Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 26 (1998-1999) - 1er juillet 1999

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LE BOTSWANA :

UN MODÈLE POUR L'AFRIQUE ?

MM. Jean-Pierre CANTEGRIT, Joël BOURDIN,

Jacques PELLETIER, André ROUVIÈRE

Sénateurs

Compte rendu d'une mission effectuée au Botswana

du 12 au 18 avril 1999 par une délégation

du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique australe

Composition de la délégation

MM. Joël BOURDIN

Sénateur de l'Eure (Groupe des Républicains et Indépendants)

Jean-Pierre CANTEGRIT

Sénateur des Français établis hors de France (Rattaché au Groupe de l'Union centriste) Président du groupe sénatorial France-Afrique australe

Jacques PELLETIER

Sénateur de l'Aisne (Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen)

André ROUVIÈRE

Sénateur du Gard (Groupe socialiste)

La délégation était accompagnée de M. Manuel VAZQUEZ, administrateur des services du Sénat, et secrétaire exécutif du groupe sénatorial.

INTRODUCTION

Le groupe sénatorial France-Afrique australe s'est rendu au Botswana du 12 au 18 avril 1999. Cette initiative s'inscrit dans le prolongement de la visite effectuée au Botswana en 1997 par M. René Monory, Président du Sénat, et dans le cadre d'une politique globale, impulsée par le Président Chirac dès son élection à la tête de l'État en 1995, qui vise à établir des relations plus nourries avec la zone australe du continent africain.

La mission du groupe sénatorial a été notamment l'occasion d'échanges approfondis avec M. Festus Mogae, Président du Botswana, M. Le Général Mompati Merafhe, ministre des Affaires étrangères, Mme le Dr Gaositwe Chiepe, ministre de l'Éducation, M. David Magang, ministre de l'Équipement, des transports et des Communications, M. J.L.T. Mothiambele, vice-ministre de l'Agriculture, M. Edison Masisi, vice-président de l'Assemblée Nationale, M. Kgosi Sepapitso IV, Vice-Président de la Chambre des Chefs, M. Michael Dingake, chef de l'opposition parlementaire, ainsi que de nombreux autres parlementaires et hauts fonctionnaires botswanais.

La délégation du Sénat a aussi été longuement reçue par M. le Dr Kaire Mbuende, Secrétaire général de la Southern Africa Development Community (SADC).

Il ressort des entretiens et des visites effectuées par la délégation que le Botswana constitue pour l'Afrique un modèle de stabilité, de démocratie et de développement, dont l'importance doit être mieux reconnue en France. Il n'y aurait en effet que des avantages à développer nos échanges avec le Botswana, un des pays émergents les plus solvables et les plus prometteurs, dont le rôle au service de la paix et de l'intégration régionale dépasse très largement son poids démographique.

Le groupe sénatorial souhaite que son témoignage y contribue.

Son travail a été grandement facilité par l'efficacité de l'Ambassadeur de France au Botswana (en résidence en Namibie), M. Eugène Berg, et du Chef de la Chancellerie détachée, M. André Fortin. Qu'ils trouvent ici l'expression renouvelée de la vive gratitude de l'ensemble de la délégation.

I. LE BOTSWANA : UN PAYS STABLE ET DÉMOCRATIQUE

A. UNE NATION PAISIBLE

I. Un peuplement ancien

Les premiers habitants du Botswana furent les San , appelés Bosjesmannen (hommes de la brousse) par les Hollandais, d'où leur surnom anglais de « Bushmen » et français de « Bochimans ». Souvent caricaturés comme des bons sauvages, comme l'illustre le film de Jamie Uys « Les Dieux sont tombés sur la tête » 1 ( * ) ; les San sont aujourd'hui très peu nombreux (30.000 à 40.000 environ, soit moins de 2 % de la population).

Les San furent en effet rejoints entre le Ier et le IIème siècle de notre ère par des agriculteurs et des pasteurs Bantous , originaires du Cameroun et du bassin du Tchad, qui contournèrent le Kalahari, mais occupèrent progressivement une large part de l'Afrique du Sud ainsi que les rives des fleuves (Molopo, Limpopo, Chobe), qui constituent les frontières méridionales et septentrionales du Botswana actuel. Ces différents peuples semblent avoir entretenu des relations amicales, commerçant et se mariant librement entre eux. De même, les différends politiques entre tribus Bantous se réglaient souvent à l'amiable, ceux qui n'obtenaient pas satisfaction partant simplement s'établir ailleurs, accompagnés de leurs partisans.

Cette relative harmonie fut rompue au début du XIXème siècle. La croissance des différentes populations avait en effet conduit à l'occupation de tous les bons pâturages en bordure du Kalahari, rendant la fragmentation pacifique impraticable. En outre, la région fut soumise à deux pressions belliqueuses venues de l'est - les Zoulous -, puis du sud - les Boers -.

LES PEUPLEMENTS D'AFRIQUE AUSTRALE EN 1800

Source : Marie LORIE, Le Botswana, Editions Karthala, 1994.

Dispersées, et sans armée organisée, les tribus Batswana (un sous-groupe Bantou) durent alors fuir le nord de l'Afrique du Sud pour s'établir dans l'ensemble du Botswana actuel, en raison des guerres de conquêtes (« difaquane ») 2 ( * ) , déclenchées en 1818 par le roi Zoulou Shaka Ier.

Pour se protéger, les Batswana se regroupèrent progressivement (la population de Shoshong, capitale du clan Ngwato aurait atteint 30.000 habitants en 1860), et fondèrent une société hautement structurée , dont l'organisation devait impressionner les missionnaires britanniques, et dont les principes (goût pour l'ordre, résolution pacifique des conflits, forte solidarité entre les membres des différents clans) imprègnent encore la société botswanaise contemporaine.

Les Batswana se heurtèrent ensuite aux Boers , venus du sud pour échapper à la tutelle britannique, qui les écrasèrent en 1852 à la bataille de Dimawe, et attaquèrent ensuite tous les villages qui ne voulaient pas se soumettre.

2. Un protectorat britannique distant

Conseillés depuis 1807 par des missionnaires britanniques (parmi lesquels le futur explorateur David Livingstone), les chefs Tswana demandent alors l'aide des britanniques . Ces derniers refusent, ne pensant pas pouvoir tirer profit du territoire. Ils n'interviendront que trente ans plus tard, en proclamant en 1885 le protectorat du « Bechuanaland », pour enrayer l'expansionnisme boer, barrer la route à l'Allemagne (qui occupait la Namibie) et sécuriser « la route des missionnaires » vers les mines d'or de l'actuel Zimbabwe.

Toutefois, le Royaume-Uni se désintéressa de l'administration du Bechuanaland au point d'accepter, en 1894, de transférer leur protectorat à la British South Africa Company de Cecil B. Rhodes, homme d'affaires du Cap, en dépit des pétitions adressées à la Reine Victoria par les Chefs Tswana. Fait exceptionnel, trois d'entre eux (Khama, ancêtre du Vice-Président actuel, Bathoen et Sebele) partent alors pour Londres pour plaider directement leur cause. N'obtenant pas de succès auprès du Gouvernement, ils parcourent le pays, rallient l'opinion publique et obtiennent finalement le maintien du protectorat britannique.

Par la suite, les chefs Tswana s'unirent périodiquement face au risque d'un rattachement forcé à l 'Union sud-africaine , née en 1910 de la fusion des colonies britanniques du Cap et du Natal, d'une part, des anciens États boers d'Orange et du Transvaal, d'autre part. Cette menace récurrente devait persister jusque dans les années 1950, où le régime d'Apartheid continuait d'avoir des visées sur le Bechuanaland pour agrandir ses bantoustans 3 ( * ) . Cette épée de Damoclès ne sera levée qu'en 1969, lorsque l'Union Sud-Africaine devint la République Sud-Africaine et quitta le Commonwealth.

Très réduite et basée au départ à Mafikeng, en Afrique du Sud, l'administration britannique s'appuya sur les chefs tribaux, tout en s'efforçant de réduire progressivement leurs prérogatives. Mais c'est surtout le financement de l'administration (que la Grande-Bretagne refusait d'assurer) qui devait modifier les structures sociales : le haut-commissaire britannique introduisit en 1899 une taxe sur les huttes (modifiée par la suite en taxe per capita), puis en 1919 une taxe sur la naissance, fusionnées en 1938 en une taxe unique, « l'African Tax », avec pour corollaires l'enrichissement des chefs locaux (intéressés à la perception des impôts) et l 'émigration d'un quart de la population mâle vers les mines et les fermes sud-africaines.

3. Une accession sans heurts à l'indépendance

L'insuffisance du développement économique, le retour des 10.000 Batswana incorporés dans l' African Auxiliary Pioneer Corps lors de la seconde guerre mondiale, puis partis se battre jusqu'en Europe, la formation d'une élite noire, et enfin le poids des impôts ont entraîné une aspiration croissante à l' autonomie , catalysée par l'accession du Ghana à l'indépendance en 1957. En 1960 est ainsi constitué le Législative Council , assemblée « représentative » composée d'un nombre égal d'Africains (10), d'Européens (10) et de représentants de l'administration coloniale (10).

Mais un courant nationaliste radical , sans racines profondes au Botswana, où des clans très décentralisés vivaient sous l'autorité des chefs locaux, se développa au Bechuanaland après le durcissement de l'Apartheid en Afrique du Sud 4 ( * ) et l'exil au Bechuanaland de près de 1.400 personnes, dont quelques Batswana appartenant à l'ANC 5 ( * ) . Confrontées à une agitation croissante, les autorités coloniales accueillirent alors favorablement la fondation, par Seretse Khama et Quett Masire, du Bechuanaland Democratic Party (BDP), parti indépendantiste modéré bénéficiant du soutien des chef locaux et des partis traditionalistes, et dont le co-fondateur, Seretse Khama , était très populaire en raison de ses démêlés avec les autorités britanniques.

SERETSE KHAMA, PÈRE DE L'INDÉPENDANCE

Le 29 septembre 1948, Seretse Khama, prince héritier des Bangwato, l'un des principaux clans Tswana, alors âgé de 27 ans et étudiant à Oxford, épouse Mlle Ruth Williams, une jeune anglaise blanche. Cette union déplaît à certains traditionalistes Bangwato, au premier rang desquels le régent Tshekedi Khama, mais surtout à l'Afrique du Sud, où l'Apartheid vient d'être officialisé et où les mariages interraciaux sont interdits. Les Britanniques, qui ne souhaitaient pas se mettre à dos la Rhodésie et l'Afrique du Sud, retinrent alors le jeune ménage en Grande-Bretagne jusqu'en 1956.

Seretse Khama gagna néanmoins à sa cause de nombreux appuis en Grande-Bretagne et conserva le soutien constant des Bangwato, qui engagèrent des mouvements de résistance civiques. Il put ainsi rentrer au Bechuanaland en 1956, grâce à l'obstination des Bangwato qui refusaient de signer un important contrat minier sans son accord.

Très populaire, il contribua à la transition pacifique vers une démocratie multiraciale et fut le premier Président du Botswana. Son fils aîné, Ian Khama, est aujourd'hui Vice-Président de la République du Botswana.

Le BDP obtint ainsi la rédaction d'une constitution non raciale , puis la mise en oeuvre d'un plan pacifique de transmission du pouvoir. Lors des élections générales de 1965, Seretse Khama devint Premier ministre, puis le Botswana fut proclamé officiellement indépendant le 30 septembre 1966 et Seretse Khama en devint Président.

Cette transition pacifique porte encore ses fruits aujourd'hui. Le Botswana fait en effet largement figure d' exception dans une Afrique australe marquée par des accessions douloureuses à l'indépendance ou par des conflits raciaux : on n'y sent ni défiance, ni complexe à l'égard des Blancs, et les relations extérieures du pays ne sont empreintes d'aucun sentiment d'animosité ou de revanche à l'encontre des pays européens.

B. DES INSTITUTIONS MODÈLES POUR L'AFRIQUE ?

1. Une démocratie parlementaire authentique

Les Botswanais sont, à juste titre, très fiers de leurs institutions. Le Botswana est en effet un Etat de droit : la constitution promulguée le 30 septembre 1966, et très peu révisée depuis (ce qui est relativement rare en Afrique), garantit à chaque citoyen les libertés de conscience (article 11), d'expression (article 12), d'association (article 13) et de circulation (article 15). Elle protège le droit de propriété (article 8), ainsi que l'inviolabilité du domicile (article 9). Elle reconnaît à chacun le droit à une vie décente, et elle interdit toute forme de discrimination, notamment raciale (article 15) 6 ( * ) . Là encore, le Botswana a ainsi longtemps fait figure d'exception en Afrique australe. Le respect pratique de ces droits est assuré par une justice et une presse indépendantes . Le Botswana n'a ainsi jamais interdit aucun parti et ne connaît pas de prisonniers politiques.

Le Botswana est également depuis trente-trois ans une véritable démocratie parlementaire multiraciale , dont le fonctionnement s'inspire de celui des institutions britanniques.

Le Parlement est formé de deux chambres : l'Assemblée Nationale et la Chambre des Chefs (« House of Chiefs »). Quarante des quarante-quatre membres de l'Assemblée nationale 7 ( * ) sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct. Les quatre autres sont nommés par le Président de la République en raison de leurs fonctions au sein de l'État. Ils sont le plus souvent membres du parti au pouvoir. Les 44 députés élisent le Président (« Speaker ») de l'Assemblée. Le parlementarisme botswanais est particulièrement méticuleux : chaque projet de loi est examiné trois fois.

Le Président de la République est choisi par l'Assemblée en son sein. Il contrôle le pouvoir exécutif et nomme les ministres, également issus du Parlement, sauf quatre d'entre eux au plus (article 43 de la Constitution). Le Président nomme le Vice-Président qui est, en quelque sorte, son adjoint, et qui lui succède jusqu'au terme du mandat en cours en cas d'empêchement ou de décès. Le Vice-Président est par ailleurs le chef de la majorité à l'Assemblée, à la place du Chef de l'Etat, qui n'y paraît pas souvent.

Le Président de la République 8 ( * ) peut dissoudre la Chambre basse. Inversement, l'Assemblée nationale peut présenter une motion de défiance dont l'adoption emporte, ou bien démission du Gouvernement, ou bien, si celui-ci refuse, dissolution de l'Assemblée, ce qui entraîne de facto un renouvellement du Gouvernement.

Cette démocratie fonctionne sans heurts : les six élections législatives, organisées avec régularité depuis 1965 (1969, 1974, 1979, 1984, 1989, 1994, 1999) se sont déroulées dans des conditions satisfaisantes, même si les partis d'opposition ont parfois fait appel à la Haute Cour pour dénoncer certaines irrégularités et ont obtenu, en 1984, l'annulation des élections dans une circonscription. La participation électorale est importante (77 % en 1994). Les partis d'opposition détiennent aujourd'hui 13 sièges sur 44 à l'Assemblée nationale. Des ministres en exercice sont fréquemment défaits dans les urnes. Le Vice-Président et futur Président Quett Masire fut ainsi battu en 1969 avant de retrouver son siège de député en 1974. Par surcroît, depuis la réforme constitutionnelle de 1997, une commission indépendante supervise l'ensemble du processus électoral. Enfin, l'opposition détient plusieurs municipalités 9 ( * ) .

Le Botswana n'a toutefois pas connu l'alternance électorale. Cette stabilité politique est imputée par l'opposition parlementaire au mode de scrutin (uninominal à un tour, ce qui désavantage une opposition divisée), mais aussi à un manque de moyens et à un accès inégal à la radio 10 ( * ) , comme aux financements politiques accordés par les milieux d'affaires. Il est vrai que la presse ne ménage pas ses critiques à l'encontre du Gouvernement, mais elle demeure peu diffusée en dehors des centres urbains. En outre, l'unique quotidien est un journal « gouvernemental » diffusé gratuitement, tandis que la presse privée (plusieurs hebdomadaires) connaît des difficultés financières récurrentes.

Cependant, cette stabilité politique peut aussi s'expliquer par une tradition légitimiste , ainsi que par la fragmentation de l 'opposition (huit partis ont présenté des candidats aux élections de 1994) et par sa désunion. Le Botswana National Front (BNF), d'inspiration marxiste et principal parti d'opposition, s'est ainsi scindé en 1997, 11 de ses 13 députés formant un nouveau parti, le Botswana Congress Party , d'inspiration sociale démocrate, et dirigé par M. Mike Dingake, ancien compagnon de pénitencier de M. Nelson Mandela.

Élections à l'Assemblée nationale

1984

1989

1994

Voix (%)

Sièges

Voix (%)

Sièges

Voix (%)

Sièges

BDP 1

67,99

29

64,78

31

54,43

23

BNF 2

20,43

4

26,95

3

37,07

13 3

BPP 4

6,57

1

4,35

0

4,18

0

Autres

5,99

0

3,91

0

4,22

0

1 Botswana Democratic Party (Libéral), au pouvoir.

2. Botswana National Front (d'inspiration marxiste).

3. Onze des treize députés du BNF ont rejoint le Botswana C ongress Party en 1997.

4. Botswana People's Party .

2. Une tradition de consensus

Si les institutions d'une démocratie parlementaire se sont si bien ancrées au Botswana, cela résulte d'une longue tradition de discussion et de recherche du consensus . Bien avant le protectorat britannique, les pouvoirs des Chefs étaient en effet limités, et la vie des villages était gouvernée par la « Kgotla », c'est-à-dire l'Assemblée régulière des membres du clan, à l'ombre de l'arbre central du village, où les hommes de la communauté pouvaient discuter librement des décisions les concernant 11 ( * ) . Les Chefs n'étaient pas tenus d'y respecter le point de vue majoritaire, mais leurs décisions s'en écartaient d'autant plus rarement que des chefs despotiques pouvaient être révoqués. En outre, le fait que les minoritaires disposaient toujours de la faculté de s'établir ailleurs constituait une incitation puissante à privilégier la persuasion et la concertation au lieu de l'affrontement direct. Cette tradition de concertation s'incarne aujourd'hui dans les larges consultations régulièrement organisées pour traiter des grandes questions qui engagent l'avenir de la Nation. C'est ainsi qu'en janvier 1998, une Commission nommée par le Chef de l'Etat a publié un rapport intitulé « Vision à long terme pour le Botswana - vers la prospérité pour tous », qui constituait l'aboutissement d'un long processus de concertation dans tous les secteurs de la société civile.

Cette tradition se retrouve aussi dans le caractère très policé du jeu démocratique en général et des joutes parlementaires en particulier, comme l'illustre le règlement intérieur de la Chambre des Chefs, qui interdit notamment aux membres de la Chambre « d'évoquer des thèmes sans rapport avec le sujet en débat, d'évoquer les affaires pendantes devant une Cour de justice d'une manière qui pourrait en préjuger, de tenter de modifier des décisions prises depuis moins d'un an, d'imputer aux autres membres des motivations inappropriées, d'utiliser le nom du Président [de la République] pour influencer les Chambres, d'évoquer la conduite des parlementaires ou des magistrats (sauf motion spécifique) » , etc.

3. Une institution originale : la Chambre des Chefs

La Chambre des Chefs (15 membres) est composée des 8 Chefs traditionnels (héréditaires) des principales tribus du Botswana énumérées par la Constitution (Bakgatla, Bakwena, Bamalete, Bamangwato, Bangwaketse, Barolong, Batawana et Batakwa), membres de droit ; ainsi que 7 membres élus et soumis à renouvellement lors de chaque élection législative : 4 d'entre eux sont élus par et parmi les « sous-Chefs » des quatre districts gouvernementaux (Chobe, North East, Ghanzi, Kgalagadi), qui correspondent à des zones où d'autres tribus sont majoritaires ; les trois derniers membres (« specially elected members ») sont élus par les douze précédents, « parmi les personnes qui n `ont pas été activement engagées dans la politique au cours des cinq dernières années » (article 79-2 de la Constitution).

La Chambre des Chefs est obligatoirement consultée en cas de révision de la Constitution, ainsi que pour tous les textes relatifs au droit coutumier, au droit familial ou personnel, au régime de propriété des sols et à certains aspects du droit civil. Les membres de la Chambre des Chefs peuvent également se saisir de tout autre sujet qu'ils estimeraient pertinent. Ils disposent d'un pouvoir de convocation des membres du Gouvernement.

En pratique, il semble que cette Chambre consultative exerce une influence significative. Les députés sont en effet réticents à s'opposer frontalement aux Chefs traditionnels (« Kgosi »), dont ils sont par ailleurs sujets. La légitimité de la Chambre des Chefs est d'autant plus importante que chaque Chef consulte très régulièrement sa tribu lors d'assemblées traditionnelles (« Kgotla »). En effet, comme le souligne la devise qui domine la salle des débats de la Chambre des Chefs, « Kgosi Ke Kgosi Ka Bathe » (« Le chef est le Chef par le peuple »).

En contrepartie, les « Chefs » ne peuvent appartenir à un parti politique et ne doivent en principe intervenir ni dans le processus électoral, ni dans le débat de politique générale. Cette disposition, coutumière pour les membres de droit et les 4 représentants des districts gouvernementaux, mais constitutionnelle pour les 3 membres spécialement élus, vise à prévenir aussi bien des conflits de conscience chez les citoyens, qui demeurent largement fidèles à leurs Chefs, que des conflits politiques entre les autorités traditionnelles et le Gouvernement issu du suffrage universel.

Au total, la Chambre des Chefs constitue à bien des égards une institution originale qui permet au Botswana une transition maîtrisée vers la modernité :

- la Chambre des Chefs préserve les solidarités et les appartenances traditionnelles, tout en évitant que celles-ci ne conduisent à une fragmentation tribale de la Nation ;

- elle assure l'expression des Chefs dont elle canalise l'autorité traditionnelle 12 ( * ) , dans le cadre d'une authentique démocratie parlementaire ;

- elle favorise la prise en compte des intérêts des pasteurs et des agriculteurs, souvent lésés au profit des classes urbaines dans nombre de pays en développement.

C. UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE ORIENTÉE VERS LA STABILITÉ ET LA COOPÉRATION RÉGIONALE

1. Une politique extérieure active au service de la paix en Afrique

Le Botswana conduit une politique étrangère beaucoup plus active que ne laisserait supposer son poids démographique (1,6 millions d'habitants).

Pays enclavé entouré d'États plus peuplés, comme l'Afrique du Sud (45,3 millions d'habitants) le Zimbabwe (12 millions d'habitants) ou la Namibie 13 ( * ) (1,7 million d'habitants), le Botswana a toujours pratiqué une diplomatie d'équilibre , dans un contexte extrêmement difficile jusqu'à la fin de l'Apartheid.

Très dépendant de l'Afrique du Sud , tant pour son approvisionnement extérieur 14 ( * ) que pour l'exploitation de ses ressources minières, le Botswana n'en a pas moins courageusement hébergé des réfugiés de l'ANC, ce qui lui valut des raids héliportés sud-africains sur Gaborone en 1985, 1986 et 19883 15 ( * ) .

Le Botswana a par ailleurs toujours privilégié le règlement pacifique de ses contentieux avec la Namibie, relatifs à l'utilisation des eaux du fleuve Okavango, ainsi qu'au tracé de la frontière commune dans la région de l'Ile Sedudu/Kasiliki 16 ( * ) . Cette seconde affaire est désormais portée devant la Cour internationale de Justice de La Haye, qui devrait statuer à très court terme.

Très actif au sein de l'ONU 17 ( * ) et de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), le Botswana se montre attaché à la diplomatie préventive et au maintien de la paix en Afrique. S'appuyant sur une armée de qualité, le Botswana a ainsi participé à plusieurs opérations de maintien de la paix en Afrique sous l'égide de l'ONU, (ONUSOM en Somalie, ONUMOZ au Mozambique, ONUMIR au Rwanda) et, en septembre 1998, à une opération de maintien de l'ordre au Lesotho, à la demande de la SADC et du Gouvernement légal Sotho. Par ailleurs, le Botswana est l'un des rares pays de la région à conserver une stricte neutralité à l'égard du conflit en République Démocratique du Congo .

Le Botswana est également à l'initiative de la coalition globale pour l'Afrique , forum politique intergouvernemental nord-sud créé en juillet 1990, qui réunit les grandes organisations internationales (ONU, OUA, FMI, etc.), ainsi que la plupart des pays africains et leurs principaux bailleurs de fonds, et qui milite en faveur d'une meilleure insertion de l'Afrique dans l'économie mondiale. Toujours présidé par M. Quett Masire, ancien Président du Botswana de 1980 à 1997, la coalition globale pour l'Afrique a ainsi été partie prenante dans l'organisation à Washington, en février 1999, d'une « Conférence sur la lutte contre la corruption en Afrique », dont l'ambition était de jeter les bases d'une véritable convention africaine sur ce thème.

2. Un rôle déterminant en faveur de l'intégration régionale

Le Botswana a joué, et continue de jouer un râle déterminant dans le processus d' intégration régionale , notamment grâce à l'implication personnelle du Président Masire, qui a assuré la présidence de la SADC depuis sa création en 1992 jusqu'en août 1996 (Sommet de Maseru), date à laquelle il a cédé la place au Président Mandela.

Le Botswana est aujourd'hui en charge de la coordination des activités de la SADC dans les secteurs de la recherche agronomique, de l'élevage, et de la police. Il est surtout le pays hôte du siège du secrétariat exécutif de l'organisation (150 personnes au total, dont 40 à Gaborone). Se succèdent ainsi au Botswana des délégations d'hommes d'affaires à la recherche de contrats financés sur les importants fonds que gère la SADC.

Enfin, face aux difficultés de la SADC, le Botswana s'efforce de relancer l'intégration régionale à partir de projets d 'infrastructures communes, comme la « Transkalahari Highway », axe goudronné traversant l'Afrique australe de Maputo (Mozambique), sur l'Océan Indien, jusqu'à l'Océan Atlantique, via Johannesburg et Gaborone.

LA SOUTHERN AFRICAN DEVELOPMENT COMMUNITY (SADC)

La SADC est l'héritière de la « Southern Africa Development Coordination Conference » (SADCC), fondée en 1980 pour réduire la dépendance économique de ses membres 18 ( * ) à l'égard de l'Afrique du Sud de l'Apartheid. Créée en 1992 (Traité de Windhoek), la SADC regroupe désormais quinze membres (Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, République démocratique du Congo, Seychelles, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe) avec pour objectif de renforcer l' intégration économique et politiques régionales.

Soutenue par l'Union européenne 19 ( * ) , la SADC, qui regroupe 190 millions d'habitants, et quatre des cinq pays les plus riches du continent africain, a ainsi établi de nombreux protocoles sectoriels en matière d'eau, d'énergie, de télécommunications, de transports, de santé, d'éducation et de formation professionnelle, de tourisme, etc., et signé des accords de coopération avec l'Allemagne, le Japon, les Etats-Unis, l'Union européenne, l'Inde et la France (en juin 1998). Les pays membres ont également signé en août 1996 un protocole commercial qui prévoyait une levée progressive des barrières tarifaires et non tarifaires, et l'établissement d'une zone de libre-échange à l'horizon 2004-2006, mais dont la ratification a pris du retard en raison des réticences de certains États membres (le Botswana ayant pour sa part ratifié l'accord).

La SADC s'est par ailleurs dotée en 1996 d'un organe chargé des questions de politique , de défense et de sécurité , ayant notamment pour vocation de développer la coopération régionale en matière d'immigration et de lutte contre la criminalité, ainsi que de préserver la paix par l'exercice d'une diplomatie préventive, voire de conduire des opérations de rétablissement et de maintien de la paix, comme en 1998 au Lesotho. Institution prometteuse, cet organe est toutefois confronté à des dissensions internes en raison du conflit en République démocratique du Congo (pays membre de la SADC), où l'Angola, la Namibie et le Zimbabwe se sont engagés militairement.

II. LE BOTSWANA : DE LA CROISSANCE AU DÉVELOPPEMENT

A. UNE CROISSANCE RECORD, MAIS DIFFICILE À GÉRER

1. Une croissance record

Au lendemain de l'indépendance, le Botswana, où les Britanniques n'avaient effectué aucun effort de développement, était classé parmi les 20 pays les plus pauvres du monde. Alors que 93 % de la population active était employée dans l'agriculture, il n'était pas autosuffisant en matière alimentaire et les revenus des travailleurs botswanais employés dans les mines sud-africaines constituaient l'essentiel de ses maigres ressources extérieures.

Par surcroît, le potentiel de développement du Botswana apparaissait très réduit : pays très peu peuplé (500.000 habitants, en majorité analphabètes), dont les 581.773 km 2 étaient recouverts à 80% par le Kalahari 20 ( * ) , immense plateau semi-aride aux épineux rabougris, le Botswana connaissait alors une longue période de sécheresse, et ne possédait ni infrastructure, ni industrie. « Lorsque nous avons demandé l'indépendance », aime à dire l'ancien Président Quett Masire 21 ( * ) , « les gens pensaient que nous étions ou très braves, ou très fiers ».

Pourtant, en trente ans, le PIB par habitant du Botswana a été multiplié par 7,5 et le PIB total par 22 en dollars constants.

1960

1994

Population (en millions)

0,5

1,5

PIB/Habitant (en dollars 1987)

238

1 784

PIB total (en milliards de dollars 1987)

0,1

2,7

Source : PNUD, 1997.

En dépit d'un accroissement démographique particulièrement dynamique (+ 3,2 % par an en moyenne sur la période 1960-1994), le PIB par habitant du Botswana s'est en effet accru de plus de 8 % par an en moyenne sur la période 1965-1993, c'est-à-dire que le PIB a connu une hausse de plus de 11 % par an en moyenne, ce qui fait du Botswana un « record » de croissance sur longue période, devant la Corée ou Singapour.

Évolution annuelle moyenne du PIB par habitant en dollars constants (en %)

1960-1965

1966-1970

1971-1980

1981-1990

1991-1994

- 1,3

6,9

11,5

6,4

1,6

Source : PNUD, 1997.

Selon le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), le PIB par habitant s'établissait ainsi en 1995 à 5.367 dollars en parité de pouvoir d'achat, soit un niveau légèrement supérieur à celui de la Turquie ou de la Tunisie .

2. La manne diamantifère

La forte croissance de l'économie botswanaise trouve largement son origine dans la découverte, en 1967, de gisements diamantifères à Orapa (mis en service en 1971), puis à Letlhakane (mis en service en 1977), et surtout dans la découverte, en 1973, du gisement exceptionnel de Jwaneng. Mise en service en 1982, la mine de Jwaneng est en effet la plus grande mine de diamant mise à jour depuis un siècle, et l'un des premiers sites au monde pour la qualité de ses gemmes.

Ces gisements exploités par la Debswana , société conjointe (50 % Gouvernement - 50 % De Beers), ont produit 20 millions de carats de diamants en 1997 (soit près d'un cinquième de la production mondiale), commercialisés par le Consortium De Beers-Central Selling Organization (CSO), pour une valeur de 6,3 milliards de francs.

Production annuelle de diamants au Botswana (en millions de carats)

1981

1985

1990

1997

5,0

12,6

17,3

20

Le diamant représentait ainsi, en 1997, un tiers du PNB , la moitié des ressources publiques et 70 % des exportations du Botswana.

3. Une politique macroéconomique très prudente

La manne « diamantifère » a été exceptionnellement bien gérée : le Botswana a largement échappé à la « maladie hollandaise » qui affecte la plupart des économies rentières et se manifeste par un endettement gagé sur les ressources futures, l'hypertrophie du secteur public, une inflation élevée et des salaires trop élevés par rapport à la productivité du travail, ce qui empêche le développement du secteur privé.

Le train de vie du Gouvernement botswanais est modeste et les bâtiments officiels (présidence, ministères, Parlement) visités par la Délégation du Sénat ne présentent aucun faste. Le Botswana n'a construit aucun « éléphant blanc » et, malgré des réserves diamantifères abondantes (45 ans d'exploitation), la politique macroéconomique est demeurée extrêmement prudente : en 1998, le budget a été excédentaire pour la quatorzième année consécutive. La balance commerciale est très fortement excédentaire et la dette extérieure (700 millions de dollars) représente seulement 17 % du PNB, et moins d'un huitième des réserves en devises du pays (6 milliards de dollars) : le Botswana est ainsi créditeur net de plus de 5 milliards de dollars, et autofinance entièrement son développement par l'épargne intérieure (25 % du PIB), tant publique que privée. L'inflation est également remarquablement maîtrisée pour un pays qui connaît une croissance aussi rapide 22 ( * ) .

Le « pula » 23 ( * ) fait ainsi figure de monnaie forte en Afrique australe, au point que les billets botswanais sont très largement acceptés dans les pays frontaliers.

Croissance et indicateurs macroéconomiques

1981-1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

Croissance du PIB (en % par an)

11,4

7,5

3,0

2,0

3,6

5,1

5,6

5,3

Inflation

11,8

11,4

11,8

16,2

14,3

10,5

10,1

9,3

Excèdent budgétaire (en % du PIB)

8,3

9,2

7,9

1,6

1,8

7,2

Source : FMI, 1998.

Cette politique macroéconomique très prudente devrait permettre à l'économie botswanaise de surmonter sans déséquilibres majeurs la chute des cours mondiaux du diamant consécutive à la crise asiatique : le Botswana conserve l'une des meilleures cotations au monde en matière de couverture de risques.

4. Des déséquilibres sociaux

La croissance record qu'a connue le Botswana était porteuse de déséquilibres sociaux : les mines n'emploient en effet que 10.000 personnes, et la population urbaine s'est accrue de 12,6 % par an en moyenne entre 1960 et 1994.

Les autorités botswanaises ont su conjurer nombre de ces risques : 93 % de la population a désormais accès à l' eau potable, ce qui pouvait paraître une gageure dans un pays aride au peuplement dispersé ; le réseau sanitaire est relativement dense (30 hôpitaux, 209 cliniques et 316 dispensaires offrent 3.425 lits à une population de 1,5 millions de personnes) ; la transition démographique est bien engagée 24 ( * ) (le taux de fécondité s'est replié de 6,9 enfants par femme en 1965 à 4,2 en 1995), et le taux d' alphabétisation des adultes atteint désormais 68 %.

L'indicateur de participation des femmes (IPF), établi par le PNUD, classe par ailleurs le Botswana au 39 ème rang mondial, juste devant la France, pour la participation des femmes à la vie politique et économique : trois des treize ministres (dont le ministre des Mines, de l'énergie et de l'Eau) sont à l'heure actuelle des femmes, et celles-ci occupaient en 1994, selon le PNUD, 36 % des emplois de direction et d'encadrement supérieurs, contre 9 % en France.

Cependant, même si l'Indicateur de développement urbain établi par le PNUD le place au quatrième rang en Afrique, derrière les Seychelles, Maurice et l'Afrique du Sud, le Botswana occupe à l'échelle mondiale un rang (97 ème ) bien inférieur à celui de son PIB par habitant, en raison d'une distribution très inégalitaire des revenus : 40 à 50 % de la population vivraient en deçà du seuil de pauvreté absolue.

La productivité du secteur agricole (46 % de la population active, mais 4 à 8 % du PIB seulement) demeure en effet très faible, et le niveau de vie médian des populations rurales est d'autant plus modeste que la propriété du bétail (principale richesse traditionnelle) demeure concentrée, ce qui favorise l'exode rural .

LE BOTSWANA : TERRE D'ÉLEVAGE

L'élevage extensif a longtemps représenté le point d'appui de l'économie.

Le cheptel bovin compte près de 3 millions de têtes au Botswana (soit deux têtes pour un habitant), et produit environ 35.000 tonnes de viande d'excellente qualité par an, exportées pour moitié vers l'Union européenne.

Au-delà d'une importance économique (4 % du PIB) en déclin relatif, l'élevage joue toujours un rôle social essentiel : signe extérieur de richesse et de prestige, le cheptel demeure utilisé lors des transactions familiales. La majorité de la population possède ainsi du bétail et nombre d'éleveurs se font pasteurs le week-end, même si 5 % de la population détient plus de la moitié du cheptel national.

La gestion de l'élevage est toutefois très difficile, en raison des sécheresses périodiques de la surexploitation de certains sols, d'épizooties 25 ( * ) récurrentes, mais aussi de son rôle traditionnel (le rythme de reconstitution et d'abattage du cheptel obéit plus à des considérations sociales qu'à des logiques économiques).

Les créations d'emplois dans le secteur tertiaire (public et privé) et dans l'industrie de transformation n'ont pas été suffisantes pour absorber cet afflux, en raison du niveau insuffisant de la formation initiale de la main-d'oeuvre.

Le taux de chômage est ainsi élevé : 21 % selon le Gouvernement, près de 35 % selon l'opposition, alors même que le Botswana emploie plusieurs milliers d'expatriés (universitaires, médecins, ingénieurs).

Le désoeuvrement des populations nouvellement urbanisées n'a pas entraîné une forte criminalité (le taux de criminalité demeure sans commune mesure avec les niveaux atteints en Afrique du Sud et la société botswanaise demeure très policée). Mais il est un des facteurs explicatifs de la très forte prévalence du SIDA , endémie face à laquelle les autorités semblent relativement désarmées, faute d'un discours qui permette de concilier une approche réaliste et efficace, avec des représentations collectives à la fois puritaines et fatalistes. En raison de la diffusion du SIDA 26 ( * ) , l'espérance de vie s'est ainsi repliée de 61 ans en 1991 à 53 ans en 1997.

Par ailleurs, l'insertion des 30 à 40.000 San du Botswana demeure problématique. Leurs intérêts sont en effet mal représentés ; leurs droits à la terre s'érodent au profit des éleveurs, des compagnies minières ou des opérateurs touristiques ; l'économie monétaire détruit progressivement leur culture traditionnelle et le maintien de leur vie de chasseurs nomades est de plus en plus difficile, tandis que leur sédentarisation est, pour l'heure, peu réussie.

Ces déséquilibres sociaux, dénoncés par les dirigeants de l'opposition rencontrés par la Délégation, mais dont les responsables gouvernementaux lui sont également apparus très préoccupés, renforcent l'ambition de tous les Botswanais de diversifier leur économie.

B. UN DÉVELOPPEMENT PROMETTEUR

1. Une politique de formation ambitieuse

La stratégie de développement du Botswana constitue une mise en oeuvre exemplaire des principales recommandations de la Banque mondiale, et plus généralement des théories contemporaines du développement : investissements publics en matière d'infrastructures (routes, Télécoms) et de formation (notamment d'éducation de base) ; renforcement des services sociaux de base afin de préserver la cohésion sociale ; diffusion des bonnes pratiques dans l'agriculture afin d'améliorer le niveau de vie des ruraux ; politiques macroéconomiques stables et crédibles ; promotion de l'égalité des chances et d'un environnement culturel et fiscal favorable à l'initiative privée ; ouverture aux investissements directs étrangers ; libéralisation financière ordonnée, c'est-à-dire, au total, promotion d'un environnement favorable à l' investissement privé .

En premier lieu, la formation et l'éducation de la jeunesse (la moitié de la population à moins de 15 ans) est une constante des plans nationaux de développement du Botswana. Cet effort répond d'ailleurs à une aspiration ancienne : lors du protectorat britannique, les Batswana ont continûment lutté afin que l'administration coloniale consacrât davantage de ressources aux écoles, certaines tribus créent même, par leurs propres moyens, ou avec l'aide des missions religieuses, les premières écoles secondaires du pays.

Les dépenses d'enseignement atteignaient ainsi 8,5 %, du PIB en1994 selon le PNUD, ce qui constitue un des pourcentages les plus élevés au monde, et le Gouvernement, qui s'est engagé à offrir à tous 10 années d'éducation primaire entièrement gratuite 27 ( * ) , pourrait bientôt atteindre cet objectif : en 1996, seuls 17% des 400.000 enfants d'âge scolaire (sur 1,5 million d'habitants) manquaient régulièrement l'école.

Les derniers plans nationaux pour l'éducation mettent également l'accent sur le développement de l'enseignement secondaire gratuit (103.000 élèves en 1996, soit 45 %, de la classe d'âge concernée selon les statistiques communiquées par Mme le Dr CHIEPE, Ministre de l'Éducation) : le nombre d'enseignants y est ainsi passé de 4.569 en 1993 à 6.485 en 1996 (soit un enseignant pour 16 élèves).

Enfin, compte tenu du faible niveau d'éducation de certains adultes, le Gouvernement conduit un programme d'alphabétisation et de formation professionnelle continue, destiné notamment aux femmes 28 ( * ) , et qui concernait 18.000 personnes en 1996.

Le développement de l' enseignement supérieur (9.275 étudiants en 1996) est plus lent, ce qui se entraîne une pénurie de main-d'oeuvre hautement qualifiée. En effet, les autorités botswanaises se heurtent pour l'heure au manque de professeurs d'origine botswanaise : 50 des 54 professeurs, et 90 des 129 « senior lecturers » de l'Université nationale créée à Gaborone en 1982 29 ( * ) , sont en effet des expatriés, dont la rémunération est coûteuse.

Développement de l'enseignement au Botswana

Années

1966

1976

1986

1996

Population

450.000

712.000

1.132.000

1.500.000

Ecoles primaires

Élèves

71.000

126.000

236.000

319.000

Professeurs

1.673

3.921

7 324

10.137

Enseignement secondaire

Elèves

1.531

14.000

36.000

103.000

Professeurs

-

664

1.619

6.435

Source : Ministère de l'Education du Botswana .

2. Des infrastructures de qualité

Pour transformer son enclavement en atout - une position centrale - et pour réduire sa dépendance économique à l'égard de l'Afrique du Sud, le Botswana s'est doté d' infrastructures modernes.

Alors que le réseau routier était quasiment inexistant, le Botswana dispose ainsi aujourd'hui de 8.000 km de routes, dont 3.000 km goudronnés, parmi lesquelles la Transkalahari inaugurée en 1998, qui relie le port de Walwis-Bay (en Namibie), Gaborone, Johannesburg et Maputo.

Les autorités botswanaises ont également conduit très rapidement une politique de développement aéroportuaire 30 ( * ) : ouverture de l'aéroport international Seretse Khama à Gaborone (en 1984) ; rénovation de l'Aéroport de Maun, plaque tournante du tourisme vers le delta de l'Okavango ; ouverture de l'aéroport de Kasane, aux portes du Parc Chobé (en 1991). Ces aéroports sont bien desservis par une compagnie aérienne parapublique (Air Botswana).

Le Botswana s'est également doté d'infrastructures modernes en matière de télécommunications et d'une administration régulièrement reconnue comme l'une des moins corrompues de celles des pays émergents.

Au total, le Botswana dispose ainsi aujourd'hui de l'ensemble des atouts (main-d'oeuvre formée, infrastructures, stabilité politique) favorisant l'attractivité du territoire et l'enclenchement d'une dynamique de développement endogène.

3. Un cadre favorable aux investissements étrangers.

Le Botswana s'est doté d'une législation particulièrement favorable aux investissements étrangers.

Grâce à la stabilité du « pula », le contrôle des changes est ainsi le plus libéral d'Afrique depuis les réformes intervenues en 1995.

La pression fiscale est particulièrement modérée : le taux de base de l'impôt sur les sociétés est de 15 % et le taux marginal maximal pour l'impôt sur le revenu s'établit à 25 %. Une société publique, la Botswana.

Development Corporation (BDC) conduit des études de faisabilité pour les projets d'investissements.

Par ailleurs, le Botswana est parvenu à concilier de manière satisfaisante l'aspiration des investisseurs à la sécurité foncière avec une forte réticence de la population à aliéner les droits de la Nation sur le sol, depuis les « concessions » arrachées aux tribus tswana par des sociétés britanniques, à la fin du XlXème siècle.

Pour ce faire, le droit botswanais distingue trois types de propriété du sol : des terres privées (« free hold »), des terres d'Etat (« state land »), inaliénables, mais qui peuvent faire l'objet de baux emphytéotiques ; enfin, des terres tribales (« tribal land »), en principe inaliénables et incessibles, mais dont l'usufruit peut être ou bien alloué à des particuliers 31 ( * ) (à titre définitif), ou bien concédé à des opérateurs touristiques privés (pour des durées de 15 à 50 ans).

Au total, le Botswana était le troisième pays africain le plus compétitif dans le rapport 1998 établi par le World Economic Forum .

4. Une stratégie de diversification économique

L'économie botswanaise s'est d'ores et déjà diversifiée, comme le suggère le tableau ci-dessous :

RÉPARTITION DE LA POPULATION ACTIVE (en %)

Agriculture

Mines et Industrie

Tertiaire

1960

93

2

5

1999

46

20

33

RÉPARTITION DU PIB (en %)

Agriculture

Mines et Industrie

Tertiaire

1999

5

49

46

Source : PNUD

Dès le début des années 1970, le Botswana a entrepris de diversifier sa production minière . A l'instar du Zaïre ou de l'Afrique du Sud, le Botswana peut en effet être qualifié de « scandale géologique » en raison de la richesse des ressources de son sous-sol. Outre de faibles quantités d'or, le Botswana produit ainsi du cuivre et du nickel à Selebi-Phikwe 32 ( * ) du charbon à Morupule (1 million de tonnes par an) 33 ( * ) , et, depuis 1991, de la soude et du sel à Sua-Pan, au nord du pays. Le Kalahari pourrait également receler de l'amiante, du chrome, du manganèse, du platine, voire du pétrole.

La modernisation et la diversification de l' agriculture figurent par ailleurs parmi les objectifs majeurs des gouvernements botswanais successifs depuis 1966. Cette politique se heurte toutefois à plusieurs obstacles. En premier lieu, les sols demeurent extrêmement pauvres (2 à 5 % des terres sont arables), les conditions climatiques sont difficiles (sécheresses à répétition 34 ( * ) ) et les ressources en eau sont très limitées. En second lieu, le ministère de l'agriculture éprouve des difficultés, notamment dans le domaine de l'élevage, à améliorer des méthodes qui relèvent souvent de pratiques culturelles. Enfin, le développement agricole du Botswana a été longtemps confronté à un dilemme entre :

- d'un côté, soutenir l'élevage et la production vivrière traditionnelle (sorgho, maïs. millet, fèves) par la mise en valeur de terres nouvelles et des mécanismes de garantie de prix, ce qui augmente un peu le revenu des populations rurales 35 ( * ) (donc ralentit l'exode rural) et renforce la faible autosuffisance alimentaire du pays 36 ( * ) , mais au prix de gains de productivité faible et parfois d'un épuisement des sols ;

- de l'autre, favoriser le regroupement des exploitants, la concentration des exploitations, la diffusion de meilleures pratiques et le développement des productions exportables, donc des gains de productivité dynamiques mais au prix d'inégalités accrues.

Prenant acte de l'étroitesse du marché intérieur, et de l'impossibilité, pour un pays aussi aride, à parvenir à l'autosuffisance céréalière, il semble aujourd'hui que la politique agricole du Botswana vise à s'affranchir de ce dilemme en promouvant une stratégie de niche et de valeur ajoutée .

Le ministère de l'agriculture souhaite ainsi développer l'enseignement agricole, diffuser les méthodes modernes d'insémination artificielle dans l'élevage, et créer une filière lait 37 ( * ) , afin d'accroître la valeur ajoutée produite par les pasteurs, d'une part ; inciter au développement de secteurs d'exportation porteurs, comme l'élevage d'autruches, faiblement capitalistique et bien adapté à l'environnement local, d'autre part.

Le Gouvernement s'efforce par ailleurs de promouvoir le développement d'une industrie de transformation , grâce à un cadre législatif et fiscal (« Financial Assistance Policy » lancée en 1982), et à un environnement macroéconomique particulièrement attractifs pour les investisseurs étrangers. Les produits transformés représentaient ainsi 16,5 % des exportations en 1998, et le secteur industriel - produits miniers semi-élaborés, textile, agroalimentaire, électronique, assemblage automobile (Hyundai et Volvo) - occupe trois fois plus de salariés que les mines.

L'économie se diversifie par ailleurs avec succès dans le secteur tertiaire , en particulier dans le tourisme . Considéré comme l'un des derniers sanctuaires sauvages de toute l'Afrique, (17 % du territoire sont constitués de réserves), le Botswana dispose à cet égard d'un potentiel exceptionnel : particulièrement abondante, la faune (éléphants, notamment) est beaucoup moins qu'ailleurs menacée par l'extension des activités humaines et, très bien gérée. La politique de protection de la faune est en effet fort ancienne ( Fauna Conservation Act de 1963). Elle combine aujourd'hui la répression (l'une des principales missions des forces de défenses botswanaises est la lutte contre le braconnage, notamment à la frontière nord du pays), l'information de tous sur les richesses de la nature, et l'association croissante des populations locales aux retombées économiques du tourisme

LE DELTA de l'OKAVANGO

La principale attraction touristique du pays résulte d'une particularité géologique : barré et séparé par un système de failles, l'Okavango (troisième plus grand fleuve d'Afrique), se jette dans les sables du Kalahari où il forme un delta intérieur de plus de 15 000 km2, véritable éden pour les oiseaux, la grande faune et les touristes, qui y parcourent en pirogue un labyrinthe de chenaux d'eau cristalline, car filtrée par les papyrus.

Cet éden est toutefois menacé par le projet de la Namibie (« Rundu River Project ») de capter une partie des eaux de l'Okavango pour alimenter le sud de son territoire, ce qui constitue une vive préoccupation pour le Botswana et une source de conflit avec son voisin occidental. Dans une moindre mesure, le fragile écosystème du delta est également fragilisé par la pression croissante exercée par le bétail, d'une part, par l'accroissement des besoins en eau liés à l'exploitation du diamant, d'autre part.

Compte tenu de la spécificité et de la vulnérabilité des écosystèmes botswanais, le gouvernement a résolu de privilégier le développement d'un tourisme à haute valeur ajoutée, écologiquement soutenable, en lieu et place d'un tourisme de masse. Cette stratégie s'appuie sur une réglementation très stricte 38 ( * ) et surtout bien appliquée, sur des infrastructures de haut niveau et sur des campagnes de promotion actives auprès des pays européens : la part des touristes européens a décuplé entre 1980 et 1992, au détriment des touristes de proximité (notamment Sud-Africains).

III. LE BOTSWANA : UN PAYS TRÈS OUVERT, OÙ LA PRÉSENCE FRANÇAISE EST INSUFFISANTE

A. UNE VIVE ASPIRATION AU RENFORCEMENT DES LIENS AVEC LA FRANCE

1. Des relations privilégiées avec les pays anglo-saxons

Membre actif du Commonwealth 39 ( * ) , le Botswana dispose traditionnellement de relations privilégiées avec les pays anglo-saxons. Le Royaume-Uni est ainsi le deuxième client du pays, et 7.500 Britanniques y résident (certains d'entre eux possédant d'immenses fermes).

Les Etats-Unis ont par ailleurs fait du Botswana le point d'ancrage de leur politique régionale. Le Botswana a en effet longtemps constitué la seule « base arrière » non communiste de la lutte anti-apartheid, et un pôle de stabilité en Afrique australe. Les Etats-Unis ont donc contribué à l'édification des capacités militaires botswanaises, notamment à la construction de la base aérienne géante de Malelopole (à 80 km à l'ouest de Gaborone et à 300 km de Pretoria), et maintiennent aussi bien une coopération civile importante que des liens diplomatiques intenses au plus haut niveau.

Dans le cadre de sa première tournée africaine, le président Clinton a ainsi visité le Botswana du 29 au 31 mars 1998. Il y a réaffirmé l'engagement des Etats-Unis aux côtés de ce « modèle pour l'Afrique », et il a annoncé le lancement, à partir du Botswana, du nouveau service « Voix de l'Amérique » (« Radio Democracy for Africa »), en direction de l'ensemble de l'Afrique australe.

2. Une volonté de diversifier ses partenariats

Par-delà ces relations privilégiées, le Botswana cherche à diversifier ses partenariats. Il a ainsi développé ses liens avec les pays asiatiques, en particulier avec la Chine 40 ( * ) , la Corée et le Japon, de plus en plus présents à Gaborone, et avec l'Union européenne, notamment l'Allemagne (où le Botswana pourrait implanter sa troisième ambassade en Europe, après Londres et Bruxelles), et la Suède.

L'ensemble de nos interlocuteurs nous ont aussi fait part de leur vif souhait de renforcer leurs relations bilatérales avec la France. M. Festus Mogae , Président du Botswana s'est ainsi félicité de la participation du Botswana aux derniers sommets franco-africains de Paris (26-28 novembre 1996) et il a salué les positions prises par la France en faveur de l'Afrique dans les enceintes économiques internationales (G7, FMI, Banque mondiale, PNUD. Club de Paris). Le ministre des Affaires étrangères du Botswana, le Général Merafhe a également regretté que la France ait trop longtemps délaissé l'Afrique australe, et s'est réjoui de ce que « la France ait récemment découvert qu'il existait une autre Afrique que l'Afrique francophone » 1 .

3. Une aspiration raisonnée à la francophonie

Dans le cadre d'une réforme générale de l'enseignement secondaire public initiée en 1996, le ministère de l'Education du Botswana se prépare à introduire un enseignement optionnel de français pour une période d'essai d'une année à partir de janvier 2000 41 ( * ) .

A l'issue de cette période probatoire. (2001), les collégiens (à partir du niveau « form 1 », soit l'équivalent de la classe de 5ème», pourraient choisir deux ou trois matières optionnelles , parmi le français, l'enseignement d'une langue locale (le Sekalango), la musique, l'éducation religieuse et l'éducation artistique.

Le français pourrait ainsi devenir la troisième langue officiellement enseignée au Botswana (après l'anglais et le setswana), et la première langue étrangère.

Ce choix du français procède, selon la ministre de l'Education, Mme le Docteur Chiepe, d'une volonté d'ouverture vers la France, mais aussi d'une aspiration à une meilleure compréhension entre pays africains : rien de plus embarrassant, selon le Docteur Chiepe (ancien ambassadeur du Botswana à l'UNESCO), que de voir deux Africains, l'un francophone, l'autre anglophone, communiquer par le biais d'un interprète...

Cette aspiration raisonnée à la francophonie se retrouve à de nombreux autres niveaux dans l'administration et l'enseignement botswanais. La police et l' armée du Botswana ont ainsi adressé à la France des demandes d'aide en matière de formation linguistique et l'Université du Botswana comprend un département de français (123 étudiants).

Cette aspiration rejoint d'ailleurs la récente décision de la SADC de retenir le français comme troisième langue officielle , avec l'anglais et le portugais, et de solliciter, en décembre 1998, auprès de l'Alliance française à Gaborone, un programme de formation au français pour une trentaine de diplomates et cadres administratifs de l'organisation. Mis en place dès janvier 1999, ce programme a commencé dès février, et la délégation eut ainsi, le plaisir d'être accueillie en français lors de sa visite à la SADC 42 ( * ) .

Au total, le contexte actuel est particulièrement propice à un développement de la francophonie au Botswana, d'autant plus que le Président de la République, M. Festus Mogae est francophone et Président d'Honneur de l'Alliance française de Gaborone. Ce développement n'est toutefois pas garanti : à moyen terme, la langue française pourrait être mise en concurrence avec des langues régionales, comme l'afrikaans ou le portugais, surtout si l'offre de coopération française en matière linguistique et culturelle n'augmentait pas à proportion de la demande.

4. Des opportunités pour les entreprises françaises

L'ensemble des membres du Gouvernement rencontrés par la Délégation du Sénat lui ont fait part de leur vif intérêt pour l' expertise française en matière d'eau, de tourisme ou d'agro-alimentaire, que ce soit sous la forme de politiques publiques de coopération, de prestations de services ou d'investissements directs.

Les entreprises françaises bénéficient en effet d'une excellente réputation au Botswana. M. Festus Mogae, Président de la République, s'est ainsi félicité de la construction par Bouygues de l'un des deux hôpitaux fédéraux 43 ( * ) (à Francistown) et de l'un des deux hôtels internationaux de Gaborone (le « Grand Palm »). II a exprimé son souhait que des opérateurs touristiques français investissent au Botswana, afin d'y promouvoir un tourisme de qualité, respectueux de l'environnement, et afin d'y diversifier l'offre, pour l'heure essentiellement sud-africaine.

M. Edison Masisi, Vice-Président de l'Assemblée nationale a également fait part de son intérêt pour l'expertise technique française en matière d'adduction et d'assainissement d'eau 44 ( * ) .

M. Mothiambele, ministre adjoint de l'Agriculture, a par ailleurs exprimé son voeu que la France concoure à la modernisation de l' agriculture botswanaise. II a indiqué que les barrières linguistiques entre nos deux pays devraient se réduire à mesure que l'enseignement du français se diffusera au Botswana, et il a fait part de son souhait que de jeunes Botswanais puissent bénéficier d'une formation technique agricole en France ou de conseils de la part d'experts français.

Il a précisé que son ministère avait récemment fait réaliser par des experts israéliens un audit complet de ses filières agricoles, et qu'il espérait désormais l'appui de la France pour développer certaines filières d'avenir, comme la production de lait 45 ( * ) , d'autant plus que les services d'un consultant français s'étaient révélés très efficaces pour la création d'une « filière autruche ». Enfin, à l'instar des autres dirigeants botswanais, M. Mothiambele s'est félicité de l'implantation de Rhône Mérieux, au travers du Botswana Vaccine Institute, dont la Délégation a visité les installations.

LE BOTSWANA VACCINE INSTITUTE (BVI)

UN SUCCÈS DE LA TECHNOLOGIE FRANÇAISE AU BOTSWANA

En 1979-1978, plusieurs vagues d'épidémie de fièvre aphteuse ont ravagé le centre et le nord-est du Botswana, provenant de troupeaux en contact avec les buffles sauvages où cette maladie sévit de manière endémique. Les vaccins importés à l'époque se révèlent impuissants.

Rhône Mérieux décide alors d'envoyer par avion des experts avec un module laboratoire entièrement opérationnel. En trois mois, ils mettent au point une souche vaccinale adaptée et en commencent la production à grande échelle. En octobre 1980, le Botswana est déclaré débarrassé du fléau, et le BVI, entreprise publique botswanaise, s'appuyant sur l'expertise de Rhône Mérieux, est officiellement inauguré le 27 octobre 1981 par le Président Quett Masire.

En 1985, le BVI devient laboratoire de référence régionale pour la fièvre aphteuse, tout en continuant de développer la production de nouvelles souches vaccinales : vaccin contre la peste bovine (1985), vaccin contre la pleuropneumonie bovine (1993), vaccin thermostable contre la peste bovine (1997), vaccin contre la peste des petits ruminants (1998).

Au total, le BVI aura produit en vingt ans près de 250 millions de doses de vaccins, désormais exportés dans l'ensemble de l'Afrique et jusque dans certains pays d'Asie (notamment le Pakistan et le Bangladesh). Au Botswana, le BVI est en effet victime de son efficacité : le succès de ses vaccins contre la fièvre aphteuse en réduit la prévalence. Ce succès est essentiel pour l'élevage botswanais : l'absence de fièvre aphteuse est en effet une condition sine qua non pour les exportations de viande bovine botswanaise vers l'Union européenne.

Plus généralement, le Général Merafhe, ministre des Affaires étrangères, a insisté sur la volonté de son pays de s'ouvrir à des investissements étrangers d'origine géographique diversifiée . Le Botswana offre ainsi des opportunités en matière de télécommunications (qui vont être prochainement libéralisées, avec l'abandon du monopole public pour les services annexes, le téléphone mobile 46 ( * ) et les services de messagerie), ainsi qu'en matière d'industrie textile (des entreprises allemandes ont déjà investi au Botswana afin de bénéficier de quotas d'accès au marché européen inutilisés), de services financiers, d'assemblage automobile, de transports, de communications (l'installation du réseau de télévision nationale est en cours), de santé (notamment de lutte contre le SIDA), ou de matériels militaires.

Au total, la Délégation du Sénat a rencontré au Botswana la conjonction rare d'une demande solvable, d'un environnement macroéconomique stable et propice à des investissements rentables, et d'une réelle volonté d'ouverture vers la France et les entreprises françaises.

B. UNE PRÉSENCE FRANÇAISE INSUFFISANTE

1. Des relations économiques bilatérales trop limitées

Alors que le Botswana constitue l'un des rares pays solvables d'Afrique noire, et bénéficie d'un très bon risque COFACE, notre commerce bilatéral est d'un montant très modeste : 82 millions de francs d'exportations et 29 millions de francs d'importations. La France détient ainsi moins de 1 % de parts de marché au Botswana, très loin derrière l'Afrique du Sud 47 ( * ) , mais aussi derrière nos concurrents européens ou asiatiques (Japon, Corée).

Par ailleurs, en dépit d'un préjugé favorable, la présence des entreprises françaises est d'autant plus discrète qu'elle s'effectue par le biais de leurs filiales étrangères, notamment sud-africaines, comme pour Air Liquide ou Total. Les succès de Mérieux, France Telecom, de BIC (qui a installé en 1992 une usine d'assemblage de stylos), ou de Kalahari Buttons (PME fabriquant des boutons en os de bovidés) suggèrent pourtant que le Botswana offre de réelles perspectives pour des initiatives privées.

Alors même que la société botswanaise est ouverte et tolérante, et que les formalités d'obtention de la carte de résident ou d'un permis de travail sont aisées, la communauté française est également très réduite, surtout si on la compare à celle des autres pays européens :

Communautés étrangères au Botswana en 1998

Afrique du Sud............

6.254

Pays-Bas....................

203

Zimbabwe...............

5.308

Irlande.......................

200

Royaume-Uni.............

3.559

Italie.........................

174

Inde.........................

2.148

Portugal.....................

148

Chine........................

948

Suède........................

140

Etats-Unis..................

653

Norvège.....................

125

France.......................

82

Sources consulaires.

Il faut donc espérer que la signature d'une convention fiscale prévenant la double imposition ainsi que la finalisation prochaine d'un accord bilatéral de protection des investissements, catalyseront des relations économiques plus intenses avec le Botswana.

En sens inverse, la fermeture en 1998 de l' antenne de la DREE à Gaborone, dans le cadre d'une restructuration et d'un recentrage de nos postes d'expansion économique à l'étranger, peut jouer comme un signal défavorable vis-à-vis des Botswanais, très sensibles aux symboles comme aux contacts directs, et par surcroît désireux de se démarquer et de réduire leur dépendance économique vis-à-vis de l'Afrique du Sud.

2. Une représentation diplomatique insuffisante

Avec l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède, la France fait partie des quatre pays de l'Union européenne représentés à Gaborone 48 ( * ) . A la suite de la fermeture, pour raisons budgétaires, du poste d'expansion économique, cette représentation s'est toutefois réduite à une chancellerie détachée et une Alliance française : l'Ambassadeur de France au Botswana est en effet en résidence à Windhoek (Namibie).

Cette chancellerie détachée ne comporte en outre qu' un seul agent expatrié, absorbé aux trois-quarts par les activités consulaires, en particulier par la délivrance de visas Schengen.

Cette représentation est de loin la plus modeste parmi les grands pays industrialisés. Elle ne paraît guère conforme au rôle diplomatique joué par le Botswana en Afrique. A titre de comparaison, l'Allemagne dispose au Botswana d'une chancellerie de cinq expatriés, ainsi que d'une mission militaire.

Par ailleurs, elle ne permet ni un suivi régulier des activités de la SADC , ni une représentation satisfaisante de la France auprès de cette organisation prometteuse. Par surcroît, cette faible présence diplomatique française n'apparaît guère compatible avec une préparation suffisante du Sommet Union Européenne - SADC , qui se tiendra en l' an 2000 sous présidence française.

Au total quels que soient le talent et l'énergie dont font preuve nos diplomates, la présentation française ne semble guère en adéquation avec le rôle et les perspectives du Botswana, comme de la SADC .

3. Une coopération bilatérale trop modeste, notamment en matière linguistique

Le Botswana bénéficie de la part de la France d'une aide multilatérale significative, notamment dans le cadre du fonds européen de développement (financé à 24 % par la France), dont le programme indicatif national pour le Botswana s'élève à 38 millions d'euros pour la période 1997-1999, et dans le cadre des accords de Lomé, qui prévoient un régime préférentiel pour les exportations botswanaises vers l'Union européenne. Les autorités botswanaises nous ont d'ailleurs fait part de leurs inquiétudes de ce que ce régime préférentiel ne soit ou bien remis en cause à l'initiative de l'Union européenne ou bien dilué dans un projet de libre-échange Union européenne-Afrique du Sud 49 ( * ) , ou de ce que le protocole relatif aux exportations de viande bovine ne soit attaqué devant l'OMC par les Etats-Unis 50 ( * ) .

Jusqu'au début des années 1990, le Botswana a par ailleurs bénéficié d'une aide bilatérale importante. Entre 1989 et 1991, ont ainsi été signés six protocoles financiers pour un montant cumulé de 267 millions de francs. Dans le cadre des « mesures de Dakar » (remise de dettes aux pays les moins avancés), le Botswana a également bénéficié, en 1995, d'annulations de créances pour un montant de 37 millions de francs ; le Président Festus Mogae a d'ailleurs réitéré à la Délégation du Sénat l'expression de la gratitude de son pays pour cette mesure.

Il semble toutefois que cette coopération s'inscrive aujourd'hui en repli à un niveau très modeste : 1,9 million de francs en 1998 et 1,3 million de francs en 1999, contre près de 6 millions de francs au titre IV en 1989.

Certes, cette évolution reflète le niveau de vie croissant du Botswana et elle est pour partie compensée par l'envoi d'experts français auprès de la SADC, qui seront basés à Gaborone. Mais la baisse de notre aide bilatérale peut sembler paradoxale, au moment où le Botswana exprime son souhait d'un appui technique renforcé dans des domaines - agro-alimentaire, formation agricole, tourisme, santé - où la France dispose d'une expertise reconnue, et qui semblent prometteurs pour les entreprises françaises. La coopération dans ces secteurs entre le Botswana et les autres grands pays industrialisés ne se dément d'ailleurs pas : les Etats-Unis viennent d'offrir au Botswana un équipement hospitalier pour le traitement du SIDA et l'Allemagne un premier lot de camions d'occasion destinés aux interventions humanitaires et aux actions de protection de l'environnement effectuées par l'armée botswanaise.

De même, les moyens alloués à l' Alliance française de Gaborone (0,37 million de francs de subventions pour 1997 et un poste de coopérant du service national, en sus de celui du Directeur), et plus généralement à notre coopération linguistique, apparaissent extrêmement réduits au regard :

- de la décision du Gouvernement botswanais de généraliser le français dans l'enseignement secondaire ;

- des besoins corollaires de formation d' enseignants en français ;

- du souhait du Gouvernement botswanais de former certains de ses fonctionnaires à la pratique du français ;

- de la décision de la SADC d'adopter le français comme troisième langue de travail, et de l'engagement de l'Alliance française de Gaborone de prendre en charge, à partir de cette année, la formation au français d'une trentaine de diplomates et de responsables administratifs de la SADC ;

- de la visibilité de l' action culturelle de l'Alliance française, en première ligne pour ce qui est de l'image de la France, en raison de la modestie de notre représentation diplomatique.

Ce constat est apparu très préoccupant à la Délégation. En effet, à défaut d'un renforcement significatif de notre coopération linguistique, nos partenaires du Botswana ou de la SADC, qui ont pris le risque de la francophonie dans une région traditionnellement anglo-saxonne, pourraient s'estimer d'autant plus blessés que les gestes symboliques ont une forte portée en Afrique australe. A moyen terme, le manque de moyens réduirait ainsi aussi bien la crédibilité politique de la francophonie, que la pratique concrète du français (un enseignement discontinu est peu profitable). A long terme, le développement des relations économiques franco-botswanaises risquerait d'en être affecté. Au total, le renforcement rapide de notre coopération linguistique, et plus spécifiquement des moyens dévolus à l'Alliance française, constitue sans doute un investissement particulièrement rentable.

4. La délimitation de la ZSP : un signal mal reçu

Le Botswana n'a pas été retenu dans la Zone de Solidarité Prioritaire (ZSP) établie par la France pour concentrer son aide au développement sur les pays les plus pauvres.

Vue de Paris, cette décision peut apparaître extrêmement rationnelle : le PIB par habitant du Botswana est en effet un des plus élevés d'Afrique. Très bien géré, le Botswana dispose en outre de réserves de change (6 milliards de dollars) et d'une cotation internationale lui permettant de financer son développement à faible coût sur les marchés financiers internationaux.

Par ailleurs, si la non-inclusion du Botswana dans la ZSP ne le rend plus éligible aux concours de l'aide française au développement (AFD), ces derniers s'établissaient à un niveau très modeste. Enfin, les instruments de coopération linguistique et culturelle ne sont aucunement affectés par cette décision. Au total, la non-inclusion du Botswana dans la ZSP constituerait en quelque sorte la reconnaissance des progrès accomplis par le Botswana en matière de développement et, de ce fait, un signal favorable adressé aux exportateurs et aux investisseurs français, d'autant plus que le risque COFACE du Botswana est excellent.

Vue de Gaborone, la délimitation de la ZSP apparaît néanmoins peu cohérente . Parmi les pays membres de la SADC, la ZSP englobe en effet l'Afrique du Sud, dont le niveau de développement est au moins équivalent à celui du Botswana, et surtout Maurice et les Seychelles, qui sont beaucoup plus riches. A l'inverse, la ZSP écarte, outre le Botswana, deux des pays les plus pauvres de la SADC (la Zambie et le Malawi), ainsi que le Lesotho et le Swaziland, dont le niveau de développement est relativement faible (cf. annexe 1).

Au total, les autorités botswanaises retirent de cette géographie régionale de la ZSP le sentiment d'avoir été rejetées dans la seconde division de l'Afrique australe, parmi des pays politiquement isolés (comme le Malawi), instables (comme le Lesotho), ou étroitement liés à l'Afrique du Sud (comme le Swaziland).

Cette stigmatisation est d'autant plus mal comprise que le Botswana, au contraire de certains des autres pays écartés, apparaît comme un modèle de démocratie, de politique macroéconomique avisée et de gestion prudente de ses ressources naturelles.

Le Président Festus Mogae s'est ainsi déclaré préoccupé de ce que la non-inclusion du Botswana dans la ZSP n'envoie un message erroné aux entreprises et aux investisseurs français, en suggérant que le Botswana ne constituait pas un partenaire fiable.

Le Botswana estime en outre contradictoire que la France affirme souhaiter s'impliquer davantage en Afrique australe et auprès de la SADC , tout en rejetant de ses priorités en matière de coopération, le pays qui joue un rôle moteur en matière d'intégration régionale et qui héberge le siège de l'organisation régionale.

Au total, il est à craindre que la non-inclusion du Botswana dans la ZSP ne suscite une incompréhension durable et ne s'avère, à terme, un obstacle à l'obtention de marchés publics pour les entreprises françaises au Botswana.

En conclusion, il semble que la rationalité des critères économiques pourrait ne recouper ni les intérêts politiques et diplomatiques actuels de la France, ni ses intérêts économiques de moyen terme.

Compte tenu de l'extrême modestie de l'enjeu financier 51 ( * ) , comme de l'importance de l'enjeu symbolique dans un pays très attaché aux gestes formels. La Délégation estime donc que l'intégration du Botswana dans la ZSP. à l'occasion d'un prochain Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID)), constituerait un investissement judicieux , tant du point de vue diplomatique que du point de vue économique.

CONCLUSION

Dès son retour, la Délégation a fait part de ses observations et de ses réflexions à MM. Lionel Jospin, Premier ministre, Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, et Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. Le texte ci-dessous reproduit le courrier adressé à M. Védrine par la Délégation:

Paris, le 30 avril 1999

GROUPE SÉNATORIAL

FRANCE - AFRIQUE AUSTRALE

Monsieur le Ministre,

Une délégation du Groupe sénatorial France-Afrique australe, composée de M. Jean-Pierre CANTEGRIT, Sénateur représentant les Français de l'étranger, Président, ainsi que de MM. les Sénateurs Joël BOURDIN, Jacques PELLETIER, ancien Ministre de la Coopération, et André ROUVIÈRE, s'est rendue au Botswana du 13 au 18 avril.

Permettez-nous, Monsieur le Ministre, de vous remercier vivement pour l'appui efficace apporté à ce déplacement par M. André FORTIN, chef de notre Chancellerie détachée, ainsi que par la DGCID et la Direction de l'Afrique et de l'Océan indien de votre ministère, en particulier MM. BARATEAU et RONDREUX.

Nous tenons tout particulièrement à saluer ici la compétence et le brio de M. BERG , Ambassadeur de France au Botswana.

La mission du groupe sénatorial, qui s'inscrit dans le prolongement de la visite effectuée en 1997 au Botswana par M. René MONORY, Président du Sénat, a été l'occasion d'échanges approfondis avec M. MOGAE, Président du Botswana, M. le Général MERAFHE, ministre des Affaires étrangères, Mme le Dr. CHIEPE, Ministre de l'Éducation, M. MAGANG, Ministre de l'Énergie et des Mines, M. MASISI, Vice-Président de l'Assemblée nationale, M. KGOSI SEPAPITSO IV, vice-président de la chambre de chefs, ainsi que de nombreux parlementaires et hauts fonctionnaires.

La délégation du Sénat a en outre été longuement reçue par M. le Dr MBUENDE, secrétaire général de la S.A.D.C.

Les entretiens et les visites effectués par la délégation lui ont permis de constater à quel point le Botswana constituait pour l'Afrique un modèle de démocratie et de développement économique équilibré.

La délégation a également pu mesurer la qualité et l'ouverture des dirigeants botswanais, ainsi que la constance de leur action en faveur de la coopération régionale et de la stabilité politique de l'Afrique australe.

La délégation a toutefois aussi appréhendé le dénuement de la présence officielle française au Botswana. L'Ambassadeur de France réside en effet à Windhock (Namibie), à plus de mille kilomètres de Gaborone, où ne résident que deux agents expatriés, un C.S.N. enseignant et une enseignante sous contrat local.

Quels que soient le talent et l'énergie déployés par M. BERG, ainsi que par M. FORTIN. cette représentation ne nous paraît pas conforme aux perspectives que le Botswana offre aux entreprises françaises , notamment dans le secteur du tourisme, de l'agroalimentaire, de l'eau et des travaux publics. Ce pays est en effet doté d'une économie dynamique, d'une monnaie saine et de réserves de change de plus de 5 milliards de dollars. A titre de comparaison l'Allemagne dispose au Botswana d'une chancellerie de 5 expatriés, d'une mission militaire composée d'un officier et de 2 sous-officiers, de 25 volontaires du progrès et de 14 experts intégrés.

Notre représentation n'est pas non plus conforme au rôle et à l'influence croissant de la SADC, notamment dans la perspective du sommet SADC-Union européenne qui se tiendra en l'an 2000 sous présidence française.

La délégation a par ailleurs rencontré chez l'ensemble des dirigeants du Botswana, comme de la SADC, un désir sincère de développer la pratique du français . Les fonctionnaires du Secrétariat général de la SADC, ainsi que nombre de parlementaires et de hauts fonctionnaires botswanais, nous ont ainsi accueilli par quelques mots de français, ce que nous devons à la qualité des services de l' Alliance française à Gaborone, dirigée par M. BRUNET.

Malgré le dynamisme de M. BRUNET, les moyens dont dispose l'Alliance française (0,43 million de francs par an), nous semblent cependant nettement insuffisants pour poursuivre cet effort : compte tenu du haut potentiel des étudiants concernés, qui constituent les dirigeants de demain du Botswana et de la SADC, le renforcement de ces moyens serait un investissement particulièrement rentable .

Permettez-nous enfin, Monsieur le Ministre, de vous faire partager notre vive préoccupation devant les conséquences de la non-inclusion du Botswana dans la ZSP : tous nos interlocuteurs botswanais nous ont longuement fait part de leur émotion et de leur incompréhension devant cette décision, qui leur paraît peu en ligne avec le souhait de la France de s'ouvrir à l'Afrique australe et de soutenir la démocratie en Afrique.

L'argument selon lequel le Botswana est exclu de la ZSP en raison de son haut niveau de développement économique est relativement mal reçu. En effet, le PIB par habitant du Botswana est inférieur à celui de l'Afrique du Sud, qui est incluse dans la ZSP.

Surtout les autres pays de la région écartés de la Z.S.P. sont le Lesotho, le Malawi et le Swaziland, qui sont trois pays très pauvres. Le Botswana se trouve donc de fait associé à des pays peu démocratiques, politiquement instables et économiquement marginaux , ce qui ne manque pas d'interloquer les dirigeants botswanais.

Ces derniers s'inquiètent aussi de ce que cette relégation dans la « troisième division » de l'Afrique australe ne représente un repoussoir pour les investissements français. Il est d'ailleurs inversement à craindre que cette décision s'avère pour les entreprises françaises une entrave à l'obtention de marchés publics au Botswana, qui est pourtant l'un des pays les plus solvables d'Afrique.

Compte tenu de la modestie de l'enjeu financier, comme de l'importance de l'enjeu symbolique , il nous semble donc que l'intégration du Botswana dans la ZSP constituerait un investissement judicieux , tant du point de vue diplomatique, que du point de vue économique.

Nous vous prions, Monsieur, le Ministre, de croire à l'assurance de notre haute considération.

Joël BOURDIN Jacques PELLETIER

Jean-Pierre CANTEGRIT André ROUVIÈRE

ANNEXE 1 - LA SADC EN CHIFFRES 52 ( * )

Pays

Population (en millions d'habitants)

Année de Référence

Superficie (en milliers de km 2 )

PNB en 1997 (en millions

de $)

Produit intérieur net /habitant en 1997 (en $)

AFRIQUE DU SUD

43,337

1996

1.221,037

130 220

3 400

ANGOLA

11,570

1970 (estimation)

1.246,7

3 876

340

BOTSWANA

1,518

1991 (estimation)

5.817

4 890

3 260

LESOTHO

2,131

1996

30,35

1 407

670

MALAWI

10,087

1987 (estimation)

118,48

2 226

220

MAURICE

1,141

1990 (estimation)

2,045

4 180

3 800

MOZAMBIQUE

18,265

1997

783,08

1 665

90

NAMIBIE

1,613

1991 (estimation)

824,79

3 552

2 220

RÉP DÉM CONGO

48,040

1984 (estimation)

2.345

5 137

110

SEYCHELLES

0,078

1987 (estimation)

0,28

688

6 880

SWAZILAND

0,906

1986 (estimation)

17,36

1 440

1 440

TANZANIE

31,506

1988 (estimation)

945,09

6 573

210

ZAMBIE

8,478

1990 (estimation)

752,614

3 572

380

ZIMBABWE

11,682

1992 (estimation)

390,58

8 625

750

SADC

190,3

1998 (estimation)

9.278

178 050

940

ANNEXE 2 - CHRONOLOGIE

I - IIème siècle :

Arrivée des pasteurs et agriculteurs Bantous au milieu des Khoe et des San.

XVI - XVIIIème siècle :

Les Batswana atteignent l'actuel Botswana, dont ils occupent de vastes territoires.

XVIllème siècle :

Les Batswana se fragmentent pour constituer les grandes tribus actuelles (Bangwato, Bakwena, etc.).

1807 :

Les premiers missionnaires chez les Batswana.

1818 :

Début de la Difaquane (expansion zouloue).

1821 :

Arrivée au Botswana du missionnaire Robert Ruffat, suivi en 1841 de son gendre David Livingstone.

1822 - 1836 :

Un Général Zoulou dissident, Mzilikazi (Chef des Amandabele) attaque les Batswana, qui se dispersent et se réfugient dans le désert.

1836 :

Grand trek des Boers, qui fondent la République d'Orange et du Transvaal et s'emploient à soumettre les Batswana.

1852 :

Les Boers écrasent les Bakwena à Dimawe. Les Britanniques refusent leur protection au Botswana.

1866 :

Découverte d'or dans la région de Tati et de Francistown.

1884 :

Proclamation du protectorat britannique sur le « Bechuanaland » jusqu'au 22 ème parallèle.

1889- 1894 :

Cecil B. Rhodes fonde la British South African Company et s'efforce d'obtenir la dévolution du protectorat

1894 :

Extension du protectorat au nord du 22 ème parallèle.

1895 :

Echec de Cecil B. Rhodes et reconduction du protectorat britannique

1899-1902 :

Les Batswana participent aux guerres anglo-boers aux côtés des Britanniques.

1910 :

Création de l'Union sud-africaine, qui revendique le Bechuanaland

1920 :

Création au Bechuanaland de deux conseils consultatifs : un pour les Blancs, un pour les Noirs

1924 :

Sanctions économiques contre le Bechvanaland, dont les Chefs Tswana refusent l'intégration à l'Afrique du Sud

1943 :

10.000 Batswana rejoignent YAfrican Pioneer Corps et défendent l'empire britannique.

1948 :

Mariage de Seretse Khama et de Rut h Williams. Apartheid en Afrique du Sud

1951 :

Réunion des deux assemblées consultatives blanche et noire en une assemblée unique consultative.

1960 :

Création d'une assemblée «représentative» (10 Africains, 10 Européens, 10 représentants de l'administration coloniale)

1961 :

Création par Seretse Khama et Quett Masire du Bechvanaland Democratic Party (BDP).

1963 :

Accords de Lobatse qui prévoient l'autonomie du Bechuanaland

1965 :

Premières élections législatives libres ; victoire du BDP

1966 :

Indépendance de la République du Botswana. Seretse Khama premier Président.

1967 :

Découverte de champs diamantifères près d'Orapa au centre du Kalahari.

1973 :

Découverte du gisement de diamant de Jwaneng, la plus grande mine mise à jour depuis un siècle, qui sera mise en service en 1982.

1979 :

Fondation de la SADCC, à la suite d'une initiative de Quett Masire, Vice-Président du Botswana.

1980 :

Décès de Seretse Khama.

Quett Masire second Président du Botswana.

1992 :

Traité instituant la SADC ( South African Development Community ), qui remplace la SADCC.

1997 :

Retrait de Quett Masire, Festus Mogae devient Président du Botswana.

LE BOTSWANA :

UN MODÈLE POUR L'AFRIQUE

Une délégation du groupe sénatorial France-Afrique australe s'est rendue au Botswana du 12 au 18 avril 1999.

Méconnu en France, le Botswana combine pourtant une croissance économique record, des institutions démocratiques originales et une politique extérieure très active au service de la paix en Afrique.

Le Botswana offre, en outre, un environnement très favorable aux investissements étrangers :

- stabilité politique

- infrastructures de qualités ;

- politique macroéconomique avisée ;

- politique de formation ambitieuse ;

- cadre législatif et fiscal attractifs.

Dans le cadre d'une aspiration raisonnée à la francophonie et d'une stratégie de diversification économique, ce pays prometteur souhaite aujourd'hui renforcer ses liens avec la France.

La délégation souhaite vivement que ce témoignage y contribue.

* 1 « Cette comédie a pour point de départ une bouteille de coca cola, symbole de la civilisation des Blancs, tombée malencontreusement d'un avion. Venue du ciel, elle sème rapidement la zizanie dans la tribu. Les Bochimans ne connaissent pas cet objet étrange : ils en trouvent mille utilisations et finissent par se disputer pour se l'approprier. Le héros décide alors de l'emmener pour mettre fin aux querelles, et de la jeter loin d'où elle vient, c'est-à-dire tout au bout de la terre... ». Cf. Le Botswana, Marie Lory, Editions Karthala, 1994, pp. 72-75.

* 2 C'est-à dire « le grand écrasement ».

* 3 Cf. Le Botswana. Marie Lory, Editions. Karthala, 1994.

* 4 Notamment le massacre de Sharpeville en 1960 et l `interdiction de l'ANC

* 5 Cf. Le Botswana, Marie Lory, Editions. Karthala, 1994.

* 6 Les deux bandes blanches enserrées d'une bande noire du drapeau botswanais symbolisent d'ailleurs l'harmonie l'égalité raciale.

* 7 L' Attorney General est par ailleurs, ès qualités, membre de l'Assemblée nationale.

* 8 Depuis 1997, les mandats présidentiels sont limités à deux .

* 9 L administration demeure toutefois peu décentralisée

* 10 Le Botswana ne possède pas de télévision.

* 11 Cf. Le Botswana. Marie Lory, Editions Karthala. 1994 .

* 12 Depuis le Chieftainship Act de 1966, le Président de la République dispose également d'un droit de regard sur la désignation des chefs par leurs tribus, ainsi que de la faculté de les suspendre ou de la déposer.

* 13 Le Botswana dispose aussi d'un poste frontière commun avec la Zambie, et n'est séparé de l'Angola au Nord que par la bande de Caprivi (namibienne), dépression dont la largeur n'excède pas 50 kilomètres.

* 14 L `Afrique du Sud fournit 72 % des importations du Botswana.

* 15 Les relations diplomatiques entre l'Afrique du Sud et le Botswana n'ont ainsi été établies qu'en 1992.

* 16 Sur le réseau fluvial Linyanti-Chobe, dans la bande de Caprivi.

* 17 Le Botswana a été membre du Conseil de Sécurité en 1995-1996.

* 18 Les pays de « la ligne de front » .

* 19 A hauteur de 121 millions d'écus pour le 8 ème FED.

* 20 La population se concentre ainsi à 80 % le long de la frontière sud-africaine.

* 21 Cf. Marie Lory, opus cité infra.

* 22 Une forte croissance entraîne des variations considérables des prix et des salaires relatifs, ce qui, dès lors que certains prix sont rigides à la baisse, se traduit par une augmentation rapide du niveau général des prix.

* 23 Contrairement à nombre d'autres pays africains, le Botswana n'a pas créé sa propre monnaie dès l'indépendance. Le « pula » n'a remplacé le rang sud-africain qu'en 1976, après que la situation financière et économique du Botswana se fut affermie.

* 24 Depuis la Conférence d'Arusha, en 1974, le Botswana a abandonné sa politique nataliste et adopté avec succès un plan de maîtrise démographique.

* 25 Pour endiguer les épizooties et limiter la contamination du bétail par les animaux sauvages, le pays est partagé en zones sanitaires, séparées par plus de 5.000 kilomètres de barrières. Mais le Botswana n'en a pas moins souffert en 1996 d'une épidémie de péri-pneumonie contagieuse bovine : 300.000 bovins ont dû être abattus.

* 26 En particulier d'un taux de contamination mère-enfant très élevé.

* 27 La scolarisation n'est cependant pas obligatoire, ce qui s'expliquerait par le manque d'écoles à proximité de certaines populations très dispersées.

* 28 Il est à noter que le taux d'alphabétisation des femmes (70 %) est toutefois en moyenne supérieur à celui des hommes (66 %).

* 29 Les étudiants Botswanais étudiaient jusqu'alors surtout en Afrique du Sud, au Lesotho (jusqu `en 1975) ou au Swaziland.

* 30 Cf. Le Botswana, Marie Lory, Editions Karthala, 1994

* 1 Depuis la « Tribal Grazing Land Policy », adoptée en 1975 .

31 La Bamangwato Concession Limited (BCL) est ainsi l'un des plus importants employeurs privés du pays .

* 32 - La Bamangwato Concession Limited (BCL) est ainsi l'un des plus importants employeurs privés du pays

* 33 Les réserves de charbon atteindraient 17 milliards de tonnes.

* 34 Les sécheresses de 1982-1987 et de 1991-1992 ont été considérées parmi les plus sévères du XXe siècle. La crainte de la sécheresse se retrouve dans l'importance accordée à la pluie et à l'eau (les deux bandes bleues du drapeau botswanais). La monnaie est ainsi le « pula » (eau/pluie).

* 35 Mais le revenu des ménages ruraux provient davantage des transferts et des services que de l'agriculture.

* 36 Le Botswana ne produit, bon an, mal an, que 20 à 30 % de céréales qu'il consomme.

* 37 Avec deux bovins par habitant, le Botswana importe pourtant la quasi-totalité de son lait.

* 38 Interdiction des bâtiments en dur dans les parcs naturels, et restriction sévère du nombre de "Lodges" en bois, par exemple.

* 39 Le Commonwealth a ainsi confié la responsabilité du groupe d'observation du processus électoral au Nigéria à l'ancien Président botswanais, M. Quett Masire.

* 40 Très présente dans le secteur de la construction.

* 41 Deux écoles secondaires publiques, ainsi que quatre écoles secondaires privées proposent déjà un enseignement de la langue française. Mais la continuité de ces enseignements (1.000 élèves et 16 enseignants en 1998) dispensés par des expatriés d'Afrique francophone, demeurait fragile.

* 42 Dont le secrétaire général exécutif adjoint, M. le Dr Ramsamy, est par ailleurs Mauricien (francophone)

* 43 Bouygues a également construit un hôpital privé à l'Hôtel Sheraton de Francistown. Spie-Batignolles a par ailleurs participé à l'édification de la base aérienne de Malepolole

* 44 Degrèmont et Spie-Batignolles participent déjà au projet stratégique «North South Carrier »

* 45 Les vaches botswanaises ne produisent traditionnellement que de la viande. Le lait consommé au Botswana est aujourd'hui importé d'Afrique du Sud.

* 46 France Telecom vient de remporter dans ce secteur un important contrat.

* 47 Il est vrai que nombre de produits français distribués au Botswana transitent par des importateurs sud-africains et sont donc comptabilisés comme exportations françaises vers l'Afrique du Sud, d'une part, comme exportations sud-africaines vers le Botswana, d'autre part.

* 48 La Chine, l'Inde et la Russie y sont également représentés .

* 49 Ce projet est par ailleurs une source de préoccupation pour les pays qui forment une union douanière avec l'Afrique du Sud dans le cadre de la SACU.

* 50 Selon le Général Merafhe, ministre des Affaires étrangères, ces exportations sont en effet essentielles au revenu des zones les plus reculées du pays. C'est pourquoi le Botswana s'est déclaré préoccupé des conséquences du contentieux relatif à la banane entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Il semblerait toutefois que le Botswana ait obtenu des assurances de la part des Etats-Unis lors du dernier Sommet SADC-Etats-Unis.

* 51 De l'ordre d'un million de francs par an.

* 52 Référence : Banque mondiale

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