PREMIÈRE TABLE RONDE

« LES TÉMOINS RACONTENT »

Participants :

M. Sylvain TESSON , écrivain

M. Michel ONFRAY , essayiste

Mgr Pascal GOLLNISH , Directeur général de l'OEuvre d'Orient

M. Jean-Christophe BUISSON , journaliste

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M. Christian MAKARIAN, Modérateur

Les quatre invités de la première table ronde sont des écrivains et des intellectuels de premier plan. L'un est journaliste, l'autre est un grand voyageur, l'un d'entre eux est un ecclésiastique de premier rang et Monsieur Onfray est assez difficile à classer, mais très présent dans notre paysage politique et médiatique.

Ce sont quatre personnes qui ont décidé de défendre cette cause et de le faire courageusement, au détriment parfois même de leur confort ou même de leur intérêt. Ils vont nous donner leur témoignage et le vécu qui a été le leur, de façon non construite, spontanée et la plus immédiate qui soit.

M. Sylvain TESSON, Écrivain

Je vous remercie de me donner quelques minutes dont je n'abuserais pas pour m'exprimer sur la question arménienne. « Question arménienne » étant l'expression pudique que l'on emploie pour parler des tragédies vécues par les uns et des hontes manifestées par les autres. Ma légitimité à prendre la parole vient du fait que, il y a un an, à l'invitation de Jean-Christophe Buisson, Directeur de la rédaction au Figaro Magazine , nous sommes partis en Artsakh quelques heures avant le 9 novembre 2020, c'est-à-dire au moment du cessez-le-feu. Après tout, c'est une légitimité puisque l'intitulé de notre rencontre ce soir s'appelle L'Arménie, un an après .

Je voudrais commencer par une question qui pourrait s'exprimer ainsi : qu'est-ce qui fait que nous autres, Français en général, nous autres en particulier qui sommes ici réunis dans cette salle ce soir, nous autres, champions de la discorde, nous réussissions à nous retrouver autour de l'Arménie ? Le mot « unanimité » a été prononcé tout de même deux fois ce soir, certes assorti d'un léger bémol qui est le mot « quasi » -- il y a toujours un mot de trop quand on parle de quasi-unanimité. Néanmoins, comment se fait-il que, quand nous parlons de l'Arménie, nous ayons l'impression, nous autres Français, que nous parlions un peu de nous-mêmes ? Voilà la question que je voudrais aborder. C'était une question que nous nous posions, avec Jean-Christophe Buisson, quand nous voyagions à travers le Haut-Karabagh et l'Arménie : pourquoi avons-nous l'impression de parler de nous-mêmes quand nous parlons de l'Arménie ?

Je crois que c'est une question très importante, dont la réponse pourrait nous aider à comprendre ce que nous pouvons faire et pourquoi nous devons le faire pour l'Arménie. Il y a plusieurs réponses et elles ont été évoquées d'ailleurs au cours des interventions que nous avons entendues.

Il y a une réponse que nous connaissons bien : historique, linguistique, culturelle, les liens humains, les liens humanitaires, les liens humanistes. Nous connaissons très bien toute cette kermesse folklorique qui nous relie à un pays que nous aimons, que nous connaissons, dans lequel nous avons voyagé, où nous nous sentons chez nous. C'est finalement la réponse la plus ordinaire, mais pas la plus importante.

Il y a certainement une réponse d'un ordre plus humaniste qui nous lie à l'Arménie. Nous autres Français, aimons volontiers dire que nous sommes les champions des droits de l'homme. Les Droits de l'Homme, c'est même une excellence de production française ! Il y a le vin de Bordeaux, Thomas Pesquet, les escargots de Bourgogne, il y a les droits de l'Homme, alors nous les exportons partout ! Peut-être pouvons-nous considérer que, depuis un siècle, l'ennemi a rempli toutes les caractéristiques pour que l'Arménie puisse prétendre au droit d'être considérée comme la victime des atteintes aux droits de l'Homme et bénéficier des secours que nous portons aux pays que nous voulons aider.

Mais il me semble que la vraie réponse est spirituelle. Et paradoxalement, c'est ce lien spirituel qui pose le problème, c'est tout le noeud du lien et c'est tout le problème, car nous ne voulons pas toujours nommer ce lien. L'Arménie est le premier royaume chrétien de l'histoire de l'humanité. Notre considération est donc tout à fait spécifique, car ce n'est pas la même chose d'être un petit mouchoir de roche perdu au milieu des empires selon qu'on est ou non le premier royaume chrétien. Quand on est le premier royaume chrétien de l'histoire de l'humanité, on porte en soi quelque chose, on est un avant-poste pour prendre un vocabulaire militaire, on est un bivouac d'éclaireurs, on est une échauguette de la citadelle pour prendre un vocabulaire d'architecture, on est un camp d'altitude pour prendre un vocabulaire alpinistique, un camp d'altitude sur la montagne, on est une projection de quelque chose à l'extérieur de cette chose, c'est l'échauguette qui est devant la citadelle, c'est le rempart, c'est la première ligne, c'est la barricade, c'est le poste avancé et il faut que ce poste avancé ne soit pas un poste sacrifié. Voilà ce que je crois être l'importance de cette valeur, cette profondeur profondément spirituelle. Or, quand un poste éclairé, quand un avant-poste est menacé et quand il tombe, cela signifie que la poussée tectonique, géopolitique qui le fait tomber ne va pas s'en prendre qu'au poste avancé. Enfin, en d'autres termes, un peu moins abstraits, cela veut dire que nous pouvons peut-être considérer que ce qui se passe en ce moment en Artsakh se passera demain chez nous, car, quand l'échauguette tombe, c'est la citadelle qui est menacée. Peut-être faudrait-il que nous parlions des choses avec ce cynisme et cette efficacité-là ? Il en va peut-être de nous-mêmes, et c'est pour cela que nous avons l'impression de parler de nous-mêmes lorsque nous parlons de l'Arménie.

Il se peut que la tectonique islamopolitique, puisque nous pouvons peut-être dire les choses pour une fois, soit une trajectoire. Quand un rempart tombe, l'arrière-pays est menacé. Voilà ce que je pense être l'un des noeuds du problème. Alors je sais bien que nous sommes, ici, les citoyens d'une vieille nation, laïque et voltairienne, que nous sommes tous ici réunis entre libres penseurs et que nous répugnons beaucoup à utiliser ces vocabulaires qui nous ramènent à une forme de choc des civilisations. Nous nous croyons trop intelligents pour sacrifier à la vision huntingtonienne des choses qui nous paraissent trop simples. Mais ce serait faire beaucoup d'économies rapides d'un autre penseur qui met en plus sa pensée en action et qui s'appelle M. Erdogan. Il n'a pas lancé ses troupes avec ses supplétifs azéris dans le Haut-Karabagh uniquement pour de la conquête territoriale. Son but n'était pas d'accroître sa surface agricole utilisable, son but n'était pas de conquérir des terres arables pour faire pousser des artichauts. Son but était probablement d'accroître sa profondeur turcosteppique pour créer cette liaison qui irait du Bosphore jusqu'à Oulan-Bator. Il était question - et ce n'est pas moi qui le dis, mais Monsieur Erdogan - non seulement de faire progresser la surface territoriale, mais aussi de planter le drapeau de l'Islam sur une vieille terre chrétienne. Le mot est dit.

Il est très étonnant que, dans notre pays, le Sénat mis à part, les institutions politiques et médiatiques aient considéré ce problème arménien avec tant d'indifférence. La caisse de résonance communicationnelle et politico-médiatique n'a pas tellement succombé à la nécessité de manifester son indignation. Cela est d'autant plus étonnant que, depuis quelques décennies, en Europe occidentale, émane souvent le réflexe de l'indignation, dans une sorte d'Olympiade de la compassion, dans laquelle l'Arménie n'aurait pas le droit d'accéder à la première place du podium. Il faut se demander pourquoi. Peut-être la raison en est-elle que les Arméniens répondent à trop de caractéristiques qui les empêchent de susciter la compassion que nous avons parfois tant de facilités à accorder aux autres. Il est vrai que les Arméniens prononcent beaucoup de gros mots, sont chrétiens, ruraux et patriotes, ne crachent pas complètement contre leurs vieilles affinités et leurs vieilles amitiés russes. Cela fait tout de même beaucoup pour notre pays qui n'a pas l'habitude que des messieurs moustachus boivent du vin rouge à l'ombre des clochers. Alors, la France se dit qu'il existe d'autres sujets pour exercer sa compassion ; je le déplore.

Vous me demandiez d'évoquer le voyage que nous avons accompli avec Jean-Christophe Buisson. Nous avons éprouvé l'incroyable force de la représentation de ce qu'est la France. Je sais bien que nul n'est prophète en son pays, mais il est quand même dommage de devoir parcourir des milliers de kilomètres pour tout à coup rencontrer, dans l'oeil de ses semblables, une vibration, une émotion à la simple évocation du mot « France », alors qu'étonnamment, nous avons l'impression que nos semblables et nos compatriotes ne l'entendent même plus ou qu'il heurte quelque chose en eux. Très étonnamment, quand nous indiquions que nous étions des journalistes français, il se passait quelque chose. La France sait qu'elle a une représentation ; il faudra qu'elle ait aussi une volonté. Son intérêt serait peut-être de s'occuper de l'éternel, des liens intangibles et non pas seulement des liens économiques. Les intérêts de la France ne peuvent se réduire à un exercice comptable ; il n'y a pas que le PIB, il y a aussi la vie intérieure dans la vie.

C'est ma conclusion. Je voudrais que la France se montre digne de l'espoir qu'elle fait naître dans certains coeurs et dans certains coeurs arméniens sans même parfois le savoir.

M. Christian MAKARIAN

Merci beaucoup pour votre sincérité. La vérité de vos paroles a touché tout le monde. C'est une énergie en soi et vous avez vu, dans le visage de ce peuple, une image de la France dont celle-ci devrait être davantage fière et qu'elle devrait assumer ; c'est ce que vous avez appelé l'appel à la volonté. C'est une très belle conclusion et une très belle démonstration de ce que peut être la politique extérieure de la France un peu revisitée et un peu plus ambitieuse.

Michel Onfray, il va être difficile d'intervenir après Sylvain Tesson, mais vous n'êtes pas un homme dépourvu de ressources ni de capacités de mobilisation ni de sincérité - une sincérité très forte. Vous aussi, vous avez fait ce voyage de façon un peu plus longue, un peu plus durable et vous en avez retiré beaucoup de sensations. Un an après, qu'est-ce qu'il en reste et qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, un homme comme vous, qui n'a pas besoin de célébrité, qui n'a pas besoin de renommée, est allé chercher cette cause-là ? Pourquoi vous êtes-vous investi avec un tel degré de sincérité ?

M. Michel ONFRAY, Essayiste

Merci beaucoup pour vos mots amicaux. Je répondrais que ce qu'il en reste, c'est le désir d'y retourner et de continuer. C'est dommage que Sylvain s'en aille, parce que nous aurions pu discuter sur Huntington. Pour ma part, je soutiens Huntington et je le défends depuis plus de trente ans, ce qui me vaut beaucoup d'ennemis, mais peu importe.

Je crois qu'on nous avait demandé de choisir à l'époque entre deux conceptions du monde. La première disait qu'il existait des civilisations diverses et multiples et qu'annoncer des chocs de civilisations ne les créait pas. Dans la deuxième, un personnage nous disait que la disparition du monde soviétique et du bloc de l'Est était une formidable opportunité pour réaliser enfin le libéralisme sur la totalité de la planète. On nous sommait donc de choisir entre la fin de l'Histoire ou l'avènement du choc des civilisations.

Il y a trente ans quand on me proposait de faire carrière à Paris dans les salons mondains des éditeurs qui étaient les miens à cette époque, j'ai refusé, parce que je croyais plus à la vérité qu'à l'efficacité des carrières. J'ai eu la chance d'aller en Arménie à l'époque soviétique. J'avais une vingtaine d'années et j'ai été touché par la grandeur de ce petit peuple, parce qu'il y a quelque chose de fondamentalement chrétien dans ce petit peuple de gérer le génocide. C'est une façon extrêmement modeste, extrêmement digne, extrêmement puissante et c'est l'efficacité du Christianisme que de ne montrer que cela ne peut pas forcément être toujours « oeil pour oeil », « dent pour dent » et qu'on peut être dans une logique, pas forcément du pardon, mais du vivre avec la souffrance et le deuil, qui ont pu exister, sans pour autant en faire une démonstration perpétuelle avec des pleureurs ou des pleureuses.

Cette dignité m'a plu quand j'avais 20 ans. Plus tard, il y a eu cette idée que Huntington disait vrai, qu'il existe des civilisations et qu'il faut un certain temps, un certain âge, une certaine culture pour pouvoir parler en termes de civilisation. J'ai lu Malraux quand j'avais 15 ou 16 ans, je n'y comprenais pas grand-chose, je commence à pouvoir comprendre quelque chose au discours que Malraux tenait avec le Général de Gaulle sur la question des civilisations.

La civilisation judéo-chrétienne est née en Arménie. Il existe en Arménie quelque chose qui conduit à ce que nous ayons là-bas à faire à nos grands-parents, à nos aïeuls, à nos ancêtres. Nous avons là un peuple premier, au sens où on parle d'art premier : l'Arménie est le laboratoire de la civilisation dans laquelle nous vivons encore. Oui, il existe des chocs de civilisations. Oui, il existe des civilisations. Oui, toutes les civilisations ne se valent pas : une civilisation qui veut en supprimer une autre n'est pas la même qu'une civilisation qui ne veut pas en supprimer une autre.

Pour ma part, je ne parle pas de droits de l'Homme, mais de droits des civilisations à pouvoir exister et de droit des peuples à pouvoir exister. Je suis un souverainiste - un gros mot pour beaucoup, Bernard Henri-Lévy disait : « Le souverainisme, cette saloperie » avec le degré conceptuel qui le caractérise. Je pense que la souveraineté est la possibilité de mener chez soi la politique qu'on aura décidé de mener parce qu'il y a un peuple - il est bon de ne pas l'oublier - et il y a parfois des parlements, des politesses où les discours sont importants.

J'ai entendu parler de la force des mots. C'est bien, la force des mots, mais je trouve que la France n'est pas à la hauteur. J'ai vérifié un certain nombre d'informations pour pouvoir vous l'affirmer. Non, la France n'est pas à la hauteur. Je pense que nous avons encore beaucoup à faire pour aimer l'Arménie, pour dire à l'Arménie que nous sommes de son côté, parce qu'il s'agit d'une guerre de civilisations.

Il n'est pas étonnant que la presse se soit tellement mal comportée, car cette presse se comporte mal avec quiconque ne pense pas comme elle. J'en fais les frais, nous en faisons les frais, nous avons été traités de fascistes quand, avec Stéphane Simon, nous avons créé Le Front populaire : la revue n'existait pas encore que j'étais Doriot, que Stéphane Simon était Déat, c'est-à-dire que nous portions l'uniforme nazi sur le front russe. Il ne faut donc pas s'étonner. Pourquoi serait-on dans ce cas du côté de l'Arménie ? Défendre cette cause ne représente aucun intérêt pour la presse et il faudrait reconnaître qu'il existe des guerres de civilisations et que l'on s'est trompé il y a trente ans. Cela signifierait que le réel donne tort à l'idéologie : on préfère avoir raison avec une idéologie fausse plutôt qu'avec une réalité qui démontre que l'on s'est trompé. L'honnêteté voudrait que l'on puisse dire aujourd'hui que Huntington avait effectivement raison.

Ce qui arrive à l'Arménie aujourd'hui arrivera à la France plus tard, bientôt. Cela arrivera à l'Europe plus tard aussi, bientôt. On fait semblant, parce que, si on commence à parler de cela, on va passer pour des salauds, des vigistes, des nationalistes, des souverainistes, des gens qui ne sont pas mondialistes ou des gens qui se trompent de chemin.

Ce qui se passe engage l'humanité. C'est la question de l'avenir de la civilisation judéo-chrétienne qui se pose. J'ai écrit un livre qui s'appelle Décadence et qui se propose, en 500 pages, de raconter ce qu'est cette civilisation, où elle en est et comment cela fonctionne. On ne peut plus aujourd'hui parler en termes de civilisation sans être « éjecté » par cette presse. Si vous parlez de civilisation, de judéo-christianisme, on vous dit que vous avez écrit un traité d'athéologie et que vous ne croyez pas en Dieu. Et alors ? Je crois en la civilisation qui a rendu possible ce Dieu et je défendrai cette civilisation, moi, l'athée.

Avec Stéphane et l'équipe de Front populaire , nous avons le désir de retourner sur place pour montrer les images du vandalisme, car on ne touche pas aux temples, on ne touche pas aux églises, on ne touche pas aux pierres tombales, on ne touche pas aux gens, on ne touche pas à la culture, on ne touche pas à ce peuple. Si peu d'intellectuels aujourd'hui en France défendent la cause arménienne, c'est parce que cela n'est pas rentable. Nous avons sur place, des amis qui disposent d'images terribles et nous en ont prêté pour notre premier film et nous en prêteront probablement d'autres pour le deuxième film. Ils ne trouvent pas de place pour leurs articles. Je pourrais vous communiquer les noms de journaux parisiens qui refusent ces enquêtes, ces articles, ces images et ces photos, car ce n'est ni rentable ni intéressant.

Les Arméniens sont un peuple phare, c'est-à-dire que, dans l'obscurité, il y a une lumière qui est là et qui vacille et qui nous dit qu'il se passe des choses dans cet endroit du monde qui nous renseignent sur ce qui risque d'arriver un peu plus tard, bientôt, peut-être plus vite que prévu dans cette Europe qui s'effondre elle aussi. Une part de l'Europe et de la civilisation judéo-chrétienne se trouve là-bas.

Je ne suis pas de ces philosophes qui prennent des avions pour aller faire un reportage « Moi et le Pakistan », « Moi et l'Arabie Saoudite », « Moi et le Qatar »... Avec Stéphane, nous allons en Arménie parce qu'il se passe là-bas quelque chose de plus grand que nous. Je n'ai pas envie de me filmer sur place ou qu'on me voie sur place dans des tranchées. J'ai juste eu envie de dire qu'il se passe là-bas quelque chose qui donne raison à Huntington et il serait bon que vous puissiez, trente ans plus tard, dire que vous vous êtes trompés ou du moins que, peut-être, aujourd'hui, Huntington n'aurait pas complètement tort, que peut-être la fin de l'histoire était une hypothèse un peu fautive et qu'il y a là-bas un peuple qui meurt, un peuple qu'on détruit et qui reste dans la dignité dont je disais tout à l'heure qu'elle était ce qui faisait mon admiration.

C'est un génocide qui continue à bas bruit et on laisse faire, on ne dit rien.

M. Christian MAKARIAN

Vous le philosophe qui avez beaucoup réfléchi à ces sujets, ne pensez-vous pas qu'il existe des passions françaises que la France a grand tort d'abandonner et qui faisaient sa spécificité en matière de politique étrangère ? Je vais prendre trois exemples : la Serbie, le Liban et l'Arménie. Êtes-vous d'accord avec cela ? Si on abandonne cela, il faut être alors un champion du commerce extérieur, ce qui n'est pas spécifiquement le cas de la France ni sa vocation historique. La France a une autre vocation historique. N'est-elle en train d'y renoncer ?

M. Michel ONFRAY

Ce n'est pas tant la France que ceux qui la gouvernent. Ce n'est pas la même chose. C'est formidable, cette façon de s'affirmer « le Président de tous les Français » et, en même temps, de ne pas avoir de perspectives civilisationnelles. Le chef de l'Etat n'est pas celui qui va décider de l'augmentation d'un demi-point ou d'un point de ceci ou de cela, mais celui qui, pour le meilleur et pour le pire de la tradition jacobine, décide de la politique d'une Nation. La France a des intérêts sur la planète et elle a des intérêts civilisationnels. Il n'est pas question que nous laissions l'Arménie dans cette situation. J'ai vérifié des informations qui me laissent croire que le chef de l'État, actuellement, n'est pas totalement du côté de l'Arménie.

M. Christian MAKARIAN

Êtes-vous favorable à l'usage clair et net du terme « civilisationnel » ?

M. Michel ONFRAY

Évidemment. C'est une civilisation. Lorsqu'on voyage et qu'on se retrouve en Asie, on voit bien qu'on est en Asie. En Afrique, on voit bien qu'on est en Afrique. En Amérique du Sud, on voit bien qu'on est en Amérique du Sud. Dans de nombreux endroits au monde, on voit bien qu'on n'est pas en France ou en Europe. À mon sens, le chef de l'État ne doit pas être le personnage des petits arrangements, mais le personnage de la place de la France dans le monde, et cela suppose que la France n'ait pas des intérêts commerciaux de vente d'avions ou de centrales, qui sont bons pour un ministre dont le métier consiste à être le VRP de la France. Le chef de l'État doit avoir choses à dire sur l'avenir du monde et sur la place de la France dans l'avenir du monde. L'Arménie est aujourd'hui, dans la géopolitique, une carte maîtresse, une carte civilisationnelle majeure. L'avenir d'une civilisation se joue là-bas et ce qui y a lieu aura lieu plus tard ailleurs.

Aujourd'hui, si on veut lire ou relire Huntington, se pose la question de l'impérialisme. Ce n'est pas le nationalisme qui est la guerre : c'est l'impérialisme. 14-18 n'a pas été le fait des nationalistes, mais des impérialistes. Ce n'est pas exactement la même chose. Aimer son peuple, aimer son pays, c'est défendre une nation, ce n'est pas être nationaliste, ce n'est sûrement pas vouloir la guerre. L'impérialisme suppose la conquête des autres pays. Il y a le désir impérialiste chez Erdogan, mais où est le désir impérialiste de l'Europe ? C'est un désir impérialiste marchand. Que fait-on contre les impérialismes ? On oppose effectivement d'autres impérialismes. Qu'avons-nous à proposer comme type d'impérialisme ? Des supermarchés, des magasins, des locations d'utérus :, est-ce ce genre de progrès que nous avons à proposer à l'humanité entière ? Il y a effectivement des propositions à faire quand on est un chef d'État et qu'on veut que la France pèse dans le monde, dans un projet civilisationnel. Le projet civilisationnel, c'est le compagnonnage avec cette civilisation judéo-chrétienne, même quand on ne croit pas en Dieu, même quand on a des hypothèses sur l'historicité ou la vérité de Jésus.

J'oserais dire qu'à chaque fois que je suis quelque part ailleurs sur la planète, je me dis « Quelle magnifique civilisation nous avons ! » L'idée que des chefs de l'État n'aiment pas la civilisation et estiment qu'il n'existe pas de culture française ou qu'il faudrait déconstruire la culture française, l'idée que nous ne pourrions pas parler des racines chrétiennes de notre civilisation, cela voudrait dire que la France démarrerait avec le 14 juillet 1789 ? C'est une sottise totale. Il existe des racines chrétiennes, mais aussi des racines gréco-latines à notre civilisation, et je pense que si nous ne défendons pas, en Arménie, pointe avancée de cette civilisation, les idées auxquelles nous croyons, alors, de fait, tout est fini, tout disparaît et nous pouvons nous attendre à une sorte d'effondrement généralisé de notre civilisation et de notre culture.

M. Christian MAKARIAN

Merci beaucoup, Michel Onfray, pour ce discours très construit, très pensé, très ressenti et très éprouvé à l'épreuve des faits, puisque sur le terrain, vous avez pu vérifier, vous avez ressenti tout cela et vous en êtes revenu renforcé dans vos convictions.

M. Michel ONFRAY

Absolument. Nous avons le projet, avec Stéphane, d'y retourner justement pour travailler sur cette question du vandalisme et sur l'effacement de cette civilisation qui s'activent actuellement dans un grand silence étonnant de la part d'organisations internationales qui se sont nettement plus émues lorsqu'il s'agissait des bouddhas de Bamiyan.

M. Christian MAKARIAN

C'est exact, mais nous avons des intellectuels, spécificité française, qui défendent ce point de vue. Merci beaucoup, Michel Onfray, je crois qu'on peut vous applaudir.

Monseigneur Gollnisch, il a été beaucoup question de christianisme et de civilisations chrétiennes ce soir, y compris d'un point de vue athée. Tout cela vous agréé-t-il et quelle en est votre lecture ?

Mgr Pascal GOLLNISCH, Directeur général de l'OEuvre d'Orient

Je vous remercie pour votre invitation. Vous me permettrez de saluer la présence parmi nous de sa Béatitude, le patriarche catholique des Arméniens catholiques. Je crois qu'on peut l'applaudir. Il a été installé il y a quelques semaines dans sa charge au Liban et il a souhaité que son premier détachement à l'étranger soit pour la France ; c'est symbolique. Permettez-moi également de remercier le Sénat pour la force de son engagement auprès du peuple arménien, le Sénat tout entier et tout particulièrement son Président qui ne ménage pas sa peine. Ce n'est pas la première fois qu'à l'OEuvre d'Orient, nous sentons le Sénat vibrer sur les causes qui lui sont chères. Merci, Monsieur le Président.

Monsieur Onfray est parti. Ce n'est pas que je veuille parler derrière lui, mais j'entends bien ses propos et je l'aurais invité volontiers, peut-être, par rapport à ses débuts, à réécrire quelques pages de son traité d'athéologie selon lequel toutes les religions étaient nécessairement sanglantes. Je suis toutefois heureux de constater qu'il a évolué sur le sujet.

M. Christian MAKARIAN

Il fait presque amende honorable.

Mgr Pascal GOLLNISCH

Revenons à l'Arménie. Je me suis rendu à Stepanakert avec un certain nombre de maires de villes françaises, d'élus, de Monsieur Pupponi ici présent, pour l'inauguration du Centre culturel français Paul Eluard. C'est un très beau centre culturel où nous avons été accueillis par une Marseillaise chantée par les enfants avec force et vigueur comme, hélas, Monsieur le Président, peu d'écoles dans notre pays sont encore capables de le faire. Je leur ai d'ailleurs fait remarquer.

Ce centre Paul Eluard souligne toute la force de la francophonie et de la francophilie au Karabakh. Je suis tout de même très triste de constater que les Français sont les avant-derniers à croire à l'importance du français dans le monde, les derniers étant l'Organisation internationale de la francophonie, qui a peut-être des représentants parmi nous que je salue.

Je suis parti en Arménie en pensant me retrouver dans le cadre d'un conflit, hélas fréquent sur la planète, d'une province qui veut faire sécession par rapport à un État central, comme en Afrique ou ailleurs. Je suis reparti en pensant que ce n'était pas du tout cela qui était en jeu. Ce qui est en jeu est clairement la poursuite du génocide. Dans cette Maison, je n'ai pas à argumenter sur le génocide de 1915, car tout le monde en est convaincu et l'a reconnu aussi officiellement. Je remercie le Sénat. Néanmoins, des massacres ont eu lieu avant le génocide : sous le Sultan Abdülhamid II, en 1895-1896, 200 000 Arméniens ont été tués, sans doute bien davantage. Qui le sait encore aujourd'hui ? Qui a mémoire de ces massacres dans notre pays ?

Nous fêtions récemment la fin de la Première Guerre mondiale et j'ai toujours un peu le coeur serré quand je vais dans nos villages et que je vois la liste de nos grands anciens qui ont payé de leur vie le fait que la France soit un pays libre, debout et en paix. Je me demande combien d'Arméniens devront payer de leur vie pour que le peuple arménien soit libre, debout et en paix. Le génocide se poursuit. Il est clair que le comportement des autorités d'Azerbaïdjan, soutenues par les autorités turques, mais aussi du Pakistan et de l'entité de Chypre Nord, ont une volonté d'épuration du peuple arménien. Nous ne devons pas nous taire et nous devons réagir avec force. Je vous invite à relire, si vous ne l'avez déjà fait, le discours du Président de l'entité de Chypre Nord tenu devant le Parlement à Istanbul. Tout est dit, tout est clair, il n'y a pas besoin de changer une phrase, il suffit de la diffuser. Tout est dit : c'est un génocide ! Et la France ne peut pas ne pas regarder ce qui se fait, ce qui se passe.

Je voudrais souligner l'amitié profonde pour la France, dont nous ne sommes pas encore assez conscients et que j'ai ressentie profondément.

J'ai été mal à l'aise - je ne le vous le cache pas - devant le sentiment d'une certaine neutralité de la France. Certes, la France copréside le groupe de Minsk avec les États-Unis et la Russie et en est fière. Néanmoins, depuis des années, ce groupe de Minsk n'a pas pu établir une paix durable. C'est donc un échec, et il faut le dire ! Il n'a servi absolument à rien ! Plus encore, parce que la France copréside le groupe de Minsk, elle se sent tenue à une neutralité. Je demande, Monsieur le Président, que les coprésidents du groupe de Minsk se rendent sans tarder à Stepanakert, spécialement le coprésident français. J'aimerais savoir s'il y est allé ou quand il ira. Comment être médiateur si on ne peut pas avoir accès à une des parties en cause de la médiation ? Je voudrais également que l'aide que la France peut et doit apporter au Haut-Karabagh ne soit pas limitée et neutralisée sous prétexte que nous coprésidons le groupe de Minsk. Coprésider le groupe de Minsk a-t-il un intérêt pour le Haut-Karabagh ou s'agit-il simplement de faire semblant ? Cette coprésidence nous contraint-elle à une neutralité qui nuit à notre action sur le Haut-Karabagh ?

Durant notre voyage, nous avons été confrontés à des scènes que nous ne pouvions pas imaginer pour le peuple arménien : des réfugiés contraints de partir précipitamment vers l'Arménie, des familles endeuillées, des familles blessées, des familles dont la maison a été détruite, qui ont tout perdu, qui n'ont plus d'espoir, qui n'ont plus d'avenir. Comment avons-nous pu les aider ? Ces scènes nous rappellent à nous, OEuvre d'Orient, ce que nous avons vu sous l'action de Daech en Irak et en Syrie, où nous avons vu des chrétiens chassés dans les mêmes conditions. Nous devons poser les questions clairement. Il y a eu des paroles très fortes de la France et du Chef de l'État. Les paroles ont leur importance, mais des actions qui doivent être menées. J'interroge, encore une fois, le groupe de Minsk et la présence de la France dans ce groupe.

On a cité Huntington et le choc des civilisations. Il est vrai qu'on peut logiquement penser que, si guerre il doit y avoir, ce ne seront plus des guerres nécessairement pour des parts de marché, encore que, ce ne sont plus nécessairement des guerres pour des territoires, mais des chocs d'opposition des civilisations. Cependant, si nous lisons le livre de Huntington jusqu'au bout, ce que peu ont fait, en particulier les journalistes qui en parlent, Huntington affirme que c'est la culture qui peut nous sauver de la guerre et de ce choc des civilisations. Or, s'il y a un peuple qui peut être fier de sa culture, c'est bien le peuple arménien, car c'est une culture très ancienne et à travers vous, Béatitude, je salue la véritable fille aînée de l'Église. C'est une culture extrêmement ancienne, extrêmement riche, qui a su d'une manière extraordinaire s'inscrire dans différents pays dans le monde. Les élus qui sont ici, qui voient des Arméniens dans leur circonscription, savent bien que le peuple arménien a pris toute sa place en France, que ce sont de formidables citoyens français, parfois même des élus, qui, en même temps, ont su garder leur identité arménienne. C'est pour nous un exemple et nous devons honorer cette culture arménienne dans sa richesse avec le monde slave et le monde moyen-oriental. L'Arménie est grande dans sa culture, elle est grande dans ses souffrances, elle est grande dans sa mémoire. Nous devons être résolument à côté d'elle. Je vous remercie.

M. Christian MAKARIAN

Merci, Monseigneur Gollnisch qui dirige l'OEuvre d'Orient et qui est très actif dans la défense non seulement de tous les chrétiens d'Orient, mais de l'Arménie particulièrement, et qui a toujours - j'en suis le témoin - fait montre d'un très grand degré de conviction. Il faut parler de civilisation dans le fait qu'il y a quelque chose à défendre en Arménie. Vous avez parlé de « fille aînée de l'Église », qui est assez spécifique et qui, quelque part, relie nos deux histoires entre la France et l'Arménie.

Je me tourne vers vous Jean-Christophe Buisson. Vous êtes journaliste, Directeur délégué de la rédaction du Figaro Magazine , journal très engagé dans la défense et la démonstration de la justesse de la cause civilisationnelle. Vous avez publié beaucoup d'articles, vous avez fait beaucoup de déplacements et de reportages sur place et en tant que journaliste, vous avez pris des risques. Parce que vous êtes très souvent critiqué, même insulté pour ce rôle que vous avez choisi d'assumer la défense de la cause arménienne, et votre journal s'est engagé de façon très nette pour la défense du peuple arménien et de ses droits, c'est quelque chose qui relève de votre action personnelle, vous méritez largement qu'on vous applaudisse.

Quel est votre témoignage au terme de tous vos déplacements ?

M. Jean-Christophe BUISSON, journaliste

Merci. Je suis parti dans ce combat sous les auspices de Charles Péguy qui réconciliera un peu près tout le monde ici, de droite ou de gauche, qui disait, ce qui nous concernait à la fois comme journaliste et comme citoyen : « Il faut toujours dire ce qu'on le voit ; surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit. »

Dire ce que l'on voit, c'est le métier de journaliste et voir ce que l'on voit, c'est la fonction de tout citoyen, c'est-à-dire voir une réalité pour ce qu'elle est. Cette réalité, je ne la voyais qu'à distance, même si je m'étais rendu plusieurs fois en Arménie, grâce à Antoine Agoudjian, qui est dans cette salle et dont les photos sont exposées dans le Foyer Médicis, sans qui tous les reportages que j'ai pu faire depuis un an n'existeraient pas, car il a été le premier témoin journaliste de ce qui se passait là-bas.

Ce qui se passait là-bas, c'était vraiment un conflit asymétrique permanent. L'asymétrie, comme disait Antoine, c'était Verdun en bas et Star Wars en haut. C'était un conflit qui mobilisait d'un côté de jeunes gens qui avaient en moyenne 20 ans d'âge, qui la veille étaient informaticiens, boulangers, serveurs de café, dont certains venaient de Belgique ou de France pour combattre, des jeunes gens qui la veille étaient des civils et à qui on avait donné une arme et qui étaient devenus soldats par destination sans même avoir de formation militaire. Ils défendaient leur terre, leur famille et leur âme, ils défendaient leur histoire et leur patrie évidemment. En face d'eux, ils avaient une armée de 100 000 hommes qui étaient organisés, commandés par des généraux turcs, utilisant des drones d'attaque, des drones de reconnaissance, des satellites, des bombes au phosphore, des bombes à sous-munitions, des bombes absolument terribles, des missiles avec de la poussière de métal - particulièrement éprouvant, je l'ai vu dans mon deuxième reportage en décembre.

La France a quand même été très active pour l'aide humanitaire, car il y a vraiment eu des ponts aériens, avec cinq vols envoyés à Erevan pour venir en aide médicalement aux victimes. Dans les hôpitaux, en décembre, alors que le conflit était terminé depuis un mois, revenaient des jeunes soldats qui avaient été blessés en octobre pendant la guerre, qui étaient repartis se soigner et qui revenaient et qu'on amputait parce qu'ils avaient été victimes de ces missiles à poussière de métal. Ce sont des éclats que vous recevez dans le bras, la jambe, le corps. On vous soigne, on vous nettoie la plaie, on la referme, tout semble aller bien, mais en réalité, la poussière de métal provenant de ces éclats, invisible, gangrène, attaque à l'intérieur du corps.

On m'a fait l'honneur de me considérer un peu comme le porte-parole des sans-voix, des Arméniens qui n'étaient effectivement pas très représentés dans la presse française. J'ai vu pendant la guerre, après la guerre et encore une fois cet été les gens qui vivent là-bas aussi modestement que possible. C'est cela qu'il faut avoir en tête. On a beaucoup parlé de théories, on a un peu parlé d'histoire - pas assez à mon goût, car on a oublié que le droit international dont se prévaut l'Azerbaïdjan est le droit de Staline et je pense qu'en termes de droit international, il existe d'autres références plus intéressantes que Staline pour revendiquer tel ou tel territoire. Derrière tous ces mots, toutes ces notions, toutes ces théories, il y a des hommes, des femmes et des enfants que nous avons vus, qui sont des gens d'une simplicité, d'une dignité, d'un courage et d'une résilience incroyables.

Sur le front, nous avons rencontré un jour un francophile, attaché de presse du Premier ministre et député quelques semaines auparavant, qui avait pris la tête des volontaires pour défendre Kornidzor, un petit village menacé dans le Syunik. À Davit Bek, autre petit village au sud du Syunik, le maire nous avait dit : « En face, ce sont des Turcs, ils ne s'arrêteront jamais. » Aujourd'hui, Davit Bek est sur le point d'être envahi par l'Azerbaïdjan. À l'époque, nous pensions être là pour parler de l'Artsakh, qui était alors en danger. L'Artsakh, comme le disait Sylvain Tesson, était l'avant-poste de ce qui allait advenir.

Dans quelques semaines sera organisée l'Eurovision junior. Le drapeau dont se sert l'Azerbaïdjan pour participer à ce concours intègre le Syunik. L'Azerbaïdjan considère déjà que le Syunik lui appartient et l'appelle le Zanguezour.

Qu'est-ce qu'un peuple ? Un peuple est une identité, qu'elle soit territorialisée ou non. Vous ne pouvez pas nier que le peuple que vous voyez en Artsakh dans le Syunik est un peuple arménien par sa foi et par son alphabet. Ces gens prouvent que ce territoire est arménien, car ils y vivent depuis des siècles, depuis des millénaires. Aliyev peut bien dire que ce territoire lui appartient ; cela ne correspond à aucune réalité concrète.

En Artsakh, cet été, Antoine a photographié ces gens modestes. Imaginez-vous en train de faire les foins ou les vendanges et d'avoir, à vingt mètres de vous, une guérite avec un soldat azéri qui vous vise, pas pour vous tirer dessus, mais pour vous faire comprendre qu'il faut partir, pour vous empêcher de continuer à vivre. Une agricultrice me disait « le problème n'est pas qu'ils ne veulent pas que nous vivions ensemble, mais ils ne veulent pas que nous vivions tout court. » Antoine témoigne de tout cela dans ses images : c'est un peuple de paysans, d'agriculteurs et d'artisans. Plus aucun jeune ne peut rester dans un pays où en permanence, vous avez un pistolet sur la tempe. C'est de cela qu'il s'agit aujourd'hui. Dans quel pays du monde tolère-t-on ce genre de situation ? Dans quel pays du monde, la France, championne des droits de l'Homme, de l'université, de l'humanisme et qui a prouvé mille fois dans son histoire prendre la défense des plus faibles, n'intervient-elle pas ? À quel moment le Président de la République et le gouvernement iront-ils au-delà du discours pour agir vraiment ?

La résolution du Sénat prise il y a un an était extraordinaire. Lors de mon deuxième voyage, en décembre, avec la fondation Aznavour et les ONG, tous les Arméniens, y compris en Artsakh, avaient l'impression que le Sénat, c'était la France, que cette reconnaissance, c'était la France, l'État français, qui avait reconnu l'indépendance de l'Artsakh qui était considéré comme le seul moyen non seulement que l'Artsakh continue à vivre, mais que l'Arménie continue à vivre parce qu'après l'Artsakh, ce serait le Syunik - on le voit aujourd'hui. Le 16 novembre, en effet, il y a eu une attaque de l'Azerbaïdjan, une sorte de test comme le 12 mai lorsque l'Azerbaïdjan s'est engagé dans le désert Syunik pour conquérir quelques dizaines de kilomètres carrés. Ce sont des tests pour voir si la communauté internationale répondra ou non, et la communauté internationale, à commencer par la France, ne réagit pas ou réagit si peu que Aliyev et Erdogan auraient bien tort de se priver de continuer. Les attaques ont toujours lieu à des moments clés (élection américaine, crise de la Covid, Brexit), créant une sorte de dispersion. Certains confrères journalistes ne se sont pas rendus en Arménie, car ils étaient occupés par l'élection américaine qui s'annonçait à leur sens plus intéressante. Ce qui s'est passé il y a quelques jours arrive également à un moment donné, avec une crise migratoire monstrueuse en Lituanie et en Pologne sur laquelle se porte toute l'attention.

Il faut que le Sénat et l'Assemblée nationale exercent une pression sur le gouvernement pour qu'il se saisisse véritablement du danger qui menace l'Artsakh et l'Arménie.

M. Christian MAKARIAN

Merci beaucoup pour ce témoignage empreint d'une très forte sincérité et qui n'est sans doute qu'une préfiguration de vos prochains déplacements, parce que c'est une cause dans laquelle vous êtes engagé durablement.

M. Jean-Christophe BUISSON

Oui. Quand ils arrêteront, j'arrêterai !

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