ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

Monsieur le Président de l'Assemblée nationale d'Arménie,

Madame l'Ambassadrice d'Arménie en France, Monsieur le Vice-Président de l'Assemblée nationale d'Arménie,

Messieurs les Présidents des Commissions des Affaires étrangères, de l'Assemblée nationale d'Arménie et du Sénat,

Monsieur le Président du groupe de solidarité avec les chrétiens et les minorités d'Orient,

Je voudrais saluer particulièrement nos deux présidents de groupes d'amitié, Arménie-France et France-Arménie, qui sont là devant moi,

Chers collègues parlementaires des deux Assemblées, Députés et Sénateurs - je fais un petit clin d'oeil à Valérie Boyer pour son engagement constant en faveur de l'Arménie

Et vous Mesdames et Messieurs,

Il y a un an, presque jour pour jour, le 25 novembre 2020, le Sénat a adopté, à l'unanimité moins une voix, une résolution qui fit date, je crois, dans l'histoire de l'amitié entre la France et l'Arménie. Cette résolution intervenait à un moment particulièrement sombre de l'histoire de l'Arménie et de la population arménienne, après l'agression de l'armée azérie dans les conditions que nous connaissons. Elle s'est inscrite dans la suite logique de la reconnaissance, vingt ans plus tôt, du génocide du peuple arménien par un vote intervenu en première lecture au Sénat. Quelles critiques n'a-t-on pas cependant entendues à l'égard de la résolution du Sénat, accusée, pêle-mêle, de creuser les différends, de prendre fait et cause pour un dessein qui serait abandonné par ses protagonistes eux-mêmes, d'ignorer la diplomatie d'État, bouts de papier jetés en travers de la Realpolitik . Les sénateurs ont écouté ces critiques et leur ont répondu de la manière la plus solennelle et déterminée qui soit : ils ont répondu « humanité ». Voler au secours de l'Arménie constituait en effet pour nous un impératif d'humanité.

Un an après l'adoption de cette résolution, nous pouvons toujours en mesurer l'actualité et les effets. Bien sûr, la résolution du Sénat n'a pas fait libérer tous les prisonniers - hier le Président indiquait que plus de 80 prisonniers étaient encore recensés. Elle n'a pas interrompu la politique d'éradication du patrimoine culturel et religieux arménien au Haut-Karabagh et dans les territoires adjacents ou mis un terme aux violations de la frontière du territoire souverain de l'Arménie, comme en témoigne la nouvelle attaque de l'Azerbaïdjan il y a quelques jours. Comment d'ailleurs l'aurait-elle pu ?

Par son caractère pionnier en revanche, la résolution du Sénat a sonné le temps de la mobilisation pour les parlementaires de toutes les démocraties : votée à l'unanimité moins une voix, présentée par les présidents des groupes politiques les Républicains, Socialistes, Union-Centristes, Communistes, Ecologistes, avec le soutien du Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, elle avait une force tout à fait particulière. Elle a accéléré et amplifié le mouvement de solidarité à l'égard des populations arméniennes, que ce soit au sein de l'Union européenne ou du Conseil de l'Europe, où un de nos collègues, Alain Millot, a présenté un plaidoyer extrêmement fort sur la question des prisonniers. Elle a rappelé à de grands pays, je pense en particulier aux États-Unis, qu'ils avaient une responsabilité éminente dans le règlement du conflit et qu'ils ne pouvaient continuer à s'en désintéresser.

La résolution du Sénat s'est aussi efforcée d'aiguiller les efforts du gouvernement français pour qu'il clarifie ses intentions, cesse d'agresser de la même façon que l'agresseur, accorde une aide à la hauteur des liens entre nos deux pays et vous accompagne dans les efforts de règlement du conflit au sein de la coprésidence du groupe de Minsk. Surtout, la résolution du Sénat s'est voulue comme un signe d'amitié et de solidarité envers tous les Arméniens alors que leurs destinées apparaissaient incertaines - hier soir encore, le Président de l'Assemblée nationale d'Arménie me disait combien cette incertitude pesait sur les Arméniens et l'Arménie.

Notre temps, étourdi de communication, a tendance à négliger la force de la parole. Je crois que cette parole d'amitié et de solidarité était attendue de la part des Arméniens, Monsieur le Président. J'en suis convaincu et c'est l'honneur des sénateurs de l'avoir prononcée au juste moment. Nous avons pu en mesurer la portée lorsque vous nous avez accueillis en Arménie, notamment le 24 avril dernier, avec tous les présidents de groupe cosignataires de la résolution du Sénat, le Président du groupe d'amitié France-Arménie, et le Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées.

Un an après le vote de la résolution, il reste beaucoup à faire. Je rappelle que les termes de son ultime disposition invitent le gouvernement français à reconnaître la République du Haut-Karabagh et à faire de cette reconnaissance un instrument de négociation en vue de l'établissement d'une paix durable. Il me semble que le texte que nous avons adopté conserve sa pertinence et son actualité. La résolution du Sénat nomme le contentieux dont le règlement est seul capable d'apporter une paix durable et juste dans la région, la République du Haut-Karabagh. Si l'Arménie en est convaincue, elle peine parfois à en convaincre ses partenaires, car, dans le même temps, le Haut-Karabagh est peu à peu effacé des cartes de géographie par les autorités azéries et son nom est trop souvent tu par les puissances qui aspirent à un règlement du conflit.

Mesdames et Messieurs, et je voudrais aussi saluer l'ensemble des religieux qui sont ici présents, avec respect et considération, qu'ils soient arméniens ou qu'ils appartiennent, comme Monseigneur Gollnisch, à un témoignage permanent. Les événements récents démontrent que les menaces n'ont pas cessé, que le statu quo n'est pas viable et que le silence sur le Haut-Karabagh ne suffira pas à couvrir la voix des aspirations de la population arménienne à la sécurité et à la paix. Car il n'y aura pas de paix durable, je le répète, sans que la question du statut de la République du Haut-Karabagh ne soit tranchée, sans qu'il ne soit décidé les modalités de sa reconnaissance et sans que la sécurité des populations arméniennes ne soit partout assurée et que s'exercent leurs droits à l'autodétermination.

Voilà, mes chers amis, les raisons pour lesquelles la résolution du Sénat reste cruciale, parce qu'elle demande instamment le respect d'un accord de cessez-le-feu dont les dispositions ne sont pas observées par la partie azérie, parce qu'elle replace le Haut-Karabagh au centre de l'attention et des discussions, parce qu'elle rappelle que la coprésidence du groupe de Minsk doit redevenir l'enceinte de la négociation, parce qu'elle se refuse à entériner la situation de fait issue de l'usage de la force.

Je tiens à remercier tous les sénateurs qui ont participé à l'organisation de ce colloque, au premier chef le Président du groupe de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient ainsi que le Président du groupe d'amitié France-Arménie. Je remercie vraiment, sincèrement, le Président du Parlement arménien d'avoir effectué le déplacement ici, au Sénat, pour deux journées de partage, avec ses collègues parlementaires que je salue avec grand plaisir. Votre présence, leur présence nous honorent.

Nous avons eu l'occasion de signer hier, comme le rappelait le Président Gilbert-Luc Devinaz, un accord de coopération renouvelé et ambitieux entre nos deux assemblées, qui permettra - ce n'est pas un accord tout à fait comme les autres - d'embrasser l'ensemble du champ bilatéral, de la coopération technique parlementaire à la coopération décentralisée et aux questions les plus politiques. Je confie donc maintenant cet accord de coopération à nos deux Présidents de groupes d'amitié.

Votre venue, Monsieur le Président, intervient quelques jours après celle de votre prédécesseur, Monsieur Mirzoyan, qui nous avait accueillis, les 23, 24 et 25 avril, à la Présidence de l'Assemblée arménienne. J'y vois un signe de continuité de l'amitié qui nous unit. Je voudrais, avant de conclure, saluer l'action de votre ambassadrice en France, porte-parole écouté de la situation de son pays et qui, de toute façon, ne nous laissera jamais en paix tant que nous n'oeuvrerons pas pour la paix durable. Je l'en remercie.

Mesdames et Messieurs, chers collègues, un an après les événements de 2020, pouvons-nous témoigner et préserver le cap fixé par la résolution du Sénat ? Car l'Arménie -- c'est aussi un message pour chacune et chacun d'entre-nous - c'est bien plus qu'un pays, bien plus qu'une nation, bien plus qu'une histoire : c'est une conscience, c'est notre conscience que nous devons garder éveillée. Vive l'Arménie et vive la France !

M. Alain SIMONIAN, Président du Parlement arménien (traduit de l'arménien)

Je voudrais exprimer ma profonde gratitude au Président du Sénat, M. Gérard Larcher, d'avoir organisé sous son haut patronage ce colloque L'Arménie, un an après , et d'avoir invité à cette occasion une délégation de l'Assemblée nationale de la République d'Arménie. La tenue d'un tel événement, dans un haut lieu comme le Sénat français, et dans une atmosphère aussi chaleureuse, est l'éclatant témoignage, à mon sens, de l'amitié solide et de la confiance mutuelle entre nos deux peuples et nos deux pays.

Hélas, nous allons faire le point sur une situation issue d'une guerre qu'on peut appeler « guerre du troisième millénaire ». Il y a un peu plus d'un an, avec le soutien politique et militaire affiché de la Turquie, l'Azerbaïdjan lançait une guerre contre le peuple arménien. Les conséquences de cette guerre de 44 jours sont effroyables et les pertes irrécouvrables pour notre pays : cette guerre a emporté des vies, une jeune génération brillante. Nous avons eu des victimes innocentes : des enfants, des femmes et des personnes âgées.

Les peuples d'Arménie et d'Artsakh ont dû combattre sur plusieurs fronts à la fois, contre l'Azerbaïdjan, contre la Turquie et contre des mercenaires terroristes. Cette attaque inouïe par sa brutalité et sa violence ne visait pas que les Arméniens d'Artsakh et leurs droits fondamentaux à la vie et à la sécurité, mais aussi la démocratie et la marche résolue de l'Arménie et de l'Artsakh vers cette démocratie.

Cependant, la guerre et les pertes douloureuses engendrées n'ont pas entamé l'esprit combatif de notre peuple. Aujourd'hui, un an après cette guerre, le peuple arménien reprend l'espoir d'un nouveau triomphe sur les difficultés et l'adversité, fort du soutien de ses amis.

Il est indiscutable qu'ignorer cette réalité peut être lourd de conséquences funestes pour la stabilité et la paix de notre région. C'est un défi pour l'Europe.

Chers amis, au cours des mois qui ont suivi la guerre de 44 jours, l'Azerbaïdjan a continué à bafouer de manière systématique le droit international. Des crimes de guerre sont commis. Vous suivez certainement le regain de tensions sur les frontières de la République d'Arménie, observées depuis le 12 mai dernier, avec des incursions des forces armées azerbaïdjanaises dans les régions de Syunik et de Gegharkunik. Ce sont des actes de violation flagrante des articles de la déclaration tripartite du 9 novembre.

Une semaine avant la visite de notre délégation en France, les forces azerbaïdjanaises ont provoqué de nouveaux heurts et pénétré dans le territoire de la République d'Arménie. Hélas, ces opérations de provocation ont conduit à de nouvelles pertes, tant sur le plan humain que sur le plan territorial. Nous avons un nombre important de soldats disparus. La communauté internationale n'est pas dupe quant au sort des prisonniers de guerre et civils arméniens détenus en Azerbaïdjan, qui sont soumis à des actes de torture comme peuvent en attester certains documents, et dont l'Azerbaïdjan tente de se servir comme monnaie d'échange.

Chers collègues, alors que cette douloureuse réalité constitue notre quotidien, l'attention et les initiatives de nos amis nous sont d'un immense réconfort. À ce titre, c'est avec une gratitude sincère que j'évoque la portée de la résolution adoptée le 25 novembre 2020 par le Sénat de la République française portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh.

C'est une résolution affirmant la reconnaissance de la République du Haut-Karabagh comme une garantie essentielle de sécurité et de ce fait, c'est un document qui contribuera, j'en suis sûr, au renforcement du processus de négociation dans le cadre de l'OSCE et au règlement définitif et pacifique du conflit ainsi qu'à la reconnaissance du statut d'Artsakh.

Je veux souligner et saluer le rôle personnel et exceptionnel du Président Gérard Larcher dans le processus d'adoption de cette résolution. Je tiens à saluer l'implication personnelle et cruciale de Christian Cambon, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, à l'initiative de la résolution ainsi que Bruno Retailleau, Président du groupe de solidarité avec les Chrétiens d'Orient et les minorités au Moyen-Orient.

Je salue également tous les groupes politiques du Sénat et leurs présidents, en particulier, pour leur soutien et adhésion unanime à la résolution. Je pense notamment à Patrick Kanner, Hervé Marseille, Eliane Assassi et Guillaume Gontard.

C'est avec reconnaissance que je pense également à la visite en Arménie, du 23 au 25 avril 2021, de la délégation du Sénat, menée par le Président Larcher et composée des présidents des 5 groupes politiques pour commémorer à nos côtés le 106 e anniversaire du génocide des Arméniens, une commémoration particulière cette année, faisant tragiquement écho à la récente agression turco-azerbaïdjanaise et aux exactions subies de nouveau lors de cette guerre.

Les messages exprimés à Erevan par le Président Gérard Larcher et les autres membres de la délégation ont réaffirmé le soutien du Sénat de la République française à l'Arménie, à l'Artsakh et au peuple arménien.

Je tiens à remercier également la France. Je tiens à remercier le Président du Sénat, les Sénateurs, les Députés français ainsi que les collectivités territoriales françaises sans oublier, bien sûr, les intellectuels, journalistes, éditorialistes, écrivains, pour la préoccupation permanente que vous ave, aussi bien pour le sort du riche patrimoine historique et culturel de l'Artsakh qui se trouve aujourd'hui sous occupation azerbaïdjanaise, que pour la libération des prisonniers de guerre et civils arméniens ou les droits fondamentaux des réfugiés et déportés d'Artsakh.

La position clairement exprimée par la France et sa solidarité exceptionnelle au peuple arménien, durant la guerre comme après la guerre, sont un réconfort immense pour nous en cette période difficile.

La position des autorités arméniennes a été et demeure très ferme sur la nécessité de reprise du processus pacifique des négociations comme un gage de sécurité et de paix durable dans notre région, de même que sur la nécessité impérieuse de clarifier le statut du Haut-Karabagh.

La propagande de haine anti-arménienne, orchestrée par les hautes autorités azerbaïdjanaises dont témoignent les déclarations officielles ou les manifestations telles que l'inauguration, en plein centre de Bakou, d'un square avec des trophées où sont humiliés les prisonniers de guerre arméniens, la multiplication des actes d'agression contre l'Artsakh et l'Arménie, la politique de terreur et les exécutions répétées de civils ne font que mettre en évidence le fait qu'une existence physique et identitaire est inenvisageable pour des Arméniens sur les territoires contrôlés par l'Azerbaïdjan. Aucun Arménien ne vit aujourd'hui sur les territoires contrôlés par l'Azerbaïdjan depuis la fin de la guerre de 44 jours. C'est ce qu'on s'appelle une épuration ethnique.

Bien sûr, nous saluons l'implication de la France en tant que pays ami et, parallèlement, coprésident du groupe de Minsk dans les négociations pour un règlement politique du conflit au Haut-Karabagh. Je salue à ce titre la rencontre des coprésidents qui s'est déroulée à Paris, le 10 novembre dernier, à l'initiative de la partie française.

Ces initiatives engageantes du Sénat français s'inscrivent dans une longue et riche tradition d'amitié entre nos peuples et de relations bilatérales franco-arméniennes privilégiées dont nous fêterons bientôt le 30 ème anniversaire. Dans ces relations, les échanges et la coopération interparlementaire occupent une place centrale.

La tenue d'élections parlementaires justes et transparentes en Arménie, cette année, dans un contexte d'après-guerre est venue réaffirmer la détermination du peuple et des autorités arméniennes de construire une démocratie.

C'est avec satisfaction que nous pouvons constater que, dorénavant, la formation des autorités publiques issues de la volonté du peuple s'ancre dans la culture politique en Arménie et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que ces processus démocratiques soient irréversibles à l'avenir. C'est la seule voix menant réellement vers la démocratie et le développement de notre pays.

Chers amis, hier, j'ai eu l'honneur de signer avec le Président Larcher une convention de coopération entre le Sénat de la République française et l'Assemblée nationale de la République d'Arménie. Je suis certain que cette convention donnera un nouvel élan à l'action des groupes d'amitié au sein de nos parlements, à nos échanges interparlementaires en général et sera un vecteur important de relations franco-arméniennes privilégiées.

Chers amis, tous les jours sans relâche, nous devons y travailler, inspirés des leçons que l'Histoire nous donne à profusion et impatients d'un avenir commun que nous voulons radieux et plein de nouveaux espoirs. Nous sommes fiers d'avoir l'honneur d'en être les ouvriers. Je vous en remercie.

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