B. LA CÔTE D'IVOIRE AFFICHE DE FORTES AMBITIONS ÉCONOMIQUES
1. Une ambition : devenir un "éléphant économique" en Afrique
Ces ambitions ont été largement évoquées par le Premier ministre, M. Daniel Kablan DUNCAN qui a longuement reçu la Délégation, le 27 février 1996.
Le Premier ministre a tout d'abord relevé que le soutien et l'appui de la France à la Côte d'Ivoire tranchaient singulièrement avec le désintérêt croissant manifesté par d'autres pays envers l'Afrique.
Rappelant que son pays avait connu une période de croissance forte, de 1960 à 1980, avec un taux de progression du PIB de 5 % l'an en moyenne, il a indiqué que, depuis cette date, la baisse des cours des matières premières et les chocs pétroliers avaient profondément altéré l'économie ivoirienne. Une courte accalmie en 1985-1986 a été suivie d'une rechute en 1988-1989, la récession ayant toutefois culminé en 1989-1990. M. DUNCAN a rappelé qu'il avait été ministre de l'économie dans le Gouvernement de M. Alassane OUATTARA et qu'il avait, à ce titre, contribué au redressement économique ivoirien du début des années quatre-vingt dix, caractérisé par un plan quinquennal de redressement, de 1991 à 1995, qui a permis d'atteindre l'équilibre des finances publiques dès 1992 et la résorption du déficit primaire en 1993.
Évoquant la dévaluation du franc CFA, il a indiqué qu'il avait fallu convaincre les treize autres pays intéressés de la zone franc et a estimé que cette dévaluation avait permis à l'économie ivoirienne de rebondir.
Sur ce point, M. Jacques LEGENDRE a rappelé qu'à l'initiative du groupe d'amitié, et des deux autres groupes d'amitié sénatoriaux avec des pays africains, le Sénat avait organisé, le 18 octobre 1995, un colloque intitulé "Afrique francophone : les conditions d'un nouveau départ".
M. DUNCAN a précisé que depuis la dévaluation, les finances publiques étaient excédentaires, que le taux de croissance avait atteint 1,2 % en 1994, qu'il serait proche de 6 % en 1996 et qu'il espérait atteindre une croissance supérieure à 10 % dès 1998.
Il a rappelé que la politique économique ivoirienne se fondait sur trois piliers : le libéralisme, la déréglementation -des prix et du commerce extérieur notamment-, la codification et les réformes juridiques, afin de créer un climat favorable aux investissements. Déclinant ces principes, il a indiqué que la Côte d'Ivoire lançait, à l'initiative du chef de l'État, douze grands travaux, sous la forme de concessions au secteur privé (autoroutes, centrale thermique), et qu'elle poursuivrait sa politique de privatisation. Il a précisé que sur 65 sociétés dont la privatisation était envisagée, 25 l'avaient effectivement été.
Á une question de M. François TRUCY sur la situation sanitaire de la Côte d'Ivoire, le Premier ministre a précisé que son gouvernement refusait de faire porter le poids de l'ajustement structurel sur la santé et l'éducation. Il a évoqué l'aide que la France apportait à la création et au fonctionnement d'hôpitaux périurbains, de CHU et de CHR. Le gouvernement ivoirien favorise par ailleurs l'utilisation de produits génériques et a relancé la politique de prévention et des campagnes de vaccination, le taux de vaccination de la population ayant été divisé par deux en quelques années, passant de 80 à 45 %. Il a considéré que le taux de 80 % pourrait être de nouveau atteint dès 1997. Abordant la pandémie de SIDA, avec 18 000 cas officiellement recensés, il a décrit les actions de prévention menées dans les écoles et sur les lieux de travail, et a indiqué que la Fondation Montagne serait inaugurée à Abidjan en avril 1996. S'agissant du paludisme, il a évoqué la coopération avec la Colombie dans la lutte contre ce fléau.
M. Yann GAILLARD ayant souhaité des précisions sur la politique de privatisation, le Premier ministre a rappelé les facteurs qui avaient conduit à mener une telle politique : faiblesse de l'épargne intérieure, nombreuses créations de structures parapubliques, toutes lourdement déficitaires, alors que les sociétés dans lesquelles le secteur privé conserve une part minoritaire l'étaient à un moindre niveau. Indiquant que l'électricité avait été privatisée dès 1990-1991, il a annoncé que les prochaines privatisations concerneraient notamment l'eau, les télécommunications, la société PALMINDUSTRIE, la gestion de l'Hôtel Ivoire. Il a souligné l'attrait des investisseurs étrangers pour la Côte d'Ivoire, les investissements ayant progressé de 30 milliards de francs CFA en 1994 à 200 milliards en 1995. Il a relevé que les acteurs économiques étrangers se diversifiaient, avec l'arrivée de pays d'Amérique latine ou d'Asie.
Évoquant la visite de la Délégation à PALMINDUSTRIE, M. Jacques LEGENDRE a souhaité connaître le sort des écoles et dispensaires créés par la société publique une fois celle-ci privatisée. Le Premier ministre a indiqué que l'État assumerait ses obligations, sauf si le repreneur souhaitait s'en occuper directement, et que cette question ferait l'objet de négociations sur l'accompagnement social des privatisations. Sur ce point, il a précisé que l'articulation entre les plantations de PALMINDUSTRIE et les plantations villageoises seraient précisées lors de la cession au secteur privé. Il n'a pas exclut la création d'un cahier des charges et la prise de participation des villages au sein du capital des sociétés privatisées.
Interrogé par M. Jacques LEGENDRE sur la situation du système éducatif, le Premier ministre a précisé qu'une commission nationale de réforme de l'enseignement avait inspiré une profonde réforme du système éducatif visant à augmenter le taux de scolarisation pour le porter de 70 à 90 %. Il a rappelé que son Gouvernement comprenait désormais un ministre de la formation technique et avait introduit l'apprentissage, évaluant à 800 000 le nombre de personnes employables dans l'agriculture au titre de ce mode de formation. Il a évoqué les développements du système éducatif ivoirien, qui comptait 450 bacheliers en 1958 et 57 000 en 1995.
Á une question de M. Jean FAURE sur les relations franco-ivoiriennes, M. DUNCAN, s'inquiétant d'une baisse des concours budgétaires de 120 milliards de francs CFA en 1995 à 80 milliards en 1996, a souhaité que l'appui de la France continue au même rythme, le bouclage du tableau d'opération financière de la Côte d'Ivoire devenant de plus en plus difficile. Évoquant la dette extérieure, il a rappelé que seule la dette commerciale n'avait pas été rééchelonnée. Notant la présence importante de banques françaises, il s'est déclaré persuadé de l'appui de la France pour obtenir, au club de Londres, un rééchelonnement permettant à la Côte d'Ivoire d'atteindre une croissance à deux chiffres, afin de devenir l'un des "éléphants" d'Afrique, comme il existe des "dragons" en Asie.
La question de la dette avait été également évoquée devant la Délégation par le Président de l'Assemblé nationale M. Charles DONWAHI, le 26 février 1996.
Après avoir rappelé que la dévaluation avait permis de relancer l'économie des pays concernés, notamment sur le plan industriel et des infrastructures, il a jugé que le redressement, encore fragile, des pays de la zone franc, ne devait pas être étouffé "dans l'oeuf, en contraignant ces pays à utiliser les excédents commerciaux au remboursement exclusif de la dette commerciale et multilatérale. Il a considéré que les créanciers privés devaient modérer leurs exigences de remboursement et devaient faire preuve de patience comme font les créanciers publics. Il s'est déclaré persuadé que la France aiderait la Côte d'Ivoire, et les autres pays de la zone franc, à faire comprendre cette situation aux bailleurs de fonds internationaux.
M. DONWAHI a jugé particulièrement prometteuse la proposition du Président de la République française, M. Jacques CHIRAC, de convertir la dette en investissement.
Au cours de cet entretien, un député ayant pris comme exemple de soutien concret à l'économie ivoirienne les expériences de coopération décentralisée menée entre certaines collectivités de Côte d'Ivoire, la ville du Mans et la région de Franche-Comté, M. Jacques LEGENDRE a annoncé qu'un colloque sur ce thème serait organisé au Sénat, à l'initiative des trois groupes d'amitié sénatoriaux avec les pays africains, le 21 mars prochain.
Ayant fait remarquer que le coût et la formation de la main d'oeuvre en Afrique devenaient compétitifs par rapport aux nouveaux pays industrialisés d'Asie, un autre député a souhaité que le continent africain profite des prochaines délocalisations d'industries de ces pays.