B. PROBLÈMES INTÉRIEURS
L'un des problèmes importants de l'Ukraine demeure celui de la Crimée, même si l'adoption de la Constitution ukrainienne (voir ci-dessus) peut permettre d'espérer un apaisement de la situation. La Crimée n'est devenue partie intégrante de la République soviétique d'Ukraine qu'en 1954. Elle est composée très majoritairement de Russes, soit de souche, soit d'éducation et de coeur, compte tenu de la déportation par Staline des populations tatares. Entre 1993 et 1995, le Parlement et le Président de Crimée ont adopté de nombreuses mesures allant à l'encontre de la politique menée par le Gouvernement ukrainien. Et le 17 mars 1995, la Rada ukrainienne a abrogé la Constitution de Crimée, qui contredisait celle de l'Ukraine et a supprimé la fonction présidentielle. En revanche, l'autonomie de la Crimée a été réaffirmée et confortée par la Constitution ukrainienne adoptée en juin dernier.
Tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant. La plupart des hommes politiques russes sont favorables à un rattachement de la Crimée à la Russie. En outre, plusieurs personnalités ont évoqué devant la délégation les problèmes financiers que pose le retour des populations tatars déportées à l'époque stalinienne. Ce problème a été évoqué par le Président KOUTCHMA à l'occasion de son discours devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe : « M. KOUTCHMA souhaite cependant évoquer le problème épineux des personnes déplacées qui reviennent s'installer en Ukraine, comme les Tatars de Crimée. Ceux-ci sont près de 300.000 à être revenus et il faut y ajouter 17.000 Bulgares, 20.000 Grecs et 15.000 Allemands, qui, eux aussi, ont voulu revenir sur leur terre natale. L'Ukraine n'a aucune responsabilité morale dans les crimes commis par le régime totalitaire vis-à-vis de ces peuples, mais elle est seule à supporter les conséquences de ces réinstallations. Il faudrait deux milliards de dollars américains pour réaliser le programme qui a été ratifié alors que l'Ukraine ne dispose que de cent millions de dollars, de sorte que le mouvement de retour s'est interrompu. Aussi demande-t-elle une aide urgente de la communauté internationale. »
Par ailleurs, la situation de la Crimée est compliquée par la présence de l'ancienne flotte soviétique de la mer noire et le litige que cette dernière a suscité entre l'Ukraine et la Russie.
De manière plus générale, la délégation a pu constater combien l'Ukraine n'était pas uniforme dans son peuplement. Á Lviv, les autorités de la région et de la ville ont revendiqué le rôle primordial qu'a joué l'ouest de l'Ukraine dans la conquête de l'indépendance. Les habitants de cette partie de l'Ukraine se sentent profondément ukrainiens, la méfiance envers la Russie y est probablement plus développée que dans le reste du pays. En Ukraine orientale, on compte une proportion très importante de Russes d'origine et de russophones. Les forces de gauche, qui sont favorables à une intégration dans le cadre de la C.E.I. et à un partenariat stratégique avec la Russie sont dominantes dans ces régions et presque inexistantes à l'ouest de l'Ukraine.
Cette opposition est nécessairement réductrice, mais les résultats des élections législatives de 1994 montrent qu'elle n'est pas totalement infondée : la plupart des députés communistes et socialistes ont été élus dans les régions de l'Est et du Sud de l'Ukraine, tandis que les 27 députés du parti Roukh (courant national-démocratique) ont été élus dans l'Ouest du pays.
En définitive, cette opposition peut être résumée de la manière suivante : « Une fracture géographique Ouest/Est divise et fragilise le pays. L'Ouest, anciennement polonais puis autrichien, est ukrainophone, indépendantiste et pro-européen. L'Est, en revanche, est passé du joug mongol à celui des princes de Moscou. Plus industrialisé, il est urbanisé, russophone, orthodoxe et pro-russe » ( ( * )1) .
La délégation sénatoriale, qui a rencontré à Lviv des représentants des Églises catholique et uniate (gréco-catholique), a pu constater également la complexité de la situation religieuse en Ukraine. La grande majorité de la population est orthodoxe, mais il faut distinguer l'Église orthodoxe russe, l'Église orthodoxe ukrainienne et l'Église orthodoxe autocéphale ukrainienne qui a connu une renaissance à la fin de la période soviétique.
Mgr TROFIMIAK, évêque catholique de Lviv, a rappelé à la délégation que, avant la seconde guerre mondiale, on comptait 1.300 églises catholiques en Ukraine, contre 245 aujourd'hui, ce qui représente néanmoins un progrès par rapport aux années de l'après-guerre. Il a également souligné que les relations entre l'Église catholique et les Églises orthodoxes ne sont pas exemptes de tensions. L'Église orthodoxe russe s'inquiète en particulier du prosélytisme des prêtres polonais en Ukraine. Compte tenu du faible nombre de prêtres ukrainiens, de nombreuses messes sont dites en polonais par des prêtres polonais. L'ouverture prochaine d'un séminaire ukrainien à Lviv permettra la formation de nouveaux prêtres ukrainiens.
En Ukraine occidentale, l'Église uniate ou gréco-catholique, qui avait été largement étouffée à l'époque soviétique, a pu reprendre ses activités. L'Église gréco-catholique reconnaît l'autorité du Pape, mais pratique le rite byzantin. C'est en janvier 1990 que le synode des évêques uniates a proclamé la restauration officielle de l'Église gréco-catholique ukrainienne et a réclamé la restitution des biens que celle-ci possédait avant l'occupation soviétique. Cette question a été à l'origine de tensions entre cette Église et les Églises orthodoxes.
* (1) Claire Mouradian, « Le retour de l'URSS ? », Politique internationale, 1996.