II) Le Zimbabwe4 ( * ) : quelle place en Afrique australe ?
L'indépendance du Zimbabwe 5 ( * ) , nouvelle dénomination donnée par les autorités issues de l'accord de Lancaster House, est proclamée le 18 avril 1980.
Les élections organisées sous contrôle du Commonwealth, les 14 février 1980 pour les européens (vingt sièges leur avaient été réservés), et 27, 28 et 29 février pour les africains, avaient dégagé une nette majorité pour la ZANU qui remporta, parmi les africains, cinquante-sept sièges. Sur les vingt sièges réservés, les européens élirent vingt représentants du Patriotic Front, héritier du Rhodesian Front, et émirent un vote identique lors du scrutin général. Ainsi, le Patriotic Front disposait-il au total de quarante sièges à l'Assemblée nationale.
La logique parlementaire conduisit Robert Mugabe, dirigeant du parti majoritaire, au poste de Premier ministre, dès le 11 mars 1980. Les orientations alors retenues plaçaient le nouvel État sous les meilleurs auspices. Mais à une décennie de calme et de prospérité a succédé l'ère des incertitudes.
A) Des débuts prometteurs
Un climat politique serein, et une activité économique dynamique, ont marqué les années d'indépendance.
a) un Gouvernement de réconciliation nationale
Alors que Robert Mugabe avait été le tenant de la ligne dure lors des négociations de Lancaster House, il compose un Gouvernement ouvert et entreprend une politique pragmatique.
D'importants postes ministériels sont en effet attribués en dehors de la ZANU : Joshua Nkomo reçoit l'Intérieur, David Smith et Dennis Norman, tous deux députés du Patriotic Front reçoivent le Commerce et l'Industrie, et l'Agriculture.
Cette ouverture au chef du parti nationaliste concurrent - et à l'ethnie matabele - comme à la minorité européenne, apaise les puissantes tensions nées de la quasi-guerre civile qui a marqué les dernières années de la Rhodésie.
L'intégration des divers groupes armés au sein d'une force nationale, comme le retour des deux cent mille réfugiés des pays voisins s'effectue sans trop de heurt, grâce à une importante aide internationale.
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Les institutions, enfin, héritées de l'accord de Lancaster House, tempèrent la règle de la majorité par l'adoption d'importantes garanties pour les européens.
La Constitution institue un régime parlementaire , avec un Président de la République élu pour six ans (un pasteur d'ethnie matabele fut élu en avril 1980, puis réélu en 1986), qui nomme le Premier ministre, et les membres du Gouvernement.
Celui-ci, dénommé Conseil Exécutif, est responsable devant le Parlement bicaméral, composé d'une Assemblée nationale de cent membres, et d'un Sénat de quarante membres (vingt-quatre élus par l'Assemblée nationale, et seize nommés par le Président de la République). Vingt des cent députés représentaient spécifiquement la minorité blanche, et ce point ne pouvait être modifié avant 1987.
Enfin, la Déclaration des droits constituant le Préambule de la Constitution, garantit spécifiquement le droit de propriété, mettant à l'abri les colons contre toute nationalisation brutale et sans contrepartie.
Ces apaisements ont limité l'exode des européens, dont seuls environ soixante mille ont quitté le Zimbabwe (essentiellement pour l'Afrique du Sud), entre 1980 et 1982, sur une communauté d'environ deux cent cinquante mille personnes, et une population totale d'environ sept millions d'habitants.
Dix ans après l'indépendance, on comptait encore près de 90 000 habitants d'origine européenne, sur une population totale d'environ dix millions.
Le maintien sur place des principaux cadres hérités de la période coloniale a évité au pays les convulsions et la désorganisation inhérentes à l'accession à l'indépendance de la plupart des pays africains, et a puissamment contribué au maintien de la stabilité politique et du développement économique.
b) Une orientation autoritaire limitée
Le programme politique suivi ultérieurement par Robert Mugabe a consisté en la suppression, en 1987, du régime parlementaire au profit d'un régime présidentiel, avec la disparition corrélative du poste de Premier ministre. Cet empressement à modifier la Constitution dès l'expiration du délai fixé par l'accord de Lancaster House (sept ans), en faveur d'une plus forte concentration des pouvoirs dans les mains de Mugabe, élu à la tète de l'État, créa quelques inquiétudes au sein de la communauté blanche, qui vit également supprimer son collège électoral distinct, toujours en 1987. Une deuxième étape a été franchie en 1990 avec la disparition du Sénat et l'établissement d'un système monocaméral.
Le troisième terme de cette évolution devait consister en la mise en place d'un parti unique de soutien au Président, conformément aux orientations marxistes qui animaient Robert Mugabe lors de son combat pour l'indépendance de son pays. Cette évolution, qui renforçait encore les appréhensions de la communauté blanche et constituait une menace potentielle pour le maintien de la démocratie, a finalement été abandonnée du fait de l'effondrement du bloc est-européen, qui démontrait les multiples carences de ce modèle politique.
Les élections législatives et présidentielles du mois de mars 1990 ont confirmé le Président Mugabe et le parti qui le soutient, le ZANU-PF, né de l'unité réalisée en 1987 entre les deux anciens partis rivaux, ZANU et ZAPU, dans leur rôle dirigeant ; seuls trois sièges ont été remportés par l'opposition au Parlement. Cependant, l'émergence de cette opposition parlementaire, bien que numériquement faible, a inquiété le gouvernement en place, d'autant qu'elle se conjuguait à différents conflits sociaux qui ont pu s'exprimer après la levée, en juillet 1990, de l'état d'urgence décrété en 1965 par Ian Smith, et continuellement reconduit depuis.
Néanmoins, le Gouvernement du Zimbabwe a opté pour d'autres solutions que la mise en place du monopartisme pour faire face à cette contestation politique et sociale.
c) une prospérité préservée malgré les tensions de l'indépendance
A l'indépendance, les séquelles de la guerre n'altéraient pas substantiellement le tableau très positif présenté par le Zimbabwe : agriculture prospère et diversifiée (céréales, tabac), secteur industriel dont le développement avait été considérablement renforcé sous la contrainte de l'embargo international, important secteur minier (or, platine, chrome, nickel, cuivre), et infrastructures très denses.
Ces atouts étaient valorisés par la prudence des autorités envers les cadres européens, évitant ainsi au pays la brutale désorganisation qui avait affecté le Mozambique après l'exode en masse des portugais, après 1975.
Ainsi, en 1980, avec une production manufacturière participant pour 15 % au Produit Intérieur Brut, et composant un tiers des exportations en valeur, le pays présentait-il une des économies les plus dynamiques d'Afrique australe.
* 4 390 760 km 2 - 11 millions d'habitants
* 5 Nom repris de celui du royaume africain disparu au XVIè siècle, et dont subsiste un important site archéologique, au sud-est du pays.