OUVERTURE
M. Alain RICHARD, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Europe du Nord du Sénat
Monsieur l'Ambassadeur, Cher(e)s collègues Sénatrices et Sénateurs, Mesdames, Messieurs, au nom du groupe d'amitié France-Europe du Nord que j'ai l'honneur de présider, je suis particulièrement heureux de vous accueillir ce matin au Sénat dans le cadre d'un colloque consacré à l'égalité entre femmes et hommes au travail.
D'abord, ce thème se prête particulièrement bien à une approche comparative. Nous devons nous inspirer de ce qui se fait de mieux au-delà de nos frontières. Et il entre tout à fait dans le rôle des groupes interparlementaires de promouvoir les échanges d'expériences et de législations sur les grands sujets de société.
En l'espèce, l'initiative de ce projet revient à l'Ambassade de Norvège dont je salue la présence, parmi nous, de ses représentants qui ont beaucoup oeuvré à la préparation et à la réussite de cette manifestation. Je remercie tout particulièrement Son Excellence M. Tarald Osnes Brautaset, ambassadeur de Norvège à Paris, qui en a eu l'idée et qui me succèdera ici en tribune dans quelques minutes. C'est avec beaucoup de plaisir et d'intérêt que nous avons répondu favorablement à cette initiative, et que mes collègues et moi-même avons tenus à nous y associer.
Sur le terrain de l'égalité, les pays nordiques ont ouvert la voie et sont aujourd'hui « à la pointe » des évolutions sociales. Les échanges que nous aurons tout à l'heure doivent nous permettre de mettre en lumière ce qu'il convient, à juste titre, de nommer le « modèle norvégien » et de faire comprendre comment les innovations sur lesquelles il s'appuie, loin d'être un frein, sont un atout pour les entreprises et pour le développement économique en général.
Le présent colloque est d'autant plus bienvenu qu'il coïncide, comme vous le savez, avec notre actualité parlementaire.
Je salue, à cet égard, la participation de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation sénatoriale des droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui interviendra tout à l'heure.
En effet, la délégation qu'elle préside est spécialement chargée d'informer le Sénat de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et assure, en ce domaine, le suivi de l'application des lois. Cette délégation effectue un travail de fond remarquable et s'est d'ailleurs penchée sur la situation norvégienne, dès 2009, lors d'une mission d'étude sur place.
Vous n'ignorez pas que le Sénat a débattu récemment et a adopté, le 17 septembre dernier, un projet de loi défendu par Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes précisément.
Je laisserai le soin à ma collègue de vous en détailler la portée mais ce texte comporte indéniablement de nombreuses dispositions directement inspirées de l'exemple norvégien. Je pense notamment à la réforme du congé parental qui vise à inciter davantage d'hommes à prendre ce congé, qui, en France, est pris actuellement à 97 % par les femmes. Vous le constatez, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir dans ce domaine.
Nous serons donc à votre écoute, chers amis, en particulier ceux d'entre vous venus spécialement de Norvège, pour entendre vos témoignages et vos recommandations : notamment sur le point de savoir comment l'État peut être le moteur de l'égalité au travail, et également comment les entreprises peuvent tirer avantage de cette nouvelle donne. Nous attendons aussi de connaître votre appréciation sur la réforme en cours en France : est-elle assez ambitieuse ? Faut-il développer les instruments incitatifs ou de contrainte ? L'objectif fixé par Mme Najat Vallaud-Belkacem d'une égalité complète en 2025 est-il réaliste ?
Voici quelques-unes des questions qui seront sans doute abordées au cours de cette passionnante matinée. Sans plus tarder, je souhaite donc à chacun de fructueux échanges, en espérant qu'ils contribuent à faire avancer les mentalités et notre législation.
M. Tarald Osnes BRAUTASET, Ambassadeur de Norvège en France
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les orateurs, Mesdames et Messieurs, c'est un grand plaisir pour moi de vous souhaiter la bienvenue à cette conférence, que l'Ambassade a l'honneur d'organiser conjointement avec le Sénat.
Cet événement a lieu au moment où nous célébrons le jubilé de l'instauration du suffrage universel en Norvège. Il y a 100 ans, notre pays devenait le premier pays du monde à donner le droit de vote aux femmes.
La Norvège a continué à se distinguer dans ce domaine. Durant des décennies, les femmes ont été bien représentées dans la politique norvégienne, que ce soit dans les partis politiques eux-mêmes, au Parlement ou au Gouvernement. La Norvège a aussi été prompte à exiger que les deux sexes soient représentés à hauteur d'au moins 40 % dans les conseils d'administration des plus grandes sociétés. En 2012, la Norvège s'est vu attribuer une troisième place en termes d'égalité hommes-femmes dans le rapport sur l'inégalité entre les sexes du Forum économique mondial. Cependant, dans certains domaines, nous avons à apprendre d'autres pays, dont la France, où les chefs d'entreprise et les dirigeants femmes sont beaucoup plus nombreux qu'en Norvège.
Il y a quelques semaines, le 9 septembre, la population norvégienne s'est rendue aux urnes pour élire les députés qui siègeront pendant les quatre prochaines années au Parlement. Les femmes ont occupé une place centrale durant la campagne électorale et, sur les 169 députés, 40 % sont des femmes. Sur les quatre partis qui négocient pour former un gouvernement de coalition, trois sont dirigés par des femmes. C'est un long chemin qui a été parcouru depuis 1913, lorsqu'une seule femme siégeait au Parlement.
Mais il reste que les femmes sont toujours moins bien payées que les hommes. Nombreuses sont celles qui subissent le travail à temps partiel et les entreprises sont majoritairement dirigées par des hommes. C'est la raison pour laquelle il est bon que nous nous rappelions que l'égalité des sexes n'est pas une simple question de droit, c'est aussi une question de rentabilité économique.
Comme la Banque mondiale le soulignait, l'égalité des sexes n'est pas seulement une valeur en soi, elle est également rentable. L'une des conséquences des politiques actives menées par la Norvège en la matière réside dans la bonne santé de son économie. Alors qu'au début des années 1970, à peine 50 % des femmes travaillaient, elles sont aujourd'hui plus de 75 %. Dans l'ensemble des pays membres de l'OCDE, la proportion est de 59 %.
Le premier ministre norvégien Jens Stoltenberg a souligné que si la participation des femmes norvégiennes devait être réduite à la moyenne de l'OCDE, la valeur de cette perte de production serait égale à la richesse pétrolière norvégienne, y compris celle non encore extraite. Il a ajouté que le ministre des finances devrait remercier tous les jours les Norvégiennes.
Bien entendu, l'égalité entre les sexes n'est pas la réponse à tous les défis économiques auxquels l'Europe se trouve aujourd'hui confrontée, mais en ces temps difficiles, il nous faut faire preuve d'intelligence et échanger les leçons de nos expériences respectives, afin de savoir comment utiliser au mieux cet outil qu'est l'égalité, pour le plus grand bien des économies nationales, comme pour celui des entreprises.
La Norvège a tiré un grand profit de l'entrée en action de toute la force de travail et de tous les talents que recèle la population. Nous espérons que les exemples norvégiens, même s'ils ne sont pas directement transposables, présenteront un réel intérêt pour la France et nous ne doutons pas que la France ait en retour beaucoup à nous apporter.
Pr Kjell SALVANES, Professeur d'économie à l'École norvégienne
En guise d'introduction, je rappellerai que le monde du travail en Norvège est très flexible. Les différences salariales sont peu nombreuses, la mobilité sociale est importante, le filet de sécurité est solide et le niveau de formation est également élevé.
Pour la place des femmes, la Norvège est en tête des classements d'égalité de l'ONU. Le taux d'activité des femmes est très élevé. Les femmes en politique sont nombreuses et exercent des responsabilités importantes. L'espérance de vie des femmes norvégiennes par rapport aux hommes est très élevée également. La politique familiale est très active et les pouvoirs publics sont impliqués dans la garde des enfants, depuis très longtemps, avec une couverte complète de places de jardins d'enfants fortement subventionnées, et un congé parental très généreux.
La flexibilité du monde du travail est un élément important en Norvège. Par rapport aux pays nordiques, la Norvège se situe en milieu de classement s'agissant de la réglementation du monde du travail. Il existe un flux d'emplois entre les secteurs. Cette mobilité est géographique ainsi que transversale. Les créations d'emplois y sont nombreuses, alors que, dans l'Europe du Sud, le monde du travail est très rigide et très réglementé. Les restructurations sont nombreuses en Norvège et la productivité est élevée. Les entreprises norvégiennes ont le droit de licencier leur personnel. La population accepte cette situation, car l'Etat-providence est très généreux. Ce pacte implicite, qui a débuté en 1936 avec la première convention entre syndicats et patronat, est ainsi essentiel.
En Norvège, les entreprises sont donc efficaces, et la mobilité sociale est très importante. Les pays présentant peu de différences salariales ont en effet une mobilité sociale élevée. Plus les différences salariales sont élevées, moins il existe de mobilité sociale. Ce point est très primordial pour de nombreux économistes. Aujourd'hui il existe une mobilité sociale élevée dans tous les pays nordiques. C'est un fait irréfutable.
Dans les années 1960, dans la période d'après-guerre, tous les pays se situaient au même niveau : 40 % des femmes étaient actives. Dans les années 1970, en Norvège, ce taux a commencé à croître de façon significative, pour atteindre le premier taux mondial, pour toutes les femmes, avec ou sans enfants.
La Norvège est toujours classée première à l'indice d'égalité de l'ONU, qui porte sur la santé, la fertilité et l'éducation des femmes, ainsi que sur leur taux de représentation au Parlement, alors que la France n'arrive qu'à la 19 ème place de ce classement.
Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi le taux d'activité des femmes est-il si élevé en Norvège ? Les interprétations divergent. Peu de travaux ont été effectués sur les facteurs qui ont conduit à cette situation.
Ce que nous savons, c'est que l'entrée des femmes dans la vie active a commencé avant la prolongation des congés parentaux, décidée en juillet 1977. Cette mesure en avait accompagné d'autres, qui ont toutes été appliquées après l'entrée des femmes dans le monde du travail et la mise en place des jardins d'enfants. Il est donc difficile, en réalité, d'expliquer cette évolution. Le niveau d'éducation des femmes a été très élevé dès les années 1950. A cette époque, l'économie norvégienne a été restructurée, et a atteint son point culminant en 1972 ; la création de nombreux emplois dans les services et le secteur public a permis d'augmenter le nombre des femmes au travail. L'avortement et la pilule ont, en outre, été légalisés précocement, ce qui a permis aux femmes de choisir des formations plus longues. L'entrée des femmes dans la vie active a précédé la forte augmentation du nombre de places en jardins d'enfants.
Cependant, le congé maternité et l'extension du nombre de places en jardins d'enfants ont accéléré ce phénomène, ainsi que probablement l'amélioration de la santé des femmes. Nous avons constaté aussi que l'allongement du congé maternité entraînait de meilleurs résultats scolaires chez les enfants. Cette situation a d'ailleurs été observée également en Angleterre.
Le modèle nordique se caractérise par une grande mobilité sociale et une forte égalité des salaires. Cependant, il existe également quelques paradoxes. Le haut niveau d'égalité entre hommes et femmes contribue-t-il à accroître la prospérité en Norvège ? Un collègue a affirmé que l'entrée des femmes sur le marché du travail a été plus importante que la découverte du pétrole en Norvège ! Ceci a cependant permis de nous enrichir rapidement ! Dans tous les phénomènes de croissance, c'est la qualité de la main-d'oeuvre du pays qui en est le moteur. En Norvège, les femmes ont un plus haut niveau de formation que les hommes. Ce sont de bonnes hypothèses de travail pour les économistes.
Revenons sur les paradoxes. Quels métiers choisissent les femmes ? Les femmes norvégiennes deviennent-elles des ingénieurs ou des infirmières ? Non, elles deviennent des infirmières ! Les secteurs du marché du travail réservés aux femmes sont très marqués dans les pays nordiques. Les femmes sont ainsi peu nombreuses à être chefs d'entreprise, ce qui est paradoxal dans une société très égalitaire. Il existe de nombreuses théories sur ce point.