre la Russie et le
Royaume Uni. Les Britanniques tentèrent d'abord de signer avec la Chine
des accords commerciaux concernant le Tibet et reconnaissant la
« suzeraineté » de l'une sur l'autre. Mais les
Tibétains refusèrent avec constance d'en reconnaître la
validité. Il était clair que, en dépit de ses
prétentions, la Chine était impuissante à imposer son
autorité au Tibet.
Faute de réussir à établir pacifiquement des relations
commerciales, le Royaume-Uni se lança en 1904 dans une expédition
militaire, conduite par Younghusband, qui balaya aisément toutes les
défenses tibétaines jusqu'à Lhassa, que le
XIII
ème
Dalaï Lama dut fuir précipitamment. Les
Britanniques signèrent avec le régent la convention de Lhassa
qui, outre le versement d'une indemnité de guerre, leur accordait des
avantages commerciaux et reconnaissait de facto le Tibet comme politiquement
séparé et libre de toute tutelle chinoise. Mais, dès 1906,
les Chinois parvinrent à négocier avec les Britanniques le
traité de Pékin qui modifia considérablement la convention
de Lhassa, tout en affirmant la « suzeraineté » de
la Chine sur le Tibet.
En 1910, les troupes impériales pénètrent au Tibet
jusqu'à Lhassa. Le Dalaï Lama se réfugie en Inde, à
Darjeeling. L'
amban
exerce le pouvoir et tente de mettre en oeuvre des
réformes, avec un succès mitigé.
Dès qu'éclata la première révolution chinoise, en
1911, et que fut instaurée la République, le Dalaï Lama
profita de l'opportunité pour proclamer l'indépendance du Tibet.
Dans sa proclamation, il rappelait l'historique des liens de maître
religieux-protecteur laïc qui avaient régi les relations
sino-tibétaines depuis les Yuan, et ses protestations auprès de
l'empereur mandchou qui avait voulu y substituer des liens de subordination.
L'
amban
et la garnison chinoise furent expulsés.
Dès lors, tous les critères classiques de la souveraineté
étatique
de facto
furent satisfaits par le Tibet : un
territoire défini, une population et un gouvernement y exerçant
l'autorité et habilité à entretenir des relations
internationales. Même si, faute d'expérience des relations
internationales, les Tibétains ne firent pas reconnaître cette
indépendance en envoyant des messages aux grandes puissances, ils ont
entretenu des relations avec leurs voisins immédiats : l'Inde
britannique puis indépendante, le Népal, le Bhoutan, la Chine
nationaliste. En 1947, à la conférence panasiatique réunie
à New-Delhi, les délégués du Tibet
siégèrent avec leur drapeau parmi les délégations
de trente deux nations.
A peine proclamée la République populaire de Chine, en 1949, le
régime communiste, victorieux des nationalistes, se fixa comme objectif
la «libération » du Tibet : libération de
« l'impérialisme occidental » et libération
de son « régime réactionnaire ». En octobre
1950, 40 000 hommes franchissent le Yangtsé qui délimite le
Tibet de la Chine. Malgré une résistance pugnace, les
8 500 Tibétains des forces armées ne peuvent
guère s'opposer à l'avancée des troupes chinoises.
Le Gouvernement de Lhassa se tourne vers les Nations-Unies, mais, dans le
contexte d'extrême guerre froide de 1949 (la Chine venait de s'impliquer
en Corée, suscitant des menaces de guerre atomique) elle ne
réussit pas à s'y faire entendre. Les grandes puissances avaient
leurs propres problèmes de décolonisation et l'Inde de Nehru,
donnant le ton sur l'affaire tibétaine, préféra faire
primer l'amitié entre l'Inde et la Chine, illusion dont elle se
berça jusqu'à la guerre sino-indienne de 1962.
Alors que l'armée chinoise continue sa progression, le
XIV
ème
Dalaï Lama, bien qu'il soit encore mineur,
est intronisé à la tête de l'État tibétain.
Ses délégués signent à Pékin
« l'accord de libération pacifique du Tibet », dit
accord en dix-sept points, qui organise juridiquement l'annexion du Tibet par
la Chine. Négocié sous la menace de la force armée, cet
accord est dépourvu de valeur au regard du droit international.
Entre 1950 et 1959, l'entretien des troupes d'occupation et les
premières mesures de collectivisation des terres entraînent un
début de famine. Le travail forcé est instauré pour la
construction, meurtrière, de routes stratégiques. La
répression religieuse commence à partir du « Grand bond
en avant » (1958). La résistance armée à
l'occupation chinoise se renforce dès 1956 dans les marches orientales
du Tibet, le Kham et l'Amdo.
Le 17 mars 1959, la crainte d'un enlèvement du Dalaï Lama par
les autorités chinoises provoqua le soulèvement de Lhassa, qui
fut brutalement réprimé par l'armée chinoise. Le
Dalaï Lama s'enfuit, sous la protection des résistants du Kham,
jusqu'en Inde où il obtient l'asile politique.
II. UNE OCCUPATION PUIS UNE COLONISATION EXTRÊMEMENT BRUTALES
L'invasion chinoise du Tibet s'est accompagnée d'actes
de
violence de masse et de massacres à grande échelle, même si
le décompte des victimes et l'inventaire des exactions commises ne fait
pas - comme souvent dans ce genre de conflit - l'unanimité.
Selon des chiffres communément admis, l'insurrection de Lhassa en 1959 a
été réprimée pendant trois jours et trois nuits,
opposant 20 000 tibétains à 40 000 soldats
chinois. Il y eut 4 000 prisonniers et 2 000 à
10 000 morts. Les arrestations et les exécutions sommaires se sont
multipliées longtemps après les événements.
L'occupation chinoise fit en quelques années des dizaines de milliers de
morts de plus, non seulement fusillés mais battus à mort,
brûlés vifs, noyés, mutilés,
étranglés, pendus, enterrés vivants,
écartelés et décapités, au point qu'après
avoir étudié de nombreux témoignages concordants, la
Commission internationale des juristes, ONG ayant statut consultatif
auprès de l'ONU, a estimé dans son rapport officiel de 1960 que,
selon elle, la Chine perpétrait un génocide au Tibet.
En 1959-1961 le « Grand bond en avant » provoqua au Tibet
comme ailleurs en Chine une famine qui fit des dizaines de milliers de victimes.
En 1966 éclata la « Révolution culturelle »,
qui atteignit le Tibet au mois d'août : 20 000 gardes
rouges à Lhassa se livrent à toutes les
déprédations et se combattent en factions rivales. Toute pratique
religieuse est interdite et l'éradication des monastères est
entreprise. Sur un total de 592 000 moines et nonnes, plus de
110 000 sont torturés et mis à mort et 250 000
défroqués de force. Les objets cultuels en métaux
précieux sont pillés et fondus. En 1970, les premières
communes populaires sont créées. La collectivisation est
achevée en 1975. La population tibétaine est soumise à des
séances de rééducation d'une violence extrême,
allant jusqu'à des exécutions sommaires.
Pendant toutes ces années, la résistance armée à
l'occupation chinoise perdure, qui fait aussi son lot de victimes au combat.
Pour les autorités tibétaines en exil, le nombre total des
victimes de ces événements dépasserait 1,2 millions de
personnes, pour une population de 5 à 6 millions. Ces statistiques
macabres, pour être contestées par certains historiens chinois,
amènent néanmoins à admettre que la colonisation du Tibet
a été extrêmement brutale. Elle a évidemment et
profondément menaçé la survie de la culture
tibétaine : certains ont pu à cet égard estimer qu'il
y aurait une forme de « génocide culturel ».
Il y a eu une période de repentir officiel des dirigeants chinois
pendant la période d'ouverture relative qui a suivi la mort de Mao en
1976, jusqu'au massacre de la place Tian Anmen en 1989. Le premier à
reconnaître les erreurs commises au Tibet fut le secrétaire
général du parti communiste Hu Yaobang pendant une
tournée d'inspection en 1980.
En fait, le Tibet se trouve dans une situation coloniale classique. Alors qu'en
Occident les Tibétains apparaissent détenteurs d'une haute
civilisation, ils passent pour des barbares aux yeux de beaucoup de Chinois, la
prétendue arriération de la société
tibétaine traditionnelle étant invoquée pour justifier
leur oeuvre de colonisation.
Certes, la Chine apporte des éléments positifs en terme
d'infrastructures et de développement, mais l'économie est
fondée sur des échanges inégaux. L'enrichissement profite
presque exclusivement aux colons Han, qui détiennent tous les commerces.
A la fin des années 1980, sur les 12 800 boutiques et restaurants
de Lhassa, seuls 300 appartiennent à des Tibétains. Par ailleurs,
les subventions sont concentrées sur les zones urbaines, où
prédominent les colons chinois, aux dépens des zones rurales
peuplées de Tibétains.
La colonisation peut prendre des formes subtiles. Le meilleur exemple est la
demande formulée par les autorités chinoises auprès de la
Banque mondiale pour financer un programme d'aide aux populations nomades de
l'Amdo. Après des pressions internationales fortes, dont des
avertissements du groupe d'information sénatorial sur le Tibet et de
l'intergroupe Tibet du Parlement européen, Pékin a retiré
son dossier, alors même qu'il était quasiment accepté
à Washington. La preuve avait pu être apportée qu'il
s'agissait d'un programme de sédentarisation de ces nomades, les moins
contrôlables des Tibétains en raison de leur mode de vie... et de
leur attachement à l'autonomie tibétaine.
L'autonomie de la région autonome du Tibet est un mythe. Le pouvoir de
décision final est détenu par le parti communiste chinois
régional, dont le premier secrétaire a toujours été
un Chinois. Quelle que soit la position qu'occupe un Tibétain dans la
hiérarchie, il se trouve toujours doublé par un officiel chinois
qui exerce la réalité du pouvoir.
Le Tibet demeure l'une des régions les plus pauvres de la Chine. Environ
70 % de la population tibétaine ne sait ni lire ni écrire,
tandis que 50 % des enfants d'âge scolaire ne vont jamais à
l'école. Avec un revenu par tête de 40 dollars par an et une
espérance de vie de quarante ans, le Tibet se classe au
153
ème
rang sur l'échelle du développement
humain de l'ONU (sur 160 nations).
L'activité économique au Tibet est par ailleurs prédatrice
de l'environnement. L'exploitation des ressources en minerais et des ressources
hydroélectriques se fait à grande échelle, sans aucune
précaution. La déforestation atteint 40 % des surfaces
initiales et provoque des inondations. La mise en culture des fragiles prairies
a abouti à leur désertification, particulièrement en Amdo.
La population tibétaine subit une acculturation. L'enseignement
secondaire et supérieur se fait en chinois. Le bilinguisme officiel dans
l'administration est une fiction. Les Tibétains perdent leur culture
populaire au contact de celle de la Chine.
Surtout, les Tibétains sont noyés sous un afflux de colons Han,
encouragés par des primes d'éloignement, des facilités de
logement et d'éducation. Le salaire moyen des colons chinois est
87 % plus élevé que celui qu'ils percevraient en Chine. On
estime le nombre de colons à 7,5 millions, dont 2 millions au
Tibet central, 2,5 millions en Amdo et 3 millions au Kham, contre
respectivement 1,9 million, 800 000 et 3,3 millions de
Tibétains. En 1985, des sources officielles chinoises ont fait
état d'un objectif d'accroissement de la population au Tibet de
60 millions en trente années. D'ores et déjà, les
Tibétains sont minoritaires dans les villes.
La présence militaire chinoise au Tibet s'élève à
500 000 personnes en uniforme. Environ 90 têtes
nucléaires y seraient déployées.
Les violations des droits de l'homme au Tibet s'étendent sur une
échelle moindre que précédemment, mais perdurent. Elles
relèvent de trois grandes catégories :
- les mauvais traitements infligés par la police et par
l'armée aux détenus politiques, les parodies de jugements, les
exécutions sommaires, la torture en prison ; le taux de
mortalité dans les prisons et les camps de travail est estimé
à 70 % ; le tiers des prisonniers politiques sont des moines
ou des nonnes ;
- les avortements et les stérilisations forcés des femmes
dans le cadre du contrôle des naissances, chaque couple n'ayant pas le
droit d'avoir plus de deux enfants ;
- la ségrégation entre Han et Tibétains pour
l'accès aux emplois et aux fonctions politiques dirigeantes. Les
Tibétains n'ont pratiquement aucune chance d'occuper une fonction de
responsabilité.
En violation de l'article 13 de la Déclaration universelle des
droits de l'homme, la Chine a imposé une série de règles
restreignant la liberté de mouvement des Tibétains à
l'intérieur de leur propre pays. Les gens doivent être
enregistrés dans un lieu particulier où seul ils sont
autorisés à résider. Il faut une permission officielle
pour se rendre d'un lieu à un autre, même pour une courte
durée. Dans de nombreux cas, des Tibétains ont été
expulsés de Lhassa vers leur village de naissance.
Depuis 1979, une liberté religieuse de façade est en vigueur, qui
autorise les pratiques rituelles mais continue d'interdire la propagation des
enseignements bouddhiques. Le nombre des moines dans chacun des
monastères reconstruits est sévèrement contingenté.
L'essentiel des sommes destinées à la reconstruction des
monastères - en 1976, il n'en restait plus que huit debout sur
un total de 6 259 avant l'invasion chinoise - provient de dons
privés, et non de fonds publics. La religion tibétaine est
dépeinte dans les campagnes officielles comme un mélange de
pratiques superstitieuses et de foi aveugle, incompatible avec le
matérialisme marxiste. Le but final de la politique chinoise demeure son
extinction graduelle et totale.
Cette situation coloniale recouvre des tensions latentes. Des troubles peuvent
éclater à tout instant. En 1987, 1988 et 1989 des émeutes
opposent à Lhassa des manifestants munis de pierres à la police
armée. Le bilan est d'environ 600 morts et la loi martiale est
proclamée. La chape de plomb, après une période
d'ouverture relative, est retombée sur le Tibet. Des actes de
protestation surviennent de manière sporadique encore aujourd'hui, qui
débouchent sur des incarcérations politiques.
III. L'ÉCHEC DU DIALOGUE TIBÉTO-CHINOIS
Le choix
de la négociation avec les autorités chinoises a
été fait par le Dalaï Lama depuis le début. C'est
ainsi que, jusqu'en 1959, il a accepté l'accord en 17 points
signé en 1950, bien qu'il ait été négocié
sous la contrainte de la force armée, et s'est efforcé de
l'appliquer de manière loyale, bien qu'il n'ait jamais été
respecté par la Chine.
D'un coté, l'accord autorisait l'entrée des forces armées
chinoises au Tibet et donnait compétence au gouvernement chinois pour
diriger les relations extérieures du Tibet. De l'autre
côté, l'accord garantissait que la Chine ne modifierait pas le
système politique existant au Tibet, que le peuple tibétain
bénéficierait de l'autonomie régionale et que ses
croyances religieuses du peuple tibétain seraient respectées. Les
réformes ne seraient introduites qu'après consultation des
dirigeants tibétains et sans contrainte.
Autre signe de son désir de dialogue, le Dalaï Lama a
également accepté de se rendre à Pékin en 1953 pour
y rencontrer le Président Mao. Ce dernier chercha à le convaincre
que l'annexion serait profitable au Tibet, mais dévoila le fond de sa
pensée en lui confiant que la religion était un poison.
Le dialogue entre le Dalaï Lama et les autorités chinoises s'est
bien sûr trouvé interrompu après le soulèvement de
Lhassa en 1959 et la longue répression qui s'en est suivie,
jusqu'à la fin de la « Révolution
culturelle » en 1976. Une première délégation
conduite par Gyalo Thondup, frère aîné du Dalaï Lama,
s'est rendue à Pékin en 1979. Deng Xiaoping assura à cette
occasion que tout pouvait être discuté, excepté
l'indépendance complète du Tibet.
Suite à ce premier contact, trois délégations
tibétaines ont pu se rendre sur place en 1979 et 1980, suivies d'une
quatrième en 1985. Celle-ci fut la dernière
délégation admise à visiter le Tibet, jusqu'à l'an
dernier.
Le Dalaï Lama a repris l'initiative avec ses propositions officielles
présentées devant le Congrès américain en 1987 pour
un plan de paix en cinq points :
- la transformation du Tibet en une zone de paix
démilitarisée ;
- l'abandon par la Chine de sa politique de transfert de populations
chinoises au Tibet ;
- le respect des droits de l'homme et des libertés au Tibet, le
peuple tibétain devant être libre de déterminer
lui-même son avenir dans un esprit d'ouverture et de
réconciliation ;
- la restauration et la protection de l'environnement naturel du Tibet et
l'abandon par la Chine de son programme de stockage de déchets
nucléaires au Tibet ;
- l'ouverture de négociations franches sur le statut futur du Tibet
et les relations entre les peuples tibétains et chinois.
Les autorités chinoises rejetèrent ces propositions, en accusant
le Dalaï Lama d'élargir le gouffre qui les séparait.
En 1988, devant le Parlement européen (voir annexe II), le
Dalaï Lama reprit les cinq points de son plan de paix mais en les
assortissant d'une concession de taille : l'abandon de la revendication
d'indépendance pour une forme d'association entre le Tibet et la Chine,
qui resterait maîtresse des relations extérieures du premier.
Cette concession pragmatique fut difficilement acceptée par une bonne
part de son peuple.
En réponse à cette annonce, les autorités chinoises firent
savoir qu'elles étaient prêtes à discuter, mais
récusèrent la composition de la délégation ainsi
que le lieu - Genève - proposés par le Dalaï Lama. Sur ces
bases, des négociations ont été engagées
épisodiquement, soit par l'envoi de délégations
tibétaines à Pékin, soit par le biais de contacts entre le
Bureau du Tibet et l'ambassade chinoise de New-Delhi.
Pour leur part, les autorités chinoises réduisent la question
tibétaine à celle du statut personnel du Dalaï Lama. Elles
se déclarent prêtes à l'accueillir de retour au Tibet,
à condition qu'il leur fasse allégeance.
Décidée en 2002, effective en 2003, l'arrivée au pouvoir
de M. Hu Jintao qui dirigea la Région Autonome du Tibet d'une
main de fer à la fin des années 80 jusqu'en 1992 ne semble pas
avoir apporté à ce jour de grands changements pour les
Tibétains. Certes, on a pu enregistrer avec satisfaction la
libération anticipée, après de longues années de
détention, de quelques prisonniers d'opinion emblématiques comme
Takna Jigme Sangpo ou Ngawang Sangdrol, ainsi que quelques réductions de
peines concernant notamment deux religieuses membres du groupe des dix de
Drepung. Dans le même temps, néanmoins, on a assisté
à la condamnation à mort de Tenzin Delek Rinpoché,
figure très populaire de la région de Kanze et de Lobsang
Dhondhup au terme d'un procès expéditif suivi de
l'exécution de ce dernier, malgré les protestations de l'Union
européenne et du gouvernement américain. Dans cette même
région, la destruction partielle du centre d'enseignement bouddhiste de
Serthar, en 2001, avait déjà profondément marqué
les esprits.
C'est dans ces conditions, qu'à l'automne 2002 et à la fin du
printemps 2003, deux délégations de représentants de Sa
Sainteté le Dalaï Lama ont pu se rendre en Chine et au Tibet,
où elles ont été accueillies avec courtoisie par les
autorités. Bien que les attaques publiques contre le Dalaï Lama,
accusé de rechercher l'indépendance de son pays, se poursuivent
dans la presse chinoise, le gouvernement tibétain en exil, dirigé
par le Pr. Samdhong Rinpoché, a décidé d'adopter une
politique de retenue et a demandé à ses partisans d'en faire
autant. L'espoir demeure d'une possible visite du Dalaï Lama en Chine,
sous la forme d'un pèlerinage aux lieux saints du bouddhisme, permettant
d'amorcer un dialogue tant attendu.
Le temps presse en effet, car l'urbanisation à outrance,
renforcée par la mise en chantier d'une voie ferrée de Golmud
à Lhassa, ainsi que la construction de nombreuses autoroutes encourage
l'installation d'une population chinoise au Tibet, aggravant les menaces qui
pèsent sur l'identité culturelle, religieuse et sociale des
Tibétains et sur l'environnement de la région.
IV. L'ORGANISATION DE LA COMMUNAUTÉ TIBÉTAINE EN EXIL
Nombreux
sont les Tibétains à avoir suivi le Dalaï Lama sur le
chemin de l'exil. La communauté tibétaine à
l'étranger s'élève à environ 130 000 personnes
réparties dans 16 pays, mais concentrées à 85 % en
Inde.
Une aide multiforme lui est fournie par l'Inde, renforcée par l'aide
internationale du Haut Commissariat pour les Réfugiés et de
l'Union européenne, ainsi que de nombreuses ONG.
La question tibétaine ne peut donc être traitée comme une
simple divergence interne à la Chine et au Tibet, mais comme un
réel problème international.
Réfugié à Dharamsala, sur les contreforts de l'Himalaya,
le Dalaï Lama met très vite en place un ministère de la
Culture et de la religion. Tous les grands monastères sont
reconstitués en exil. La seconde priorité est l'éducation.
Dès 1960 le gouvernement indien ouvre des collèges
d'enseignements secondaires dotés d'une administration autonome, la
Central tibetan schools administration
. Aujourd'hui, 26 000
jeunes tibétains sont scolarisés en Inde et le gouvernement
tibétain en exil consacre 65 % de son budget à
l'éducation. En 1960 également est créé un
ministère de l'Intérieur qui veille à l'adaptation des
réfugiés et doit gérer la cinquantaine de camps
disséminés à travers l'Inde, en collaboration avec les
autorités indiennes et les autorités internationales.
Innovation majeure, le Dalaï Lama introduit la démocratie dans les
institutions de la communauté tibétaine en exil. En 1961 une
constitution provisoire est adoptée, qui proclame la séparation
des pouvoirs. Ses fondements sont ceux de toute démocratie :
égalité des citoyens devant la loi, élections libres et
pluralisme politique. L'Assemblée des députés du peuple
peut, à la majorité des deux tiers, confier les pouvoirs du
Dalaï Lama à un Conseil de régence.
D'abord nommés par le Dalaï Lama, le gouvernement, ou
kashag
, et le Premier ministre sont désormais élus par
l'Assemblée des députés du peuple tibétain.
Celle-ci est à l'image de la diaspora. Elle compte 10
députés pour chacune des trois grandes provinces (Tibet central,
Amdo et Kham), 2 députés pour chacune des cinq grandes
écoles religieuses, 2 députés pour l'Europe et
1 député pour l'Amérique. Une Cour suprême de
justice est aussi mise en place.
Cette démocratisation est la meilleure réponse du
Dalaï Lama aux Chinois qui l'accusent de viser, en prônant
l'autonomie du Tibet, la restauration de son pouvoir personnel. Le
Dalaï Lama a fait des déclarations
répétées selon lesquelles, aussitôt que le Tibet
aura retrouvé sa liberté grâce à un accord avec la
Chine, il renoncera à tout pouvoir temporel pour ne plus assumer qu'une
forme d'autorité spirituelle.
Le Dalaï Lama s'inquiète également de sa succession, qui est
traditionnellement un moment de vulnérabilité dans l'histoire du
Tibet puisqu'il faut d'abord identifier, puis assurer l'éducation de sa
réincarnation. C'est l'une des raisons pour lesquels il souhaite mettre
en place des institutions démocratiques élues non soumises
à ce genre d'avatars. A terme, on se dirigerait vers une
laïcisation des institutions politiques tibétaines.
V. L'ACTION DIPLOMATIQUE INTERNATIONALE
La
Commission internationale des juristes fut saisie de la question
tibétaine dès mai 1959. Cette organisation non gouvernementale
ayant un statut consultatif auprès du Conseil économique et
social de l'ONU rédige un premier rapport qui montre que le Tibet
était un État indépendant de fait avant 1950 : il
était formé d'un territoire, d'une population et d'un
gouvernement libres de toute immixtion étrangère. Selon ce
rapport, la Chine aurait violé l'accord en 17 points et se serait rendue
coupable de génocide aux termes de la Convention pour la
prévention et la répression de génocide adoptée par
les Nations unies en 1948. Un second rapport a été publié
après enquête.
En septembre 1959, le Dalaï Lama en appelle à l'ONU avec l'espoir
que l'organisation prenne enfin une position claire face à la Chine.
Grâce au soutien de l'Irlande, de la Malaisie et de la Thaïlande, le
Tibet a cette fois gain de cause. Le 21 octobre, l'Assemblée
générale adopte une première résolution où
elle se déclare gravement préoccupée et consciente de la
nécessité de préserver les droits
élémentaires des Tibétains.
En 1960, après la publication du second rapport de la Commission
internationale de juristes, le Dalaï Lama lance un second appel à
l'ONU. Pour la deuxième fois, l'Assemblée générale
vote une résolution constatant la violation des droits de l'homme et des
règles internationales et mettant la Chine en demeure de les respecter.
Le 18 décembre 1965, l'ONU vote une troisième résolution
dénonçant la violation continuelle des droits fondamentaux des
Tibétains. L'Inde, qui jusqu'alors s'était toujours abstenue sur
la question tibétaine, l'a votée. Mais le silence de la
République populaire de Chine n'entraîne aucune mesure de
coercition de la part des États membres de l'ONU.
Depuis, le débat s'est déplacé de l'Assemblée
générale à la Commission des droits de l'homme à
l'ONU. En 1991, une résolution a été adoptée dans
cette enceinte exprimant une inquiétude au sujet de la violation
persistante des droits de l'hommes et des libertés au Tibet. Mais
depuis, la question des droits de l'homme au Tibet n'a pas pu être
inscrite à l'ordre du jour au cours de ces dernières sessions.
Faut-il y voir l'influence grandissante de la Chine ?
Aucun pays n'a reconnu le Gouvernement tibétain en exil, même si
quelques États sont favorables à l'adhésion du Parlement
tibétain en exil à l'Union interparlementaire. Mais, en France,
le ministère des Affaires étrangères et le
Président de la République portent une attention
particulière à la question tibétaine.
L'action diplomatique des autorités tibétaines en exil repose
essentiellement sur le Dalaï Lama. Celui-ci, après une
première période de repli en Inde, a multiplié les visites
auprès des chefs d'État et de Gouvernement : les
présidents américains George Bush puis Bill Clinton,
le premier ministre britannique John Major, le président
tchèque Vaclav Havel, le président allemand Richard von
Weizsaecker, le roi et la reine de Norvège, etc.
Consécration de ce sacerdoce, le prix Nobel de la paix est
attribué au Dalaï Lama en 1989. C'est le couronnement de sa longue
et patiente politique d'opposition à la Chine. Il s'agit d'un
encouragement pour tous les Tibétains qui refusent la violence et
croient encore en une solution de paix.
Souvent moins timorés que les Gouvernements, les Parlements apportent un
franc soutien à la cause tibétaine. Le Congrès
américain a obtenu l'institution d'un coordinateur spécial pour
le Tibet au département d'État et a adopté en septembre
2002 un
Tibetan Policy Act
qui officialise le soutien apporté au
peuple tibétain par le gouvernement des Etats-Unis et définit les
conditions que devront satisfaire les projets de développement au Tibet
pour bénéficier de l'aide au développement
américaine.
Au Parlement européen, un intergroupe Tibet oeuvre activement pour que
la question tibétaine reste constamment à l'ordre du jour au sein
de l'Union européenne. Cet intergroupe est l'auteur de nombreuses
résolutions, telle celle du 6 juillet 2000 appelant l'Union
européenne à reconnaître le gouvernement tibétain en
exil si, dans un délai de trois ans, une négociation n'est pas
engagée entre celui-ci et les autorités chinoises sous
l'égide du Secrétaire général des Nations unies
(voir annexe I). Une autre résolution demande la désignation d'un
représentant de l'Union européenne pour le Tibet, à
l'instar du coordinateur spécial pour le Tibet instauré par le
gouvernement américain.
En France, un groupe d'études sur le Tibet est créé
à l'Assemblée nationale en juillet 1990. Au Sénat, une
Association pour les amitiés franco-tibétaines est
créé en 1994, qui devient groupe d'information en 2000. Ce groupe
d'information auditionne des personnalités tibétaines, dont le
Dalaï Lama (voir annexe IV), dépose
régulièrement des questions écrites ou orales sur la
situation au Tibet, intervient à l'occasion des sessions de la
Commission des Nations unies pour les droits de l'Homme, publie des tribunes
dans la presse, entretient des contacts avec le ministère des affaires
étrangères etc. Le groupe d'information sénatorial
travaille régulièrement avec l'intergroupe Tibet du Parlement
européen, avec qui il partage une communauté de vue sur les
actions à mener auprès des autorités nationales, des
institutions européennes et de la communauté internationale
(voir annexe III).
VI. QUE FAIRE ?
La
situation du Tibet apparaît donc grave. Même s'il demeure des
motifs d'espérer, la colonisation chinoise porte jour après jour
des atteintes irrémédiables aux fondements mêmes de la
civilisation tibétaine.
Le salut ne peut venir que d'une évolution interne à la Chine. En
effet, une Chine sincèrement démocratisée ne pourrait
faire autrement qu'accorder au Tibet une large autonomie qui permettrait
à celui-ci de s'épanouir dans la spécificité de sa
culture.
Est-il réaliste d'espérer une telle évolution ? Elle
semble aujourd'hui peu probable. Mais, après tout, les pays baltes ou,
plus récemment, le Timor oriental, montrent l'exemple de pays qui
semblaient tombés dans les oubliettes de l'histoire et qui ont pu
recouvrer leur indépendance après des décennies d'annexion.
En attendant, que peut faire un groupe d'information comme le nôtre pour
le Tibet ? La diplomatie parlementaire ne peut pas s'appuyer sur des
rapports de force, qui demeurent la prérogative des exécutifs. Le
rôle d'un Parlement est de parler, de contribuer à renouer les
fils du dialogue entre Tibétains et Chinois. Dans cette optique, les
actions possibles pourraient être les suivantes :
1. Faire de la pédagogie, en rappelant pourquoi la question
tibétaine nous concerne tous, en tant qu'emblème des droits de
l'homme et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
2. Encourager activement toute forme de dialogue entre l'administration
tibétaine dirigée par le Dalaï Lama et le gouvernement
chinois, pouvant mener à une solution pacifique respectueuse de
l'identité et des droits des Tibétains. Encourager
également la naissance d'un dialogue entre la société
civile chinoise et la diaspora tibétaine dans le but de dissiper
préjugés et erreurs véhiculés par un
demi-siècle de propagande.
3. Parler franc aux autorités chinoises, notamment en soutenant en
toute occasion les prisonniers politiques tibétains et en
réclamant de façon incessante leur libération.
4. Demander la nomination d'un médiateur pour le Tibet dans l'Union
européenne, notamment pour conduire le « dialogue
critique » avec la Chine par-delà les présidences
tournantes de l'Union.
5. Confédérer les initiatives pro-tibétaines des
parlements nationaux de l'Union européenne autour du Parlement
européen.
6. Contribuer à dégager une majorité à la
Commission des droits de l'homme de l'ONU pour évoquer
sérieusement la situation au Tibet.
7. Prendre position en faveur d'une reconnaissance du Gouvernement
tibétain en exil, afin de lui donner plus de poids dans les
négociations avec les autorités chinoises.
8. Prôner l'adhésion, au moins comme observateur, du
Parlement tibétain en exil à l'Union interparlementaire.
CONCLUSION
Les
parlementaires français, européens, américains,
engagés depuis longtemps dans le soutien à la cause
tibétaine n'ont jamais livré un simple combat frontal contre une
Chine coloniale, expansionniste, ou notoirement violente à
l'égard des Tibétains.
Les faits relatés dans ce rapport, décrits dans d'innombrables et
magnifiques livres, dépeints par des journalistes courageux et
opiniâtres, démontrent suffisamment l'évidente douleur d'un
peuple dont la culture, la civilisation, la langue, la religion sont l'un des
biens les plus précieux de l'humanité du XXI
ème
siècle. Laisser disparaître dans l'oubli, dans
l'indifférence, dans la banalisation et souvent dans la violence
cachée par les hauts murs d'une prison, le Tibet non-violent serait un
crime contre l'humanité, contre l'espérance.
Aucun homme, aucune femme, épris de liberté ne peut
tolérer un jour de plus que soit confiné et étroitement
surveillé, dans un lieu de Chine tenu secret depuis juillet 1995, le
jeune Gendhun Choekyi Nyiama, reconnu par Sa Sainteté le
XIV
ème
Dalaï Lama comme la réincarnation du
X
ème
Panchen Lama. Son seul crime, qu'expie également
sa famille, est d'avoir été reconnu, lui qui n'avait rien fait.
Il avait six ans au moment de sa disparition.
A cette époque, plus de 300 parlementaires français ont
présenté à l'opinion mondiale Gendhun Choekyi Nyima comme
le plus jeune prisonnier politique du monde, et l'ont adopté comme leur
filleul. Un parrain, une marraine, ont des devoirs sacrés envers un
enfant escamoté au profit d'un candidat nommé par le gouvernement
chinois. Cette parodie de cérémonie religieuse permit de
découvrir que les plus hautes autorités d'un régime
communiste, selon lequel « la religion, c'est l'opium du
peuple », n'hésitent pas à usurper quand bon leur
semble les fonctions de dignitaires religieux.
Les parlementaires français, européens, américains qui
soutiennent avec ardeur et honneur la cause tibétaine n'ont jamais
été des « boute-feu », des
« nihilistes » des « plus royalistes que le
roi ». Suivant naturellement les recommandations du Dalaï Lama,
ils soutiennent l'ouverture d'un dialogue entre Pékin et Sa
Sainteté. Quelle admiration devons-nous avoir pour un homme, chef
spirituel et temporel, dont le peuple est humilié, battu,
emprisonné et qui interdit toute violence en retour à
l'égard des Chinois ! Et qui ne professe jamais de haine, mais
enseigne amour, compassion et pardon !
Le Tibet coûte très cher à l'image de la Chine dans le
monde. Le bon déroulement des Jeux Olympiques de Pékin en 2008 ne
pourra pas faire l'économie d'une information sereine, pour tous les
médias du monde, sur l'occupation du Tibet, sur sa déforestation,
sur le stockage de déchets nucléaires, etc.
Amis de la Chine, nous pressons les autorités chinoises de changer de
politique au Tibet. L'heure de vérité approche. La Chine est
entrée, à part entière et légitimement, dans le
concert des nations. Elle ne peut plus ignorer le monde, celui qui
s'étend au-delà des frontières de « l'Empire du
Milieu ».
Devoir d'ingérence, comme le plaidait en son temps
Bernard Kouchner ? Oui, bien évidemment, car la question
tibétaine ne concerne pas que les réfugiés
tibétains en exil, mais aussi la Chine toute entière ainsi que
l'Inde, soit au total plus de deux milliards d'être humains directement
concernés. Au delà, elle ne concerne pas que l'Asie, mais aussi
les défenseurs des droits de l'homme sur tous les continents.
La diplomatie parlementaire doit respecter le rôle
prééminent de la diplomatie d'Etat, mais elle doit demeurer la
« vigie encombrante » de l'expression d'un peuple.
ANNEXE I : RÉSOLUTION DU PARLEMENT EUROPEEN DU 6 JUILLET 2000
Le
Parlement européen,
Vu ses résolutions antérieures sur le Tibet,
A. considérant l'absence de progrès dans le dialogue
UE-Chine sur les droits de l'homme ;
B. considérant que le 7 juillet 2000, la Banque mondiale doit
statuer définitivement sur son soutien au projet de réduction de
la pauvreté en Chine occidentale ;
C. rappelant que le Tibet a été envahi et occupé en
1949 et en 1950 par les forces armées chinoises ;
D. rappelant que si l'Accord en 17 points, signé à
Pékin sous la contrainte par les autorités tibétaines,
sanctionnait l'annexion du Tibet à la République populaire de
Chine, il garantissait également la pleine autonomie du Tibet et, en
particulier, la pérennité de son système politique et le
plein respect de la liberté religieuse ;
E. rappelant la révolte de Lhassa contre l'occupation du
régime de Pékin, du 10 mars 1959, qui a provoqué la mort
et l'emprisonnement de milliers de Tibétains, ainsi que l'exil du
Dalaï Lama et de dizaines de milliers d'autres Tibétains ;
F. rappelant l'institution en 1965 de la Région Autonome du Tibet
(TAR) par les autorités de Pékin et considérant qu'aucune
autonomie réelle n'existe dans cette région depuis l'occupation
du territoire par la Chine ;
G. rappelant les tentatives réitérées de relancer le
dialogue avec les autorités de Pékin, faites par le Dalaï
Lama, par le biais notamment du Plan en 5 points présenté
devant le Congrès américain en 1987 et de la proposition de
Strasbourg présentée devant le Parlement européen en
1988 ;
H. préoccupé de constater que la Chine ne s'est aucunement
montrée disposée à participer à un dialogue en vue
de négocier l'avenir du Tibet ;
I. rappelant l'attribution en 1989 du Prix Nobel de la Paix au
Dalaï Lama et l'appel lancé par ce dernier à la
communauté internationale afin que celle-ci puisse favoriser un
règlement pacifique du problème tibétain ;
J. rappelant la transformation en 1992 du Tibet en zone économique
spéciale et le transfert massif de colons chinois au Tibet qui s'en est
suivi et qui a transformé en quelques années les Tibétains
en minorité dans leur propre pays ;
K. considérant que le projet de réduction de la
pauvreté en Chine occidentale qui a été proposé
peut conduire à la réinstallation des Chinois d'origine ethnique
dans les zones tibétaines et peut constituer une violation de la
politique de la Banque mondiale concernant les populations indigènes,
les transferts de population involontaires et l'environnement ;
1. demande au Conseil, à la Commission et aux États membres
de tout mettre en oeuvre afin que le gouvernement de la République
populaire de Chine et le Dalaï Lama négocient un nouveau statut du
Tibet qui garantisse une pleine autonomie des Tibétains dans tous les
secteurs de la vie politique, économique, sociale et culturelle, avec
les seules exceptions de la politique de défense et de la politique
étrangère ;
2. invite les gouvernements des États membres à examiner
sérieusement la possibilité de reconnaître le gouvernement
tibétain en exil comme légitime représentant du peuple
tibétain si, dans un délai de trois ans, les autorités de
Pékin et le gouvernement tibétain en exil ne sont pas parvenus
à un accord sur un nouveau statut pour le Tibet par le biais de
négociations organisées sous l'égide du Secrétaire
général des Nations unies ;
3. demande à la Commission et au Conseil d'inviter instamment la
Banque mondiale à suspendre la décision concernant le projet de
réduction de la pauvreté en Chine occidentale et à
vérifier tous les effets que ce projet pourrait avoir sur
l'équilibre ethnique, culturel et social du Tibet ;
4. demande instamment à la Banque mondiale de publier le rapport et
la recommandation du groupe d'inspection sur le projet de réduction de
la pauvreté en Chine occidentale avant le vote du Conseil des
gouverneurs de la Banque mondiale ;
5. charge sa Présidente de transmettre la présente
résolution au Conseil, à la Commission, aux gouvernements et aux
Parlements des États membres, aux gouvernements et aux Parlements des
pays candidats à l'adhésion, au Président et au Premier
ministre de la République populaire de Chine, au Dalaï Lama
ainsi qu'au gouvernement et au Parlement tibétains en exil.
ANNEXE II
: DISCOURS DU DALAÏ LAMA DEVANT LE PARLEMENT
EUROPÉEN
LE 24 OCTOBRE 2001
Madame la
Présidente,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames
et Messieurs.
C'est un grand honneur pour moi de prendre la parole devant le Parlement
Européen. Je crois que 1'Union européenne constitue la
démonstration éloquente qu'une co-existence solidaire et
pacifique entre des nations et des peuples différents est possible. Pour
quelqu'un comme moi, qui crois fortement dans la nécessité
d'établir une meilleure compréhension, une plus étroite
coopération et un plus grand respect entre les diverses nations du
monde, c'est une profonde source d'inspiration. Je vous remercie de votre
aimable invitation. C'est pour moi le signe encourageant de la véritable
sympathie et de 1'authentique intérêt que vous portez au destin
tragique du peuple tibétain. Je m'adresse à vous aujourd'hui en
tant que simple moine bouddhiste, instruit et élevé dans la voie
de nos plus anciennes traditions. Je ne suis pas expert en science politique,
mais néanmoins 1'étude et la pratique du bouddhisme que j'ai
poursuivies tout au long de ma vie, ainsi que ma responsabilité et mon
engagement dans la lutte non-violente que mène le peuple tibétain
pour sa liberté, m'ont conduit à des expériences et m'ont
suggéré des réflexions que je voudrais partager avec vous.
Il est évident que la communauté humaine a atteint un point
critique de son histoire. Le monde d'aujourd'hui nous oblige à accepter
1'idée que 1'humanité dans son ensemble ne forme qu'un seul tout.
Par le passé, des communautés ont pu penser qu'elles
étaient fondamentalement séparées les unes des autres.
Mais aujourd'hui, comme viennent de nous l'apprendre les tragiques
événements des États-Unis, ce qui survient dans une
région du monde en affecte bien d'autres. Le monde devient de plus en
plus interdépendant. Dans ce nouveau contexte, il est clair que
1'intérêt de chacun dépend du respect de
l'intérêt de tous. Si l'on ne développe pas, si l'on ne met
pas à l'oeuvre ce sentiment de responsabilité universelle, notre
avenir même sera en danger.
Je crois fortement que nous devons développer consciemment un plus grand
sens de la responsabilité universelle. Nous devons apprendre à
agir non seulement pour nous-mêmes, pour les nôtres ou pour notre
propre pays, mais également pour le bien de l'humanité toute
entière. La responsabilité universelle est la meilleure des bases
pour construire à la fois notre bonheur personnel et la paix mondiale,
pour définir un usage équitable de nos ressources naturelles et,
dans
l'intérêt des
générations
à venir, pour donner à l'environnement l'attention qu'il
réclame.
De nombreux problèmes et conflits mondiaux naissent parce que nous avons
perdu de vue ce caractère humain qui nous relie les uns aux autres comme
les membres d'une même famille. Nous avons tendance à oublier
qu'en dépit de leur diversité de race, de religion, de culture,
de langue, d'idéologie, etc., les peuples sont égaux dans leur
désir fondamental de paix et de bonheur : tous nous voulons
être heureux et aucun d'entre nous ne désire souffrir. Nous nous
efforçons du mieux que nous pouvons de réaliser nos
désirs. Cependant, même si nous faisons en théorie
l'apologie de la diversité, bien souvent en pratique, nous ne la
respectons pas, malheureusement. En fait, notre incapacité à
tenir compte des différences devient la cause majeure des conflits entre
les peuples.
C'est un fait particulièrement attristant de l'histoire humaine que des
conflits s'élèvent au nom de la religion. Aujourd'hui même,
des gens sont tués par un mauvais usage de la religion et par
l'encouragement du fanatisme religieux et de la haine, des communautés
sont détruites et des sociétés
déstabilisées. Mon expérience personnelle m'a appris que
le meilleur moyen de vaincre les obstacles par la voie de l'harmonie et de la
compréhension entre les religions était d'instaurer un dialogue
avec ceux qui ont foi en d'autres traditions. Je vois cela se manifester sous
bien des formes. En ce qui me concerne, par exemple, mes rencontres dans les
dernières années 60 avec Thomas Merton, moine trappiste
aujourd'hui disparu, m'ont apporté beaucoup. Elles ont été
à la source de la profonde admiration que je porte aux enseignements
chrétiens. Je ressens aussi comme des moments extrêmement forts le
fait de m'être trouvé parmi des représentants de diverses
religions et de m'être joint à eux pour une prière en
commun, comme en 1986, lors du rassemblement d'Assise, en Italie. Le Sommet
pour la Paix mondiale aux Nations Unies qui, l'an dernier, réunit
responsables religieux et guides spirituels fut également un moment
d'une grande importance. Mais il est nécessaire que de telles
initiatives soient plus nombreuses et fréquentes. Quoiqu'il en soit, il
est nécessaire que des initiatives de cet ordre se multiplient. Pour ma
part, afin de témoigner du respect que je porte aux autres traditions,
je me suis rendu en pèlerinage à Jérusalem, le lieu saint
de trois des grandes religions du monde, ainsi qu'en différents lieux de
pèlerinage hindous, musulmans, chrétiens, jaïns et sikhs, en
Inde comme à l'étranger. Durant les trois dernières
décennies, j'ai rencontré de nombreux responsables religieux
appartenant à différentes traditions et j'ai débattu avec
eux de l'harmonie et de la compréhension entre les religions. De tels
échanges sont l'occasion pour les fidèles de découvrir que
l'enseignement d'une autre tradition peut être source d'inspiration
spirituelle au même titre que leur foi, et dispenser des conseils d'ordre
moral tout aussi valables. Ainsi devient-il clair qu'indépendamment des
points de doctrine et de quelques autres différences, les principales
religions du monde, dans leur ensemble, aident les gens à se transformer
et à devenir des êtres humains accomplis. Toutes mettent en
évidence l'importance de l'amour, de 1a compassion, de la patience, de
la tolérance, du pardon, de l'humilité, de la discipline, etc.
Dans le domaine de la religion aussi, nous devons donc faire nôtre le
concept de pluralité.
Dans le contexte de la mondialisation naissante, toutes les formes de violence,
dont la guerre, sont des moyens tout à fait inadaptés pour
résoudre les conflits. La violence et la guerre ont toujours fait partie
de notre histoire. Autrefois, il y avait des vainqueurs et des vaincus. Mais,
aujourd'hui, si un conflit mondial devait avoir lieu, il n'y aurait plus aucun
vainqueur. Nous devons donc avoir le courage et le discernement de
réclamer un monde sans armes nucléaires et, à long terme,
sans armée nationale. Depuis les terribles attaques qui ont eut lieu aux
États-Unis, la communauté internationale doit tout tenter pour
que cet événement horrible et odieux serve à
développer un sens de la responsabilité à l'échelle
du monde permettant que prévale l'usage du dialogue et de la
non-violence pour résoudre les différends.
Le dialogue est la seule façon raisonnable et intelligente de
résoudre les différends et les conflits d'intérêts,
entre les hommes comme entre les nations. Promouvoir une culture de dialogue et
de non-violence pour l'avenir de l'humanité est un devoir auquel la
communauté internationale ne saurait se soustraire. Il ne suffit pas,
pour les gouvernements, d'approuver le principe de la non-violence ; encore
faut-il accompagner cette approbation d'une action adaptée, susceptible
de la soutenir et de l'encourager. Si l'on veut que la non-violence l'emporte,
il faut mettre en oeuvre des mouvements non-violents dotés de moyens
aptes à leur assurer le succès. Certains disent du
vingtième siècle qu'il aura été un siècle de
guerre et de sang. Je crois que le défi qui nous est lancé
aujourd'hui est de faire du nouveau siècle un siècle de dialogue
et de non-violence.
Par ailleurs, dans le règlement des conflits, nous manquons trop souvent
de bon sens et de courage. Nous n'accordons pas l'attention qu'il faudrait aux
événements générateurs de conflit potentiel quand
ils n'en sont encore qu'à leur début. Une fois que les
circonstances ont évolué jusqu'à atteindre une très
lourde charge émotionnelle chez les populations ou les
communautés, il est extrêmement difficile, sinon impossible,
d'éviter que la situation explose. Le cas s'est
répété maintes et maintes fois. Nous devons donc apprendre
à détecter les signes avant-coureurs de conflit et avoir le
courage de traiter le problème avant qu'il n'ait atteint son point
critique.
Je reste convaincu que la plupart des conflits entre les hommes peuvent trouver
leur solution dans un dialogue authentique, mené dans un esprit
d'ouverture et de réconciliation. C'est la raison pour laquelle, dans ma
recherche d'une solution au problème du Tibet, je n'ai cessé de
préconiser le dialogue et la non-violence. Dès le début de
l'invasion du Tibet, j'ai tenté de travailler avec les autorités
chinoises afin de parvenir à une co-existence pacifique sur la base de
conditions mutuellement acceptables. Même lors du soit-disant
« Accord en dix-sept points pour la Libération Pacifique du
Tibet » que nous avons été forcés de signer,
j'ai essayé de travailler avec les autorités chinoises.
Après tout, par cet accord, le gouvernement chinois reconnaissait la
singularité et l'autonomie du Tibet et s'engageait à ne pas
imposer le système chinois au Tibet contre notre volonté.
Pourtant, en violation de cet accord, les autorités chinoises ont
appliqué de force sur les Tibétains leur idéologie rigide
et si éloignée de nos traditions, montrant ainsi le peu de
respect dans lequel elles tenaient notre culture, notre religion et nos
habitudes de vie particulières. De désespoir, le peuple
tibétain s'est levé contre les Chinois. A la fin de
l'année 59, j'ai dû fuir le Tibet afin de pouvoir continuer
à servir le peuple tibétain.
Depuis ma fuite, c'est-à-dire depuis plus de quatre décennies,
notre pays est soumis au dur contrôle du gouvernement de la
République Populaire de Chine. Les destructions et les immenses
souffrances humaines infligées à notre peuple sont bien connues
aujourd'hui et je ne veux pas m'appesantir sur ces tristes et douloureux
événements. La pétition en 70 000 signes que le
dernier Panchen Lama a adressée au gouvernement chinois demeure un
document historique dénonçant la politique draconienne et les
actions de la Chine au Tibet. Le Tibet reste aujourd'hui un pays occupé,
opprimé et qui subit la force, la peur et la souffrance. Malgré
quelques progrès réalisés en matière de
développement et d'économie, il est toujours confronté au
problème fondamental de sa survie. De graves violations des droits de
l'homme sont perpétrées à travers le Tibet, qui
résultent bien souvent de la politique de discrimination raciale et
culturelle menée par les occupants. Ce ne sont 1à que les
symptômes et les conséquences d'un problème plus profond.
Les autorités chinoises voient dans la spécificité de la
culture et de la religion du Tibet une menace séparatiste. Le
résultat de cette politique délibérée est qu'un
peuple tout entier, sa culture et son identité particulières se
trouvent menacés d'extinction.
J'ai conduit la lutte des Tibétains pour leur liberté selon la
voie de la non-violence. J'ai constamment recherché une solution
mutuellement acceptable au problème tibétain par le biais de
négociations conduites dans un esprit de réconciliation et de
compromis avec la Chine. C'est également dans cet esprit que j'ai
proposé officiellement, en 1988, ici-même, à Strasbourg, en
ce même Parlement, que s'ouvrent des négociations, dans l'espoir
qu'elles servent de base à une solution du problème du Tibet.
C'est intentionnellement que j'avais choisi le Parlement Européen comme
forum pour présenter les idées devant servir de cadre aux
négociations, car je tenais à souligner qu'une union authentique
ne peut se faire qu'avec le bon vouloir de tous et l'assurance que chacune des
parties concernées en tirera bénéfice. L'Union
européenne en est l'exemple clair et convaincant. D'autre part, nous
savons trop bien qu'un pays ou une communauté, aussi uni soit-il, court
le risque de se diviser en deux ou en plusieurs entités quand la
confiance vient à manquer, quand les intérêts de chacun ne
sont pas pris en considération et qu'on utilise la force pour faire
régner sa loi.
Ma proposition, connue par la suite sous le nom d'« Approche de la
Voie du Milieu » ou celui de « Proposition de
Strasbourg », prévoit que le Tibet jouisse d'une authentique
autonomie dans le cadre de la République Populaire de Chine. Non pas
d'une autonomie sur le papier comme celle qui nous fut imposée
voilà cinquante ans par l'Accord en 17 points, mais d'une autonomie
véritable où le Tibet serait doté d'un gouvernement
véritable, composé de Tibétains pleinement responsables de
la conduite des affaires intérieures, telles que l'éducation des
enfants, les questions religieuses, la culture, l'environnement, ô
combien précieux et fragile au Tibet, et l'économie locale,
Pékin conservant la charge des affaires étrangères et de
la défense. Cette solution aurait rehaussé grandement l'image de
la Chine aux yeux de l'étranger. Elle aurait contribué
à consolider sa stabilité et son unité - deux
priorités essentielles pour Pékin - tout en assurant aux
Tibétains le respect de leurs droits fondamentaux et de leurs
libertés et en préservant à la fois leur civilisation
spécifique et le fragile environnement du Plateau tibétain.
Depuis lors, nos relations avec le gouvernement chinois ont connu bien des
hauts et des bas. A mon grand regret, j'ai le devoir de vous informer que la
solution du problème tibétain n'a fait aucun progrès, et
ce, en raison du manque de volonté politique manifeste des dirigeants
chinois pour s'attaquer sérieusement à la question. Les
initiatives et les ouvertures que j'ai persisté à mener depuis
des années en vue d'engager les dirigeants chinois dans la voie du
dialogue, sont demeurées sans réponse. En septembre dernier, je
leur ai communiqué, par l'intermédiaire de l'ambassade de Chine
à New Delhi, notre désir d'envoyer une délégation
à Pékin, chargée de remettre un résumé
détaillé de mes propositions sur le problème du Tibet, et
d'expliquer et débattre des points soulevés dans ce
mémorandum. Je faisais notamment savoir que des rencontres en tête
à tête devraient parvenir à dissiper les malentendus et
à surmonter la méfiance. J'exprimais ma profonde conviction
qu'une fois cela accompli, une solution mutuellement acceptable au
problème du Tibet pourrait alors être trouvée sans trop de
difficulté. Mais, à ce jour, le gouvernement chinois refuse de
recevoir ma délégation. Il est manifeste que l'attitude de
Pékin s'est durcie de façon significative, comparé aux
années 80 où six délégations de Tibétains
issus de la communauté en exil avaient été reçues.
Pékin peut bien donner toutes sortes d'explications à propos des
communications entre le gouvernement chinois et moi-même, pour ma part je
tiens à déclarer clairement ici que le gouvernement chinois
refuse toujours de parler aux représentants que j'ai nommés pour
cette tâche.
Que les dirigeants chinois n'aient pas donné de réponse positive
à mon « Approche de la Voix du Milieu » conforte le
peuple tibétain dans son soupçon que le gouvernement chinois ne
voit nullement l'intérêt d'une quelconque co-existence pacifique.
De nombreux Tibétains, convaincus que la Chine est résolue
à assimiler et à absorber de force le Tibet, réclament
l'indépendance et critiquent mon « Approche de la Voix du
Milieu ». D'autres sont partisans d'un référendum
mené au Tibet, arguant que si les conditions à l'intérieur
du Tibet sont bien celles décrites par les autorités chinoises et
que les Tibétains y vivent pleinement heureux, il ne devrait pas
être difficile d'organiser un plébiscite au Tibet. J'ai
moi-même toujours défendu l'idée que la décision
finale concernant l'avenir du Tibet devait être laissé au peuple
tibétain, comme le Pandit Jawaharlal Nehru, Premier ministre de l'Inde,
l'a déclaré le 7 décembre 1950 au Parlement indien :
« ... En ce qui concerne le Tibet, la dernière voix à
se faire entendre doit être celle du peuple tibétain, et de
personne d'autre. »
Même si nous rejetons avec force l'usage de la violence pour la
défense de notre liberté, nous avons sans aucun doute le droit
d'explorer toutes les autres options politiques valables. En tant que loyal
défenseur de la liberté et de la démocratie, j'ai
incité les Tibétains de l'exil à suivre le processus
démocratique. Aujourd'hui, les réfugiés tibétains
sont parmi les rares communautés en exil à avoir instauré
les trois piliers de la démocratie : les pouvoirs législatif,
judiciaire et exécutif. Cette année, nous avons accompli une
autre grande avancée sur la voie de la démocratisation en
élisant le président du Gouvernement tibétain au suffrage
populaire. Le Gouvernement et son président élu ainsi que le
Parlement composé également de députés élus
assumeront ensemble, en tant que représentants légitimes du
peuple, la responsabilité des affaires courantes de la communauté
tibétaine. Quant à moi, je considère comme un devoir moral
à l'égard des six millions de Tibétains de continuer
à travailler avec les dirigeants chinois à la solution du
problème tibétain. En tant que libre porte-parole du peuple
tibétain, je continuerai à oeuvrer jusqu'à ce qu'une
solution soit trouvée.
En l'absence de réponse positive de la part du gouvernement chinois aux
ouvertures que je propose depuis des années, il ne me reste d'autre
alternative que de lancer un appel à la communauté
internationale. Il est clair maintenant que, seuls, les efforts accrus,
concertés et solides de la communauté internationale persuaderont
Pékin de modifier sa politique à l'égard du Tibet.
Même si les réactions du côté chinois sont
négatives dans l'immédiat, ce qui est à prévoir, je
demeure convaincu malgré tout que l'expression du soutien et de
l'intérêt des nations à notre cause sont essentiels
à la mise en place d'un climat susceptible d'aboutir à une
solution pacifique du problème tibétain. Je reste, pour ma part,
fidèle au processus du dialogue. J'ai la ferme conviction que le
dialogue et le désir de regarder en toute honnêteté et
clarté le Tibet dans sa réalité actuelle, peuvent conduire
à une solution mutuellement avantageuse et que celle-ci contribuera
à la stabilité et à l'unité de la République
populaire de Chine et assurera au peuple tibétain le droit de vivre dans
la liberté, la paix et la dignité.
Chers frères et soeurs du Parlement Européen, je me
considère comme le libre porte-parole de mes compatriotes captifs,
hommes et femmes. Il est de mon devoir de parler en leur nom et place. Je ne le
fais pas guidé par un sentiment de colère ou de haine à
l'égard de ceux qui portent la responsabilité de l'immense
souffrance de notre peuple, de la destruction de notre terre, de nos foyers, de
nos temples et monastères et de notre culture. Ce sont, eux aussi, des
êtres humains qui luttent pour trouver le bonheur et ils ont droit
à notre compassion. Je parle pour vous faire connaître la triste
situation dans laquelle se trouve mon pays aujourd'hui et les aspirations de
mon peuple, parce que la vérité est la seule arme que nous
possédions dans notre lutte pour la liberté. Aujourd'hui, notre
peuple, ainsi que le riche héritage culturel qui constitue notre
singularité et notre identité nationale sont menacés
d'extinction. Nous avons besoin de votre soutien pour survivre, en tant que
peuple et en tant que culture.
Au vu de ce qui se passe à l'intérieur du Tibet, au vu de la
répression croissante, de la destruction constante de notre
environnement et du travail de sape systématique de la culture et de
l'identité du Tibet, la situation pourrait sembler sans espoir. Pourtant
je persiste à croire que l'actuelle tendance vers la mondialisation
conduira la Chine à plus d'ouverture, de liberté, de
démocratie et de respect des droits de l'homme. Aussi grande et
puissante soit-elle, la Chine, qui fait partie du monde, devra tôt ou
tard suivre la tendance à la mondialisation et il ne lui sera pas
possible, à long terme, d'échapper à la
vérité, à la justice et à la liberté.
L'engagement solide, et fondé sur des principes communs, qui lie le
Parlement européen à la Chine va accélérer le
processus de changement déjà amorcé. Le problème
tibétain étant étroitement lié à ce qui se
passe en Chine, je crois qu'il y a là une sage raison d'espérer.
Je tiens à remercier le Parlement européen pour sa
persévérance à diffuser ce qui touche à la lutte
non-violente des Tibétains pour leur liberté. Votre sympathie et
votre soutien ont toujours été pour tous les Tibétains,
ceux de l'intérieur comme ceux de l'exil, une source d'inspiration
profonde et un encouragement. Les nombreuses résolutions prises par le
Parlement Européen sur le problème du Tibet ont beaucoup
aidé à faire la lumière sur la situation critique dans
laquelle se trouve notre peuple et à éveiller à la cause
du Tibet la conscience publique et les gouvernements d'Europe et du monde. La
résolution du Parlement réclamant la désignation
spécifique d'un représentant de l'Union européenne pour le
Tibet représente pour moi un encouragement tout particulier. Je suis
convaincu que
l'application de cette résolution permettra
à l'Union européenne non seulement de promouvoir la
nécessité d'une solution pacifique et négociée au
problème tibétain, et cela de façon plus solide, efficace
et créative, mais aussi de fournir un soutien si d'autres besoins
légitimes du peuple tibétain se faisaient entendre, y compris,
les voies et les moyens de défendre la spécificité de
notre identité. Cette initiative sera également un signal fort
adressé à Pékin, il lui montrera que l'Union
européenne est déterminée à encourager et à
favoriser une solution au problème tibétain. Je ne doute pas que
vos constantes manifestations, preuves de votre intérêt et de
votre soutien à la cause du Tibet, produisent à long terme un
impact positif et contribuent à créer un climat politique
susceptible de conduire à un dialogue constructif sur cette question. Je
vous demande de continuer à soutenir notre cause dans cette
période difficile de l'histoire de notre pays.
Je vous remercie de m'avoir offert l'opportunité de partager mes
pensées avec vous.
Merci.
ANNEXE III : RÉSOLUTION DE LA CONFÉRENCE PARLEMENTAIRE SUR LE TIBET DES 14 ET 15 NOVEMBRE 2002
Les
participants à la Conférence parlementaire européenne sur
le Tibet, comprenant des membres du Parlement européen et des Parlements
nationaux des États membres de l'Union européenne, des
États candidats et de la Confédération helvétique,
des représentants de groupes de soutien au Tibet et d'ONG,
rassemblés à Bruxelles les 14 et 15 novembre 2002 pour
débattre de la situation au Tibet, à l'unanimité :
A. déplorent la poursuite des violations des droits du peuple
tibétain par le gouvernement de la République populaire de Chine
(RPC) ;
B. saluent les efforts assidus de Sa Sainteté le Dalaï Lama et
du gouvernement du Tibet en exil pour éviter le recours à la
violence et trouver une solution politique pacifique à la
tragédie du Tibet ;
C. saluent de tout coeur la reprise des contacts entre le gouvernement de
la République populaire de Chine et les envoyés de S.S. le
Dalaï Lama en Chine et au Tibet au mois de septembre 2002 ;
D. saluent la libération de quelques prisonniers politiques
tibétains dont, cette année, Takna Jigmé Sangpo et Ngamang
Sangdrol ;
E. félicitent M. Hu Jintao pour sa nomination au poste de
Secrétaire général du Parti communiste chinois et lui
demandent instamment de prendre sans tarder des mesures décisives pour
résoudre le problème sino-tibétain par la
négociation ;
F. réaffirment l'importance du respect absolu des droits humains du
peuple tibétain et, en particulier, de l'exercice du droit du peuple
tibétain à l'autodétermination ;
G. se félicitent de l'invitation qui a été faite
à S.S. le Dalaï Lama de s'adresser au Parlement
européen le 24 octobre 2001 et saluent le discours qu'il a
prononcé et les propositions qu'il a formulé à cette
occasion ;
H. expriment l'inquiétude que suscite l'absence d'une politique
européenne sur le Tibet cohérente et déterminée,
visant à assurer le respect des droits du peuple tibétain et
à promouvoir un règlement politique du problème
sino-tibétain ;
I. déplorent que le dialogue entre l'Union européenne et la
République populaire de Chine sur les Droits de l'Homme n'ait toujours
pas d'effet positif notable sur la situation au Tibet ;
J. sont convaincus de l'importance de garantir la paix et la
stabilité au Tibet et dans les régions avoisinantes ainsi que des
dangers que représenterait un échec en la matière pour
l'ensemble de la région et au-delà ;
K. sont convaincus de surcroît que l'Europe ainsi que les
gouvernements et Parlements nationaux peuvent et doivent élaborer une
politique déterminée qui vise à apporter une solution
politique rapide et durable au problème sino-tibétain ;
L. rappellent les résolutions du Parlement européen du
15 janvier et du 11 avril 2002 demandant au Conseil et à la
Commission de nommer un Représentant spécial de l'Union
européenne pour le Tibet ;
M. notent avec une grande satisfaction que le détenteur d'un poste
similaire au sein du gouvernement des États-Unis, le coordinateur
spécial des États-Unis pour le Tibet, à contribué
à inspirer au gouvernement des États-Unis une politique proactive
et cohérente vis-à-vis de la Chine et du gouvernement du Tibet en
exil en ce qui concerne le Tibet ;
N. sont hautement conscients de l'impact positif du travail du
Coordinateur spécial des États-Unis pour le Tibet ;
O. rappellent la résolution du Parlement européen du
6 juillet 2000 envisageant de reconnaître formellement le
gouvernement du Tibet en exil comme représentant légitime du
Tibet et du peuple tibétain si aucun accord entre le gouvernement de la
RPC et le gouvernement du Tibet en exil sur un nouveau statut du Tibet,
acceptable par le peuple tibétain, n'était pas conclu d'ici le 6
juillet 2003 ;
P. rappellent les résolutions récentes votées par des
Parlements nationaux, dont la résolution sur le Tibet adoptée par
la Chambre des députés italien, le 9 octobre 2002 ;
Q. sont convaincus de l'importance d'adopter une position de principe dans
les rencontres multilatérales, et en particulier aux Nations unies, sur
la situation au Tibet et notamment sur la situation des Droits de l'Homme ;
R. sont tout autant persuadés que la poursuite d'actions, notamment
la présentation de résolutions sur la situation au Tibet devant
la Commission des Droits des L'Homme de l'Organisation des Nations unies, n'est
en rien incompatible avec la tenue d'un dialogue sur les Droits de l'Homme avec
la République populaire de Chine et pourrait même contribuer
à ce que ce dialogue produise des effets.
En conséquence, nous :
I. prions instamment le Conseil et la Commission de l'Union
européenne de mettre en oeuvre les résolutions
susmentionnées du Parlement européen sur le Tibet et de nommer
sans délai un Représentant spécial sur le Tibet, en
prenant modèle, dans la mesure qui convient, sur la fonction similaire
assumée par le Coordinateur spécial des États-Unis pour le
Tibet, et en donnant au Représentant spécial le mandat d'aider
les États membres de l'Union européenne aussi bien que les
États qui aspirent à le devenir à élaborer et
à mettre en oeuvre une politique consistante sur le Tibet, visant
à promouvoir dans un avenir proche des négociations
sérieuses en vue d'une solution juste et durable compte tenu de la
gravité de la situation au Tibet ;
II. appelons l'Union européenne et tous les gouvernements
européens à saisir toutes les occasions qui se présentent
d'exercer de fortes pressions sur le gouvernement de la République
populaire de Chine pour qu'il mette à profit la reprise des contacts
avec les représentants de S.S. le Dalaï Lama afin d'aller de
l'avant et s'engage immédiatement dans des négociations
sérieuses et sincères afin de trouver une solution politique
juste et définitive ;
III. appelons le Parlement européen et les Parlements nationaux des
pays européens à prendre les mesures qui conviennent en vue de la
reconnaissance du gouvernement du Tibet en exil comme représentant
légitime du Tibet et du peuple tibétain si, d'ici le 6 juillet
2003, aucun accord politique satisfaisant établissant un nouveau statut
du Tibet n'a été conclu entre le gouvernement de la RPC et le
gouvernement du Tibet en exil ;
IV. appelons l'Union européenne à passer
régulièrement en revue les résultats de son dialogue sur
les Droits de l'Homme avec la RPC, conformément aux critères
convenus, et à établir un secrétariat permanent
responsable de la conduite effective de ce dialogue à l'avenir ;
V. prions instamment tous les gouvernements européens ainsi que le
Conseil et la Commission de l'Union européenne de
réévaluer leur manque d'initiative récent en vue de faire
adopter des résolutions par la Commission des Droits de l'Homme de
l'ONU sur la Chine et sur le Tibet, et de présenter et soutenir
activement de telles résolutions lors de la prochaine session de la
Commission et des sessions suivantes et, tout particulièrement, de
demander que la Troïka européenne joue un rôle
déterminant à cet égard en 2003, 2004 et 2005 ;
VI. appelons l'Union européenne et les gouvernements des
États européens à soulever la question du droit du peuple
tibétain à l'autodétermination au troisième
comité de l'Assemblée générale des Nations unies
lors de sa prochaine session et des sessions suivantes ;
VII. exigeons la libération par la République populaire de
Chine de tous les prisonniers politiques tibétains, dont le Panchen
Lama, Gedhun Choekyi Nyima, âgé de 13 ans, en captivité
depuis 1995 ;
VIII. demandons au Parlement européen, aux Parlements nationaux,
à la Commission européenne et au Conseil de prendre des mesures
pour observer avec attention si le traitement réservé aux
Tibétains par les autorités de la RPC est modifié par le
privilège accordé à la Chine d'accueillir les Jeux
olympiques en 2008 et, si aucune amélioration substantielle n'est
constatée, d'appeler la famille olympique et ses représentants,
dont le CIO, à prendre des mesures appropriées ;
IX. nous engageons à poursuivre résolument notre action au
sein de nos corps législatifs, du Parlement européen et des
Parlements nationaux, aussi bien que dans nos relations avec les gouvernements
nationaux et régionaux, et avec les organisations internationales, sur
tous les points exposés dans la présente déclaration et
à nous tenir mutuellement informés de chaque progrès et
réaction à cet égard jusqu'à la prochaine
conférence parlementaire européenne sur le Tibet, qui aura lieu
dans un an.
ANNEXE IV : AUDITIONS DU GROUPE D'INFORMATION
Audition de Sa Sainteté le Dalaï Lama
Mardi 26 septembre 2000
M. Claude Huriet,
sénateur de Meurthe-et-Moselle,
Président du groupe sénatorial d'information sur le Tibet
:
Votre Sainteté, mes chers collègues, mes chers amis, Mesdames,
Messieurs. Au nom de mes collègues, présidents et membres des
groupes d'études sur le Tibet, tant à l'Assemblée
nationale qu'au Sénat, je souhaite vous dire le plaisir et l'honneur que
nous ressentons à vous accueillir une nouvelle fois au Sénat.
Nous sommes plus de 250 parlementaires, à l'Assemblée nationale
et au Sénat, à nous être engagés, souvent de longue
date, en faveur du soutien au peuple tibétain et à Votre
Sainteté. Cet engagement ne s'est jamais démenti.
Je suis également heureux de vous accueillir au nom du Président
du Sénat, M. Christian Poncelet, qui m'a chargé de vous
remettre ce message dont je vais, avec votre autorisation, vous donner lecture.
«
Absent de Paris du fait d'engagements contractés de longue
date, je ne suis pas en mesure de vous accueillir personnellement au Palais du
Luxembourg, comme j'avais été heureux et honoré de le
faire le 9 décembre 1998, lors des commémorations, au
Sénat, du cinquantième anniversaire de la Déclaration des
droits de l'Homme.
J'ai donc demandé à mes collègues et amis, le
Président et le Président délégué du groupe
d'information sur le Tibet, M. Claude Huriet, sénateur de
Meurthe-et-Moselle, questeur du Sénat, et M. Louis de Broissia,
sénateur de la Côte d'Or, de vous souhaiter, au nom de tous les
membres du groupe, de tous les amis du Tibet au Sénat et de l'ensemble
de nos collègues sénateurs, comme en mon nom personnel, la
très cordiale bienvenue au Sénat. Notre assemblée
parlementaire est la maison de la démocratie et de la
liberté ; elle s'honore donc d'y recevoir le défenseur des
droits de l'Homme que vous êtes.
Mes collègues vous diront que je soutiens votre engagement courageux en
faveur des libertés fondamentales, notamment de la liberté
religieuse, et des droits du peuple tibétain au respect de son
identité et de ses traditions. Vous pouvez être assuré de
trouver au Sénat, comme parmi la majorité des Français,
l'attention, la sympathie et même l'appui nécessaires, pour
contribuer à vous soutenir dans votre démarche de paix.
»
Votre Sainteté, vous êtes devant le Parlement français,
répondant à son invitation, pour la quatrième fois depuis
1990. Les parlementaires qui vous accueillent sont à vos
côtés et aux côtés du peuple tibétain. Ils
l'ont manifesté, en 1996, en lançant l'
Appel des
parlementaires français pour le Tibet
qui avait recueilli, à
l'époque, plus de 340 signataires. Nous avons, voici quelques mois,
lancé une nouvelle démarche à laquelle nos
collègues répondent très nombreux, le
Manifeste 2000
des parlementaires français pour le Tibet
.
Je voulais, au nom de tous, vous exprimer nos sentiments d'admiration, notre
respect, mais aussi notre amitié fraternelle. Vous incarnez en effet,
Votre Sainteté, à nos yeux, les trois vertus nécessaires
à l'équilibre de notre monde : la non-violence, l'esprit de
paix et la volonté de dialogue ; la simplicité et la
sagesse. Nous sommes sensibles à cette image que vous incarnez,
l'entente, la volonté de dialogue et de paix. J'en vois un signe tout
à fait évident dans le fait que les différentes
démarches que j'ai évoquées tout à l'heure ont
recueilli les signatures de nombreux parlementaires, et de parlementaires de
toute sensibilité politique. C'est donc autour de votre personne et du
peuple tibétain que cette entente entre les différentes
composantes de la vie démocratique française a pu se manifester.
C'est un exemple - hélas ! - trop rare pour ne pas être
souligné. Le témoignage de simplicité que vous nous
apportez devrait inspirer mon propos qui n'est pas, vous le sentez bien, un
discours d'accueil, mais un propos très libre, très chaleureux et
très sincère. Quant à la sagesse que vous incarnez au
degré suprême, vous allez nous en apporter une nouvelle preuve
à travers vos réponses à la question essentielle dont nous
allons débattre cet après-midi : pourquoi aider le
Tibet ? (
Applaudissements
)
M. Richard Cazenave,
député de l'Isère,
Président du groupe d'études parlementaire sur les
problèmes du Tibet
:
Votre Sainteté, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, je
voudrais, après Claude Huriet, vous dire quel bonheur est le nôtre
de vous accueillir ici, au Sénat, mais au nom des deux
assemblées. Et de le faire pour la première fois en tant que
Président du groupe Tibet puisque les autres fois où j'ai eu le
plaisir de vous rencontrer, c'est Louis de Broissia, qui continue, ici,
d'être le fervent animateur de nos groupes communs, qui le
présidait à cette époque. C'est vous dire que nous avons
là, à l'Assemblée nationale et au Sénat, des
parlementaires qui, de longue date et très nombreux - puisque, mes
collègues pourraient en témoigner, nous sommes le groupe
d'études le plus important de l'Assemblée nationale -, se sont
engagés et sont décidés à poursuivre, à vos
côtés, la longue marche vers la liberté au Tibet, vers le
respect de l'identité culturelle, vers les objectifs politiques que vous
vous êtes assignés, et que nous partageons.
Nous avons, ces derniers mois, multiplié les initiatives. Nous avons
rencontré quelques succès - Louis de Broissia pourra en
parler -, nous avons aussi rencontré des échecs et des
questions fondamentales sur l'attitude qui devrait être celle de notre
pays face à la Chine. Des questions nombreuses sur le
« dialogue critique » et ses résultats - que nous ne
manquons pas d'ailleurs de poser régulièrement parce que chaque
semaine un ou plusieurs députés interpellent les autorités
et l'exécutif de notre pays sur ces questions -. Bref, nous sommes
portons des succès, des échecs, des interrogations.
Peut-être la réponse est-elle dans le livre de M. Claude Arpi
qui a écrit un livre magnifique «
Tibet, le pays
sacrifié
» et qui nous rappelle la phrase de Malraux
disant «
le XXI
e
siècle sera spirituel ou
ne sera pas
». Nous voulons voir là un point de rencontre avec
un thème fort de votre présence ces deux semaines en France, qui
est celui de l'éthique, et d'une éthique pour le nouveau
millénaire. C'est dire si, au delà du combat pour le Tibet, nous
avons le sentiment, en réalité, de mener un combat pour les
droits de l'homme. Face à ce nouveau millénaire, devant ce monde
de globalisation, de mondialisation, qui s'ouvre à nous peu-être
que, plus largement, la réponse positive aux attentes du Tibet constitue
la voie à suivre pour que ce millénaire soit celui des hommes et
non celui des machines, celui du respect des identités, celui de la
paix. (
Applaudissements
)
M. Louis de Broissia,
sénateur de la Côte d'Or,
Président délégué du groupe sénatorial
d'information sur le Tibet
:
Messieurs les Présidents, Votre Sainteté, pourquoi aider le
Tibet, dans un contexte de mondialisation, à la veille d'un nouveau
millénaire ? Lorsque, avec Jean-Michel Belorgey, en 1989, à
l'Assemblée nationale, nous nous posions la question, le contexte
était différent. La Chine était différente ; le
Tibet existait encore. Nous sommes d'abord heureux, Votre Sainteté,
d'avoir contribué à l'éveil des parlements du monde,
puisque les Suédois, les Allemands, le Parlement européen, le
Congrès américain, etc., ont suivi l'exemple français.
Aujourd'hui les 160 signataires des deux assemblées du
Manifeste 2000
pour le Tibet
, montrent l'exemple et traduisent la sensibilité de
nos électeurs, du peuple français.
Les questions que nous pourrions nous poser à propos du Tibet, car
elles se bousculent dans notre tête, seraient dès lors : le Tibet
vis-à-vis de la Chine d'aujourd'hui, vis-à-vis de l'Inde
d'aujourd'hui, vis-à-vis du monde d'aujourd'hui pose-t-il un
problème simplement géostratégique, environnemental - car
il est le berceau des grands fleuves d'Asie -, ou est-ce simplement une
situation classique de perte d'autonomie d'un peuple vis-à-vis de sa
langue, de sa culture, de sa religion ? Pourquoi faut-il aider le Tibet ? Je le
dis au passage, - le Président de Villepin le sait, et je lui rends
un hommage particulier - le groupe sénatorial est un groupe qui est
favorable à la cause tibétaine et qui n'est hostile à
aucun peuple. Nous souhaitons simplement dire la vérité,
constamment et inlassablement parce que, nous avons, nous, encore le pouvoir de
le faire.
Nous avons subi, comme le disait Richard Cazenave, un succès - les
parlements du monde se sont mobilisés, la Banque mondiale n'a pas
donné suite à un projet concernant les hauts plateaux
tibétains -. Nous connaissons un échec : les parlementaires,
parrains du XI
ème
Panchen-Lama, ne l'ont pas revu depuis
5 ans, ni lui, ni ses parents, malgré nos démarches à
l'Ambassade de Chine.
Aujourd'hui, Votre Sainteté, la question est simple. Les médias,
- très présents ici et que je salue - rendent compte
fidèlement, en France, depuis quelques semaines, depuis quelques mois,
depuis quelques années, de la situation du Tibet. Beaucoup de pages vous
sont consacrées ainsi qu'à votre engagement, à votre
peuple. Mais est-il encore temps d'aider le Tibet ?
(
Applaudissements
)
M. Claude Huriet :
Votre Sainteté, vous venez d'être interpellé
- amicalement, vous le savez bien - afin que vous apportiez des
éléments de réponse à cette question qui nous
hante. Non pas tant, faut-il aider le Tibet ? - car nous ne serions pas
là si nous n'en n'avions pas la volonté -. Mais, davantage,
comment pouvoir poursuivre nos efforts, tout en conservant l'espoir que ces
efforts atteindront finalement, un jour, leur objectif ?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama :
(
Traduction
)
Aujourd'hui, j'ai la grande joie de rencontrer, mes amis, membres de
l'Assemblée nationale et du Sénat, et je vous remercie de
l'occasion qui m'est donnée de discuter avec vous. Cela fait de
nombreuses années que nous nous connaissons, maintenant. Aujourd'hui, il
s'agit donc d'une sorte de réunion entre vieux amis. C'est la sensation
chaleureuse que j'ai eue en revenant ici. Vous exprimez la chaleur humaine, des
sentiments qui viennent vraiment de votre coeur, et, ce, avec force. Et cela me
réjouit grandement. Car, s'il y a une chose dont je suis vraiment
convaincu, c'est que la tendresse, l'affection, l'altruisme entre les
êtres humains, sous la forme d'interdépendance, est quelque chose
d'essentiel. Si l'on abandonnait cette notion de tendresse, il n'y aurait plus
moyen de concilier des points de vue différents. C'est par le respect,
la tendresse mutuelle qui est inhérente à l'être humain,
que l'on peut résoudre ces questions. En l'absence de tendresse, la
moindre différence finit par creuser un fossé infranchissable qui
nous sépare. Lorsque, souvent, je donne des conférences
publiques, j'essaie de mettre en valeur la nécessité de
promouvoir les valeurs humaines. En ce qui vous concerne, je ressens ce
sentiment d'intimité et d'affection mutuelle et je crois qu'il n'est pas
nécessaire de promouvoir plus avant les valeurs humaines. Vous les
détenez. J'en suis très heureux et voudrais vous remercier
à nouveau.
En ce qui concerne le problème du Tibet, je dis toujours que c'est une
cause qui est fondée sur la justice. Ainsi, lorsqu'on parle de la cause
du Tibet, faut-il en parler de façon authentique, véridique. Ce
n'est pas la peine d'exagérer, ce n'est pas la peine de faire de la
désinformation - il n'y a rien à cacher non plus -. La
force de la vérité suffit simplement pour s'intéresser
à la cause du Tibet.
Dans un monde où se développent les connaissances, la science,
l'intérêt pour la religion et la politique, lorsque la situation
au Tibet est connue, naît d'ailleurs naturellement une certaine
sympathie, un désir d'aider. Je ne cherche pas que les gens qui
manifestent ce soutien, cette sympathie, prennent partie pour le Tibet ou
contre quelqu'un d'autre. Ce qu'il faut c'est prendre partie pour la
vérité, pour la justice. Ce n'est pas pour le Tibet en lui
même qu'il faut prendre partie. Je crois à cet égard que
les médias ne devraient pas se contenter de parler uniquement des
événements spéciaux ou dramatiques qui s'y passent, mais
plutôt rendre compte de la situation telle qu'elle perdure au Tibet.
Encore une fois, la nécessité de maintenir une information sur le
Tibet doit être basée sur la situation telle qu'elle est
véritablement, sur la réalité. Pour ma part, je me sens
encouragé lorsque je sais que cette justice et cette
vérité sont reconnues et que c'est sur cette base que l'on
m'offre du soutien. Cela renforce mon courage.
Les membres du Sénat et de l'Assemblée nationale que vous
êtes avez été élus par le peuple. Donc, en fait,
vous représentez les sentiments d'un très grand nombre
d'êtres humains, de citoyens français. Et à travers vous,
c'est aussi à eux que je m'adresse.
En ce qui concerne la raison pour laquelle nous devons nous intéresser
au Tibet, il s'agit d'une question très importante. Pour moi, le premier
point, c'est que l'on doit s'y intéresser simplement au motif de la
justice et de la vérité. Cela devient donc une question de
morale, d'éthique. Lorsque l'on parle de la société
humaine, la vérité, la justice doivent être en toute
occasion soutenues. Parfois, il arrive que, sous la force des
événements ou de la contrainte, la vérité puisse se
perdre et le mensonge prédominer. Mais, ce n'est pas la situation d'une
communauté dans son ensemble. Si le mensonge triomphe à la suite
de l'activité d'un certain nombre d'individus, je pense que c'est une
grande perte et un problème pour la terre tout entière.
Au Tibet, il y a en outre un grand problème concernant l'environnement.
Il serait en conséquence éminemment souhaitable que des experts
puissent étudier et comprendre qu'il existe dans ce pays, situé
en très haute altitude, un équilibre naturel très
délicat, très fragile, qu'il est primordial de préserver.
Si l'on détruit cet équilibre délicat des hauts plateaux
du Tibet, je crois qu'il y aura des répercussions dramatiques dans tous
les pays environnants : des changements climatiques et des catastrophes
naturelles liées à ces changements climatiques. Voilà une
autre raison pour laquelle la question du Tibet est importante.
Le Tibet se trouve également entre les deux nations les plus
peuplées du monde que sont l'Inde et la Chine avec lesquelles il
entretient des liens depuis longtemps. S'agissant de ces liens, l'idéal,
bien sûr, serait qu'il y ait des relations harmonieuses de confiance
mutuelle avec l'Inde et la Chine. Cela ne concerne pas seulement ces trois
pays, mais tous les pays alentours. Si ces deux grands pays sont en paix, c'est
un facteur capital pour la paix mondiale. La situation actuelle au Tibet fait
au contraire qu'un très grand de troupes chinoises se trouvent en face
d'un autre grand nombre de troupes indiennes, et c'est là un facteur
d'instabilité.
Une autre raison d'aider le Tibet, c'est que la culture bouddhique
tibétaine est extrêmement ancienne. Or, au regard de
l'évolution actuelle de la planète, je crois que la culture
tibétaine peut apporter des bienfaits à l'ensemble du monde, et
en particulier à la Chine car la tradition bouddhique n'y est pas
étrangère. Aujourd'hui, d'ailleurs, en Chine, il y a beaucoup de
gens qui s'intéressent au bouddhisme de manière
générale, et plus particulièrement au bouddhisme
tibétain. De ce fait, si le bouddhisme tibétain et la culture qui
lui est associée peuvent être préservées au Tibet,
cela ne constitue pas seulement un bienfait pour 6 millions de
Tibétains mais pour tous les peuples du monde et en particulier pour le
peuple chinois. Si l'on regarde l'intérêt mondial, je crois
vraiment que la culture et la philosophie bouddhistes contribuent, à
leur niveau, aux bienfaits dans le monde. Cela m'apparaît clairement et
cela a aussi à voir avec la question des droits de l'homme.
Donc, sous tous ses aspects, bien que le Tibet soit un pays isolé,
lointain, élevé, avec une faible population, sa situation
engendre des répercussions qui touchent à beaucoup d'autres
aspects dans le monde. Est-ce que cette réponse satisfait à vos
questions ? (
Applaudissements
)
M. Claude Huriet :
Merci beaucoup Votre Sainteté pour les éléments de
réponse que vous nous avez apportés. Je vais demander maintenant
à mes collègues si ils ont quelques questions concises,
précises, à vous poser. J'insiste sur cette exigence car votre
temps est compté. Vous êtes très sollicité en
France, comme partout où vous allez, et vous avez un rendez-vous
important avec M. le Président de l'Assemblée nationale.
Vous pensez bien, Mesdames, Messieurs, que dans le climat actuel il n'est pas
question que le Sénat apparaisse comme ayant retardé Sa
Sainteté le Dalaï-Lama pour sa rencontre avec le Président
de l'Assemblée nationale. Nous tenons trop à avoir des relations
de qualité entre les deux assemblées. Ensuite, pour un temps sans
doute limité, les journalistes auront également la
possibilité, si mes collègues en sont d'accord, de vous
interroger.
M. Xavier de Villepin,
sénateur représentant les
Français établis hors de France
:
Votre Sainteté, je voudrais vous poser une question sur les
équilibres démographiques au Tibet. Avez-vous l'impression que la
Chine veuille changer ces équilibres et qu'elle cherche à
diminuer le poids des Tibétains pour les remplacer par des Chinois ?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama :
Au regard des quarante dernières années, si l'on considère
les grandes villes tibétaines, il y a maintenant moins de
Tibétains que de Chinois. Les Tibétains sont donc minoritaires
dans les villes. Pour le reste, il existe par exemple un programme de
développement des régions occidentales de la Chine. Il est
important, bien sûr, d'apporter un progrès matériel
à ces régions qui sont nettement moins développées
que d'autres - il y a de bonnes raisons à vouloir le faire et, en
tant que Tibétain, je ne peux que m'en réjouir -. Cependant,
sur la base de notre expérience, nous constatons que les progrès
qui ont été réalisés jusqu'à maintenant au
Tibet n'ont pas permis de promouvoir l'éducation tibétaine, ni
que les Tibétains reçoivent plus d'informations. Sur cinquante
ans, il y a en effet eu très peu d'efforts faits en matière
d'éducation et de formation professionnelle pour les Tibétains.
Si l'on prend la ville de Lhassa, on constate un progrès en terme de
richesses, mais tout vient de Chine et des commerçants chinois. Ainsi,
au regard de cette expérience, le développement de l'Ouest de la
Chine aurait pour résultat un nouveau transfert de population, une
colonisation et un apport de colons chinois considérables. Dans
certaines régions de l'Est du Tibet, dans la région du Kham, les
Chinois parlent de développement mais construisent des villes
complètement neuves dans lesquelles il y a très peu de
Tibétains. C'est une situation qui draine de plus en plus de Chinois et,
que ce soit intentionnellement ou non, le résultat en est qu'une sorte
de génocide culturel se perpétue au Tibet. De surcroît, du
point de vue de l'environnement et de l'écologie, il faut faire
extrêmement attention à cette idée de développer
l'Ouest de la Chine. Le risque est de détruire totalement
l'équilibre écologique très fragile du Tibet et d'y
provoquer des catastrophes.
M. Jean-Pierre Plancade,
sénateur de Haute-Garonne
:
Je voudrais poser à Sa Sainteté une question relative à
l'attitude des États à l'égard de la Chine, attitude qui
est plus souvent déterminée par l'intérêt
économique que par le sens des droits de l'homme. C'est la raison pour
laquelle je souhaiterais avoir votre avis sur ce comportement, notamment
s'agissant de ce que l'on peut considérer comme ce droit universel que
sont les droits de l'homme.
Sa Sainteté le Dalaï-Lama :
La Chine est un immense pays et, bien sûr, il est nécessaire de se
relier à la Chine avec sagesse, de faire preuve de discernement. Il est
essentiel que la Chine fasse partie de la communauté mondiale. On ne
doit pas isoler la Chine. Si la Chine s'intègre à la
communauté mondiale, c'est dans l'intérêt du monde entier.
Or, l'intégration de la Chine dans le courant mondial se fait
principalement par le biais de l'économie. Donc ces liens
économiques sont nécessaires. Pourtant ce que je dis souvent
à mes amis c'est que, certes il faut que ce développement
économique prenne place, mais en même temps il ne faut pas
négliger le problème des droits de l'homme, le problème de
l'environnement et, dans le cas du Tibet, la liberté de pratiquer le
bouddhisme et la nécessité de protéger la culture
tibétaine. D'ailleurs, dans la constitution chinoise, les droits
à l'égard de cette liberté religieuse sont
théoriquement garantis. Il faudrait que tout cela soit mis en pratique
dans la réalité. Il est nécessaire que les gouvernements
soient fermes et clairs sur ces questions. C'est, du point de vue de ma sagesse
qui est toute petite, mon idée. Mais, vous qui avez une grande sagesse,
qu'avez-vous à me conseiller ? (
Sourires
)
M. Claude Huriet :
Qui veut répondre ? (
Sourires
)
M. Robert Del Picchia,
sénateur représentant les
Français établis hors de France
:
Votre Sainteté, je n'ai pas beaucoup de sagesse, et certainement encore
moins que vous, mais je voudrais aller dans le sens de mon collègue et
vous poser une question sur la Chine. Vous avez des amitiés et du
support un peu partout dans le monde. En voilà une preuve, ici. Est-ce
qu'en Chine même, vous avez des supports, un
lobby
? Est-il exclu
d'envisager qu'à l'avenir il y ait un mouvement, en Chine même, en
faveur de vous même et du Tibet ?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama :
Il y a eu, à l'intérieur de la Chine, depuis une quinzaine
d'années, de très grands changements. Aujourd'hui, on ne peut
plus arrêter les connaissances ni l'information en Chine. Grâce
à cela, la réalité concernant la situation au Tibet
devient mieux connue à l'intérieur même de la Chine. Chez
les intellectuels, les professeurs, les artistes, les étudiants, on voit
ainsi naître un intérêt croissant à l'égard
des problèmes du Tibet. Nombre de Chinois observent que le Tibet
recherche ce sentiment de liberté démocratique et reconnaissent
qu'il a beaucoup souffert pour cela. De la même façon, ils
commencent à comprendre que le Tibet possède une culture et une
tradition uniques et à apprécier la valeur de cette culture. Je
crois que, si une telle attitude se maintient à long terme, cela
constituera une très bonne nouvelle. Cela étant, il est difficile
de faire du
lobbying
en Chine. Ici, nous connaissons la liberté,
mais si nous nous essayions à faire du
lobbying
en Chine ce
serait beaucoup plus risqué.
M. Pierre-Yvon Trémel,
sénateur des Côtes
d'Armor
:
Votre Sainteté, depuis quelques années est apparue une notion
assez nouvelle en matière de relations internationales, celle du droit
d'intervention humanitaire, du droit d'ingérence. L'adoption de cette
notion amène les organisations internationales à intervenir dans
certains pays - nous les connaissons -, mais pas dans d'autres
où, pourtant, on constate des exactions qui sont tout à fait
avérées. J'aimerais savoir comment vous analysez cette
différence de comportement ?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama :
Il y a quinze ou vingt ans, je constatais déjà que les gens
étaient très émus par les violations des droits de l'homme
en Union soviétique, mais beaucoup moins en Chine. Il semblait qu'il y
avait, en quelque sorte, deux poids deux mesures s'agissant de
différents êtres humains. Je pense qu'en matière de droits
de l'homme, on ne peut pas faire de différence entre les êtres
humains, on ne peut pas faire de différence entre les religions, entre
les gens qui ont plus ou moins de connaissances, entre ceux qui sont riches ou
pauvres. Les droits de l'homme sont les mêmes pour tout le monde. En ce
qui concerne les interventions dans les affaires intérieures d'un pays,
je souligne parfois que lorsqu'il y a des inondations, des tremblements de
terre, et que l'on vient apporter une aide, on ne dit pas qu'il s'agit d'une
ingérence dans les affaires intérieures. Lorsqu'il y a des
difficultés, des souffrances, des tragédies, il n'y a plus de
frontières nationales. La priorité, c'est de soulager ces
souffrances et ces tragédies. De la même façon, la
violation des droits de l'homme cause de grandes souffrances aux êtres.
Et ce n'est pas comme les catastrophes naturelles pour lesquelles l'homme n'a
aucune responsabilité. Les violations des droits de l'homme, la
discrimination raciale ou autre, sont des catastrophes, des souffrances qui
sont produites par les êtres humains. Les mêmes êtres humains
peuvent donc les résoudre et il faut s'appliquer à le faire.
Lorsqu'on a un véritable ami, il faut savoir lui révéler
ses défauts. C'est une très bonne chose. C'est une preuve
d'amitié. Si notre ami fait des choses inconvenantes et qu'on lui dit
que c'est parfait, on n'est pas vraiment sympathique à l'égard de
cet ami.
M. Claude Huriet :
Belle leçon que chacun pourrait méditer.
M. Hubert Durand-Chastel,
sénateur représentant les
Français établis hors de France
:
Votre Sainteté, il y a eu récemment à New York une grande
réunion de
leaders
religieux, pour la paix. Vous n'y étiez
pas invité et vous n'avez pas pu y participer. C'est extrêmement
regrettable car le moyen d'influer sur la Chine, c'est
précisément de le faire d'une manière internationale. N'y
aurait-il pas intérêt à provoquer d'autres réunions
similaires, dans d'autres villes, dans lesquelles vous pourriez vous exprimer
pour peser un peu sur l'opinion actuelle de la Chine ?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama :
Tout d'abord, parmi un millier de représentants de toutes les religions,
qu'il y en ait un de plus ou de moins, cela ne change pas grand chose. Il
aurait fallu demander l'opinion de tous ceux qui se sont réunis dans
cette rencontre du Millénaire. Cela étant, une telle
réunion de représentants religieux pour la paix dans le monde
devrait être renouvelée. Il ne suffit pas qu'il y ait un
événement auquel on accorde beaucoup de publicité si,
après, il n'y a pas de suite. En 1986, à Assise, il y avait eu
une telle réunion autour d'un très grand nombre de religions
présentes dans le monde. J'ai dit à Sa Sainteté le Pape
Jean-Paul II que c'était une excellente initiative, mais ce serait une
très bonne chose de la renouveler. C'est mon idée.
M. Christian Kert,
député des Bouches-du-Rhône
:
Votre Sainteté, tout à l'heure vous avez fait
référence à l'évolution des mentalités de
certains Chinois. Est-ce que cette évolution vous paraît conduire
les autorités chinoises à revoir leur position sur le projet d'un
statut pour le Tibet ? Et, je suppose respectueusement, Votre
Sainteté, que, comme Martin Luther King vous faites des rêves.
Est-ce que vous pourriez nous dire quel est le statut dont vous rêvez
pour le Tibet ?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama :
On constate de très grands changements en Chine si l'on compare la Chine
d'aujourd'hui avec celle d'il y a vingt ou trente ans. Ces changements doivent
se poursuivre et personne, à mon avis, ne pourra s'y opposer. Pour leur
part, les difficultés du Tibet ne sont pas nées d'une guerre
civile ou issus de catastrophes naturelles ; je dis parfois, en plaisantant
à moitié, qu'elles proviennent d'invités qui n'ont pas
reçu une invitation en règle, et qui sont arrivés avec des
armes pour dire aux Tibétains comment ils devaient marcher, comment ils
devaient dormir, comment ils devaient manger, tout ce qu'ils devaient faire. En
conséquence, je crois qu'il existe une étroite relation entre une
amélioration au Tibet et tout changement qui surviendrait en Chine. Les
changements en Chine ne peuvent donc qu'apporter des bienfaits au Tibet. Si
l'on parle de la Chine elle même, en dépit du fait que ce soit une
très grande et puissante nation, elle fait partie du monde. La
République populaire de Chine doit donc avancer en harmonie avec le
reste du monde. Elle doit s'adapter à la façon dont évolue
le monde entier. Elle ne peut pas suivre un chemin complètement
différent. C'est pourquoi, à longue échéance, j'ai
un grand espoir.
Quant à mon rêve personnel, c'est d'atteindre à
l'état de Bouddha. A un autre niveau, un de mes rêves est celui
d'un monde totalement désarmé, un monde où il y aurait
plus de compassion dans la société humaine. Pour le Tibet, enfin,
je rêve d'une vraie liberté et, sur les bases de cette
liberté, que soit préservée la culture bouddhique
tibétaine tout en continuant de bénéficier du
progrès matériel de la Chine. Trois rêves, cela fait
vraiment trop... (
Sourires
)
M. Claude Huriet :
Je propose maintenant, dans les minutes qui nous restent, que les journalistes
puissent poser quelques questions précises et concises. Je pense que Sa
Sainteté voudra bien y répondre.
France 3 :
Jacques Chirac doit se rendre en Chine prochainement. Je voudrais savoir quel
message vous aimeriez qu'il transmette aux dirigeants chinois à propos
de la situation au Tibet. Plus généralement, je voudrais savoir
si la position politique de la France à l'égard du Tibet vous
semblait plutôt favorable, ou plutôt timide par rapport à ce
qui s'y passe.
Sa Sainteté le Dalaï-Lama :
Le Président Chirac est quelqu'un qui connaît la situation au
Tibet, qui a de la sympathie pour la cause du Tibet et je sais qu'il a
exprimé cette sympathie et parlé de la cause du Tibet lorsqu'il
est allé en Chine. J'ai la conviction qu'il soulèvera cette
question à nouveau lors de sa prochaine visite. Mais à quel point
pourra-t-il le faire et agir ? A quel point le Gouvernement
français peut agir ? Je crois que cela dépend de beaucoup de
causes et de circonstances. Ce qui est important, c'est que beaucoup de gens
manifestent de la sympathie pour le Tibet. Donc, je crois que les gouvernements
doivent continuer à montrer qu'ils sont concernés par le sort du
Tibet, et montrer également que cela apportera des bienfaits à la
Chine elle même de résoudre ce problème. Ce serait un
bienfait mutuel ; il me semble que ce serait très important de faire
comprendre cela aux Chinois.
Radio France Internationale (section chinoise) :
Le Gouvernement chinois vous accuse souvent de séparatisme. Quelle est
votre conception exacte de l'avenir du Tibet ? Envisagez-vous
l'indépendance ou une cohabitation avec la Chine ?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama :
C'est bien connu : ma position est extrêmement claire. Je ne demande
pas l'indépendance. Je demande une véritable autonomie.
Agence France Presse :
Lors de votre dernier passage à Paris, il avait été
révélé qu'il y avait des contacts indirects entre votre
communauté et les dirigeants chinois via un homme d'affaire
tibétain établi à Hong-Kong. Est-ce que ces contacts ont
débouché sur quelque chose récemment ?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama :
A l'automne 1998, tous ces canaux de communication ont été
fermés. Et ils ne sont plus opérants. Cependant, le Gouvernement
chinois, comme il le dit, ne veut pas rompre complètement et pour
toujours toute relation avec moi. De mon côté, le dialogue que je
veux engager doit porter sur le sort des 6 millions de Tibétains et
non sur ma situation personnelle. Il dépend entièrement du peuple
tibétain que l'institution même des dalaï-lamas demeure ou
non dans le futur. J'ai déclaré cela très clairement
depuis 1969 déjà. En ce qui concerne mon propre avenir, le jour
où nous retournerons au Tibet, avec un certain degré de
liberté, j'abandonnerai tous mes pouvoirs légitimes ainsi que mon
autorité au gouvernement tibétain local. Ce gouvernement local
tibétain devra être un gouvernement élu
démocratiquement. (
Applaudissements
)
Télévision finlandaise :
Votre Sainteté, quel effet a produit la fuite du Karmapa Lama parmi les
Tibétains et, selon vous, sur les dirigeants chinois ?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama :
Si l'on se place du point de vue des réfugiés, cela fait
maintenant plus de quarante ans que nous sommes en Inde et que toutes les
traditions spirituelles du Tibet, toutes les Écoles, essaient de
préserver le
Dharma
sous tous ses aspects. Dans cette
préservation de la culture bouddhique tibétaine, nous avons
obtenu des résultats très satisfaisants, et tout ceci en terre
d'exil. En ce qui concerne Karmapa Rinpoché, il s'agit d'un grand Lama
du Tibet - de la tradition
Karma Kamtsang
(
Kagyu
)- et le fait
qu'il ait pu s'échapper et rejoindre l'Inde est très
bénéfique au regard de cet objectif de préserver la
tradition du bouddhisme tibétain. Le Gouvernement chinois est
très irrité par le fait que le Karmapa ait fui le Tibet. Deux ans
auparavant, un Lama important de la région de l'Amdo, Agya
Rinpoché, de même qu'un autre grand Lama du Nord est du Tibet, ont
également fui. Cela eut pour conséquence que la répression
et le contrôle à l'égard des autres Lamas restés au
Tibet se sont considérablement aggravés. Maintenant ceux-ci
connaissent de plus en plus de difficultés. Ces Lamas doivent donc
réfléchir à leurs responsabilités lorsqu'ils
veulent rester ou quitter le Tibet. Aujourd'hui la plupart des grands Lamas, la
plupart des réincarnations, ont des gardes du corps. Mais est-ce pour
les protéger ou pour les empêcher de partir ?
M. Vincent Milleret, Le Yak enchaîné :
J'aurai une question plus particulière à l'attention des
sénateurs dans la perspective de la visite de M. Chirac en Chine.
Est-ce que celui-ci ne pourrait pas demander à rencontrer
personnellement le Panchen-Lama dont on est sans nouvelles depuis maintenant
cinq ans ?
M. Claude Huriet :
C'est une proposition qu'au nom des parlementaires nous pouvons lui adresser.
Mais, nous tenons à préciser, Louis de Broissia, Richard Cazenave
et moi même, que les actions que nous menons depuis des années,
nous les avons toujours engagées et poursuivies après contact,
tant avec le Gouvernement à travers le ministre des Affaires
étrangères, qu'avec le président de la République.
Il ne faudrait pas que quiconque ait le sentiment que cette
« diplomatie parlementaire », pour reprendre une expression
récemment utilisée par les deux présidents des
assemblées du Parlement français, se situe en marge ou en
opposition de la diplomatie gouvernementale. Elle élargit l'expression
démocratique et nous sommes tout à fait prêts à
demander une audience au président de la République avant qu'il
ne se rende en Chine - sans pouvoir bien sûr vous dire le contenu de
l'entretien et encore moins les suites que le président de la
République voudra bien y apporter -. Mais cette démarche est
tout à fait dans le droit fil du travail que les groupes parlementaires
ont engagé de longue date en faveur du Tibet.
M. Louis de Broissia :
Chaque fois que nous avons rencontré le conseiller diplomatique du
président de la République ou le conseiller diplomatique du
Premier ministre, nous leur avons exprimé notre préoccupation de
la disparition du Panchen-Lama et de sa famille. Lorsque, députés
et sénateurs, nous avons rencontré récemment l'Ambassadeur
de Chine, nous lui avons demandé à rencontrer le Panchen-Lama. Et
lorsque nous sommes invités en Chine, ce qui nous arrive encore, nous
demandons d'abord à rencontrer le Panchen-Lama. (
Applaudissements
)
M. Claude Huriet :
Il nous faut conclure. Avant de laisser aux photographes de presse, que je
remercie de leur coopération, totale liberté pour agir, je
voudrais préciser que l'audition à laquelle vous avez
assisté sera intégralement diffusée sur la chaîne
parlementaire
Public Sénat
- je tiens à remercier le
Président Elkabach et toute son équipe de l'attention qu'ils
ont prêtés à cet événement -. L'audition
devrait faire également l'objet d'une publication au titre des rapports
des groupes d'amitié du Sénat et elle a vocation à
être «en ligne » dès que le groupe d'information
sur le Tibet ouvrira sa page sur le site internet du Sénat. Nous allons
maintenant procéder à la remise à Sa Sainteté
du
Manifeste 2000 des parlementaires français pour le Tibet.
A la
date d'hier, 164 députés et sénateurs en
étaient co-signataires, mais les signatures continuent d'arriver d'heure
en heure et je pense que nous atteindrons les 200 signataires - ce qui
n'est pas un objectif démesuré -.
Votre Sainteté, je vous remets, au nom des parlementaires
français, ce nouvel engagement pour soutenir à la fois votre
action en faveur de la paix, de la dignité et de la liberté des
hommes, mais aussi, à travers votre personne, le peuple tibétain.
M. Claude Huriet remet à Sa Sainteté le Dalaï-Lama un
exemplaire du Manifeste 2000 des parlementaires français pour le Tibet.
(
Applaudissements
).
Audition du professeur Samdhong Rinpoche
Président du Parlement tibétain en exil
Mardi 17 octobre
2000
M.
Claude Huriet :
Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui un homologue
tibétain, parlementaire comme nous, en la personne du Professeur
Samdhong Rinpoché, président de l'Assemblée des
députés du peuple tibétain.
Monsieur le Président, cette audition est, pour nous, l'occasion de vous
informer des activités de notre groupe d'information, pour vous, de
mieux nous faire connaître le Parlement tibétain en exil
siégeant à Dharamsala et, pour nous tous, d'étudier les
échanges possibles entre l'assemblée que vous présidez et
le Sénat.
Le 26 septembre dernier, avec nos collègues députés, nous
avons eu l'honneur d'accueillir au Sénat sa Sainteté le
Dalaï Lama. Cette audition a été un grand moment dans
l'histoire du Parlement français, qui est engagé depuis de
nombreuses années en faveur du peuple tibétain. Vous avez des
amis très attentifs chez les parlementaires français, qui ont
pris position très clairement contre l'oppression chinoise, et qui
demeureront aux côtés des Tibétains lorsque leur rêve
d'un retour à la liberté se réalisera.
Je précise que le compte rendu de votre audition d'aujourd'hui figurera
dans un rapport d'information, qui sera le premier rapport parlementaire
officiellement consacré au Tibet.
Je salue également la présence à vos côtés de
Mme Tinlay Dewatshang, députée élue par la
communauté tibétaine d'Europe, qui pourrait devenir, si vous en
êtes d'accord, l'intermédiaire privilégiée entre
notre groupe d'information et votre assemblée.
Ma première question portera sur l'évolution de la situation
depuis 1996, date de votre première visite à l'Assemblée
nationale.
Pr. Samdhong Rinpoché :
Je vous remercie de me recevoir au Sénat, c'est pour moi un honneur
d'être ici. Je n'ai pas eu l'occasion de revenir en France depuis ma
première visite en 1996, et j'ai saisi l'opportunité de ce court
séjour pour avoir des contacts aussi nombreux que possible avec le
Gouvernement et le Parlement français.
Le peuple français et ses représentant élus ont soutenu
fermement les Tibétains dans leur juste cause. Ce soutien est pour nous
très encourageant, et nous donne confiance pour l'avenir.
J'espère qu'il se maintiendra jusqu'à ce que les Tibétains
retrouvent leur liberté, dans une relation amicale avec les Chinois.
Mes collègues et moi-même sommes très conscients du travail
que votre groupe d'information a accompli. Vous avez signé des appels,
reçu le Dalaï Lama et de nombreuses autres
délégations tibétaines. Tout cela est, pour nous,
très important et je veux vous dire, au nom du Parlement tibétain
en exil, combien nous apprécions votre merveilleuse action.
Le Tibet est occupé militairement par la Chine communiste depuis 1951.
Au cours de ces cinquante années, le peuple tibétain a subi la
torture et un génocide culturel, qui continue encore aujourd'hui. Nous
ne serons satisfaits que lorsque le peuple tibétain se sentira à
nouveau chez lui dans les frontières du Tibet.
Entre 1951 et 1959, nous avons sincèrement essayé de
coopérer avec les Chinois, dans le cadre de « l'accord en
17 points ». Malheureusement, ces efforts ont
échoué. Le soulèvement de la population de Lhassa en 1959
a entraîné la fuite du Dalaï Lama et de
100 000 Tibétains. La répression féroce qui a
suivi s'est prolongée dans la révolution culturelle.
La période 1959-1970 a été la plus noire pour les
Tibétains, au cours de laquelle 1,2 million d'entre eux sont morts.
Notre responsabilité, à nous Tibétains de la Diaspora, est
de conserver vivantes la culture tibétaine et la lutte politique.
M. Claude Huriet :
Ma deuxième question portera sur le Parlement tibétain en exil.
Comment est-il constitué ? Comment fonctionne-t-il ? Quelle
coopération vous paraît souhaitable entre le Parlement
tibétain et le Parlement français ?
Pr. Samdhong Rinpoché :
Depuis que le Dalaï Lama a fui le Tibet en 1959, son souci constant a
été de démocratiser la société
tibétaine. Le Gouvernement tibétain traditionnel, tel qu'il a
été établi au XVII
e
siècle, en 1642,
n'était pas démocratique, même s'il n'était pas non
plus totalitaire.
Le Dalaï Lama, dès son accession au pouvoir à l'âge de
16 ans, n'a pas été satisfait de cet héritage
politique, et s'est déclaré favorable à la
démocratie. Malheureusement, le Tibet a été envahi par les
Chinois avant qu'il puisse mettre en oeuvre les réformes qu'il
souhaitait.
Lorsque le Dalaï Lama est arrivé en Inde en 1959, l'une des
premières choses qu'il a faites, alors qu'il y avait tant d'autres
urgences, a été de lancer la démocratisation. Dans un
discours fondateur, il s'est adressé en 1960 aux réfugiés
tibétains pour leur annoncer qu'il souhaitait qu'un corps
électoral fût constitué, symbole de la démocratie
future pour le Tibet. Une première assemblée de 12 membres a
prêté serment dès le 2 septembre 1960, qui est depuis
commémoré comme le « jour de la
démocratie » par les Tibétains.
En 1963, le Dalaï Lama a promulgué une Constitution pour le Tibet
futur, qui instaure un système parlementaire. Mais, faite pour le Tibet
futur, nous n'avons jamais été en situation de la mettre en
application jusqu'à aujourd'hui.
Le premier Parlement tibétain en exil était élu pour trois
ans. Cette durée a été ensuite portée à cinq
ans. Mais, lors des 10
ème
élections en 1990, le
Dalaï Lama n'était toujours pas satisfait du fonctionnement d'une
démocratie dont les Tibétains n'avaient pas l'expérience.
Car il s'agit du cas bien particulier d'une démocratisation
imposée d'en haut, et non d'en bas comme il est d'habitude.
Trois mois après les 10
ème
élections, le
Dalaï Lama a dissous à la fois le Parlement et le Gouvernement
tibétains, et convoqué une grande réunion de
300 délégués de la communauté tibétaine
en exil. Il en est ressorti une Charte spéciale pour les
Tibétains en exil, distincte de la Constitution du Tibet futur. Cette
Charte pour le Gouvernement en exil a été ratifiée un an
plus tard, en 1991.
D'après la Constitution ratifiée en 1991, l'Assemblée des
députés du peuple tibétain se compose de 43
représentants élus et de 3 personnalités qualifiées
désignées par le Dalaï Lama. Cette assemblée exerce
le pouvoir législatif, oriente et contrôle la politique du
Gouvernement, qui procède d'elle et non plus du Dalaï Lama.
C'est la plus haute autorité politique tibétaine.
Le Parlement élit le Gouvernement tibétain en exil, ou Kashag,
qui est responsable devant lui et peut être renversé à la
majorité simple des députés. Le Dalaï Lama reste le
chef de l'Etat, mais le Parlement peut lui retirer ses responsabilités
politiques à la majorité des deux tiers et nommer un Conseil de
régence.
Le Parlement supervise la Commission électorale, la Commission de
nomination des fonctionnaires du Gouvernement tibétain en exil, ainsi
que la Commission judiciaire. En effet, la communauté tibétaine
en exil relève des juridictions indiennes ou népalaises en
matière pénale, mais la Commission judiciaire tibétaine
intervient dans les camps de réfugiés pour les autres
matières.
La répartition des 46 membres du Parlement tibétain en exil est
la suivante : 10 députés élus pour chacune des trois
grandes régions du Tibet (U-Tsang, Amdo et Kham),
2 députés élus pour chacune des 5 principaux
ordres religieux tibétains, 2 députés élus
pour la communauté tibétaine d'Europe,
1 député élu pour la communauté
tibétaine d'Amérique du Nord, et 3 personnalités
qualifiées.
M. Claude Huriet :
C'est la première fois que nous avons un exposé aussi clair des
institutions tibétaines. Conformément aux propos constants du
Dalaï Lama, la démocratisation est en marche. Je donne la parole
à ceux de mes collègues qui souhaitent vous poser des questions.
M. Louis de Broissia :
Monsieur le Président, j'avais déjà eu le plaisir de vous
accueillir lors de votre visite à l'Assemblée nationale en 1991.
Le maintien de contacts avec la Chine me paraît indispensable. Or, le
Dalaï Lama nous a dit lors de son audition qu'il n'en a plus depuis
plusieurs années. L'Assemblée des députés du peuple
tibétain a-t-elle des relations avec le Parlement chinois ? Les
parlementaires français pourraient-ils servir de pont entre les
deux ?
Pr. Samdhong Rinpoché :
Nous n'avons aucun contact ni avec le Gouvernement ni avec le Parlement
chinois. Mais nous avons des relations avec le Parlement de Taïwan. Nous
avons aussi reçu à Dharamsala des délégations des
Parlements suisse, lituanien et japonais.
Jusqu'à présent, l'accès à l'Union Inter
Parlementaire nous a été refusé. Un groupe de neuf
Parlements membres de l'UIP a pourtant soulevé la question depuis
plusieurs années.
Nous serions bien sûr heureux d'avoir plus de relations avec le Parlement
français, et je vous invite à venir nous rendre visite à
Dharamsala.
M. Hubert Durand-Chastel :
Je souhaiterais avoir une idée plus précise du corps
électoral constitué par la communauté tibétaine en
exil.
Pr. Samdhong Rinpoché :
Tous les Tibétains en exil, qui sont au nombre de 130 000 environ,
ont le droit de vote. Leur taux de participation aux élections varie
entre 62 % et 74 %.
M. Claude Huriet :
Cette rencontre a été très intéressante. Nous avons
découvert le fonctionnement du Parlement tibétain en exil, et vos
responsabilités de président. Nous restons à votre
disposition pour développer les liens entre nos deux Parlements.
Celle-ci pourrait, si vous en êtes d'accord, prendre d'abord la forme
d'un lien, d'une coopération avec les deux députés
tibétains représentant la communauté exilée en
Europe.
Pour conclure, j'ai l'honneur de vous remettre le Manifeste 2000 des
parlementaires français pour le Tibet, dont le premier exemplaire a
été remis au Dalaï Lama lors de son audition au Sénat
le 26 septembre dernier. C'est un signe tangible de l'engagement constant
des parlementaires français pour la cause tibétaine.
Audition de M. Tashi Phuntsok,
Représentant de Sa Sainteté le
Dalaï Lama
Mardi 5 février
2002
Les
membres du groupe d'information ont tout d'abord assisté à la
projection privée du film « Tibet, l'histoire d'une
tragédie », de Ludovic Segarra.
Ils ont ensuite procédé à l'audition de M. Tashi
Phuntsok, Représentant en France de Sa Sainteté le
Dalaï Lama.
M. Taschi Phuntsok :
La question du Tibet n'est pas seulement politique, mais met en jeu la survie
d'une partie de l'humanité, d'une culture unique et d'une
spiritualité très ancienne.
La position des autorités chinoise a varié au cours des
années. Au début, elles ont prétendu que le Tibet faisait
partie de la Chine depuis le VII
ème
siècle, parce
qu'un roi tibétain avait alors épousé une princesse
chinoise. Mais cet argument «matrimonial » ne tient pas debout.
Les Chinois ont ensuite revendiqué le rattachement du Tibet à la
Chine au XIII
ème
siècle, lors de l'expansion de
l'empire mongol. En effet, les Mongols, qui dirigeaient la Chine,
exerçaient également une influence sur le Tibet. Pour nous, ce
genre de raisonnement n'a pas de valeur, ni légalement, ni
historiquement. C'est pourtant un argument qui a été repris
récemment par l'ambassadeur de Chine en France dans un interview.
Un autre argument, plus contemporain, est le contraste allégué
entre les progrès accomplis depuis 1949 par le Tibet sous direction
chinoise, et le régime « féodal, esclavagiste et
cruel » qui y régnait précédemment.
Le film que nous venons de voir montre bien les différences entre les
Chinois et les Tibétains dans leurs attitudes quotidiennes.
Moi-même, je suis né au Tibet, mais je m'en suis
échappé avec mes parents après l'invasion chinoise. Je
n'ai subi aucune influence chinoise. Si la Chine avait raison en
prétendant que le Tibet lui appartient depuis le VII
e
siècle, alors force serait de constater que ce lien ancien
supposé n'a eu aucun effet, aucune influence.
Voyons quelles sont les réalités d'aujourd'hui. Si le
régime chinois est progressiste et démocrate, pourquoi
empêche-t-il les gens d'afficher des photos du Dalaï Lama, pourquoi
tant de destructions, pourquoi ces contraintes pesant sur le peuple
tibétain ?
L'ambassadeur chinois prétend que le taux d'alphabétisation s'est
élevé jusqu'à atteindre 85 %. Or, tous les ans des
milliers d'enfants quittent le Tibet pour pouvoir bénéficier
d'une scolarité. Récemment, des nouvelles inquiétantes
pour la liberté de culte nous sont parvenues. Un monastère qui
abritait 10.000 moines a été détruit.
En 2001, on recensait 254 prisonniers d'opinion détenus,
35 arrestations nouvelles, et 10 morts sous la torture. N'oublions
pas non plus la détention prolongée du Panchen Lama, qui doit
avoir 12 ans aujourd'hui. Personne n'a réussi à le
rencontrer depuis qu'il a été enlevé par les
autorités chinoises.
Le symbole de la résistance du Tibet est le Dalaï Lama, son chef
spirituel et son dirigeant politique depuis 50 ans. C'est lui qui a fait
le choix de la méthode non violente. Nous sommes convaincus de
l'efficacité de cette méthode, même s'il nous faut
être patients. Aujourd'hui, la non violence n'est pas à la mode.
Mais c'est une forme de résistance très active, très
consciente, qui implique beaucoup de courage. Nous sommes sûrs que cette
pratique apportera beaucoup de bien à nous-mêmes, aux Chinois et
au reste du monde.
Nous avons beaucoup de plaisir à constater que la lutte du Tibet est de
plus en plus reconnue par les peuples et leurs représentants. Bien des
Parlements nous soutiennent. Nous en appelons aussi au soutien des
gouvernements, qui ne sont pas encore très actifs, et de l'ONU. Le
peuple tibétain, qui lutte depuis 50 ans dans l'esprit de la Charte de
l'ONU, est en droit d'en attendre quelque reconnaissance.
Si les droits de l'homme sont précieux, alors il faut faire un geste.
J'en appelle à votre aide, à celle de votre Gouvernement, et
à celle de l'Union européenne. Nous demandons simplement que le
dialogue avec les Chinois puisse avoir lieu, pour permettre une solution
négociée. Le problème dure depuis maintenant très
longtemps, il est temps de faire quelque chose.
Je vous rappelle que dans une résolution adoptée en juillet 2000,
le Parlement européen a demandé l'instauration d'un coordinateur
spécial pour le Tibet, ainsi que la reconnaissance du Gouvernement
tibétain en exil si les négociations n'avaient pas lieu dans un
délai de trois ans.
Lors de la 58
ème
session de la Commission des droits de
l'homme de l'ONU, qui se tiendra à Genève au mois de mars
prochain, la France a un rôle important à jouer. Elle doit prendre
une position claire pour que la question du Tibet soit inscrite à
l'ordre du jour et discutée.
Laissez-moi vous dire maintenant quelques mots de la santé du
Dalaï Lama. Il est sorti de l'hôpital le 2 février et se
repose à Bombay avant de retourner à Dharamsala le
9 février. Une retraite de méditation est prévue, et
ses déplacements des mois de mars et avril ont été
reportés ou annulés. Sa maladie était sans gravité.
Simplement, le Dalaï Lama voyage beaucoup et a des programmes trop
chargés. Le voilà forcé à prendre du repos.
Enfin, je vous rappelle que le 10 mars est la journée de
commémoration du soulèvement national tibétain. Des
manifestations sont prévues à Paris et dans d'autres villes
françaises.
M. Louis de Broissia :
Je vous remercie. Tous les parlementaires membres du groupe d'information
seront sollicités pour des questions écrites et orales, ainsi que
pour l'affichage du drapeau tibétain sur les mairies. Nous avons
également l'intention d'interroger les candidats à la
présidentielle sur la question du Tibet. Je me propose enfin
d'écrire à l'ambassadeur de Chine au sujet du Panchen Lama.
Audition de M. Matthieu Ricard
Mardi 8 octobre
2002
M.
Louis de Broissia :
J'informe nos collègues qu'une délégation du groupe
d'information sur le Tibet du Sénat a été reçue au
ministère des Affaires étrangères, pour un
petit-déjeuner de travail, auquel participait notamment le directeur
Asie. Cela a été l'occasion de faire le point sur la situation du
Tibet.
Avec nos interlocuteurs, nous sommes tombés d'accord sur la
nécessité de rester en contact et d'échanger de
l'information. J'ai rappelé que le groupe d'information n'a pas pour
objet de contrecarrer l'action diplomatique de la France. D'ailleurs, nous
avons eu confirmation que le Président de la République
intervient sur le Tibet chaque fois qu'il a un contact avec les
autorités chinoises.
Enfin, nous souhaitons que nos collègues députés
reconstituent le plus vite possible leur groupe d'études sur le Tibet,
suite au dernier renouvellement de l'Assemblée nationale.
M. Tashi Phuntsok, représentant du Dalaï Lama en
France :
Lorsque M. de Broissia nous a parlé de cette rencontre avec des
responsables du ministère des Affaires étrangères, nous
lui avons fait part de nos souhaits. Nous sommes notamment très
attachés à l'idée d'instaurer un coordinateur
européen pour la question tibétaine.
Nous avons pu constater que la position de la France sur le Tibet n'a pas
varié, et nous nous en trouvons rassurés. Je remercie tous les
parlementaires français pour leurs actions, qui permettent de faire
avancer la cause tibétaine.
Je profite de l'occasion pour vous apporter quelques nouvelles sur la
santé du Dalaï Lama. Il se porte bien, et les examens de
contrôle médical faits à Bombay ont confirmé que son
indisposition ne recouvrait pas de problème grave. Il devrait se rendre
bientôt en Allemagne, puis en Autriche pour y dispenser ses enseignements
aux bouddhistes d'Europe.
M. Matthieu Ricard :
Depuis quelques années, je me rends tous les étés au Tibet
pour y conduire des projets humanitaires. La situation sur place est complexe
et variée, selon les aspects considérés et selon les lieux.
Le contraste principal se trouve entre la région autonome du Tibet et
les autres régions tibétaines, telles que le Kham et l'Amdo, qui
sont incluses dans les provinces chinoises limitrophes : Xingai, Sichuan,
Guangzhou, Hunan. Cette distinction explique d'ailleurs que les
autorités chinoises, lorsqu'elles parlent du Tibet, ne parlent que du
tiers du Tibet historique. Il est possible d'intervenir plus
discrètement dans ces régions périphériques pour
des projets humanitaires, tels que des écoles, des dispensaires ou des
monastères.
Au Tibet central, la surveillance policière est bien plus grande. Il y a
des caméras dans les rues de Lhassa, et des indicateurs partout, dans
les administrations, les écoles, les universités et les
monastères. Il y est bien sûr interdit de manifester pour
l'autonomie du Tibet. Les étrangers ne peuvent pas loger chez
l'habitant, et cette interdiction est valable pour les tibétains venant
d'autres régions. Il faut payer pour pouvoir loger un parent. Les
projets présentés par des associations étrangères
sont refusés.
Dans les régions tibétaines périphériques, il est
possible de promouvoir la construction de monastères, de centres de
retraite, de cliniques, d'orphelinats, d'hospices. Il faut éviter les
relations avec le pouvoir central, mais il est possible d'agir avec les
autorités locales. Cette situation permet une certaine renaissance de la
culture tibétaine traditionnelle.
Pour autant, ces centres ne doivent pas devenir trop florissants. En juillet
2001, 3 000 nonnes ont été expulsées et
1 800 habitations détruites par l'armée. De nouveau, en
septembre 2002, 700 nonnes ont été expulsées. Il s'agit
des premières destructions de monastères depuis la
révolution culturelle.
Dans la vie de tous les jours, on assiste à des changements
inquiétants. L'afflux des colons chinois est favorisé par les
chantiers des routes et des voies ferrées, où l'on travaille jour
et nuits. Les autorités chinoises construisent au Tibet des autoroutes
manifestement surdimensionnées, qui présentent vraisemblablement
un intérêt stratégique. On pourrait ainsi imaginer qu'elles
soient utilisées en cas de besoin comme pistes d'atterrissage. La
multiplication des voies d'accès au Tibet permet aux Chinois de
renforcer leur contrôle.
Un autre phénomène est celui des villes-champignons. La
construction de la ville est concédée à un promoteur, puis
les boutiques sont mises en vente auprès de commerçants chinois,
souvent musulmans. Près de 250 villes nouvelles ont ainsi poussé
dans la régions autonome du Tibet, dans lesquelles tous les restaurants,
tous les commerces sont tenus par des Chinois.
Les réfugiés tibétains ont su faire preuve d'initiative en
Inde, où ils sont parfois devenus plus riches que la moyenne des
Indiens. Mais les Tibétains demeurés dans leur patrie sont
souvent des nomades dépourvus de capital, vivant d'une économie
non monétaire. Il n'y a pas non plus d'éducation digne de ce nom
dans les vallées retirées. Tout ceci rend impossible
l'émergence d'une élite tibétaine.
Le Dalaï Lama s'est fixée deux priorités pour les
Tibétains demeurés au pays : développer
l'éducation jusqu'à l'université, améliorer la
santé, alors que la mortalité infantile demeure forte. Le
Gouvernement chinois suit en la matière la politique de l'aveugle. Il a
déclaré à l'OMS que la tuberculose et la lèpre
étaient éradiquées du Tibet : en conséquence,
les cas de ces deux maladies qui persistent à se déclarer ne sont
pas reconnus. Les médicaments nécessaires demeurent
inaccessibles, et les traitements doivent être faits en secret.
Les autorités chinoises veulent sédentariser les nomades. Ceux-ci
sont employés sur les chantiers. Une loi récemment votée
est très préoccupante, dans la mesure où elle n'autorise
chaque famille de nomades à ne posséder que 5 bêtes par
personne, alors qu'il faut au minimum 200 à 300 bêtes par famille.
Actuellement, 50 % de la population tibétaine est nomade et a
réussi, en reconstituant son cheptel, à retrouver une certaine
prospérité.
L'éducation se fait principalement en chinois. Pourtant, certaines
circulaires officielles locales prônent l'encouragement de la culture
tibétaine. La propagande chinoise s'adresse aux réfugiés
tibétains en Inde et au Népal, en leur promettant de l'argent et
un logement s'ils reviennent au Tibet en reniant le Dalaï Lama et en
restituant leurs papiers de réfugiés. Mais ceux qui ont
tenté l'aventure en attendent toujours le bénéfice promis.
Les réfugiés passent par le Népal, au rythme de 2 000
à 3 000 par an. Mais depuis cette année, il existe un accord
entre les Chinois et les Népalais, qui renvoient désormais les
réfugiés appréhendés à la frontière.
Ils se trouvent alors incarcérés pendant un mois, et battus.
S'ils récidivent, la peine de prison est alors plus longue.
Indéniablement, le développement économique existe au
Tibet, et le niveau de vie général augmente. Les routes
goudronnées constituent un réel progrès. Mais le projet de
développement du Tibet relève surtout de l'exploitation : ce
pays dispose des premières ressources hydroélectriques du monde,
la déforestation y est de 40 % depuis l'invasion et explique
l'accroissement des inondations en Chine.
Il y a une relative libéralisation dans les régions
périphériques, où la photo du Dalaï lama peut
être affichée. Le seul espoir réside dans la
détermination du peuple tibétain à maintenir son
identité traditionnelle. La civilisation tibétaine pourrait sans
doute fleurir à nouveau s'il y avait un élément de
démocratisation en Chine.
Audition de M. Tashi Phuntsok
Représentant
de Sa Sainteté le Dalaï Lama
Mardi 21 janvier
2003
M.
Louis de Broissia :
Je salue la présence parmi nous de notre collègue
Alain Vasselle, qui doit bientôt évoquer la situation au
Tibet dans le cadre d'une question orale avec débat sur le respect des
engagements internationaux en matière de droits de l'homme.
J'ai également le plaisir de vous annoncer que le groupe d'études
sur le Tibet de l'Assemblée nationale est reconstitué, et que
M. Lionel Lucas en a été élu président.
Avant de projeter le documentaire clandestin sur la destruction du
monastère de Serthar, je voudrais faire un rapide bilan des
activités du groupe d'information sur le Tibet l'an dernier. Nous nous
sommes réunis à quatre reprises :
- mardi 5 février 2002 : audition de M. Tashi Phuntsok et
projection du film « Tibet, histoire d'une
tragédie » ;
- vendredi 5 juillet 2002 : conférence de Mme Jetsun
Pema, soeur cadette du Dalaï Lama et projection du film « Un
peuple en exil » ;
- mardi 1
er
octobre 2002 : le bureau du groupe a
été convié à un petit-déjeuner de travail au
ministère des Affaires étrangères ;
- mardi 8 octobre 2002 : audition de M. Matthieu Ricard et
projection du film « Un peuple en exil ».
En novembre 2002, notre groupe a été convié à
participer à la conférence parlementaire sur le Tibet,
organisée chaque année par M. Thomas Mann, président
de l'intergroupe Tibet du Parlement européen. J'ai adressé
à ce dernier un message lui confirmant notre communauté de vue,
et notre soutien aux résolutions sur le Tibet votées par le
Parlement européen.
Je suis intervenu auprès de M. Dominique de Villepin afin d'appeler
son attention sur la situation des prisonniers politiques au Tibet, et
notamment des deux religieux tibétains récemment condamnés
à mort.
Nous souhaitons mener une action de sensibilisation auprès des
parlementaires européens français, afin de les inciter à
rejoindre l'intergroupe Tibet du Parlement européen.
A l'issue de cette année, nous sommes déçus de constater
que le gouvernement chinois souffle en permanence le froid et le chaud. Nous
pensons que la volonté chinoise d'engager des négociations reste
à prouver.
* *
*
Projection du documentaire sur la destruction du monastère de
Serthar.
M.
Tashi Phuntsok :
Nous avons été très heureux de pouvoir accompagner les
activités du groupe d'information sur le Tibet en 2002, qui sont
très utiles pour notre pays.
D'après ma propre expérience, je peux vous assurer que votre
action est importante ; et je veux remercier les parlementaires
français qui soutiennent la cause du Tibet. Depuis un an, nous
accompagnons la création d'un groupe analogue au Parlement portugais,
à qui nous donnons en exemple l'action des deux groupes parlementaires
français sur le Tibet.
Bien entendu, nous souhaitons que ces actions continuent de se
développer. Nous saluons l'élection de M. Lionnel Lucas
à la présidence du groupe d'études sur le Tibet de
l'Assemblée nationale, et nous espérons que le nombre des
députés qui le rejoindront sera important.
En ce qui concerne le film que nous venons de voir, vous pouvez vous demander
pour quelle raison il est diffusé plus d'un an après les faits.
Mais c'est tout simplement parce que les informations filtrent difficilement du
Tibet vers l'extérieur. Il s'agit d'images tournées
clandestinement.
La destruction du monastère de Serthar est exemplaire. Mais le
système du quota de moines et de nonnes ne date pas d'hier, avec son
cortège d'expulsions et de destructions, et il demeure toujours
d'actualité.
Malheureusement, la destruction du monastère de Serthar n'a pas
été achevée en 2001, mais s'est poursuivie au moins
jusqu'en décembre 2002. Les destructions seraient encore en cours.
C'est un exemple qui démontre que les autorités chinoises visent
à atteindre l'identité spirituelle du peuple
tibétain : tous les lieux de culte, tous les religieux, tous les
érudits sont considérés comme des dangers. La religion est
considérée comme un problème.
Officiellement, le monastère a été détruit à
la fois pour des raisons d'hygiène et parce que le nombre des moines
dépassait le nombre admis. Les effectifs doivent être
réduits de 6 000 à 1 400 moines, et 3 000
à 600 nonnes.
Je voudrais par ailleurs vous faire part de certaines évolutions depuis
notre précédente réunion.
Le problème le plus urgent a été celui de la peine de mort
prononcée contre deux religieux tibétains. Des actions et des
pétitions ont été lancées dans le monde. Nous avons
reçu plusieurs lettres d'appui des autorités françaises,
notamment du Président de la République, du Premier Ministre et
du Président du Sénat. Les sentences capitales pourraient
être commuées. Mais cela demeure à confirmer. Ces campagnes
sont utiles, la mobilisation des opinions est efficace.
Des émissaires du Dalaï Lama se sont rendus en Chine et au Tibet.
Notre Premier ministre avait demandé en attendant la suspension des
manifestations de protestation à travers le monde, ce qui notamment a
permis à Jian Zemin d'effectuer sans contestations son dernier voyage
officiel aux Etats-Unis. Nous n'observons pour l'instant aucune
évolution des autorités chinoises suite à ces contacts.
Mais nous espérons que ces échanges pourront continuer.
Le Dalaï Lama vient de terminer un grand programme d'enseignements et
d'initiations en Inde. Près de 200.000 personnes en ont
bénéficié, dont certains Tibétains venus
exprès du Tibet, du Bouthan, du Népal et du Sikkhim. Les
problèmes de santé du Dalaï Lama sont surmontés, et
il viendra en France du 10 au 18 octobre 2003.
M. Louis de Broissia :
Je salue les efforts des chaînes de télévision et des
journaux français qui continuent de programmer des émissions et
de publier des articles consacrés au Tibet. J'ai demandé à
France Télévision de bien vouloir programmer le film
« Un peuple en exil », que nous avons visionné
récemment.
M. Jean-Paul Ribes, président du Comité de soutien an Peuple
tibétain :
Je voudrais évoquer le cas de Ngawang Sangdroll, cette jeune
prisonnière qui a été finalement libérée en
octobre 2002 après 10 ans de prison. Elle se trouvait alors dans un
très mauvais état de santé, et ne pouvait plus marcher.
Nous avons demandé qu'elle puisse être soignée soit au
Tibet, soit en France. Notre ambassade a proposé de l'héberger.
Mais le gouvernement chinois a refusé de la laisser sortir. Elle vit
depuis enfermée chez sa soeur à Lhassa et ne reçoit pas de
véritable traitement. Sa maladie empire.
J'ai alerté les autorités françaises, qui continuent
à réclamer sa venue en France. C'est un signal de la mauvaise
volonté de la Chine. Pour l'instant, nous espérons encore une
évolution de sa position, et ne voulons pas médiatiser l'affaire.
Plus généralement, nous souhaitons la libération de tous
les prisonniers d'opinion au Tibet, ainsi que la cessation de l'interdiction de
l'image du Dalaï Lama et des insultent qui lui sont adressées dans
la presse. Cette dernière stratégie est d'ailleurs inefficace,
puisque la plupart des Chinois respectent le Dalaï Lama en dépit de
tout.
Le Premier Ministre, Samdhong Rinpoché, a averti que si aucune
évolution ne se fait jour, il donnerait pour consigne un retour à
une vaste campagne mondiale contre une Chine qui n'aurait pas su saisir sa
chance.
M. Louis de Broissia :
Il nous faut montrer plus de détermination face aux autorités
chinoises et rappeler que l'heure de vérité sera l'ouverture des
jeux olympiques de Pékin.
Une meilleure coordination entre les diverses associations
pro-tibétaines me paraîtrait souhaitable.
M. Jean-Paul Ribes :
Sur ce point, il y a une réelle amélioration. Nous assistons
aujourd'hui à un rapprochement entre des associations qui
s'étaient un peu éparpillées.
Audition commune par le groupe d'études de l'Assemblée nationale
et le groupe d'information du Sénat
de M. Takna Jigmé Sangpo
Mardi 25 mars
2003
MM.
Lionnel Luca
et
Louis de Broissia
, Présidents des groupes
de l'Assemblée Nationale et du Sénat :
C'est avec plaisir que nous accueillons Monsieur Takna Jigmé Sangpo,
accompagné d'une délégation présidée par
Monsieur Tashi Phuntsok, Représentant officiel de Sa Sainteté le
Dalaï Lama. Nous sommes émus de recevoir un homme qui a subi tant
d'épreuves, à l'image de ce que subit le peuple tibétain,
et qui a témoigné d'une résistance pacifique aussi longue
au nom d'une idée simple : la liberté. Evoquant la visite de
Päldèn Gyatso, il y a deux ans, nous souhaitons par cette nouvelle
audition faire savoir au peuple tibétain combien son combat pacifique
retient l'attention dans les deux chambres du Parlement français.
Monsieur Takna :
Au Tibet, les libertés sont absentes, les droits de l'homme sont
bafoués. Pendant 37 ans, j'ai été emprisonné,
torturé, humilié, privé de droits. Mon corps est un
témoignage de tout ce qu'il y a de souffrances, de tortures. Tout a
commencé en 1964 : le Tibet, depuis longtemps envahi, subit alors des
atrocités, des destructions culturelles et humaines massives. L'ex
Panchen Lama avait rédigé un réquisitoire contre la Chine,
les « 70 000 caractères » ; celui-ci a
donné lieu à des réunions obligatoires de discussion. Je
n'ai pas voulu suivre la version officielle, j'ai dit que je respectais le
Panchen Lama et que ce qu'il disait n'était pas erroné. Au cours
d'une session d'autocritique, je fus interrogé, battu, afin de me faire
avouer que le Panchen Lama avait tort. Tout était fait pour que le Tibet
devienne chinois. Au contraire, j'ai dénoncé toute cette mise en
scène comme illégale, inhumaine, inimaginable.... Surnommé
le « petit Panchen Lama », je fus arrêté et
condamné à trois ans de prison.
A cette époque, les assistants du Panchen Lama étaient
divisés en trois catégories :
- les résistants les plus virulents étaient enfermés
dans la prison de Sangyip, dans des cellules totalement obscures ;
- d'autres résistants étaient condamnés aux travaux
forcés ;
- les derniers étaient laissés libres mais obligés de
porter le chapeau noir des gens jugés dangereux.
Après trois années de travaux forcés, j'ai
été relâché et forcé de porter le chapeau
noir, devenant pendant deux ans « prisonnier dans la
société ». Puis, j'ai été accusé
d'inciter des proches à passer des documents en Inde et
emprisonné dix ans de 1970 à 1980, avec interrogatoires, lavage
de cerveau, tortures... dix années suivies de trois années de
travaux forcés dits « réforme par le
travail ». Relâché et mis sous surveillance, j'ai
néanmoins collé des affiches à Barkhor (la vieille ville
de Lhassa). Le 1
er
septembre 1983, je suis de nouveau
condamné à 15 ans de prison.
En 1987, des manifestations anti-chinoises ont lieu à Lhassa. En prison,
nous avons eu vent de ces manifestations: Estimant qu'il nous appartenait de
prendre en charge notre sort, j'ai persuadé mes co-détenus de
manifester notre solidarité avec les personnes du dehors. Ma peine a
été prolongée de cinq ans.
Si mes peines ont été ainsi prolongées, c'est que je n'ai
pas voulu rester passif, même en prison.
En 1991, alors que la Chine voulait montrer au monde qu'elle s'ouvrait, j'ai
appris que des personnes étrangères devaient visiter la prison.
J'ai creusé un petit trou dans le mur de ma cellule et j'ai pu crier au
moment où les visiteurs passaient, dans les quelques mots d'anglais que
j'avais appris pour cela et aussi en chinois :
« Indépendance pour le Tibet ! Chinois, hors du
Tibet ! ». J'ai été battu presque jusqu'à
la mort, placé en cellule d'urgence de 2 mètres sur 2
mètres , sans toit, avec un simple filet, alors que la
température était de - 17°, - 20° de janvier
à avril, plus de quatre mois. Finalement, ma peine a été
augmentée de huit années. Ce n'est que plus tard que j'ai appris
que les visiteurs venaient de Suisse.
Au total, j'ai subi trente deux années de prison ferme et cinq ans de
réforme par le travail. Ma peine devait s'achever en 2011.
Pour résumer, le peuple tibétain n'a pas de voix, nous ne pouvons
pas nous laisser écraser par les Chinois. Tout le Tibet subit cette
oppression.
Durant mes périodes d'emprisonnement et de travail forcé, il
fallait fendre des rochers, niveler des montagnes, transporter des pierres...
C'était très dur pour des détenus très affaiblis.
Certains en sont morts. En 1975, je suis devenu aveugle, tant j'étais
faible... plongé dans une solitude terrible, je ne pouvais plus
travailler. Malgré de multiples requêtes, je n'ai reçu
aucun soin. On me disait: « C'est ton sort ! II est impossible
de t'emmener à l'hôpital, pour des raisons de
surveillance ». Seul dans ma cellule pendant 5 ans, aveugle, je
n'avais que mes doigts pour sentir le niveau d'eau dans mon verre.
Les autorités chinoises sont très fortes pour rédiger des
rapports sur le respect des droits de l'homme. Mais ces dispositions ne sont
pas appliquées aux Tibétains
En 1980, j'ai été brièvement relâché, des
amis m'ont fait soigner et j'ai retrouvé une vue très imparfaite
de l'oeil gauche. En Suisse, en 2002, j'ai guéri de l'oeil droit. En
1996, j'avais demandé à un ophtalmologue tibétain
collaborateur d'obtenir des soins d'un médecin humanitaire, mais cela me
fut refusé.
Plusieurs centaines de personnes sont mortes de faim, de faiblesse, sous les
coups...
Pendant plusieurs mois, j'ai été enchaîné au niveau
des jambes. J'ai eu aussi des menottes qui incluaient les bras et le torse,
tellement serrées que mes doigts sont devenus d'immenses ballons. Il est
inimaginable qu'il soit possible à un homme de faire subir tant de
souffrances à un autre homme, et ce n'est pas seulement du passé.
En 2001, je fus tellement malade, que les Chinois furent obligés de
m'admettre à l'hôpital. J'ai protesté contre les soins
douteux que je recevais. Ce fut l'occasion de nouvelles tortures à
l'hôpital même : sur la poitrine nue, on plaça des bocaux
avec des ferrures entrant dans la chair... Les soignants semblaient heureux de
me voir souffrir... Dans cet hôpital de Sera, deux prisonniers d'opinion
sont morts, faute de soins.
En 1998, dans notre prison, le 1
er
Mai, il faut
célébrer la fête du Travail, la gloire de la Mère
Patrie. Les prisonniers ont refusé de saluer le drapeau chinois. Les
gardiens ont tiré, il y eut des blessés, certains sont morts.
Il y a encore 200 prisonniers d'opinion connus au Tibet, davantage en
réalité. Je remercie les gouvernements et les Parlements qui ont
fait des campagnes d'opinion pour qu'ils soient libérés. Ces
campagnes sont efficaces.
C'est pourquoi je suis ici. Je vous invite à accroître et à
renforcer vos actions, afin que les négociations en cours entre le
Dalaï Lama et la Chine aboutissent, que l'autodétermination du
Peuple Tibétain soit reconnue, que le choix de Pékin pour
organiser les Jeux Olympiques de 2008 serve, dans toute la période de
préparation, à mener des actions pour que les droits de l'homme
soient respectés au Tibet.
M. Takna, en réponse à diverses questions :
Dans le Tibet oriental, la présence de nombreux colons a permis aux
Chinois de devenir majoritaires, mais pour l'ensemble du Tibet, la population
est composée de 50 % de Tibétains et de 50 % de
Chinois. Les autorités chinoises donnent des chiffres différents
: 5,8 millions de Tibétains, 7,5 millions de Chinois, mais
elles y incluent les militaires. Leurs chiffres sont très douteux... On
compte 130 000 Tibétains hors du Tibet, dont 100 000 sont
en Inde. 85 000 ont pu suivre le Dalaï Lama lors de son exil.
Pendant toute ma détention, je n'ai jamais su qu'il y avait des
personnes engagées dans le monde dans la lutte pour les droits du Tibet.
Les détenus sont des personnes de non-droit. Je n'ai reçu aucun
courrier.
Ce qui m'a fait tenir si longtemps : la seule force de ma
détermination, la certitude que ma cause était juste et vraie :
j'étais sûr que la vérité viendrait un jour à
la lumière. Je devais résister, puisque la vérité
devait émerger un jour ! Et puis, j'aime mon pays. Même si
les Chinois répètent sans cesse que les Tibétains ne sont
qu'une des 55 minorités qui habitent la Chine. Or ce n'est pas du
tout la même chose. Le Tibet a une culture, une histoire, un art, un
calendrier... Nous ne sommes pas une des 55 minorités
inventées par les Chinois.
A la question de savoir quelles actions concrètes les parlementaires
peuvent mener en faveur des Tibétains, M. Takna répond :
Toutes les actions que vous avez menées, parlementaires, associations,
personnes individuelles, ont été efficaces : d'autres et
moi-même ont été libérés. Depuis 1997-1998,
les conditions de vie dans les prisons se sont améliorées.
Je n'ai pas de conseil à vous donner. Deux éléments sont
importants :
- Faire reconnaître que le Tibet est sous occupation. C'est un fait
depuis 50 ans. Il faut qu'il soit reconnu ;
- La liberté est très importante. Les Tibétains sont
traités comme des sacs. L'absence de liberté nous empêche
de garder notre culture. L'autodétermination est naturellement due au
Peuple Tibétain. Je sais que le Dalaï Lama négocie. Il y
aurait un statut d'autonomie dans le cadre de la République chinoise.
Mais il convient d'être très clair car s'il n'y a pas une vraie
liberté, organisée, nous serons écrasés. Il n'y a
pas de vraie règle du jeu pour les Tibétains, donc pas de
liberté. Même les cultivateurs et les nomades tibétains ont
été trompés par les Chinois. Les négociations
actuelles doivent aboutir à des accords concrets : Que l'on
reconnaisse le gouvernement tibétain en exil !